Revue d'Evidence-Based Medicine



Les antidépresseurs diminuent le risque de rechute, mais un sevrage réussi est possible



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 6 Page 132 - 135

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Lewis G, Marston L, Duffy L, et al. Maintenance or discontinuation of antidepressants in primary care. N Engl J Med 2021;385:1257-67. DOI: 10.1056/NEJMoa2106356


Question clinique
Chez les patients sous antidépresseurs à long terme en première ligne, quel est le risque de récidive de la dépression suite à l’arrêt de ces médicaments, par comparaison avec leur maintien ?


Conclusion
Il ressort de cette étude randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle, chez des patients en première ligne, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, que, parmi les patients souffrant de dépression récurrente, une récidive de la dépression dans l’année a été observée chez 56% des patients qui ont arrêté leur antidépresseur contre 39% des patients qui ont continué leur antidépresseur (ce qui revient à un NNH de 6 pour l’arrêt). Les résultats de l’étude ne peuvent pas être entièrement extrapolés à la médecine générale car, la plupart des utilisateurs à long terme d’antidépresseurs en première ligne, n’ont connu qu’un seule ou aucune dépression antérieure, ce qui contraste avec le taux élevé de récidive dans la population étudiée. Des études sont nécessaires sur l’arrêt des antidépresseurs chez les patients présentant des symptômes dépressifs plus légers, ainsi que sur l’effet de schémas de diminution progressive plus lents.


 

Contexte

Si les antidépresseurs sont nécessaires en cas de dépression, les guides de pratique préconisent de prévenir les récidives en poursuivant le traitement jusqu’à 6 mois après l’amélioration des symptômes, et jusqu’à 2 ans si le risque de récidive est élevé (1-3). Cependant, de plus en plus de patients qui se sentent bien prennent des antidépresseurs beaucoup plus longtemps que recommandé, sans indication claire, parfois même pendant des années. Cette utilisation à long terme explique pour une grande part la hausse de la consommation des antidépresseurs. Pour les patients qui se sentent bien, la peur d’une récidive est l’une des principales raisons de la poursuite des antidépresseurs (4). Une récente synthèse méthodique Cochrane portant sur l’efficacité et la sécurité d’emploi de différentes méthodes d’arrêt de l’utilisation à long terme des antidépresseurs n’a pas pu tirer de conclusions définitives en raison des limites méthodologiques des études incluses (5). Une limitation importante était que les études ne faisaient pas la distinction entre les symptômes de sevrage et les symptômes d’une rechute de la dépression. De plus, presque toutes les études examinant l’effet de l’arrêt ont été menées en milieu spécialisé (psychiatrie) chez des patients ayant fait au moins deux épisodes dépressifs. Les études en médecine générale font largement défaut alors que c’est là que les antidépresseurs sont les plus couramment prescrits (6).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 478 patients, âgés en moyenne de 54 ans, 73% étant de sexe féminin, recrutés dans 150 cabinets de médecine générale en Angleterre, ayant fait au moins 2 épisodes de dépression (90% avaient déjà fait ≥ 3 dépressions) ou avec au moins 2 ans d’utilisation d’une dose standard de sertraline (100 mg), de fluoxétine (20 mg), de citalopram (20 mg) ou de mirtazapine (30 mg) (70% prenaient un antidépresseur depuis ≥ 3 ans), qui s’étaient remis de leur épisode actuel de dépression et se sentaient suffisamment stables pour arrêter les antidépresseurs
  • exclusion (1) des patients présentant des symptômes dépressifs, (2) des patients atteints de trouble bipolaire, de psychose ou de démence, (3) des femmes enceintes ou allaitantes, (4) des patients ayant une connaissance insuffisante de l’anglais, (5) des patients prenant d’autres antidépresseurs ou ne prenant pas la dose standard des antidépresseurs ci-dessus.

Protocole de l’étude

Étude randomisée, menée en double aveugle, contrôlée par placebo avec deux groupes :

  • groupe intervention (n = 240) : diminution de l’antidépresseur en deux étapes sur 8 semaines (d’abord -50%, puis -25% et finalement arrêt) avec remplacement de l’antidépresseur par un placebo 
  • groupe témoin (n = 238) : poursuite du même antidépresseur à la même dose.

Mesure des résultats :

  • critère de jugement principal : survenue d’un épisode dépressif majeur dans l’année suivant l’arrêt de l’antidépresseur ; la dépression était définie comme la présence d’une humeur maussade et d’une perte d’intérêt/de plaisir au cours des deux dernières semaines et la présence d’au moins un autre symptôme révélateur de dépression (pensées dépressives incluant pensées suicidaires, fatigue, perte de concentration ou troubles du sommeil)
  • critères de jugement secondaires : symptômes dépressifs et anxieux, effets indésirables des antidépresseurs, symptômes de sevrage, état de santé physique et mentale et humeur globale, à 12, 26, 39 et 52 semaines
  • analyse en intention de traiter et analyse per protocole.

 

Résultats :

  • critère de jugement principal : une récidive de la dépression dans l’année a été observée chez 56% des patients qui ont arrêté l’antidépresseur contre 39% des patients qui ont continué l’antidépresseur (HR de 2,06 avec IC à 95% de 1,56 à 2,70 ; p < 0,001)
  • critères de jugement secondaires :
    • après 52 semaines, aucune différence entre les groupes quant aux symptômes dépressifs et anxieux, aux effets indésirables, aux symptômes de sevrage, à l’état de santé physique et mentale et à l’humeur globale 
    • après 12 semaines, il y avait légèrement plus de symptômes dépressifs dans le groupe qui avait arrêté l’antidépresseur que dans celui qui l’avait continué, mais la différence de score PHQ-9 entre les deux groupes était faible (6,3 (ET 5,1) dans le groupe sevrage contre 4,1 (ET 3,8) dans le groupe témoin, avec une différence moyenne de 2,2 (avec IC à 95% de 1,5 à 2,8))
    • le taux d’apparition ou d’aggravation des symptômes de sevrage chez les patients qui ont arrêté l’antidépresseur était le plus élevé à la semaine 12 : le score à l’échelle des signes et symptômes émergents de sevrage (Discontinuation-Emergent Signs and Symptoms, DESS) était alors de 3,1 (ET 3,5) dans le groupe intervention contre 1,3 (ET 2,4) dans le groupe témoin – avec une différence moyenne de 1,9 (avec IC à 95% de 1,5 à 2,3) ; ce score a progressivement diminué, mais est resté significativement plus élevé dans le groupe sevrage aux semaines 26 et 39 et a finalement atteint le même niveau à 52 semaines.

Conclusion des auteurs

Chez les patients en soins primaires qui se sentaient suffisamment bien pour arrêter les antidépresseurs, le groupe qui a arrêté de prendre des antidépresseurs après 52 semaines avait un risque plus élevé de récidive de la dépression que le groupe qui a poursuivi le traitement existant.

 

Financement de l’étude

National Institute for Health Research.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt n’est mentionné.

 

Discussion

 

Evaluation méthodologique

Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé, bien conçu sur le plan méthodologique, mené chez des patients en première ligne. Les caractéristiques de base des patients dans les deux bras de l’étude étaient similaires, ce qui permet de dire que la randomisation a été correctement effectuée. Pour évaluer l’efficacité de l’insu – ce que nous qualifions de très positif en soi – les patients ont été invités à deviner à quel groupe ils étaient affectés. Malgré des gélules et un conditionnement identiques, le risque de biais de performance est réel car 71% des patients du groupe intervention (162 sur 228) contre 47% du groupe témoin (108 sur 232) ont correctement deviné leur groupe de randomisation avant la levée de l’insu. Cela suggère que les patients ont pu estimer correctement leur affectation au groupe placebo, peut-être en raison de symptômes de sevrage ou d’un retour de symptômes dépressifs. Cela peut avoir influencé le résultat. L’idée d’une possible aggravation de leur état peut avoir contribué à une réelle aggravation chez ces patients et finalement à une rechute de la dépression. Cela peut également expliquer le taux élevé d’abandons dans le groupe intervention.

 

Interprétation des résultats

Sur la base de la différence absolue quant au taux de rechute (critère de jugement principal), on peut calculer que, sur six patients arrêtant de prendre des antidépresseurs, un patient rechute après un an, alors qu’il n’aurait pas rechuté s’il avait continué à prendre des antidépresseurs (nombre de sujets à traiter pour nuire (Number Needed to Harm, NNH) = 6 avec IC à 95% de 3 à 19). D’un autre côté, il faut dire aussi qu’un traitement à long terme avec des antidépresseurs n’offre aucune garantie de prévention des rechutes. Ainsi, après un an, on observait encore un taux de récidive de 39% parmi les patients qui continuaient à prendre des antidépresseurs. Cela illustre également le fait que cette étude incluait des patients à haut risque de récidive. Dans ce groupe à haut risque, il a été prouvé que la psychothérapie comme alternative aux antidépresseurs pouvait réduire le risque de rechute (7,8).

Cependant, il existe un certain nombre de facteurs qui limitent la validité externe de l’étude :

Premièrement : Bien que l’étude ait été menée en première ligne, elle n’incluait pas le patient type prenant à long terme des antidépresseurs en médecine générale. En effet, plus de 90% des patients de l’étude avaient des antécédents de trois épisodes dépressifs majeurs ou plus, tandis que nous savons que la majorité des patients utilisant des antidépresseurs à long terme en médecine générale n’ont pas fait de dépression ou n’en ont fait qu’une seule. Cela signifie que le risque de récidive sera plus faible en médecine générale que dans la population étudiée dans cette étude (2,9). Par conséquent, même après cette étude, on ne connaît pas l’ampleur de l’effet de l’arrêt de l’utilisation à long terme des antidépresseurs dans le vaste groupe de patients sans dépression ou avec une seule dépression dans leurs antécédents.

Deuxièmement : Sur les 23553 patients invités qui faisaient un usage prolongé d’antidépresseurs, seuls 1466 (soit 6%) ont répondu positivement à la lettre d’invitation, et, de cette fraction, le médecin généraliste a considéré que moins de la moitié (n = 666 patients, soit 41%) étaient en mesure de participer. De ce groupe, 478 patients (soit 2% de tous les invités) ont finalement accepté de participer à l’étude. Il est donc possible que l’on ait sélectionné des patients qui étaient plus favorables à l’arrêt des antidépresseurs. Du fait de ce biais de sélection, il se peut qu’un sevrage réussi soit en réalité être encore moins fréquent que dans cette étude. Il faut également noter que 20% des patients invités ont fait l’effort de répondre explicitement « non » à la lettre d’invitation. La difficulté du recrutement pour les études portant sur le sevrage des antidépresseurs n’est pas nouvelle et illustre bien les difficultés pratiques rencontrées pour motiver les patients à arrêter de prendre des antidépresseurs. De plus, nous constatons un taux d’abandons relativement élevé dans les deux groupes d’étude parmi ceux qui ont finalement participé à l’étude. Cela peut être dû à l’intervention, mais il est également concevable qu’en plus du fardeau de l’intervention pour le patient (comme remplir de longs questionnaires), la « crainte » d’une rechute ait également joué un rôle.

Troisièmement : Que l’étude ait rapporté des symptômes de sevrage est un élément positif. Des données récentes montrent que les symptômes de sevrage se produisent plus fréquemment et peuvent être plus graves et durer beaucoup plus longtemps qu’on ne le pensait auparavant (10). La diminution progressive dans cette étude s’est déroulée en deux étapes sur 8 semaines. Bien que ce calendrier soit conforme aux recommandations au moment de la conception de l’étude, les nouveaux guides de pratique internationaux (2,3) recommandent une réduction plus lente (sur plusieurs semaines à plusieurs mois) pour réduire le risque de symptômes de sevrage. Nous savons maintenant également que les patients varient considérablement dans leur susceptibilité à éprouver des symptômes de sevrage. L’étude a rapporté un pic de symptômes de sevrage à 12 semaines, mais avec un large écart-type. Il est donc possible que, chez certains patients, la diminution progressive sur 4 et 8 semaines ait été trop rapide et que les symptômes de sevrage aient non seulement entraîné le retrait prématuré de l’étude, mais aussi provoqué une aggravation de l’état de santé, contribuant à la rechute. En effet, les symptômes de sevrage chevauchent la plupart des domaines de l’échelle de dépression utilisée dans l’étude pour détecter la dépression. Il est donc également possible que les symptômes de sevrage aient contribué à des scores plus élevés sur l’échelle de dépression et donc (à tort) à un taux de rechutes plus élevé dans le groupe de patients ayant arrêté l’antidépresseur. Il est regrettable que les auteurs n’aient pas tenté de tenir compte de ce chevauchement entre les symptômes de sevrage et les symptômes de dépression dans l’analyse. Dans ce contexte, il est positif que les auteurs aient exclu la venlafaxine et la paroxétine, antidépresseurs à demi-vie courte et donc à risque plus élevé de symptômes de sevrage, en revanche ce risque existe également pour les autres antidépresseurs étudiés (sertraline et mirtazapine), qui ont également une demi-vie courte, et même pour la fluoxétine, dont la demi-vie est très longue. 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Si des antidépresseurs sont nécessaires en cas de dépression, le guide de pratique belge sur la dépression (1) recommande de continuer l’utilisation des antidépresseurs pendant au moins six mois après une bonne réponse et pendant au moins deux ans chez les personnes présentant un risque accru de rechute. Cette recommandation est parfaitement conforme au guide de pratique clinique du NICE (2) et à celui de l’association néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (3). Les facteurs de risque de récidive sont les antécédents de récidive de dépression, la présence de symptômes résiduels, les antécédents de dépression majeure, sans oublier les patients chez qui la rechute pourrait être associée à des conséquences graves. Le guide de pratique clinique du NICE (2) et celui de la NHG (3) recommandent tous deux de diminuer progressivement sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, en déterminant avec le patient la vitesse de la diminution progressive et en tenant compte de la rapidité de la diminution progressive. Il est toujours recommandé d’expliquer les éventuels symptômes de sevrage pendant la réduction progressive, à la fois au début et lors de la réduction progressive des antidépresseurs. Lorsque des symptômes de sevrage (sévères) surviennent, il est recommandé de revenir à la dose la plus faible qui n’entraînait pas de symptômes de sevrage et d’opter pour une réduction de cette dose avec un schéma de réduction plus progressif en termes d’étapes posologiques et de rythme.

 

Conclusion de Minerva

Il ressort de cette étude randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle, chez des patients en première ligne, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, que, parmi les patients souffrant de dépression récurrente, une récidive de la dépression dans l’année a été observée chez 56% des patients qui ont arrêté leur antidépresseur contre 39% des patients qui ont continué leur antidépresseur (ce qui revient à un NNH de 6 pour l’arrêt). Les résultats de l’étude ne peuvent pas être entièrement extrapolés à la médecine générale car, la plupart des utilisateurs à long terme d’antidépresseurs en première ligne, n’ont connu qu’un seule ou aucune dépression antérieure, ce qui contraste avec le taux élevé de récidive dans la population étudiée. Des études sont nécessaires sur l’arrêt des antidépresseurs chez les patients présentant des symptômes dépressifs plus légers, ainsi que sur l’effet de schémas de diminution progressive plus lents. 

 

 

Références 

  1. Declercq T, Habraken H, Van Den Ameele H. La dépression chez l’adulte. Domus Medica 2016. URL: https://ebpnet.be/fr/ebsources/1209
  2. National Institute for Health and Clinical Excellence. Depression in adults: recognition and management. Clinical guideline [CG90]. NICE 2009 . Consulté le 12/05/2022. URL: www.nice.org.uk/guidance/cg90
  3. Nederlands Huisartsen Genootschap. NHG-Standaard Depressie 2019. Consulté le 12/05/2022. URL: https://richtlijnen.nhg.org/standaarden/depressie
  4. Maund E, Dewar‐Haggart R, Williams S, et al. Barriers and facilitators to discontinuing antidepressant use: a systematic review and thematic synthesis. J Affect Disord 2019;245:38–62. DOI: 10.1016/j.jad.2018.10.107
  5. Van Leeuwen E, van Driel M, Horowitz M, et al. Approaches for discontinuation versus continuation of long-term antidepressant use for depressive and anxiety disorders in adults. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD013495.pub2
  6. Lewis G, Marston L, Duffy L, et al. Maintenance or discontinuation of antidepressants in primary care. N Engl J Med 2021;385:1257-67. DOI: 10.1056/NEJMoa2106356
  7. Catthoor K. Que penser des interventions psychologiques comme alternative ou comme traitement d’appoint aux antidépresseurs pour prévenir la récidive de la dépression ?  Minerva Analyse 18/12/2021.
  8. Breedvelt JJ, Brouwer ME, Harrer M, et al. Psychological interventions as an alternative and add-on to antidepressant medication to prevent depressive relapse: systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry 2020:1-8. DOI: 10.1192/bjp.2020.198
  9. Ormel J, Spinhoven P, de Vries YA, et al. The antidepressant standoff: why it continues and how to resolve it. Psychol Med 2020;50:177-86. DOI: 10.1017/S0033291719003295
  10. Davies J, Read J. A systematic review into the incidence, severity and duration of antidepressant withdrawal effects: are guidelines evidence-based? Addict Behav 2019;97:111-21. DOI: 10.1016/j.addbeh.2018.08.027

 

 




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