Revue d'Evidence-Based Medicine



L’intégration des recommandations au DMI peut-elle améliorer la prise en charge des patients diabétiques ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 9 Page 200 - 204

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Shah S, Yeheskel A, Hossain A, et al. The impact of guideline integration into electronic medical records on outcomes for patients with diabetes: a systematic review. Am J Med 2021;134:952-962.e4. DOI: 10.1016/j.amjmed.2021.03.004


Question clinique
Quelle est la plus-value de l’intégration des recommandations dans le dossier médical informatisé dans la prise en charge des patients diabétiques ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que l’intégration des guides de pratique cliniques dans le dossier médical informatisé pourrait améliorer les résultats sur des critères de jugement intermédiaires tels que le contrôle lipidique et la pression artérielle mais sont équivoques en ce qui concerne l’hémoglobine glyquée chez les patients diabétiques, avec un effet plus important lors de la combinaison des différentes stratégies d’intervention. Les limites méthodologiques, parfois importantes, et une grande hétérogénéité dans les stratégies et mesures des résultats ne permettent pas de se prononcer sur la plus-value de cette approche.


Contexte

Le diabète de type 2 est une maladie à forte prévalence et une importante cause de mortalité (1). La prise en charge du diabète de type 2 passe, selon les recommandations actuelles, par une estimation du risque de complication et notamment des risques macrovasculaires et microvasculaires. Pour ce faire, un contrôle régulier de l’hémoglobine glyquée (2), de la tension artérielle, du profil lipidique, du BMI et du tabagisme est important (3). Cela demande de la rigueur de la part du clinicien ainsi qu’une bonne connaissance des recommandations EBM en matière de diabète. Les recommandations EBM, transmises aux cliniciens par voie papier, lors de conférences ou par voie électronique touchent de manière très aléatoires ces derniers (4). Les médecins généralistes utilisent de plus en plus les dossiers médicaux électroniques et les aides électroniques sont envisagées comme une réelle solution à la problématique de l’évaluation régulière des risques, à la gestion des échéances, à une prescription optimale. Cependant, la modalité la plus adaptée pour rencontrer de tels objectifs n’est pas connue. Une synthèse méthodique sur cette thématique, centrée sur le diabète, est dès lors intéressante (5).

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

  • les sources CINAHL, MEDLINE, PubMed et Cochrane Library ont été consultées en août 2016, en novembre 2017 et en juin 2020
  • la bibliographie des articles pertinents.

Etudes sélectionnées

  • les critères d’inclusion étaient :
    • les études primaires en anglais, quel qu’en soit le design qui :
      • étudient une intégration de recommandations au dossier médical informatisé ;
      • portent sur des soins ambulatoires administrés aux diabétiques ;
      • impliquent des interventions intégrées au dossier médical informatique ;
      • ont des résultats quantitatifs
  • étaient exclues les études encore en cours, les études ayant des résultats non pertinents et les études avec insuffisamment de détails pour en déterminer l’éligibilité
  • au total, 21 études ont été sélectionnées : 9 études expérimentales (5 essais contrôlés randomisés [RCT] et 4 RCTs en grappes), 10 études quasi-expérimentales (1 non-RCT, 5 études non contrôlées avant-après, 1 étude contrôlée avant-après, 3 études de séries chronologiques interrompues), et 2 études observationnelles (1 étude transversale rétrospective et 1 étude de cohorte rétrospective).

Population étudiée

  • patients diabétiques suivis en ambulatoire repris dans des études conduites entre 1994 et 2020.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : critères de jugement clinique, à savoir : variation de l’hémoglobine glyquée, contrôle lipidique et contrôle de l’hypertension artérielle
  • critères de jugement secondaires : critères de jugement procéduraux, à savoir : la détection des complications microvasculaires, la fréquence de vaccination, l’intégration des facteurs de risques cardiovasculaires au dossier médical informatisé, la fréquence de prescription de médicaments (IEC, sartan, hypolipémiant, traitements antidiabétiques oraux et antiagrégants) et l’adhérence des praticiens aux recommandations
  • les résultats sont présentés de manière narrative.

 

Résultats

  • 21 études ont été sélectionnées ; 14 études se déroulent aux Etats-Unis ; la taille des échantillons variait de 90 à 4629300 participants et la durée du suivi variait entre 2 mois et 12 ans
  • les méthodes d’intégration des recommandations au dossier médical informatisé utilisées par les différentes études étaient :
    • un système de rappels généré par l’ordinateur pour les directives de soins recommandés dans le diabète (N=6)
    • un retour d’information généré par l’ordinateur sur la réponse du patient aux recommandations conseillées (N=1)
    • un support d’aide à la décision clinique basé sur les caractéristiques du patient (N=4)
    • <un combinaison de ces différents systèmes (N=10)
  • critères de jugement primaires :
    • le contrôle lipidique s’est avéré meilleur dans 8 études sur 11 et inchangé dans 3 études ; la proportion de patients ayant atteint la valeur cible de LDL < 100 mg/dl variait de 56 à 65%
    • le contrôle tensionnel était meilleur dans 9 études sur 10 tandis que dans une étude seule la tension systolique était mieux contrôlée ; la proportion de patients qui avaient atteint, après intervention, une tension artérielle systolique < 130 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique < 80 variait selon les études entre 43,9 et 80,2% ; la diminution de tension artérielle variait en moyenne entre 3,5 et 5 mmHg pour la systole et entre 1,2 et 3 mmHg pour la diastole
    • le contrôle glycémique était meilleur dans 6 études sur 13 et restait inchangé dans les 7 études restantes ; dans les 6 études montrant une amélioration de l’hémoglobine glyquée, la proportion de patients atteignant l’objectif cible d’hémoglobine glyquée variait entre 21,5 et 92,1%
  • critères de jugement secondaires :
    • la détection de complications microvasculaires était meilleure dans 6 études sur 9, inchangée dans 2 et moins bonne dans 1 étude
    • la fréquence de vaccination était meilleure dans 2 des 2 études
    • l’intégration des facteurs de risque au dossier médical variait assez fort d’une étude à l’autre concernant l’encodage du profil lipidique, de la tension artérielle et de l’hémoglobine glyquée ; l’intégration des autres facteurs de risque comme le BMI, les antécédents tabagiques, les antécédents familiaux de pathologie coronaire et le score de risque cardiovasculaire étaient eux plus fréquemment présents après intervention
    • les résultats observés sont contrastés :
      • amélioration de la prescription d'un ou plusieurs des éléments suivants : IEC/sartans, hypolipémiants, antihyperglycémiants oraux et antiplaquettaires (N=4)
      • aucune différence pour les IEC/sartan (N=1) voire diminution possible (N=1 ; étude avant-après)
      • aucun changement pour les taux de prescription d'insuline (N=2)
  • la compliance des praticiens aux recommandations est augmentée, selon 3 RCTs, en ce qui concerne les amorces pour les tests indiqués (passant de 15,6% à 32% ; p = 0,02), les rappels informatiques (passant de 7,6% à 19,7% ; p = 0,006) et concernant les retours informatiques individualisés (passant de 6,1% à 35% ; p < 0,01)
  • 5 études ont analysé un ensemble d’interventions comme un seul critère de jugement, 3 ont montré des résultats significatifs et 2 n’ont pas mis de différence significative en évidence :
    • 1 étude pré-post a mis en évidence une augmentation significative des patients recevant un ensemble optimal de pratiques dans la prise en charge du diabète (atteinte des objectifs tensionnel, lipidique et glycémique, intégration du profil lipidique au dossier, contrôle glycémique, statut d’immunisation vaccinale) passant de 2,4% à 6,5% (p < 0,0001) à 12 mois de suivi (risque de biais élevé).
    • 1 étude rétrospective de cohorte a mis en évidence que le support électronique d’aide à la décision basé sur les recommandations était associé à une augmentation significative de la fréquence des contrôles glycémiques, de la prescription de médications, du recours à l’éducation infirmière et du recours aux diététiciens passant de 58,5% à 71,3% (p < 0,001) (risque de biais élevé)
    • 1 autre étude met en évidence que l’introduction de rappels informatiques augmente la fréquence de tests indiqués (hémoglobine glyquée, LDL, le rapport micro-albumine sur créatinine urinaire) passant de 29% à 49% (p < 0,001) (risque de biais élevé
    • 1 étude analysant le contrôle glycémique, la prescription de médicament, le profil lipidique, le statut vaccinal et la détection d’événement microvasculaire n’a pas mis de différence significative en évidence après 20 mois d’intervention
    • 1 RCT en grappes a mis en évidence qu’il n’y avait pas de différence significative avec la mise en place d’un support électronique d’aide à la décision se basant sur un score combinant le contrôle tensionnel, glycémique et lipidique.

 

Conclusion des auteurs

L’intégration des recommandations dans le dossier médical informatisé améliore les résultats des mesures de la tension artérielle et des données lipidiques mais sont équivoques pour l’HbA1c chez les patients diabétiques, avec un effet plus important lors de la combinaison des différentes stratégies d’intervention. Comme les preuves provenant des RCTs sont limitées et qu’il y a une grande hétérogénéité dans les stratégies et mesures des résultats, les preuves actuelles ne suffisent pas à la mise en place d’une stratégie d’optimisation de la prise en charge des patients diabétiques. Aucune stratégie d’intégration des recommandations au dossier médical ne sortait particulièrement du lot. Cependant, une combinaison de ces stratégies qui intègre les rappels avec des aides à la décision basées sur les recommandations peut aider les cliniciens à prodiguer des soins aux patients diabétiques basés sur l’EBM. Le contrôle lipidique et tensionnel est amélioré de manière constante tandis que le contrôle de l’hémoglobine glyquée demeure plus équivoque. Une amélioration du dépistage des complications microvasculaires, de la vaccination et de l’intégration des facteurs de risque cardiovasculaire a été observée tandis que pour la prescription de médicaments et pour l’encodage de la pression artérielle, du profil lipidique et de l’hémoglobine glyquée aucune amélioration n’a été mise en évidence. 

 

Financement de l’étude

Pas de financement.

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Pas de conflit déclaré.

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie

Pour cette synthèse méthodique, les auteurs ont utilisé les recommandations PRISMA pour établir le protocole. La recherche de littérature a été correctement menée dans quatre bases de données différentes. Ceci dit, si cette revue se veut méthodique, il manque une recherche de littérature grise complète et il n’y a pas de recherche de biais de publication non plus. Seul l’anglais était permis. Cette synthèse n’est donc probablement pas si méthodique que ça. Les termes de recherche ne précisent pas le type de diabète ; pire : diabète n’est pas un repris comme terme de recherche ! Le risque méthodologique de biais des RCTs incluses a été évalué par l’outil Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias pour estimer les risques de biais dans des RCTs. Le risque méthodologique de biais pour les autres études a été évalué par le Quality Assessment Tool for Quantitative Studies by the Effective Public Health Practice Project. Les résultats de cette analyse ne sont pas détaillés comme attendu. Notons que les études sélectionnées sont de mauvaise qualité. Aucune analyse statistique de l’hétérogénéité des différentes études n’a été réalisée. Aucune méta-analyse n’a été réalisée : la plus-value d’une méta-analyse n’est donc pas assurée en termes de puissance statistique. Enfin, cet article ne nous donne aucun résultat chiffré, aucun IC, alors qu'un des critères d'inclusion est "résultats quantitatifs". Il faut aller voir dans les suppléments pour avoir des données chiffrées… présentées de manière peu conventionnelles. Il est dès lors impossible de regarder à la significativité statistique. Cette synthèse méthodique se base sur des critères de jugements intermédiaires sans analyse de critères de jugement forts ; il est donc difficile de déterminer si le pronostic des patients diabétiques s’est amélioré ou non. Ces critères de jugement intermédiaires ont été évalués, selon les études, avant et après différentes techniques d’intégration de recommandations, ce qui rend également difficile l’interprétation globale des données. La méthode de sélection des cliniciens participant aux différentes études n’a pas été reprise dans la synthèse méthodique et leurs caractéristiques ne sont pas décrites, leur niveau d’adhérence aux recommandations au départ pouvant fortement influer les résultats (4).

 

Interprétation des résultats de l'étude

L’analyse des critères de jugement primaires met en évidence une différence très souvent significative avec une diminution du taux de LDL avec un risque de biais régulièrement élevé et une diminution souvent significative de la tension artérielle avec un risque de biais souvent modéré à élevé. Les résultats concernant l’hémoglobine glyquée eux demeurent plus équivoques, la durée des études impactant probablement le résultat, l’hémoglobine glyquée étant un paramètre plus long à stabiliser. Il est donc difficile de tirer des conclusions sur l’ensemble des données. La pertinence clinique de cette approche ne peut pas être évaluée. Néanmoins, l’analyse individuelle des études montre une augmentation significative de la compliance des cliniciens aux recommandations avec un risque de biais calculé modéré à élevé, passant de 15,6% à 32% pour les amorces de tests indiqués (p = 0,02), passant de 7,6% à 19,7% pour les rappels informatiques (p = 0,006) et passant de 6,1% à 35% pour les retours informatiques individualisés (p < 0,01).

Il existe un possible intérêt à l’intégration des recommandations dans les dossiers informatisés pour la prise en charge des patients diabétiques ; néanmoins cette revue de littérature ne permet pas une interprétation statistique générale des résultats au vu de leur hétérogénéité trop importante. On peut aussi se poser la question de la plus-value de ces modules intégrés aux DMI versus la disponibilité des recommandations sur des plateformes comme celle du Ebpracticenet ? Cela reste vraiment à évaluer. En plus, quelles seraient les recommandations intégrées dans ces modules ? Sur quelles bases seront-elles choisies ? Quel est le risque potentiel de conflits d’intérêts, de choix « guidés » de certaines recommandations par rapport à d’autres ?  Cette étude ne s’intéresse qu’à des critères facilement objectivables mais la qualité de la prise en charge ne se résume pas à cocher des cases sur ce qui est fait et pas fait… Ainsi, la recommandation sur le diabète pourrait très bien ne pas être suivie parce que le patient à d’autres comorbidités, d’autres priorités, d’autres attentes qui rendent compliquées ou contre-indiquent la prescription d’hypolipémiants par exemple… Tout cela mérite d’être discuté et étudié.

 

Que disent les guides de pratique clinique?

L’adhérence des praticiens aux recommandations est favorisée par un contenu simple et accessible au moment du contact avec le patient. En ce sens les rappels informatiques seraient idéaux pour favoriser cette adhérence. L’implications des professionnels de la santé durant la création des guides de pratique clinique permet également une meilleure utilisation par ses derniers par la suite (4). Des systèmes d’aide à la décision intégrés au dossier médical informatisé sont en court de développement par Ebpracticenet (4).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique montre que l’intégration des guides de pratique cliniques dans le dossier médical informatisé pourrait améliorer les résultats sur des critères de jugement intermédiaires tels que le contrôle lipidique et la pression artérielle mais sont équivoques en ce qui concerne l’hémoglobine glyquée chez les patients diabétiques, avec un effet plus important lors de la combinaison des différentes stratégies d’intervention. Les limites méthodologiques, parfois importantes, et une grande hétérogénéité dans les stratégies et mesures des résultats ne permettent pas de se prononcer sur la plus-value de cette approche. 

 

 

 

Références 

  1. OMS. Diabète. Aide-mémoire N°312. Novembre 2014.
  2. Goderis G. Diabète de type 2 : diminution des événements cardiovasculaires à long terme suite à un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans ? Minerva Analyse 17/12/2015
  3. Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG/Domus Medica 2015.
  4. Desomer A, Dilles T, Steckel S, et al. Dissémination et mise en œuvre des guides de pratique clinique en Belgique – Synthèse. Health Services Research (HSR). Bruxelles : Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2013. KCE Reports 212Bs. D/2013/10.273/87.
  5. Shah S, Yeheskel A, Hossain A, et al. The impact of guideline integration into electronic medical records on outcomes for patients with diabetes: a systematic review. Am J Med 2021;134:952-962.e4. DOI: 10.1016/j.amjmed.2021.03.004

Auteurs

Rayane J.
assistant en médecine générale ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Mouillet M.
médecin généraliste, Université de Liège
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Joly L.
médecin généraliste, ULiège
COI :

Glossaire

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