Revue d'Evidence-Based Medicine



Quels bénéfices d’une mesure continue de la glycémie chez des patients présentant un diabète de type 2 sous insuline basale ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 9 Page 205 - 208

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Aleppo G, Beck RW, Bailey R, et al. The effect of discontinuing continuous glucose monitoring in adults with type 2 diabetes treated with basal insulin. Diabetes Care 2021;44:2729-37. DOI: 10.2337/dc21-1304


Question clinique
Quels sont les bénéfices d’une mesure continue de la glycémie par un appareil connecté chez des patients présentant un diabète de type 2 sous insuline basale sur une durée de 14 mois ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, conduite sur 14 mois et répartie sur 15 centres aux États-Unis semble montrer chez des patients diabétiques de type 2 avec 1 ou 2 injection quotidienne d’insuline à longue durée d’action ou durée d’action intermédiaire depuis au moins 6 mois un effet positif d’une mesure continue de la glycémie concernant le risque d’hyperglycémie intermittent à 8 mois, mais pas à 14 mois, sans réduction significative de l’HbA1c ou du risque d’hypoglycémie. L’effet sur une réduction des risques macro- et microvasculaires n’est pas étudié ici. Cette étude présente des limites méthodologiques trop importantes que pour pouvoir interpréter les résultats convenablement.


Contexte

L’objectif de traitement du diabète de type 2 est de prévenir les complications métaboliques aiguës et les complications chroniques micro- et macrovasculaires. Le lien entre contrôle de la variabilité glycémique et risque de mortalité globale à long terme n’est pas clairement établi. Un article publié sur Minerva a montré qu’un contrôle intensif initial suivi de 10 années de contrôle habituel de la glycémie pouvait mener à une réduction du risque d’événement cardiovasculaire sans diminution significative sur la mortalité globale après 10 ans de traitement (1,2). Ces résultats renforçaient une étude de cohorte prospective sur 10 ans après la fin de l’étude UKPDS et analysée par Minerva qui avait montré que cette diminution du risque cardiovasculaire persistait sur le long terme avec cette fois une diminution du risque de mortalité globale en cas de contrôle intensif dans la prise en charge initiale (3,4). L’intérêt d’un autocontrôle glycémique est cependant plus nuancé : une étude analysée dans Minerva en 2009 n’apportait pas de preuve de l’intérêt d’un autocontrôle systématique de la glycémie, en termes de contrôle plus rapide et meilleur de la glycémie, chez les patients présentant un diabète de type 2 récemment diagnostiqué et non insulinorequérant (5,6).Une RCT pragmatique de 2017 analysée dans Minerva, de bonne qualité méthodologique, sur le bénéfice éventuel de l’autocontrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2 non insulino-requérant, ne montrait pas de différence entre absence d’autocontrôle, contrôle glycémique une fois par jour, et contrôle une fois par jour associé à des recommandations transmises via l’appareil de lecture, ni en termes d’HbA1c, ni en termes de qualité de vie (7,8). L’intérêt d’un appareil connecté chez le patient diabétique de type 2 insulinorequérant (9) n’a pas encore été discuté dans Minerva.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : âge supérieur ou égal à 30 ans ; diagnostic de diabète de type 2 avec 1 ou 2 injections quotidiennes d’insuline à longue durée d’action ou durée d’action intermédiaire depuis au moins 6 mois ; mesure d’HbA1c comprise entre 7,8% et 11,5% ; automesure glycémique au moins 3 fois par semaine ; possession d’un smartphone compatible avec une mesure continue de glycémie (CGM) ; patient capable et demandeur d’un contrôle glycémique continu par application ; traitement stabilisé depuis au moins 3 mois par n'importe quel autre médicament antidiabétique en plus de l'insuline basale sans insuline post-prandial
  • critères d’exclusion : utilisation d’insuline rapide, patients pris en charge par un médecin endocrinologue, IRC avec GFR < 30, grossesse , présence de toute pathologie pouvant compromettre la sécurité du patient ou interférer avec le suivi (troubles du comportement alimentaire, maladie psychiatrique sévère, etc), - prise concomitante de médications pour la perte de poids, chirurgie bariatrique, participation antérieure à d’autres études sur les dispositifs de mesure de la glycémie, prise de corticoïdes, pertes de sang pouvant altérer la mesure de l’HbA1c. 

 

Protocole d’étude

  • étude RCT multicentrique qui a pris place dans 15 centres répartis sur l’ensemble des Etats-Unis concernant des patients ambulatoires suivis en cabinet de médecine générale
  • intervention : une mesure continue de la glycémie grâce à l’appareil connecté 
  • comparaison : l’évaluation a été faite en comparaison avec la méthode classique, qui est une mesure de la glycémie capillaire par un glucomètre, généralement faite au niveau de la pulpe digitale (BGM), de 1 à 3 x/j à jeûn puis en post-prandial
  • les participants ont d’abord subi une randomisation 3:1 ; le groupe interventionnel (n = 106) et le groupe contrôle pendant une période de 8 mois (n = 57)
  • après cette période de 8 mois, les participants du groupe interventionnel ont subi une nouvelle randomisation 2:1 ; le premier groupe continuera à avoir une mesure continue (CGM) de la glycémie (n = 53) tandis que le deuxième groupe devra repasser à une autosurveillance de la glycémie capillaire (n = 53) ; l’objectif ici sera d’évaluer les effets potentiels d’un arrêt d’un monitoring continu.   

 

Mesure des résultats

  • le critère de jugement principal était le temps moyen dans la plage prédéfinie (TIR) mesuré par CGM
  • les critères de jugement supplémentaires incluaient l'HbA1c et d'autres paramètres de CGM pour l'hyperglycémie (glycémie moyenne, temps > 180 mg/dl, temps > 250 mg/dl, temps > 300 mg/dL, aire sous la courbe 180 mg/dl), l'hypoglycémie (temps < 70 mg/dl /dl, temps < 54 mg/d, taux d'événements d'hypoglycémie) et variabilité (coefficient de variation)
  • les analyses ont évalué l'évolution des résultats du mois 8 au mois 14 ainsi que des comparaisons des trois bras de traitement tels que définis dans la phase d'extension
  • analyse des résultats par protocole (à la fin des 14 mois).

 

Résultats

  • dans le groupe qui a arrêté le CGM, le temps moyen dans la plage (TIR) de 70 à 180 mg/dl s'est amélioré de 38% avant le début du CGM à 62% après 8 mois de CGM, puis a diminué après l'arrêt du CGM à 50% à 14 mois (changement moyen de 8 à 14 mois de -12% (avec IC à 95% de -21% à -3% ; p = 0,01) ; dans le groupe qui a continué à utiliser le CGM : peu de changement a été trouvé dans le TIR de 70 à 180 mg/dl de 8 à 14 mois (temps de base de 44%, à 8 mois de 56%, à 14 mois de 57% ; changement moyen de 8 à 14 mois de 1% (avec IC à 95% de -11% à 12% ; p = 0,89) ; en comparant les deux groupes à 14 mois, la différence ajustée entre les groupes de traitement pour le TIR moyen était de -6% (avec IC à 95% de -16 % à 4% ; p = 0,20)
  • la diminution de l’HbA1c n’était pas statistiquement significative après l’arrêt du monitoring continu de la glycémie (CGM) vs CGM continu : différence moyenne de 0,23% (avec IC à 95% de -0,42% à 0,87% ; p = 0,48)
  • les résultats du groupe ayant poursuivi la mesure continue de la glycémie et ceux contrôlant leur glycémie capillaire ne montrent pas de différence statistiquement significative en termes de temps passé au-dessus des valeurs hyperglycémiques prédéfinies ni en termes d’hémoglobine glyquée ; il n’y a pas non plus eu de différence significative en termes de survenues d’événements hypoglycémiques. 

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les adultes atteints de diabète de type 2 traités par insuline basale qui utilisaient une mesure continue de la glycémie par un appareil connecté (CGM) en temps réel depuis 8 mois, l'arrêt de la CGM a entraîné une perte d'environ la moitié du gain initial de TIR qui avait été obtenu lors de l'utilisation de la CGM.

 

Financement de l’étude

Le financement de l'étude et les appareils d'étude ont été fournis par Dexcom.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs de l’article ont reçu des financements provenant de compagnies produisant des appareils de contrôle de la glycémie ou de firmes pharmaceutiques ; par exemple : la Dexcom compagnie, Eli Lilly, Insulet, Astrazeneca, Beta bionics.

 

Discussion 

Considérations sur la méthodologie 

Il s’agit d’une étude randomisée contrôlée. Les auteurs déclarent avoir déterminé la taille de l’échantillon de manière statistique pour la première phase de l’étude. Cependant, nous n’avons pas plus d’informations concernant le calcul de puissance. Ceci s’explique sans doute car il s’agit d’une poursuite de l’étude initiale à 8 mois. Notons que la puissance a été calculée pour cette première phase uniquement. La randomisation a été faite par une séquence générée de manière informatique. Les auteurs ne signalent pas de différence significative entre les groupes étudiés. Cependant, les valeurs de p ne sont pas disponibles pour les différences entre les variables démographiques. Relevons cependant qu’il y a au moins une différence susceptible d’induire un résultat biaisé : dans le groupe qui a stoppé la CGM, on retrouve deux fois plus de patients avec un niveau d’éducation de type secondaire que dans le groupe qui l’a continué et qui eux, ont majoritairement un degré d’éducation de type haute école/bachelier. Les termes sont bien décrits : par exemple, l’« hypoglycémie sévère » est un événement ayant nécessité l’intervention d’une tierce personne pour resucrage ou tout autre méthode de réanimation. Enfin, les résultats ont été analysé par protocole. Cette méthode présente un risque de biais de sélection/d’attrition. En effet, seuls les patients les plus compliants sont représentés dans les résultats de l’étude… à ce propos, en consultant les suppléments, on remarque que les patients étaient sélectionnés s’ils étaient demandeurs d ‘un appareil connecté et capable de s’en servir.  Le rapportage du protocole est laborieux, peu clair et comporte beaucoup de renvois vers le matériel supplémentaire, soit de l’article initial, soit de cet article-ci, sans que cela ne soit vraiment justifié. Ces informations auraient très bien pu être publiées dans l’article et faciles d’accès.

 

Interprétation des résultats 

Au terme de cette étude randomisée, il semble qu’une mesure continue de la glycémie par appareil connecté soit associée à une réduction du temps passé en hyperglycémie intermittente à 8 mois mais pas à 14 mois (les intervalles de confiance à 95% se chevauchant clairement) sans que celui-ci ne soit associé à une diminution significative de l’hémoglobine glyquée ou à une diminution du risque d’hypoglycémie.  Notons que d’autres études ont montré une réduction du risque d’hypoglycémie (10). Le choix d’une population de patients diabétiques de type 2 exclusivement sous insuline basale et excluant l’utilisation d’insuline rapide explique peut-être ce résultat. Certaines données publiées suggèrent que les évènements d’hyperglycémie aiguë peuvent également contribuer au développement de complications macro- et microvasculaires (11). Dans ce contexte, un meilleur contrôle du temps passé avec une glycémie normale (time in range) pourrait avoir un bénéfice en termes de prévention des complications chroniques. Cette hypothèse doit cependant être confirmée par des études ultérieures, l’étude analysée ici n’apportant aucune donnée pour ces critères de jugement cliniques. Le choix des critères de jugement est discutable ; ils sont cohérents avec l’objectif de l’étude, mais cliniquement non pertinent à l’exception des critères de jugement de sécurité. Bien sûr, des études sur une bien plus longue durée seront indispensables pour montrer l’intérêt (ou non) de proposer aux patients un contrôle continu de la glycémie. Il faudra aussi montrer que les appareils connectés améliorent ces critères de jugement cliniques pertinents pour tous types de patients car ici, le groupe qui a continué le contrôle glycémique continu ont majoritairement un degré d’éducation de type haute école/bachelier. Sans grande surprise, il a déjà été montré qu'un niveau d'éducation plus élevé peut-être associé à un meilleur contrôle du diabète. Cela renforce le fait que cette différence de population peut avoir un réel impact sur les résultats de l'étude (12,13). Nous nous interrogeons également sur des critères de jugement tels que la qualité de vie, l’anxiété, etc. Les appareils utilisés pour les mesures de glycémie et d’HbA1c sont reconnus. Tous les auteurs ont bénéficié de financements de firmes productrices des appareils connectés ou de firmes pharmaceutiques ; cependant, il ne nous est pas possible d’évaluer l’influence de ces financements sur la publication.

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Le GPC de la SSMG (14) recommande de conseiller à tout patient diabétique de type 2 et traité par des injections multiples d'insuline un autocontrôle de sa glycémie pour ajuster correctement la dose d'insuline (GRADE 1A) et de conseiller éventuellement un autocontrôle de la glycémie aux patients diabétiques de type 2 qui sont sous antidiabétiques oraux (GRADE 2C) dans certaines conditions. En Belgique, le système des trajets de soins et de convention diabétologiques permet l’accès au remboursement de l’autocontrôle chez les patients diabétiques de type 2 lorsqu’un traitement injectable est envisagé. L’état actuel de la littérature en limite bien les indications à ce groupe de patients.

La mesure continue de la glycémie ne fait pas encore partie des recommandations de bonne pratique en Belgique (14). Au Royaume-Uni, cet outil est actuellement uniquement recommandé chez les patients diabétiques de type 1 (15). 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, multicentrique, conduite sur 14 mois et répartie sur 15 centres aux États-Unis semble montrer chez des patients diabétiques de type 2 avec 1 ou 2 injection quotidienne d’insuline à longue durée d’action ou durée d’action intermédiaire depuis au moins 6 mois un effet positif d’une mesure continue de la glycémie concernant le risque d’hyperglycémie intermittent à 8 mois, mais pas à 14 mois, sans réduction significative de l’HbA1c ou du risque d’hypoglycémie. L’effet sur une réduction des risques macro- et microvasculaires n’est pas étudié ici. Cette étude présente des limites méthodologiques trop importantes que pour pouvoir interpréter les résultats convenablement.

 

 

 

Références 

  1. Goderis G. Diabète de type 2 : diminution des événements cardiovasculaires à long terme suite à un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans ? Minerva Analyse 17/12/2015.
  2. Hayward RA, Reaven PD, Wiitala WL, et al; VADT Investigators. Follow-up of glycemic control and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;372:2197-206. DOI: 10.1056/NEJMoa1414266
  3. Wens J. Diabète de type 2 : effet d’un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans. MinervaF 2009;8(7):86-7.
  4. Holman RR, Paul SK, Bethel MA, et al. 10-year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;359:1577-89. DOI: 10.1056/NEJMoa0806470
  5. Bastiaens H. Diabète de type 2 récent: autocontrôle glycémique ? MinervaF 2009;8(7):90-1.
  6. O’Kane MJ, Bunting B, Copeland M, Coates VE; ESMON-studygroup. Efficacy of self monitoring of blood glucose in patients with newly diagnosed type 2 diabetes (ESMON study): randomised controlled trial. BMJ 2008;336:1174-7. DOI: 10.1136/bmj.39534.571644.BE
  7. Richard T. Quelle est la place de l’autocontrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2, en l’absence de traitement par l’insuline ? Minerva Analyse 15/04/2018.
  8. Young L, Buse J, Weaver M, et al; Monitor Trial Group. Glucose self-monitoring in non–insulin-treated patients with type 2 diabetes in primary care settings: a randomized trial. JAMA Intern Med 2017;177:920-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2017.1233
  9. Aleppo G, Beck RW, Bailey R, et al. The effect of discontinuing continuous glucose monitoring in adults with type 2 diabetes treated with basal insulin. Diabetes Care 2021;44:2729-37. DOI: 10.2337/dc21-1304
  10. Cappon G, Vettoretti M, Sparacino G, et al. Continuous glucose monitoring sensors for diabetes management: a review of technologies and applications. Diabetes Metab J 2019;43:383-97. DOI: 10.4093/dmj.2019.0121
  11. Marcovecchio ML, Lucantoni M, Chiarelli F. Role of chronic and acute hyperglycemia in the development of diabetes complications. Diabetes Technol Ther 2011;13:389-94. DOI: 10.1089/dia.2010.0146
  12. Richter RR, Austin TM. Using MeSH (Medical Subject Headings) to enhance PubMed search strategies for evidence-based practice in physical therapy. Phys Ther 2012;92:124–32. DOI: 10.2522/ptj.20100178
  13. Larsson D, Lager I, Nilsson PM. Socio-economic characteristics and quality of life in diabetes mellitus-relation to metabolic control. Scand J Public Health 1999;27:101-5. DOI: 10.1177/14034948990270020901
  14. Bastiaens H, Benhalima K, CLoetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. Domus Medica/SSMG 2015. URL : https://www.trajetdesoins.be/fr/bibliotheque/pdf/rbp_diabete2_fr.pdf
  15. National Institute for Health and Care Excellence. Diabetes (type 1 and type 2) in children and young people: diagnosis and management. [NG18] NICE 2015. Last updated: June 2022.

 


Auteurs

Saubry MI.
assistant en médecine générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Kaoukab-Raji I.
assistant en médecine générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Joly L.
médecin généraliste, ULiège
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires