Revue d'Evidence-Based Medicine



L’utilité d’une intervention nutritionnelle pauvre en FODMAP au moyen d’une application mobile comparée à un antispasmodique chez les patients présentant un syndrome du côlon irritable.



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 226 - 229

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Carbone F, Van den Houte K, Besard L, et al; DOMINO Study Collaborators; Domino Study Collaborators. Diet or medication in primary care patients with IBS: the DOMINO study - a randomised trial supported by the Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE Trials Programme) and the Rome Foundation Research Institute. Gut 2022:71:2226-32. DOI: 10.1136/gutjnl-2021-325821


Question clinique
Quel est l’effet de l’utilisation en autogestion d’une application mobile destinée à aider à réduire les FODMAP dans l’alimentation, comparée à un traitement par antispasmodiques, sur les symptômes du syndrome du côlon irritable (SCI) chez les adultes qui en souffrent ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, pragmatique, menée en ouvert montre que l’utilisation en autogestion d’une application mobile destinée à aider à réduire les FODMAP dans l’alimentation, comparée à un traitement par antispasmodiques, entraîne une diminution des symptômes du syndrome du côlon irritable (SCI) à court terme chez les adultes qui en souffrent. La différence est toutefois limitée et s’estompe après un suivi à plus long terme. Par ailleurs, l’étude n’a pas montré de différence en termes de qualité de vie. Elle manque également de clarté quant au calcul de la puissance et à l’analyse de certains critères de jugement, comme l’observance du traitement et la satisfaction par rapport au traitement. Enfin, elle ne reflète pas non plus le critère de jugement primaire de manière transparente.


Contexte

Le traitement symptomatique du syndrome du côlon irritable (SCI) en première ligne comprend notamment l’utilisation d’antispasmodiques et des interventions nutritionnelles (1,2). Une méta-analyse de bonne qualité menée par Minerva a montré l’efficacité d’un traitement antispasmodique chez des patients âgés de plus de 12 ans souffrant du SCI (3,4). L’utilité d’un régime pauvre en FODMAP (Oligosaccharides fermentescibles (fructanes et galacto-oligosaccharides), disaccharides (lactose), monosaccharides (fructose) et polyols (sorbitol, mannitol, maltitiol, xylitol et isomalt) a également déjà été abordée à plusieurs reprises dans Minerva (5-8). Une étude randomisée contrôlée avec un petit nombre de patients présentant un syndrome du côlon irritable (SCI) sans constipation a montré qu’à court terme, tant un régime pauvre en FODMAP que des conseils nutritionnels généraux diminuent les symptômes du SCI. Cette étude a permis de constater une diminution statistiquement significative des symptômes du SCI avec un régime pauvre en FODMAP versus des conseils nutritionnels généraux, mais uniquement pour des symptômes pris en compte individuellement (douleur abdominale, sensation de ballonnement, consistance des selles, fréquence des selles et urgences fécales, critères de jugement secondaires de l’étude) (5,6). Une étude interventionnelle nutritionnelle, menée en double aveugle, randomisée, contrôlée par placebo, à triple croisement a montré que, contrairement au gluten, l’administration de FODMAP augmente légèrement les symptômes intestinaux typiques du SCI. Cependant, cette étude n’avait pas suffisamment de puissance pour démontrer des effets cliniquement pertinents (7,8). Il faut également souligner qu’un régime pauvre en FODMAP est difficile (5) à mettre en œuvre en première ligne et doit idéalement inclure un accompagnement individuel par un diététicien (9).

 

Résumé

Population étudiée

  • recrutement de 472 patients ayant reçu un nouveau diagnostic clinique de syndrome du côlon irritable (SCI), posé par 69 médecins généralistes
  • critères d’exclusion : autres affections gastro-intestinales, antécédents de chirurgie abdominale majeure, diabète sucré, maladie de la thyroïde, cancer, endométriose symptomatique, troubles psychiatriques majeurs ou adaptation de la dose d’antidépresseurs au cours des 3 derniers mois, désir de grossesse dans les 6 mois, pas d’utilisation de contraceptifs, utilisation du médicament à l’étude pendant 3 semaines consécutives par le passé et/ou utilisation du médicament à l’étude pendant les 3 derniers mois, suivi d’un régime pauvre en FODMAP par le passé
  • inclusion finale de 459 participants, âge moyen de 41±15 ans, 76% de femmes, IMC moyen de 24,3±4 kg/m2 à 24,9±5 kg/m2 ; réponse aux critères de Rome IV pour 70% des participants. 

 

Méthodologie 

Étude randomisée contrôlée, pragmatique, menée en ouvert (10)

  • les participants ont été répartis de manière randomisée dans deux bras 14 jours après avoir reçu le diagnostic de SCI :
    • groupe « médicament » (n=232) : antispasmodique (bromure d’otilonium 40 mg) trois fois par jour
    • groupe « régime pauvre en FODMAP » (n=227) : application mobile pour smartphone et/ou tablette fournissant des conseils nutritionnels généraux (basés sur les recommandations alimentaires pour le SCI), des instructions nutritionnelles pour limiter ou éviter les aliments contenant des FODMAP (et les remplacer par d’autres), des recettes et des outils interactifs pour élaborer soi-même un menu pour la semaine ou une liste de courses
  • les deux groupes ont reçu des informations sur l’hygiène du sommeil et l’exercice physique 
  • durée de l’étude : 8 semaines avec suivi après 4, 8 et 16 semaines. 

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : différence quant au pourcentage de patients répondant au traitement [amélioration ≥ 50 points dans le score de sévérité du syndrome du côlon irritable (Irritable Bowel Syndrome Severity Scoring System, IBS-SSS) par rapport au début de l’étude] entre les deux groupes après 8 semaines ; avec analyse en intention de traiter
  • critères de jugement secondaires : différence de score IBS-SSS global entre les deux groupes (compte tenu de toutes les mesures prises au cours du suivi), qualité de vie avec le SCI, symptômes d’angoisse, dépression, symptômes somatiques (extra-intestinaux) ; avec analyse par modèle mixte
  • observance du traitement (nombre de médicaments oubliés) ou du régime (échelle de Likert allant de 0 = parfaitement suivi à 6 = pas du tout suivi), satisfaction par rapport au traitement (0 = forte aggravation à 7 = forte amélioration des symptômes du SCI), prévention des effets indésirables (consignés par le médecin généraliste) analyse de sous-groupe en fonction des critères de Rome IV présents à l’inclusion.

 

Résultats 

  • cinq participants du groupe « régime pauvre en FODMAP » et un participant du groupe « médicament » sont sortis de l’étude après 8 semaines de traitement ; dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » et dans le groupe « médicament » respectivement, 99% et 92% des patients observaient toujours le traitement qui leur avait été attribué après 16 semaines, et 98% et 92% après 24 semaines
  • après 8 semaines, le pourcentage de patients répondant au traitement était plus élevé dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » que dans le groupe « médicament » (68% contre 57% ; p = 0,02 pour la différence) (critère de jugement primaire) ; après 16 semaines aussi, le pourcentage de patients répondant au traitement était plus élevé dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » que dans le groupe « médicament » (74% contre 57% ; p < 0,0001), mais ce n’était plus le cas après 24 semaines (69% contre 70% ; p = 0,82)
  • amélioration statistiquement significative du score IBS-SSS supérieure dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » par rapport au groupe « médicament » après 8 semaines [resp. -97,42±7,37 contre -76,91±7,42 (p = 0,05)], après 16 semaines [resp. -104,98±7,66 contre -78,50±8,04 (p = 0,02)], mais plus après 24 semaines de suivi (p=0,35)
  • pas de différences statistiquement significatives entre les deux groupes en ce qui concerne la qualité de vie avec le SCI, la dépression, les symptômes d’angoisse et les symptômes somatiques
  • dans une analyse de sous-groupe incluant les participants qui répondaient aux critères de Rome IV, 77% des patients répondaient au traitement après 8 semaines dans le groupe « régime pauvre en FODMAP », contre 62% dans le groupe « médicament » (p = 0,004 pour la différence)
  • à la semaine 8, l’observance du traitement était plus élevée dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » (94%) que dans le groupe « médicament » (73%) (p < 0,001 pour la différence) ; mais pas de différence entre les deux groupes en ce qui concerne la satisfaction par rapport au traitement
  • aucun effet indésirable grave n’a été signalé
  • aucun changement de poids ni de BMI n’a été constaté dans aucun des deux groupes après 8, 16 et 24 semaines de suivi.

 

Conclusion des auteurs 

Dans le cadre du traitement du syndrome du côlon irritable (SCI) en première ligne, l’utilisation d’une application mobile destinée à soutenir un régime pauvre en FODMAP s’est avérée plus efficace qu’un traitement par antispasmodiques sur le plan de l’amélioration des symptômes du SCI. Une intervention nutritionnelle pauvre en FODMAP devrait être envisagée en premier lieu pour le traitement du SCI en première ligne.

 

Financement de l’étude 

KCE - Centre fédéral d’expertise des soins de santé.

 

Conflits d’intérêts des auteurs 

Plusieurs auteurs ont été conseillers scientifiques pour l’industrie pharmaceutique.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette étude interventionnelle a été bien conçue, avec une description claire de la question de recherche, une description correcte des critères d’exclusion et une description correcte des interventions. Le fait qu’aucun critère strict n’ait été utilisé pour l’inclusion des patients présentant un SCI est dû à la conception pragmatique de l’étude. La conception et la coordination de l’étude ont été supervisées par une équipe composée de gastro-entérologues, de diététiciens, de médecins généralistes, de chercheurs experts et d’un représentant des patients. La randomisation par blocs a été générée par un programme informatique en ligne et a créé deux groupes d’étude aux caractéristiques de base comparables. Les chercheurs ont effectué un calcul de la puissance, mais le lien avec le critère de jugement primaire n’est pas clair. La taille de l’échantillon envisagée n’a d’ailleurs pas été atteinte. Dans le SCI, il n’est pas possible de s’appuyer sur des paramètres objectifs, comme des biomarqueurs, pour évaluer l’effet d’un traitement. Il s’agit là d’un problème classique. Même s’il est effectué au moyen d’instruments de mesure validés, le suivi des symptômes subjectifs peut donner une image déformée de la réalité, surtout lorsque l’étude ne peut pas être réalisée en aveugle. Étant donné l’absence de journaux alimentaires, il n’est pas non plus possible de déterminer la quantité de FODMAP qui était finalement présente dans l’alimentation des participants des deux groupes. Le suivi des autres habitudes alimentaires, des activités sportives et de la situation socio-économique n’était pas non plus prévu.

 

Évaluation des résultats 

Nous observons tout d’abord que les résultats de cette étude n’ont pas été objectivement relatés, ni dans le résumé, ni dans l’article complet. Ainsi, le critère de jugement primaire envisagé, une analyse en intention de traiter de la réponse après 8 semaines, n’est pas reflété dans le résumé ni repris parmi les principaux résultats dans l’article complet. On ne voit pas non plus clairement comment les chercheurs ont fait la distinction entre les résultats relatifs à l’observance du traitement et ceux relatifs à la satisfaction par rapport au traitement. À court terme (après 8 et 16 semaines), l’amélioration des symptômes du SCI était supérieure dans le groupe « régime pauvre en FODMAP » par rapport au groupe « médicament ». La différence statistiquement significative dans le score IBS-SSS est toutefois limitée [différence d’environ 20 points sur une échelle de 0 (pas de symptômes) à 500 (symptômes graves)]. Après 24 semaines, il n’y avait plus de différence dans la réponse ni dans le score IBS-SSS entre les deux interventions. Il y a plusieurs explications possibles : soit plusieurs participants du groupe « médicament » ont commencé à suivre un régime pauvre en FODMAP, soit des participants du groupe « régime pauvre en FODMAP » se sont aussi mis à prendre des médicaments. Force est de constater que de nombreux participants sont passés à des probiotiques, à des prébiotiques et à d’autres médicaments pour traiter leur SCI. Il est également possible que la motivation à utiliser l’application et à suivre le régime à la lettre se soit estompée avec le temps. Les chercheurs n’ont malheureusement pas creusé ces questions plus avant. Aucune différence en termes de qualité de vie et d’autres symptômes somatiques n’a été démontrée entre les deux groupes, mais la puissance de l’étude n’était peut-être pas suffisante à cette fin. À cet égard, il convient également d’attirer l’attention sur la durée d’intervention relativement courte de 8 semaines. Il n’en reste pas moins que cette étude montre qu’une intervention nutritionnelle peu coûteuse au moyen d’une application mobile donne déjà des résultats limités sans l’intervention onéreuse de diététiciens. L’approche n’a pas non plus entraîné de restriction calorique, ce qui est généralement le cas avec les régimes pauvres en FODMAP stricts (5,6). Il semble utile d’envisager une nouvelle étude qui prévoirait un bras d’étude supplémentaire dans lequel l’utilisation d’une application mobile serait combinée à un traitement par antispasmodiques, et qui tiendrait compte des différents sous-types de SCI.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Les recommandations de Duodecim sur le SCI proposent aux patients qui souffrent de douleurs abdominales et qui éprouvent une sensation de ballonnement de suivre pendant 4 à 6 semaines un régime d’essai dans lequel ils évitent de consommer des FODMAP présents dans les céréales (seigle, froment, avoine), les fruits et les légumes (pommes, poires, prunes, abricots, cerises, pastèques, choux, oignons, asperges, artichauts), les champignons, les légumineuses (petits pois, haricots), les édulcorants (xylitol, sorbitol, mannitol, maltitol), les probiotiques (inuline, fructo-oligosaccharides ou FOS), les yaourts « favorisant le transit » et les « boissons saines » enrichies de fibres (FOS ou inuline et miel) (1). Tout comme le guide de pratique clinique NICE (11), les recommandations de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG) (2) pour le SCI mettent l’accent sur l’adoption d’une alimentation saine. Les patients peuvent aussi adapter individuellement leur régime alimentaire s’ils font clairement un lien avec les symptômes du SCI. Le régime pauvre en FODMAP est assez complexe à suivre dans la pratique : régime d’éviction strict dans un premier temps, suivi d’une réintroduction progressive des glucides en fonction des symptômes. Dans la pratique, il est bien plus facile de commencer avec des recommandations simples : petits repas, pas d’alcool ni de caféine, et recherche des aliments responsables des symptômes au moyen d’un journal alimentaire.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée, pragmatique, menée en ouvert montre que l’utilisation en autogestion d’une application mobile destinée à aider à réduire les FODMAP dans l’alimentation, comparée à un traitement par antispasmodiques, entraîne une diminution des symptômes du syndrome du côlon irritable (SCI) à court terme chez les adultes qui en souffrent. La différence est toutefois limitée et s’estompe après un suivi à plus long terme. Par ailleurs, l’étude n’a pas montré de différence en termes de qualité de vie. Elle manque également de clarté quant au calcul de la puissance et à l’analyse de certains critères de jugement, comme l’observance du traitement et la satisfaction par rapport au traitement. Enfin, elle ne reflète pas non plus le critère de jugement primaire de manière transparente.

 

 

Références  

  1. Troubles fonctionnels intestinaux et le syndrome du côlon irritable (SCI). Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur: 30/03/2017.
  2. De Wit NJ, Masclee A, Minnaard MC, et al. NHG-Standaard Prikkelbaredarmsyndroom (PDS) M71. Onlangs herzien. Gepubliceerd: mei 2022. Laatste aanpassing: november 2022.
  3. Chevalier P, Vanwelde C. Syndrome du côlon irritable : fibres, antispasmodique ou antidépresseur ? MinervaF 2012;11(2):15-6.
  4. Ruepert L, Quartero AO, de Wit NJ, et al. Bulking agents, antispasmodics and antidepressants for the treatment of irritable bowel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD003460.pub3 
  5. Mullie P. Quelle est l’utilité d’un régime pauvre en FODMAP dans le syndrome du côlon irritable ? MinervaF 2017;16(4):92-5
  6. Eswaran SL, Chey WD, Han-Markey T, et al. A randomized controlled trial comparing the low FODMAP diet versus modified NICE guidelines in US adults with IBS-D. Am J Gastroenterol 2016;111:1824-32. DOI: 10.1038/ajg.2016.434
  7. Mullie P. Augmentation limitée des symptômes du syndrome de l’intestin irritable avec une alimentation riche en FODMAP. Minerva Analyse 21/10/2022.
  8. Nordin E, Brunius C, Landberg R, Hellström PM. Fermentable oligo-, di-, monosaccharides, and polyols (FODMAPs), but not gluten, elicit modest symptoms of irritable bowel syndrome : a double-blind, placebo-controlled, randomized three-way crossover trial. Am J Clin Nutr 2022;115:344-52. DOI: 10.1093/ajcn/nqab337
  9. Whelan K, Martin LD, Staudacher HM, Lomer MC. The low FODMAP diet in the management of irritable bowel syndrome: an evidence-based review of FODMAP restriction, reintroduction and personalisation in clinical practice. J Hum Nutr Diet 2018;31:239-55. DOI: 10.1111/jhn.12530
  10. Carbone F, Van den Houte K, Besard L, et al; DOMINO Study Collaborators; Domino Study Collaborators. Diet or medication in primary care patients with IBS: the DOMINO study - a randomised trial supported by the Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE Trials Programme) and the Rome Foundation Research Institute. Gut 2022:71:2226-32. DOI: 10.1136/gutjnl-2021-325821
  11. National Institute for Health and Care Excellence. Managing irritable bowel syndrome. [CG61]. NICE Pathways 2017.



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