Revue d'Evidence-Based Medicine



La danse-thérapie apporte-t-elle une valeur ajoutée aux personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 10 Page 250 - 253

Professions de santé

Ergothérapeute, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Wu VX, Chi Y, Lee JK, et al. The effect of dance interventions on cognition, neuroplasticity, physical function, depression, and quality of life for older adults with mild cognitive impairment: a systematic review and meta-analysis. Int J Nurs Stud 2021;122:104025. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2021.104025


Question clinique
Quel est l’effet de la danse sur le fonctionnement cognitif, la neuroplasticité, le fonctionnement physique, la dépression et la qualité de vie des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers, par rapport à une thérapie standard ou à d’autres interventions actives ?


Conclusion
Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyse parviennent à la conclusion que la danse-thérapie exerce un effet positif sur les fonctions cognitives globales des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers. Nous ne pouvons toutefois considérer cette conclusion que comme hypothétique en raison des importantes limites méthodologiques de la synthèse méthodique et du nombre limité d’études qui présentaient une grande hétérogénéité clinique.


Contexte
Les troubles cognitifs légers (TCL), connus en anglais sous le nom de Mild Cognitive Impairment (MCI), se définissent comme des « problèmes de mémoire mesurables plus importants qu’attendu au vu de l’âge et de la formation » (1). Ils se caractérisent par des troubles de la mémoire, une capacité de jugement réduite et une régression des capacités fonctionnelles (2). Les TCL peuvent être réversibles, mais ils évoluent en démence chez environ 40% des patients (3). La précision des tests actuels permettant de faire la distinction entre les TCL et les formes légères de démence n’est pas encore tout à fait claire (4,5). Il n’existe actuellement aucune preuve que les inhibiteurs de la cholinestérase freinent la progression vers la démence (6-9). Plusieurs synthèses méthodiques ont montré que la danse-thérapie favorise le fonctionnement cognitif, tant chez les personnes âgées en général (10) que chez les personnes âgées présentant des TCL (11). L’influence de la danse sur des domaines cognitifs plus spécifiques, comme la fonction visuo-spatiale et le langage, la qualité de vie, le fonctionnement physique, la dépression et la neuroplasticité, n’est toutefois pas encore clairement établie (12).  

 

Résumé

Méthodologie 
Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Library, PubMed, Embase, CINAHL, Scopus, Science Direct, ProQuest Dissertations and Theses, ClinicalTrials.gov ; jusqu’au 31 mars 2020
  • listes de référence de synthèses méthodiques et d’études randomisées contrôlées
    pas de restriction linguistique. 

Études sélectionnées

  • études randomisées contrôlées (RCTs) ayant examiné l’effet de la danse-thérapie sur les fonctions cognitives, la neuroplasticité, le fonctionnement physique, la santé mentale et/ou la qualité de vie de personnes âgées présentant des TCL, par rapport à un groupe contrôle 
  • inclusion finale de 8 RCTs menées en République tchèque (N = 2), en Espagne (N = 1), en Grèce (N = 1), en Chine (N = 3) et au Japon (N = 1), dont la taille d’échantillon variait entre 31 et 201 participants
  • programme de danse d’une durée comprise entre 12 et 40 semaines et composé de séances encadrées de 35 à 60 minutes, 1 à 3 fois par semaine ; style de danse différent en fonction du pays où était menée l’étude (Irish country, danse africaine, danse grecque, tango, salsa, rock, rumba, pop, swing, valse, cha-cha-cha, jitterbug, quadrille chinois) 
  • groupe contrôle : soins habituels, éducation à la santé, musicothérapie et physiothérapie.

Population étudiée

  • 603 personnes, âge moyen compris entre 65 et 81 ans (âge minimum de 50 ans), 46,3% à 83,7% de femmes par étude, présentant des TCL (déterminés au moyen de l’échelle MoCA ≤ 26 et/ou du test MMSE ≥ 24 dans certaines études).

 

Mesure des résultats

 

Résultats 

  • amélioration statistiquement significative des fonctions cognitives globales dans le groupe danse par rapport au groupe contrôle (voir tableau) ; pas de différence d’effet entre les sous-groupes caractérisés par l’utilisation de l’instrument MoCA ou MMSE, ou par une intervention < 3 mois ou > 3 mois
  • amélioration statistiquement significative de la mémoire, de la fonction visuo-spatiale et du langage dans le groupe danse par rapport au groupe contrôle (voir tableau
  • amélioration statistiquement significative du fonctionnement physique dans le groupe danse par rapport au groupe contrôle (voir tableau
  • pas de différence entre le groupe danse et le groupe contrôle en termes de dépression et de qualité de vie (voir tableau)
    données narratives contradictoires quant à l’influence de la danse sur la neuroplasticité (N = 3).

 

Tableau. Différence entre les groupes danse et contrôle en ce qui concerne les fonctions cognitives globales, les domaines cognitifs spécifiques, le fonctionnement physique et la qualité de vie, exprimée en différence moyenne standardisée (SMD) avec intervalle de confiance à 95% (IC à 95%) et degré d’hétérogénéité statistique (I²). 

 

DMS (avec IC à  95%) entre la danse et le contrôle

Valeur p

Cognition globale (N = 7, n = 455)

0,54 (0,24 - 0,85)

< 0,001

72%

MMSE (N = 5, n = 392)

0,5 (0,19 - 0,81)

< 0,01

51%

MOCA (N=5, n=321)

0,58 (0,03 - 1,14)

0,04

81%

Domaines specifiques de la cognition (N = 7, n = 455)

0,28 (0,18 - 0,37)

< 0,001

29%

Mémoire (N = 6, n = ?)

0,33 (0,17 -  0,49)

< 0,001

39%

L’attention (N = 2, n = ?)

0,03 (-0,67 -  0,74)

0,93

78%

Fonction exécutive (N = 5, n = ?)

0,12 (-0,07 -  0,31)

0,2

0%

Rapidité de traitement (N = 4, n = ?)

0,18 (-0,03 -  0,39)

0,1

0%

Fonction visuospatiale (N = 3, n = ?)

0,42 (0,08 - 0,76)

0,02

54%

Langue (N = 2, n = ?)

0,39 (0,11 -0,68)

< 0,01

0%

Functionnement physique (N = 3, n = 129)

0,55 (0,24 -0,87)

< 0,01

0%

Equilibre (BBS) (N = 3, n = 129)

0,56 (0,21 - 0,91)

< 0,01

0%

Mobilité (TUG) (N = 1, n = 31)

0,54 (-0,18 – 1,26)

0,14

NA

Qualité de la vie (N = 3, n = 157)

0,41 (-0,19 -  1,04)

0,18

80%

SF-36 (N = 3, n = 91)

-0,09 (-0,61 - 0,43)

0,74

32%

SF-12 (N = 1, n = ?)

0,93 (0,57 -  1,29)

< 0,001

0%

Dépression (N = 3, n = 157)

-0,37 (-1,11 - 0,38)

0,34

80%


Conclusion des auteurs
La danse est un traitement non médicamenteux et bon marché pouvant être mis en œuvre à grande échelle auprès des personnes âgées. Elle peut freiner la régression cognitive des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers. Il convient toutefois d’interpréter les résultats avec prudence étant donné l’hétérogénéité des études incluses. Il est nécessaire de mener des études bien conçues impliquant un suivi des participants à long terme, des examens d’imagerie médicale, des marqueurs biologiques et des tests neuropsychologiques poussés pour comprendre le mécanisme qui sous-tend la danse-thérapie et démontrer l’effet de la danse-thérapie sur les personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers.

 

Financement de l’étude  
L’Université Nationale de Singapore.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 
Aucun conflit d’intérêt déclaré.

 

 

Discussion


Évaluation de la méthodologie
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse a été correctement menée d’un point de vue méthodologique sur de nombreux aspects. Le protocole a été enregistré dans PROSPERO au préalable. La recherche a porté sur des RCTs tant publiées que non publiées dans 7 bases de données différentes sans restriction linguistique. Il s’est avéré par la suite que toutes les études retenues étaient en anglais. D’après le protocole, un funnel plot était prévu pour déceler le biais de publication. Nous n’en avons toutefois pas retrouvé les résultats, ni dans la publication ni dans les suppléments. Deux chercheurs indépendants ont sélectionné les articles, traité les données et analysé la qualité méthodologique au moyen de l’outil d’évaluation du risque de biais de Cochrane et ont consulté un troisième chercheur en cas de désaccord. Ils ont demandé les données manquantes ou non publiées par e-mail. Sur les 8 RCTs incluses, 4 présentaient un risque de biais faible et 4, un risque de biais modéré. Le processus de randomisation n’était pas clairement décrit dans 2 études et on ne pouvait pas savoir avec certitude si le traitement attribué avait été entièrement mis en œuvre dans 3 études. Autre manque de clarté : on ne sait pas non plus si toutes les études ont utilisé une analyse en intention de traiter, même si cela a dû être vérifié lors de l’extraction de données envisagée. En cas d’hétérogénéité statistique importante, les chercheurs auraient dû procéder à des analyses de sensibilité pour déceler les grands écarts dans les résultats d’étude, mais ces analyses de sensibilité ne sont mentionnées nulle part. En revanche, il y a eu l’une ou l’autre analyse de sous-groupe, dont il n’était pas question dans le protocole. On ne connaît pas non plus toujours clairement la raison pour laquelle une analyse de sous-groupe était nécessaire. Pour l’évaluation de la qualité de vie, les tests SF-36 et SF-12 ont ainsi été analysés séparément, alors qu’ils sont très similaires. En ce qui concerne la mémoire, les chercheurs ont pu regrouper pas moins de 7 échelles d’évaluation différentes. 
Le nombre de participants par étude était souvent très limité. C’est probablement la raison pour laquelle les chercheurs ont parfois comptabilisé les participants aux études individuelles 2 à 4 fois dans la méta-analyse pour les critères de jugement de la mémoire, de l’attention, des fonctions exécutives, de la vitesse de traitement, de la fonction visuo-spatiale, du langage et de la qualité de vie mesurée au moyen du test SF-12. Cette approche accroît la puissance de manière artificielle, ce qui réduit l’intervalle de confiance et permet d’obtenir un effet statistiquement significatif plus rapidement. Ce n’est toutefois pas défendable d’un point de vue méthodologique.
 
Évaluation des résultats
Les études incluses sont très hétérogènes d’un point de vue clinique, en termes de styles de danse proposés, mais aussi de durée et de fréquence des programmes de danse. Il en va de même pour les instruments utilisés pour mesurer les différents critères de jugement. C’est pourquoi les résultats sont exprimés en différences moyennes standardisées, qui sont souvent difficiles à interpréter sur le plan clinique (13). Nous constatons un effet modéré sur les fonctions cognitives globales et le fonctionnement physique, et un effet faible sur le fonctionnement cognitif. L’effet sur les fonctions cognitives globales correspond au résultat obtenu dans une autre synthèse méthodique avec méta-analyse (14). La traduction dans la pratique clinique reste toutefois difficile, car aucune différence minimum cliniquement pertinente n’est mentionnée. Les chercheurs attribuent l’absence d’effet sur les fonctions exécutives, l’attention et la vitesse de traitement à un manque de puissance. La taille de l’échantillon a pourtant été artificiellement gonflée (voir ci-dessus). L’absence d’effet sur la dépression peut être attribuée à la durée limitée du suivi. Enfin, les auteurs affirment également que la danse est une thérapie bon marché sans avoir réalisé d’analyse coûts-bénéfices. À cet égard, nous devons tenir compte du fait que le programme de danse est encadré par un coach.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?
La recommandation de JBI (15) mentionne une méta-analyse (16) chez des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers ou atteintes de démence, qui a démontré que les interventions impliquant une combinaison d’exercices cognitifs et physiques peuvent améliorer les fonctions cognitives globales et favoriser les activités quotidiennes générales, ainsi que l’humeur des personnes âgées présentant des TCL ou atteintes de démence (niveau 1).

 

 

Conclusion de Minerva 


Les auteurs de cette synthèse méthodique avec méta-analyse parviennent à la conclusion que la danse-thérapie exerce un effet positif sur les fonctions cognitives globales des personnes âgées présentant des troubles cognitifs légers. Nous ne pouvons toutefois  considérer cette conclusion que comme hypothétique en raison des importantes limites méthodologiques de la synthèse méthodique et du nombre limité d’études qui présentaient une grande hétérogénéité clinique. 

 

 


Références 

  1. Petersen RC, Doody R, Kurz A, et al. Current concepts in mild cognitive impairment. Arch Neurol 2001;58:1985-92. DOI: 10.1001/archneur.58.12.1985
  2. Capucho PH, Brucki SM. Judgment in mild cognitive impairment and Alzheimer's disease. Dement Neuropsychol 2011;5:297-302. DOI: 10.1590/S1980-57642011DN05040007
  3. Mitchell AJ, Shiri-Feshki M. Rate of progression of mild cognitive impairment to dementia--meta-analysis of 41 robust inception cohort studies. Acta Psychiatr Scand 2009;119:252-65. DOI: 10.1111/j.1600-0447.2008.01326.x
  4. Schoenmakers B. Distinguer une démence clinique de type Alzheimer d’un déclin cognitif léger ou d’une cognition normale grâce à des tests cognitifs brefs. Minerva Analyse 17/12/2020.
  5. Hemmy LS, Linskens EJ, Silverman PC, et al. Brief cognitive tests for distinguishing clinical Alzheimer-type dementia from mild cognitive impairment or normal cognition in older adults with suspected cognitive impairment. Ann Intern Med 2020;172:678-87. DOI: 10.7326/M19-3889
  6. La rédaction Minerva. Déficits cognitifs légers : prescrire un inhibiteur des cholinestérases ? Minerva Analyse 15/09/2013.
  7. Russ TC, Morling JR. Cholinesterase inhibitors for mild cognitive impairment. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD009132.pub2
  8. Vermeire E. Rivastigmine en cas de troubles cognitifs légers ? MinervaF 2008;7(3):42-3.
  9. Feldman HH, Ferris S, Winblad B, et al. Effect of rivastigmine on delay to diagnosis of Alzheimer's disease from mild cognitive impairment: the InDDEx study. Lancet Neurol 2007;6:501-12. DOI: 10.1016/S1474-4422(07)70109-6
  10. Meng X, Li G, Jia Y, et al. Effects of dance intervention on global cognition, executive function and memory of older adults: a meta-analysis and systematic review. Aging Clin Exp Res 2020:32:7-19. DOI: 10.1007/s40520-019-01159-w
  11. Zhu Y, Zhong Q, Ji J, et al. Effects of aerobic dance on cognition in older adults with mild cognitive impairment: a systematic review and meta-analysis. J Alzheimers Dis 2020;74:679-90. DOI: 10.3233/JAD-190681
  12. Wu VX, Chi Y, Lee JK, et al. The effect of dance interventions on cognition, neuroplasticity, physical function, depression, and quality of life for older adults with mild cognitive impairment: a systematic review and meta-analysis. Int J Nurs Stud 2021;122:104025. DOI:  10.1016/j.ijnurstu.2021.104025
  13. Poelman T. Comment interpréter une différence moyenne standardisée (DMS) ? MinervaF 2014;13(4):51.
  14. Wang S, Yin H, Jia Y, et al. Effects of mind-body exercise on cognitive function in older adults with cognitive impairment: a systematic review and meta-analysis. J Nerv Ment Dis 2018;206:913-24. DOI: 10.1097/NMD.0000000000000912
  15. Déficience cognitive (adultes âgés) : exercice. Ebpracticenet. JBI Evidence summary. Mis à jour par le producteur: 24/05/2021.
  16. Karssemeijer EE, Aaronson JJ, Bossers WW, et al. Positive effects of combined cognitive and physical exercise training on cognitive function in older adults with mild cognitive impairment or dementia: a meta-analysis. Ageing Res Rev 2017;40:75-83. DOI: 10.1016/j.arr.2017.09.003

 

Cet article a vu le jour lors de la journée des écrivains de Minerva en septembre de cette année. Sous la tutelle de membres expérimentés du comité de rédaction, de nouveaux auteurs, médecins et paramédicaux, ont travaillé à l'interprétation d'un article sélectionné par Minerva. Comme toujours ce texte a été révisé par les pairs de la rédaction.



Ajoutez un commentaire

Commentaires