Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité des benzodiazépines ou des antihistaminiques pour des patients présentant un vertige aigu quelle qu’en soit la cause sous-jacente ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 3 Page 50 - 53

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Hunter BR, Wang AZ, Bucca AW, et al. Efficacy of benzodiazepines or antihistamines for patients with acute vertigo: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2022;79:846-55. DOI: 10.1001/jamaneurol.2022.1858


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement par antihistaminique ou benzodiazépines chez des patients présentant un vertige aigu quelle qu’en soit la cause sous-jacente


Conclusion
Cette revue systématique correctement menée d’un point de vue méthodologique se base sur des études réalisées sur de faibles échantillons de patients. Les résultats suggèrent que l'utilisation d'antihistaminiques en dose unique pourrait être efficace dans le traitement des vertiges aigus pour un soulagement rapide dans les 2 heures suivant l’apparition du vertige, et cette efficacité serait supérieure à celle des benzodiazépines en dose unique. En revanche, ils ne sont pas plus efficaces que d’autres comparateurs actifs (ondansétron, métoclopramide, dropéridol). L’usage quotidien d’antihistaminiques ne semble pas démontrer d’efficacité supérieure au placebo ou à l’absence de traitement sur le soulagement des vertiges après 1 semaine et 1 mois.


Contexte

Le vertige est un trouble de perception de l’espace défini par une sensation subjective de mouvement dont l’étiologie est vaste. Il n’existe actuellement pas de traitement spécifique au vertige et sa prise en charge dépend du diagnostic retenu. Les antihistaminiques et les benzodiazépines sont retrouvés parmi les options thérapeutiques médicamenteuses (1). Nous avions déjà analysé une RCT portant sur l’usage de la bétahistine chez des patients atteints d'un syndrome de Ménière actif et correctement diagnostiqué. On avait conclu qu'après 9 mois, l'efficacité d'une dose élevée ou faible de bétahistine ne diffère pas de celle d'un placebo sur le nombre et la gravité des crises de vertiges signalées par le patient, ni sur la fonction vestibulaire et audiologique, ni sur la qualité de vie (2,3). Dans une autre analyse de Minerva, nous avions rapporté les résultats d’une méta-analyse portant sur l’utilisation de la bétahistine dans le cadre des vertiges. Celle-ci évoquait un effet bénéfique possible de la bétahistine, mais les données étaient issues d’études de faible qualité méthodologique (4,5).  Cette nouvelle revue systématique avec méta-analyse se propose d’éclaircir l’efficacité des antihistaminiques et des benzodiazépines dans les vertiges aigus (6). 

 

Résumé 

 

Méthodologie 

 

Revue systématique de la littérature avec méta-analyse.

 

Sources consultées

  • PubMed jusqu’au 12 décembre 2021
  • CENTRAL, EMBASE, CINAHL, Scopus jusqu’au 14 juin 2019
  • ClinicalTrials.gov.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées ou quasi-randomisées, concernant le traitement à visée symptomatique d’un vertige aigu d’une durée de moins de deux semaines 
  • critères d’exclusion : les études avec des résultats demeurant incomplets malgré contact avec les auteurs ont été exclues de la méta-analyse ; les études avec volontaires sains, traitement à visée prophylactique, vertige induit ou études comparant des molécules d’une même classe ont également été exclues
  • intervention : antihistaminiques ou benzodiazépines 
  • comparateur : placebo, absence d’intervention, autre comparateur médicamenteux ou non médicamenteux. 
  • au total, 17 études ont contribué aux résultats quantitatifs ; ces études ont été réalisées dans 11 pays ; 6 langues sont concernées ; les études ont recruté entre 18 et 200 patients
  • les antihistaminiques suivants ont été utilisés : 2 études ont administré de la bétahistine, 4 de la cinnarizine, 7 du dimenhydrinate, 2 de la flunarizine, 1 de la méclizine et 2 de la prométhazine ; les antihistaminiques ont été comparés aux benzodiazépines dans 3 études, à un placebo ou à l'absence de traitement dans 7 études et à d'autres comparateurs actifs dans 6 études ; les seules benzodiazépines étudiées étaient le lorazépam et le diazépam, qui ont été comparés à un placebo dans 1 essai et à des antihistaminiques dans 3 essais.

 

Population étudiée 

  • un total de 1586 participants avec vertige aigu depuis moins de deux semaines ; la plupart des patients inscrits présentaient des vertiges « périphériques » généralisés ou non spécifiques.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaire : changement dans l’échelle visuelle analogique (EVA) du vertige deux heures après la prise du traitement (la pertinence clinique est définie par une différence de 10 points)
  • critères de jugement secondaires : 
    • changement dans l’EVA de la nausée après 2h de traitement
    • recours à un traitement ou intervention de secours dans les 2 h après la prise
    • résolution du vertige à 1 semaine 
    • résolution du vertige à 1 mois
    • amélioration du vertige à 1 semaine 
    • amélioration du vertige à 1 mois 
    • amélioration des résultats de nystagmographie. 

 

Résultats 

  • les résultats évaluant le critère de jugement primaire sont issus des 7 études (n = 802 patients). 
    • les antihistaminiques à dose unique ont entraîné une amélioration significativement plus importante des scores EVA par rapport aux benzodiazépines : différence de 16,1 points (avec IC à 95% de 7,2 à 25,0), mais comparés avec d'autres comparateurs actifs, les résultats ne sont pas statistiquement significatifs : différence de 2,7 points (avec IC à 95% de -6,1 à 11,5)
    • à 1 semaine et à 1 mois, ni les benzodiazépines quotidiennes ni les antihistaminiques n'ont montré de résultats supérieurs au placebo
  • concernant les critères de jugement secondaires : 
    • dans l'ensemble, il n'y avait aucune différence dans les résultats à 2 heures pour les antihistaminiques et les comparateurs, bien que les antihistaminiques aient été signalés comme étant supérieurs aux benzodiazépines dans la seule étude comparant les deux pour ces résultats
    • aucune étude rapportant des critères de jugement secondaires à 2 heures n'avait de groupe placebo ou sans traitement, et aucune n'a comparé les benzodiazépines à des comparateurs autres que les antihistaminiques
    • à 1 semaine et à 1 mois, tous les résultats sont non statistiquement significatifs
    • dans une analyse en sous-groupe, une tendance bénéfique se marque pour les antihistaminiques en cas de vertige non VPPB
  • les événements indésirables ont été rapportés de manière incohérente et n’étaient que rarement prédéfinis ; aucune des comparaisons avec antihistaminiques et benzodiazépines, d'autres témoins ou placebo n'était statistiquement significative ; la plupart des événements n'ont pas été considérés comme graves par les auteurs de l'étude ; un patient cependant a été diagnostiqué avec un œdème de Quincke après avoir pris de la cinnarizine par voie orale, qui a été traitée de manière conservatrice ; ce patient a alors repris un traitement par cinnarizine sans récidive.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette revue systématique avec méta-analyse ne soutient pas l’utilisation de benzodiazépines pour le traitement d’un vertige aigu. Il existe des preuves modérées sur l’efficacité supérieure d’une dose unique d’antihistaminiques par rapport aux benzodiazépines pour le soulagement d’un vertige aigu. Un traitement prolongé d'une semaine ou d'un mois ne semble pas supérieure à un placebo ou à l'absence de traitement. Enfin, ils concluent que des essais randomisés plus importants comparant à la fois les antihistaminiques et les benzodiazépines à un placebo pourraient mieux clarifier l'efficacité relative de ces médicaments.

 

Financement de l’étude

Ce n’est pas explicité dans l’article.

 

Conflit d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt n’est déclaré.

 

 

Discussion

 

Considération méthodologique

La recherche d'articles a été effectuée par un auteur unique sans aucune restriction linguistique. Deux auteurs ont évalué indépendamment l'éligibilité des articles. Les auteurs ont également recueilli les données démographiques mais elles ne sont pas présentées dans cet article de synthèse. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont clairs. Toutefois, il convient de noter que toutes les études incluses présentaient des effectifs de patients relativement modestes, allant de 18 à 200 patients. Deux auteurs ont effectué de manière indépendante une évaluation du risque de biais à l'aide de l'outil Cochrane Risk of Bias Tool. Toutefois, étant donné la date de l'analyse, l'utilisation du Cochrane RoB 2 publié et utilisé depuis 2019 aurait été plus appropriée (7). Il convient de noter que l'évaluation du risque de biais lié à la randomisation est faible pour moins de la moitié des études incluses (7/17) et que seules 4 études sur les 17 incluses présentent un faible risque de biais sur les sept items évalués. Les RCTs comparant les effets immédiats des médicaments (à 2 heures) après une dose unique présentaient généralement un faible risque de biais, mais ceux évaluant les résultats à 1 semaine et à 1 mois présentaient un risque élevé de biais. Une analyse de sensibilité a été prévue pour chaque classe de médicament versus placebo ou l’absence de comparateur et pour les études à faible risque de biais. Dix études ont été exclues de la méta-analyse mais un tableau résumant les caractéristiques et les résultats relatifs sont également présentés. Les résultats de ces études présentent une importante hétérogénéité.  

 

Évaluation des résultats

Sept études ont fourni des données pour évaluer l'efficacité des antihistaminiques deux heures après l'administration, dont trois études avec une benzodiazépine comme comparateur. En ce qui concerne les vertiges non-VPPB, deux études ont rapporté une diminution significative du risque relatif de vertige à une semaine après traitement avec des antihistaminiques comparés aux benzodiazépines. Cependant, il convient de noter que ces études datent de 1961 et 1978 et ont inclus respectivement 55 et 18 patients seulement. De plus, les deux études présentent un haut risque de biais d'après le Cochrane Risk of Bias Tool. Les résultats obtenus pourraient donc surestimer l'effet de l'intervention. Les caractéristiques des patients ne sont pas décrites. Les médications utilisées sont disponibles en Belgique puisque la méclozine est équivalente à la méclizine. Cette étude ne permet pas d’identifier un antihistaminique comme étant plus efficace que les autres.

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Les recommandations de pratique clinique considèrent généralement le traitement du vertige
selon l’étiologie retenue (1,8). Le CBIP répertorie deux médicaments contenant des antihistaminiques utilisées pour le traitement du vertige sans beaucoup de preuve d’efficacité. L'un de ces médicaments est une combinaison de cinnarizine et de dimenhydrinate, considéré comme un médicament à éviter en raison de l'incertitude quant à son efficacité et du risque d'effets indésirables (9). Malgré une éventuelle efficacité retrouvé dans certaines études La bétahistine est répertoriée comme traitement du vertige et indiquée seulement en cas de symptômes dus à une maladie de Ménière (10). Il est bien noté cependant que la place de ce traitement est très limitée. Les études cliniques n’ont pas pu montrer d’efficacité en tant que traitement prophylactique, y compris en cas de maladie de Ménière.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique correctement menée d’un point de vue méthodologique se base sur des études réalisées sur de faibles échantillons de patients. Les résultats suggèrent que l'utilisation d'antihistaminiques en dose unique pourrait être efficace dans le traitement des vertiges aigus pour un soulagement rapide dans les 2 heures suivant l’apparition du vertige, et cette efficacité serait supérieure à celle des benzodiazépines en dose unique. En revanche, ils ne sont pas plus efficaces que d’autres comparateurs actifs (ondansétron, métoclopramide, dropéridol). L’usage quotidien d’antihistaminiques ne semble pas démontrer d’efficacité supérieure au placebo ou à l’absence de traitement sur le soulagement des vertiges après 1 semaine et 1 mois.

 

 

 


Références 

  1. Le vertige. Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur : 17/11/2016. Screené par Ebpracticenet : 2017.
  2. Dhooge I, Weegerink N. Quel est l’effet à long terme de la bétahistine pour traiter un syndrome de Ménière ? MinervaF 2016;15(8):195-8.
  3. Adrion C, Fischer CS, Wagner J, et al; BEMED Study Group. Efficacy and safety of betahistine treatment in patients with Meniere’s disease: primary results of a long term, multicenter, double blind, randomized, placebo controlled, dose defining trail (BEMED trail). BMJ 2016;352:h6816. DOI:  10.1136/bmj.h6816
  4. Dhooge I, Acke F. Bétahistine en cas de vertige? Minerva Analyse 15/12/2017
  5. Murdin L, Hussain K, Schilder AG. Betahistine for symptoms of vertigo. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD010696.pub2
  6. Hunter BR, Wang AZ, Bucca AW, et al. Efficacy of benzodiazepines or antihistamines for patients with acute vertigo: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2022;79:846-55. DOI: 10.1001/jamaneurol.2022.1858
  7. Sterne JA, Savović J, Page MJ, et al. RoB 2: a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898. DOI: 10.1136/bmj.l4898
  8. Haute Autorité de Santé. Vertiges positionnels paroxystiques bénins : Manoeuvres diagnostiques et thérapeutiques. HAS 2017.
  9. FAGG. Résumé des caractéristiques du produit. Arlevertan. Url : 
    https://app.fagg-afmps.be/pharma-status/api/files/62bc6bc71e5c015ab3e80742
  10. FAGG. Résumé des caractéristiques du produit. Betahistine Mylan 16mg. Url :
    https://app.fagg-afmps.be/pharma-status/api/files/62bc4a2c1e5c015ab3a7e59c

 


Auteurs

Saubry MI.
assistant en médecine générale, UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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