Revue d'Evidence-Based Medicine



Rhinosinusite chronique avec polypes nasaux : quel mode d’administration pour les corticostéroïdes intranasaux ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 3 Page 62 - 65

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Bognanni A, Chu DK, Rank MA, et al. Topical corticosteroids for chronic rhinosinusitis with nasal polyposis: GRADE systematic review and network meta-analysis. J Allergy Clin Immunol 2022;150:1447-59. DOI: 10.1016/j.jaci.2022.07.023


Question clinique
Dans le cadre de la rhinosinusite chronique avec polypose nasale, quelles sont l’efficacité et la sécurité des différents modes d’administration de corticostéroïdes intranasaux ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau, de bonne qualité méthodologique, conclut que le système d’administration par expiration, le spray et le stent sont les modes d’administration de corticostéroïdes les plus bénéfiques dans la prise en charge de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux. Toutefois, ces résultats reposent sur des études présentant des risques de biais élevés, et le niveau de certitude des évidences est globalement faible.


Contexte

La rhinosinusite chronique avec polypes nasaux est une maladie inflammatoire touchant les muqueuses nasales et les sinus paranasaux (1). En Europe et aux Etats-Unis, 2 à 4% de la population serait atteinte par cette maladie (2). Les symptômes, parmi lesquels l’obstruction nasale, la diminution de l’odorat, les douleurs et les sensations de pression au visage, impactent la qualité de vie des patients (2). La prise en charge de ces symptômes se fait premièrement par l’utilisation de corticostéroïdes intranasaux, et par irrigation par solution saline. Les corticostéroïdes oraux, et la chirurgie endoscopique peuvent également être envisagés (1). Une analyse de Minerva (3) à propos d’une méta-analyse publiée en 2012 (4) concluait que l’utilisation de corticoïdes topiques était efficace pour améliorer les symptômes en cas de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux et permettait de diminuer la taille des polypes. Toutefois, l’étude ne permettait pas de statuer sur le dosage et le mode de pulvérisation à privilégier. La présente méta-analyse, comparant les différentes voies d’administration des corticostéroïdes intranasaux permet donc d’adresser ces informations manquantes (5). Quant à la chirurgie endoscopique, une récente analyse de Minerva (6,7), datant de 2022, concluait qu’elle était efficace, en association avec un traitement médicamenteux, mais que sa pertinence clinique par rapport au traitement médicamenteux seul était limitée. 

 

 

Résumé

Méthodologie 
Revue systématique avec méta-analyse en réseau.

 

Sources consultées 

  • Medline
  • Embase
  • Cochrane Central Register of controlled trials 
  • World Health Organization clinical trial registry.

 

Etudes sélectionnées 

  • critères d’inclusion : 
    • études randomisées contrôlées 
    • intervention : tout système permettant une administration topique : les corticostéroïdes intranasaux topiques sont directement
    • appliqués sur la muqueuse nasale/sinusienne via des sprays, des rinçages, des gouttes, un système d'administration par expiration (Exhalation Delivery System (ou EDS)*), des stents/pansements, une nébulisation, des injections locales et des sprays à haute dose
    • comparaison de corticostéroïdes intranasaux à un placebo ou à tout autre mode d’administration
    • durée de traitement de minimum 4 semaines 
    • unité d’analyse au niveau du patient  
    • pas de restriction liée à la taille de la population ou à la langue dans laquelle l’étude est publiée
  • ont été exclues les études ayant pour unité d’analyse la narine.

 

Population étudiée 

  • adultes âgés de 18 ans ; diagnostic de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux objectivés par visualisation directe 
  • ont également été inclus les patients avec une maladie respiratoire exacerbée par la prise d’aspirine, une rhinosinusite allergique fongique, une granulomatose éosinophilique avec polyangéite, et les populations mixtes avec rhinosinusite chronique avec ou sans polypose nasale
  • ont été exclus les patients atteints de boule fongique, de dyskinésie ciliaire primitive, de mucoviscidose ou de granulomatose avec polyangéite
  • au total, 61 essais ont été inclus dans la méta-analyse en réseau, examinant 8 modalités d'administration des corticoïdes topiques. 7176 participants ont été inclus : médiane entre les essais de 70 (intervalle de 18 à 748) ; âge moyen de 46,1 ans (intervalle des moyennes, 31 à 54) ; pourcentage moyen de sujets féminins dans les études de 40% ; les participants ont reçu les interventions pendant une durée médiane de 12 semaines (intervalle de 2 à 260 semaines) ; la plupart des essais (91,3%) incluaient uniquement des patients atteints de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, tandis que les autres comprenaient des populations de patients mixtes ; environ un tiers (31,9%) des personnes souffraient d'asthme, mais moins de la moitié des études (40,1%) ont rapporté des informations sur une comorbidité.

 

Mesure des résultats 

  • critères de jugement primaires (‘critiques’):
    • qualité de vie liée à la maladie : SNOT 22 (= Sinonasal outcome test 22)
    • symptômes (obstruction nasale)
  • critères de jugement secondaires (‘importants’) :
    • chirurgie en urgence
    • effets indésirables : effets indésirables sévères, tous les effets indésirables, effets indésirables liés à l’intervention, et effets
    • indésirables menant à l’arrêt du traitement 
    • odorat (observé objectivement ou reporté par les patients)
    • taille des polypes (score de polype nasal gradé par les investigateurs)
    • score d’imagerie médicale (échelle Lund-Mackay ou autres)
    • score d’endoscopie (échelle Lund-Kennedy)
    • contrôle de l’asthme (contrôle, risque, fonction pulmonaire).

 

Résultats

  • les résultats montrent, versus placebo : 
    • pour les critères de jugement primaires ‘critiques’ : 
      • qualité de vie liée à la maladie (N = 14 ; n = 950) :
        • effet positif du rinçage (différence moyenne (DM) de -6,83 avec IC à 95% de -11,94 à -1,71 ; faible niveau de certitude), et du système d’administration par expiration (DM de -7,86 avec IC à 95% de -4,64 à -1,08 ; faible niveau de certitude)
        • pas d’effet notable pour les autres modes d’administration (stent, spray et spray à haute dose, très faible niveau de certitude)
      • symptômes (obstruction nasale) (N = 31 ; n = 4539) : 
        • effet positif du spray (DM de -0,51 avec IC à 95% de -0,61 à -0,41 ; haut niveau de certitude), du stent (DM de -0,31 avec IC à 95% de -0,54 à -0,08 ; niveau de certitude modéré), du système d’administration par expiration (DM de -0,35 avec IC à 95% de -0,51 à -0,18 ; niveau de certitude modéré), et du spray à haute dose (DM de -0,51 avec IC à 95% de -0,85 à -0,16 ; très faible niveau de certitude)
        • pas d’effet notable pour le rinçage et les gouttes (très faible niveau de certitude)
    • pour les critères de jugement secondaires ’importants’ :
      • les résultat montre que les patients connaîtront probablement une amélioration modeste, voire insignifiante (niveau de certitude modéré à élevé pour les 3 premiers critères) : 
        • de l'odorat avec un stent 
        • en taille de polype avec un spray ou un système d’administration par expiration ; 
        • en besoin d'une opération de secours pour polypes nasaux avec le système d’administration par expiration
      • les résultats suggèrent que le taux de chirurgie de sauvetage pourrait être réduit par l'administration d'un stent ou d'un spray (niveau de certitude très faible à faible)
    • aucun des modes d’administration n’a montré de différence dans l’apparition des effets indésirables en comparaison au placebo (niveau de preuve modéré pour le spray, faible à très faible pour les autres voies d’administration)
    • de manière générale, le système d’administration par expiration est parmi les modes d’administration les plus bénéfiques pour 5 mesures importantes pour les patients sur 9, le spray pour 4 mesures sur 9, et le stent pour 3 mesures sur 9. 

 

Conclusion des auteurs

Différents modes d’administration de corticostéroïdes intranasaux sont des options thérapeutiques valides pour le traitement de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux et mènent à une amélioration des critères de jugement importants pour les patients. Le stent, le spray, et le système d’administration par expiration semblent être les modes d’administrations les plus bénéfiques pour les mesures considérées.

 

Financement de l’étude

Le JTF-PP (groupe de travail conjoint sur les paramètres de pratique en matière d'allergie et d'immunologie) a fourni un soutien administratif pour le travail et a fourni un financement à l'Université McMaster pour ce projet. Le financement du JTF-PP provient de l'American College of Allergy, Asthma, and Immunology et de l’American Academy of Allergy, Asthma & Immunology. Aucun des auteurs n'a reçu de paiement direct pour aucune partie de ce projet

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Plusieurs des auteurs sont consultants pour diverses firmes pharmaceutiques, ou collaborent avec ces firmes de manières diverses. 

 

 

Discussion 

Évaluation de la méthodologie
Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau est globalement de bonne qualité méthodologique, et suit les recommandations PRISMA (Checklist à utiliser pour rapporter les revues systématiques et les méta-analyses). Différentes sources ont été consultées afin de retrouver les études cliniques incluses dans l’analyse. Les auteurs ont contacté 24 auteurs des études originales pour demander des informations supplémentaires ou des clarifications, mais seulement 7 leur ont répondu. On pourrait déplorer le manque de recherche de la littérature grise. Le risque de biais a été évalué pour chacune des études incluses à l’aide de la révision CLARITY de l’outil d’évaluation de Cochrane version 1. Sur les 61 études incluses, 21 ne présentaient pas de risques de biais (évalués sur 6 items). Enfin, le système GRADE a été utilisé afin de présenter le niveau de certitude des résultats obtenus. 
Un point particulièrement positif de cette revue systématique est l’utilisation de mesures préalablement définies comme importantes pour les patients, et priorisées. Afin de définir ces mesures, les auteurs se sont basés sur des recommandations GRADE, ainsi que sur une enquête réalisée directement avec des patients atteints de rhinosinusite chronique, et les professionnels de santé impliqués dans leurs soins (8). L’utilisation de ces mesures préalablement identifiées est particulièrement intéressante dans un contexte clinique. Un autre point très positif est la présentation des différences de scores attendus a priori pour pouvoir évoquer des différences cliniques. Notons que sur les 9 critères de jugement à étudier, seuls 2 reposaient sur des différences validées antérieurement ; les 7 autres sont le résultat d’avis d’experts. 

 

Évaluation des résultats

Cette étude a un objectif très intéressant pour le clinicien : quel système d’administration de corticoïdes topiques est le plus efficace ? pas moins de 8 systèmes ont été évalués ; sprays, rinçages, gouttes, système d'administration par expiration, stents/pansements, nébulisation, injections locales et sprays à haute dose. Les résultats montrent que 3 modes d’administration des corticostéroïdes intranasaux sont plus bénéfiques : le système d'administration par expiration, le spray, et le stent. Ces résultats sont particulièrement intéressants pour le spray, dispositif dont l’accessibilité et l’utilisation sont les plus faciles. Toutefois, ces résultats sont à prendre avec précaution. En effet, le niveau de certitude des évidences pour ces modes de délivrance était globalement faible à très faible. De plus, les études incluses présentaient un risque de biais élevé, étaient de tailles limitées, et rapportaient principalement des mesures intermédiaires plutôt que des mesures importantes pour les patients. Par ailleurs, les études incluses avaient des durées variables (de 2 à 160 semaines), et la revue systématique ne précise pas après quelle durée les différents résultats rapportés ont été observés.  
Enfin, rappelons que cette étude a pour objectif, et se limite, à comparer les différentes voies d’administration des corticostéroïdes intranasaux entre elles. La présente étude permet donc d’apporter un premier élément de réponse à cette question, en plaçant le spray, le système d’administration par expiration et le stent comme les modes d’administration les plus bénéfiques. Pour compléter cet article de synthèse, des données relatives à l’impact environnemental seraient intéressantes pour consolider les choix des praticiens (9). 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Un guide de pratique clinique néerlandais recommande les corticoïdes topiques comme traitement de première intention en cas de rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, sans précision quant au mode d’administration (10). Selon un consensus international, à comprendre comme un recueil de recommandations dans le cadre d’une rhinosinusite chronique avec polypes nasaux, l’utilisation de rinçage par liquides salins, ainsi que de corticostéroïdes intranasaux est recommandée (11). Toutefois, des informations et comparaisons entre les modes d’administration de ces corticostéroïdes restaient nécessaires. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse en réseau, de bonne qualité méthodologique, conclut que le système d’administration par expiration, le spray et le stent sont les modes d’administration de corticostéroïdes les plus bénéfiques dans la prise en charge de la rhinosinusite chronique avec polypes nasaux. Toutefois, ces résultats reposent sur des études présentant des risques de biais élevés, et le niveau de certitude des évidences est globalement faible. 

 

 


*Exhalation Delivery System (ou EDS): dispositif muni d'un embout sur lequel on souffle pour produire un spray qui pénètre dans le nez par l'embout.

 

 


Références  

  1. Stevens WW, Schleimer RP, Kern RC. Chronic rhinosinusitis with nasal polyps. J Allergy Clin Immunol Pract 2016;4:565-72. DOI: 10.1016/j.jaip.2016.04.012
  2. Chen S, Zhou A, Emmanuel B, et al. Systematic literature review of the epidemiology and clinical burden of chronic rhinosinusitis with nasal polyposis. Curr Med Res Opin 2020;36:1897-11. DOI: 10.1080/03007995.2020.1815682
  3. Duyver C. Rhinosinusite chronique + polypes nasaux : corticostéroïdes nasaux ? MinervaF 2014;13(3):30-1.
  4. Kalish L, Snidvongs K, Sivasubramaniam R, et al. Topical steroids for nasal polyps. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD006549.pub2
  5. Bognanni A, Chu DK, Rank MA, et al. Topical corticosteroids for chronic rhinosinusitis with nasal polyposis: GRADE systematic review and network meta-analysis. J Allergy Clin Immunol 2022;150:1447-59. DOI: 10.1016/j.jaci.2022.07.023
  6. Blauwblomme M. Rhinosinusite chronique avec polypes nasaux : traitement médicamenteux avec ou sans chirurgie endoscopique des sinus. MinervaF 2022;21(10):230-3.
  7. Lourijsen ES, Reitsma S, Vleming M, et al. Endoscopic sinus surgery with medical therapy versus medical therapy for chronic rhinosinusitis with nasal polyps: a multicentre, randomised, controlled trial. Lancet Respir Med 2022;10:337-46. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00457-4
  8. Hopkins C, Philpott C, Crowe S, et al. Identifying the most important outcomes for systematic reviews of interventions for rhinosinusitis in adults: working with Patients, Public and Practitioners. Rhinology 2016;54:20-6. DOI: 10.4193/Rhino15.199
  9. De Jonghe M. Perception émergeante de l’importance de l’évaluation de l’impact environnemental des médicaments. Minerva Analyse [Editorial] 27/06/2022.
  10. Chronische rhinosinusitis (CRS) en neuspoliep. Richtlijnendatabase. Federatie Medisch Specialisten 2009. Disponible sur :  https://richtlijnendatabase.nl/richtlijn/chronische_rhinosinusitis_en_neuspoliepen/chronische_rhinosinusitis_-_korte_beschrijving.html
  11. Orlandi RR, Kingdom TT, Smith TL, et al. International consensus statement on allergy and rhinology: rhinosinusitis 2021 [correction: Int Forum Allergy Rhinol 2022;22:974. DOI: 10.1002/alr.22987]. Int Forum Allergy Rhinol 2021;11:213-739. DOI: 10.1002/alr.22741

 




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