Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité des interventions pour l’arrêt du tabagisme chez les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 4 Page 71 - 74

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Wei X., Guo K., Shang X, et al. Effects of different interventions on smoking cessation in chronic obstructive pulmonary disease patients: a systematic review and network meta-analysis. Int J Nurs Stud 2022;136:104362. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2022.104362


Question clinique
Quelle est l’intervention médicamenteuse, comportementale ou combinée la plus efficace pour l’arrêt du tabagisme chez les patients atteints de BPCO ?


Conclusion
Cette méta-analyse en réseau montre que l’association de traitements médicamenteux et non médicamenteux conduit à un taux d’abstinence plus important chez les patients BPCO fumeurs qui souhaitent arrêter de fumer. Cette analyse ne nous permet toutefois pas de déterminer quelle combinaison est la plus efficace.


Contexte

En 2019, la prévalence de la BPCO était de 11,7 à 15,8% à l’échelle mondiale. Responsable de 3,3 millions de décès par an, la BPCO est la troisième cause de décès dans le monde (1,2). En 2014 en Belgique, la prévalence de la BPCO autodéclarée était estimée à 4,0% chez les personnes ayant plus de 15 ans (3). Le tabagisme, principal facteur de risque de développement de la BPCO, est responsable de 90% de la prévalence de cette maladie et de la mortalité qu’elle entraîne (4,5). L’arrêt du tabagisme améliore les symptômes respiratoires ainsi que la mortalité (5,6). Les caractéristiques des patients atteints de BPCO comprennent des taux élevés d’anxiété et de dépression, ce qui peut entraver l’observance d’une intervention de sevrage tabagique (7). En 2014, Minerva a discuté d’une étude randomisée contrôlée (RCT) qui montrait l’importance des interventions comportementales par une équipe constituée d’un médecin généraliste, d’un assistant et d’un(e) infirmier/ère pendant deux ans pour réussir le sevrage tabagique sans support médicamenteux supplémentaire chez des patients atteints de BPCO (8,9). Une synthèse méthodique avec méta-analyse Cochrane a montré qu’en cas de BPCO, l’association de médicaments et d’un soutien psychologique permet d’arriver à l’arrêt du tabagisme chez un plus grand nombre de patients (10). Depuis ces publications, de nouvelles RCTs ont été menées ; elles pourraient éventuellement influencer les résultats déjà obtenus ou entraîner leur ajustement. 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse en réseau (11)

 

Sources consultées

  • Pubmed, Cochrane Library, Web of Science, Embase, China National Knowledge Infrastructure, Wanfang, VIP, Chinese Biomedical Databases; jusqu’au 1er septembre 2021 
  • la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques (International Clinical Trials Registry Plateform, ICTRP) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Clinical Trials (essais cliniques).

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées comparant l’efficacité d’interventions médicamenteuses et non médicamenteuses pour le sevrage tabagique, à la fois entre elles et par rapport à un placebo ou aux soins habituels, en termes de nombre de patients atteints de BPCO qui ne fument plus à la fin du traitement
  • critères d’exclusion : résumés uniquement ; études avec des données incomplètes (comme les protocoles d’étude)
  • finalement, inclusion de 23 études d’interventions de sevrage tabagique pharmacologiques (varénicline, bupropion, nortriptyline, substituts nicotiniques), non médicamenteuses (thérapie cognitivo-comportementale, conseil) ou combinées.

 

Population étudiée

  • 13480 patients BPCO fumeurs, dont le tabagisme a été prouvé par la présence d’une concentration en CO ≥ 10 ppm dans l’air expiré (N = 14) ou d’un taux de cotinine ≥ 60 ng/ml dans les urines (N = 2) ou constaté à partir des dires du patient (N = 7)
  • l’âge moyen était > 50 ans ; la consommation moyenne > 20 cigarettes par jour ; la plupart des études ont exclu les patients atteints de comorbidité. 

 

Mesure des résultats

  • arrêt du tabagisme, défini dans la plupart des études comme la déclaration du patient de 0 cigarette/jour et une concentration de CO ≤ 10 ppm 
  • effets indésirables
  • modèle à effets aléatoires
  • résultats exprimés en rapport de cotes (OR) avec IC à 95%
  • surface sous la courbe de classement cumulatif (Surface Under the Cumulative Ranking-curve, SUCRA) (12).

 

Résultats

  • 13 interventions différentes (8 monothérapies et 5 thérapies combinées) ont été comparées, dans 23 comparaisons directes et 55 comparaisons indirectes 
  • par comparaison avec la prise en charge habituelle, l’arrêt du tabagisme a été atteint avec la varénicline (OR de 13,02 avec IC à 95% de 5,18 à 13,74), des substituts nicotiniques (OR de 31,59 avec IC à 95% de 9,72 à 102,70), une thérapie cognitivo-comportementale associée à des substituts nicotiniques (OR de 28,48 avec IC à 95% de 4,94 à 164,04), une thérapie cognitivo-comportementale associée à du bupropion (OR de 6,15 avec IC à 95% de 3,04 à 12,41), une thérapie cognitivo-comportementale seule (OR de 5,95 avec IC à 95% de 2,05 à 17,34)
  • d’après la SUCRA, les 13 interventions se sont classées comme suit : thérapie cognitivo-comportementale + bupropion (85%), conseils + varénicline (82%), varénicline (73,5%) thérapie cognitivo-comportementale + substituts nicotiniques (63,2%), thérapie cognitivo-comportementale (61,3%), bupropion (51%), nortriptyline (47,7%), conseils + bupropion (35,9%), conseils + substituts nicotiniques (35,3%), placebo (34,8%), substituts nicotiniques (33,1%), conseils (32,7%), soins habituels (13,8%) 
  • seulement 4 études ont rendu compte des effets indésirables : par comparaison avec le placebo, un plus grand nombre de symptômes ont été signalés, à savoir sécheresse de la bouche et insomnie, avec le bupropion (OR de 1,84 avec IC à 95% de 1,22 à 2,77), et plus d’inconfort physique avec la varénicline (OR de 1,49 avec IC à 95% de 1,02 à 2,19).

 

Conclusion des auteurs

Les résultats obtenus montrent qu’une combinaison de pharmacothérapie et de thérapie comportementale est l’intervention la plus puissante pour obtenir l’arrêt du tabac chez les patients atteints de BPCO. Les chercheurs doivent se concentrer davantage sur la sécurité des interventions pharmacologiques. En outre, davantage d’études de haute qualité doivent être menées pour examiner les preuves de différentes interventions de sevrage tabagique.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt mentionné.

 

Financement de l’étude

National Natural Science Foundation of China; Fundamental Research Funds for the Central Universities; Gansu Special Project of Soft Science.

 

 

Discussion 

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse en réseau présente plusieurs points forts : une recherche dans la littérature dans de multiples bases de données et une sélection d’études par deux chercheurs indépendants selon des critères d’inclusion et d’exclusion prédéfinis ; une évaluation de la qualité méthodologique par deux chercheurs indépendants à l’aide de l’outil Cochrane pour les RCTs, un troisième auteur s’ajoutant en cas d’incertitude ; une détermination de la certitude des preuves au moyen du système GRADE pour toutes les comparaisons. 
Sur les 23 études, 8 présentaient un risque de biais élevé en raison d’une absence d’insu, et seulement 7 études présentaient un faible risque de biais. Les 8 autres études présentaient un risque de biais indéterminé en raison d’informations insuffisantes sur la randomisation et/ou la mise en aveugle. Conjugué au degré de précision des résultats (faible à très faible dans 10 comparaisons directes), cela se traduit par un GRADE faible à très faible pour 15 des 23 comparaisons directes. Lors de l’extraction des données, une distinction a été faite entre l’abstinence continue et l’abstinence à prévalence ponctuelle, mais cette distinction n’a pas été reprise pour mesurer les résultats de la méta-analyse. La manière de mesurer l’abstinence (biochimiquement ou par auto-déclaration) n’est pas non plus prise en compte.
Les chercheurs présentent les résultats de la méta-analyse en réseau à l’aide d’un réseau graphique et d’un tableau matriciel. Ils utilisent la courbe de classement cumulatif (SUCRA) pour comparer l’efficacité des traitements. D’importantes lacunes méthodologiques ont été mises en évidence et font l’objet d’une discussion dans un autre article (12). Enfin, nous constatons un certain laxisme dans la présentation de l’échantillon de population. En effet, le texte mentionne l’inclusion de 13480 fumeurs, alors que, dans un tableau récapitulatif des 23 études, la somme du nombre de participants est égale à 13560. 

 

Evaluation des résultats 

Les résultats de cette méta-analyse en réseau montrent qu’une combinaison de thérapie comportementale et de pharmacothérapie est supérieure à la monothérapie. Cela confirme le résultat d’une précédente synthèse méthodique Cochrane (10). Cependant, d’autres résultats contredisent les recherches antérieures. Par exemple, par rapport aux soins habituels, les personnes ont moins réussi à arrêter de fumer avec la varénicline (OR de 13,02 avec IC à 95% de 5,18 à 32,74) qu’avec la substitution nicotinique (OR de 31,59 avec IC à 95% de 9,72 à 102,70), ce qui signifierait que la substitution nicotinique serait 2,4 fois plus efficace que la varénicline. Cela contredit les précédentes recherches scientifiques (13,14). Cet écart peut être dû à une imprécision des résultats (larges intervalles de confiance qui se chevauchent) ou à une hétérogénéité importante des « soins habituels » avec lesquels les comparaisons ont été faites. 
Selon la SUCRA, l’association d’une thérapie cognitivo-comportementale et de bupropion serait la meilleure thérapie. La SUCRA donne en outre d’autres résultats étonnants. Par exemple, le bupropion en monothérapie est mieux classé (51%) que le bupropion associé à des conseils (35,9%), ce qui contredit les recherches précédentes (10). De plus, le placebo (34,8%) est mieux classé que la substitution nicotinique (33,1%), ce qui signifierait que le placebo serait plus efficace que la substitution nicotinique. Il est également curieux que la varénicline en monothérapie obtienne de meilleurs résultats que le bupropion. En association avec la thérapie cognitivo-comportementale, le bupropion obtient apparemment de meilleurs résultats que la varénicline associée à des conseils, ce qui s’explique difficilement. Mais ces résultats ne permettent pas de tirer de conclusion étant donné l’importante hétérogénéité clinique en termes de population étudiée (on ne sait même pas s’il s’agit d’une BPCO légère, modérée ou sévère), de paramètres d’intervention (durée, suivi...) et de mesure des résultats (arrêt du tabac autodéclaré ou déterminé biochimiquement) et la grande incohérence entre les comparaisons directes et indirectes (12).
Enfin, on peut aussi se demander dans quelle mesure il est opportun de combiner des études sur ce thème qui ont été menées il y a plus de 30 ans et des études (plus) récentes pour élargir les connaissances, tant en ce qui concerne les caractéristiques des participants que celles des interventions. Une proportion importante de ces études ont été menées en Chine (9/23 ; 28% de tous les participants), avec une prévalence du tabagisme très élevée, en particulier parmi la population masculine.

 

Que disent les guides de pratique clinique

Les guides élaborés dans le cadre du projet TOB-G (Tobacco Cessation Guidelines for High-Risk Groups), financé par l’Union européenne, recommandent la combinaison de conseils intensifs et d’une pharmacothérapie comme stratégie la plus efficace pour l’arrêt du tabac chez les patients atteints de BPCO (15).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse en réseau montre que l’association de traitements médicamenteux et non médicamenteux conduit à un taux d’abstinence plus important chez les patients BPCO fumeurs qui souhaitent arrêter de fumer. Cette analyse ne nous permet toutefois pas de déterminer quelle combinaison est la plus efficace. 

 

 

 


Références 

  1. Singh D, Agusti A, Ansueto A, et al., Global strategy for the diagnosis, management, and prevention of chronic obstructive lung disease: the GOLD science committee report 2019. Eur Respir J 2019;53:1900164. DOI: 10.1183/13993003.00164-2019 
  2. Vos T, Lim SS, Abbafati C. et al, GBD 2019 Disease and Injuries Collaborators. Global burden of 369 diseases and injuries in 204 countries and territories, 1990-2019: a systematic analysis fort he Global Burden of Disease Study 2019. Lancet 2020;396:1204-22. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)30925-9 
  3. Wijnant SA, Lahousse L, De Buyzere ML, et al. Prevalence of asthma and COPD and blood eosinophil count in a middle-aged Belgian population, J Clin Med 2019;8:1122. DOI: 10.3390/jcm8081122
  4. U.S. Department of Health and Human Services. The Health Consequences of Smoking: 50 Years of Progress. A report of the surgeon general. Centers for Disease Control and Prevention, National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, Office on Smoking and Health, 2014.
  5. U.S. Department of Health and Human Services. Smoking cessation. A report of the surgeon general. Centers for Disease Control and Prevention, National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, Office on Smoking and Health, 2020.
  6. GOLD. Global strategy for the diagnosis, management, and prevention of chronic obstructive pulmonary disease. 2020 GOLD report.  
  7. Volpato E, Toniolo S, Pagnini F, Banfi P. The relationship between anxiety, depression and treatment adherence in chronic obstructive pulmonary disease: a systematic review. Int J Chron Dis 2021:16:2001-21. DOI: 10.2147/COPD.S313841
  8. Chevalier P. Succès d’une intervention comportementale pour l’arrêt du tabac chez des patients avec BPCO. Minerva Analyse 15/11/2014.
  9. Lou P, Zhu Y, Chen P, et  al. Supporting smoking cessation in chronic obstructive pulmonary disease with behavioral intervention: a randomized controlled trial. BMC Fam Pract 2013;14:91. DOI: 10.1186/1471-2296-14-91
  10. Van Eerd EA, Van der Meer RM, Van Schayck OC, Kotz D, et al Smoking cessation for people with chronic obstructive pulmonary disease. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD010744.pub2
  11. Wei X., Guo K., Shang X, et al. Effects of different interventions on smoking cessation in chronic obstructive pulmonary disease patients: a systematic review and network meta-analysis. Int J Nurs Stud 2022;136:104362. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2022.104362
  12. Poelman T. La surface sous la courbe de classement cumulatif (Surface Under the Cumulative RAnking, SUCRA) est-elle une manière fiable d’interpréter les résultats d’une méta-analyse en réseau sur le plan clinique ? MinervaF 2023(22);4:83-6
  13. Guo K, Wang S, Shang X, et al The effect of varenicline and bupropion on smoking cessation: a network meta-analysis of 20 randomized controlled trials. Addict Behav 2022; 131:107329. DOI: 10.1016/j.addbeh.2022.107329
  14. Guo K, Zhou L, Shang X, et al Varenicline and related interventions on smoking cessation: a systematic review and network analysis. Drug Alcohol Depend 2022;241:109672. DOI: 10.1016/j.drugalcdep.2022.109672
  15. Behrakis P. TOB-G: tobacco cessation guidelines for high risk populations. Tob Prev Cessation 2016;2(April Supplement):39. DOI: 10.18332/tpc/62428

 




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