Revue d'Evidence-Based Medicine



Vaut-il mieux prendre les antihypertenseurs le matin ou le soir ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 4 Page 74 - 78

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Mackenzie IS, Rogers A, Poulter NR, et al; TIME Study Group. Cardiovascular outcomes in adults with hypertension with evening versus morning dosing of usual antihypertensives in the UK (TIME study): a prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint clinical trial. Lancet 2022;400:1417-25. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)01786-X


Question clinique
Y a-t-il un avantage clinique à ce que les patients avec hypertension artérielle prennent les antihypertenseurs le soir plutôt que le matin ?


Conclusion
Cette étude de supériorité prospective, pragmatique, décentralisée, randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, menée en ouvert, avec évaluation de l’effet effectuée en aveugle, n’a démontré aucune différence entre la prise de médicaments antihypertenseurs le matin et leur prise le soir quant au critère de jugement composite combinant les événements cardiovasculaires. En raison du choix d’un protocole de supériorité et d’un possible biais de sélection lors du recrutement, nous ne pouvons pas tirer de conclusion définitive au sujet du moment idéal de la prise des antihypertenseurs.


Contexte

Les études cliniques menées à la fin du XXe siècle qui ont démontré les bénéfices cardiovasculaires du traitement de l’hypertension artérielle se basaient sur une prise matinale des antihypertenseurs (1). Le risque accru de nycturie avec les diurétiques thiazidiques, qui, déjà à l’époque, étaient un traitement de premier choix, était un argument supplémentaire en faveur de la prise matinale. Plus tard, la surveillance ambulatoire de la tension artérielle sur 24 heures a permis de découvrir le profil circadien typique de la courbe de pression artérielle obtenue, ainsi que son absence chez certains patients hypertendus. L’absence de diminution nocturne de cette courbe voire son augmentation nocturne entraîne un moins bon pronostic clinique (2,3). La valeur ajoutée de la prise vespérale des antihypertenseurs a donc été étudiée plus en détail. À ce sujet, Minerva a discuté d’une étude menée chez des patients atteints de diabète de type 2 et d’hypertension artérielle bien contrôlés sans antécédents de maladie cardiovasculaire (4,5). Si au moins un médicament antihypertenseur était pris le soir, on observait moins d’événements cardiovasculaires. Nous avons également indiqué une étude plus vaste du même groupe d’étude espagnol chez des patients chez qui une hypertension artérielle avait été diagnostiquée et qui étaient sous surveillance ambulatoire de leur pression artérielle (6,7). Cette étude montrait que l’administration d’au moins un médicament antihypertenseur au coucher réduisait de moitié le risque d’événements cardiovasculaires majeurs, par rapport à la prise de tous les médicaments antihypertenseurs au réveil. Cependant, les études citées ici présentent d’importantes limites méthodologiques, et il existe même des doutes quant à savoir si cette dernière étude est une véritable étude randomisée contrôlée. Une nouvelle étude très attendue sur ce sujet, l’étude TIME (8), visait à apporter plus de certitude à ce propos. 

 

 

Résumé

Population étudiée

  • recrutement via un tri dans les listes de patients de soins primaires du NHS (National Health Service) du Royaume-Uni, suivi de l’orientation des patients qui pouvaient éventuellement convenir pour participer
  • critères d’inclusion : résider au Royaume-Uni, être âgé d’au moins 18 ans, présenter une hypertension artérielle et prendre au moins un médicament antihypertenseur par jour, être inscrit auprès d’un médecin généraliste au Royaume-Uni, disposer d’une adresse électronique 
  • critères d’exclusion : travail de nuit, prise d’antihypertenseurs à raison de plus d’une dose par jour
  • sur 24610 personnes sélectionnées, 21104 ont finalement été incluses ; âge moyen : 65,1 ans (ET 9,3 ans) ; 57,5% de sexe masculin et 42,5% de sexe féminin ; 90% de caucasiens ; tension artérielle moyenne de 135/79 mmHg ; BMI moyen de 28,4 kg/m² ; 12,9% avaient des antécédents de maladie cardiovasculaire. 

 

Protocole de l’étude

Étude de supériorité prospective, pragmatique,décentralisée, randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, menée en ouvert, l’évaluation de l’effet étant effectuée en aveugle

  • deux groupes intervention : 
    • prise de tous les antihypertenseurs le soir entre 20 heures et minuit (n = 10503), à l’exception des diurétiques dont la prise était autorisée en début de soirée (18 heures) en cas de nycturie persistante
    • prise de tous les antihypertenseurs le matin entre 6 h et 10 h (n = 10601)
  • après la randomisation, les participants qui avaient un tensiomètre à domicile ont été invités à mesurer leur tension le matin et le soir et à envoyer les résultats des mesures au centre de recherche via un portail en ligne une fois par trimestre.
  • les participants ont été invités à remplir un questionnaire en ligne une fois par trimestre à compter d’un mois après la randomisation ; il s’agissait d’évaluer dans quelle mesure les médicaments antihypertenseurs étaient pris au moment attribué et si des événements cardiovasculaires ou des événements indésirables s’étaient produits
  • les hospitalisations et les décès ont été obtenus via NHS Digital.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : critère d’évaluation cardiovasculaire composite combinant décès de cause vasculaire et hospitalisation pour infarctus du myocarde non mortel ou pour accident vasculaire cérébral non mortel
  • critère de jugement secondaire : hospitalisation pour infarctus du myocarde non mortel, hospitalisation pour accident vasculaire cérébral non mortel, décès de cause vasculaire, mortalité toutes causes confondues, hospitalisation ou décès en raison d’une insuffisance cardiaque, observance du schéma thérapeutique attribué, événements indésirables, hospitalisation pour glaucome
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • le suivi médian était de 5,2 ans (écart interquartile 4,9 - 5,7)
  • 529 patients (5%) du groupe « prise le soir » et 318 patients (3%) du groupe « prise le matin » se sont retirés de l’étude
  • pour le critère de jugement principal, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes
  • pour le critère de jugement secondaire « événements cardiovasculaires » et « décès », il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes
  • il y avait une différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à l’observance rapportée concernant le schéma thérapeutique assigné : non-observance chez 39% du groupe « prise le soir » contre 22,5% du groupe « prise le matin » (p < 0,0001) ; l’heure de prise des diurétiques a également été davantage adaptée dans le groupe « prise le soir » (5,2%) que dans le groupe « prise le matin » (0,7%) (p < 0,0001)
  • moins de chutes ont été signalées dans le groupe « prise le soir » que dans le groupe « prise le matin » (21,1% contre 22,2% ; p = 0,048), sans différence quant aux fractures enregistrées
  • il n’y avait pas de différence entre les deux groupes quant aux hospitalisations pour glaucome
  • moins de patients du groupe « prise le soir » que du groupe « prise le matin » ont signalé un ou plusieurs événements indésirables (69,2% contre 70,5% ; p = 0,041) ; les étourdissements, les maux d’estomac, la diarrhée et la faiblesse musculaire étaient moins fréquents dans le groupe « prise le soir » ; la pollakiurie et la nycturie étaient plus fréquentes dans le groupe « prise le soir »
  • la tension moyenne au matin était plus basse dans le groupe « prise le soir » (systolique inférieure de 1,8 mmHg (p < 0,0001) et diastolique inférieure de 0,4 mmHg (p = 0,023)), tandis que la tension moyenne au soir était plus basse dans le groupe « prise le matin » (systolique inférieure de 1,1 mmHg (p < 0,0001) et diastolique inférieure de 0,9 mmHg (p = 0,0001)). 

 

Conclusion des auteurs

Il n’y avait pas de différence quant aux événements cardiovasculaires majeurs entre la prise des médicaments antihypertenseurs le soir et la prise le matin. Pour limiter la survenue d’effets indésirables, il peut être conseillé aux patients de prendre leurs médicaments antihypertenseurs habituels au moment qui leur convient le mieux.

 

Financement de l’étude

Université de Dundee (Écosse) et analyse des données Université de Glasgow (Royaume-Uni)

 

Conflits d’intérêt des auteurs
Tous les auteurs sont des experts de l’hypertension artérielle et ont été consultés par plusieurs firmes pharmaceutiques.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cette étude d’intervention pragmatique à grande échelle avec un recrutement objectif a randomisé des patients traités pour une hypertension artérielle connue, principalement à partir des listes de patients de soins primaires du National Health Service (NHS) du Royaume-Uni. Cependant, il existe un risque de biais de sélection parce que les personnes les plus soucieuses de leur santé peuvent avoir plus facilement accepté l’invitation à participer. Ceci est illustré par le fait qu’il y a moins de fumeurs (4%) que dans la population générale et que le nombre d’événements cardiovasculaires est inférieur à ce que prévoyaient les récentes études en population (9). De plus, un nombre impressionnant de patients disposent d’un tensiomètre à domicile et soumettent consciencieusement leurs mesures (82% dans le groupe « prise le soir » et 80% dans le groupe « prise le matin »). Il est mentionné que d’autres canaux de recrutement que la base de données du NHS ont été utilisés, mais les données à ce sujet font défaut. Les questionnaires sur les résultats cardiovasculaires et les événements indésirables étaient des questionnaires auto-administrés, ce qui peut avoir conduit à un biais de notification.
La répartition aléatoire entre les deux groupes d’étude a été effectuée au moyen d’un algorithme informatique, et les patients ont été informés de leur attribution par courrier électronique. L’étude ne pouvait être menée qu’en ouvert vu que ni les patients ni les investigateurs ne pouvaient être en insu du moment de la prise des médicaments antihypertenseurs. L’évaluation a bien été effectuée en aveugle, ce qui réduit le risque de biais de détection.. Rien n'est dit sur le rôle du médecin généraliste ou du pharmacien dans le protocole. Il est possible que de nombreuses personnes du groupe du soir n'aient pas pu abandonner leur comportement habituel (prise de médicaments le matin) parce qu'elles n'ont pas pu en discuter suffisamment avec leur médecin généraliste ou leur pharmacien, ce qui pourrait expliquer la moins bonne observance dans le groupe du soir.
Les chercheurs ont calculé que 631 participants au moins devaient être inclus afin de démontrer une différence de 20% au niveau du critère principal entre la prise du soir et la prise du matin avec une puissance de 80%. Cependant, comme d’autres études avec des patients similaires ont trouvé un taux inférieur d’événements cardiovasculaires (10), la taille de l’échantillon a été augmentée à 20000. Il s’agit donc d’une augmentation très significative de la taille de l’échantillon, or les données mathématiques au sujet de cet ajustement ne sont pas disponibles. 
Les investigateurs optent pour une « étude de supériorité » et procèdent donc, à juste titre, à une analyse en intention de traiter. D’un point de vue méthodologique, nous pouvons donc seulement conclure qu’il n’y a « aucune preuve d’une différence », mais nous ne pouvons pas étayer « une preuve de l’absence de différence » (11). 

 

Discussion des résultats

En ce qui concerne l’effet sur le critère de jugement principal, après 5,2 ans de suivi, il ne semblait pas y avoir de différence entre la prise de tous les antihypertenseurs le soir par rapport à leur prise le matin. La possibilité d’extrapoler cette étude britannique aux soins primaires en Belgique est hypothéquée par le possible biais de sélection des participants, qui a été mentionné plus haut.
À domicile, les pressions artérielles systolique et diastolique du matin étaient légèrement plus élevées dans le groupe « prise le soir » ; en revanche, celles du soir étaient légèrement plus élevées dans le groupe « prise le matin ». Ces petites différences complémentaires de pression artérielle pourraient-elles expliquer l’absence de différence au niveau du critère de jugement principal entre la prise du soir et celle du matin ? Remarquons néanmoins que les auto-mesures n’ont pas toujours été effectuées avec un appareil validé, ni testées par rapport à une surveillance ambulatoire de la pression artérielle sur 24 heures. Il n’a pas non plus été possible de montrer, pour le critère de jugement principal, des différences dans les analyses de sous-groupes préalablement définies. Ni l’âge, ni les antécédents cardiovasculaires, ni la classe d’antihypertenseurs n’ont donné un résultat différent. Il est possible que cela cache un manque de puissance dans certains sous-groupes cliniques. Dans certaines circonstances, il peut être cliniquement pertinent de savoir si un groupe de médicaments donné doit être pris de préférence le matin ou le soir. Il est donc certainement utile de poursuivre les recherches dans des sous-groupes tels que les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, les patients chez qui la pression artérielle nocturne ne baisse pas suffisamment (« non-dippers »), qui présentent une « hypertension nocturne », ceux qui présentent une hypertension systolique isolée.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ni le guide de pratique de Domus Medica, ni les guides de pratique clinique de l’association néerlandaise des médecins de famille (NHG), ni Ebpracticenet ne se prononcent au sujet du moment idéal de la prise des médicaments antihypertenseurs.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de supériorité prospective, pragmatique, décentralisée, randomisée, contrôlée, en groupes parallèles, menée en ouvert, avec évaluation de l’effet effectuée en aveugle, n’a démontré aucune différence entre la prise de médicaments antihypertenseurs le matin et leur prise le soir quant au critère de jugement composite combinant les événements cardiovasculaires. En raison du choix d’un protocole de supériorité et d’un possible biais de sélection lors du recrutement, nous ne pouvons pas tirer de conclusion définitive au sujet du moment idéal de la prise des antihypertenseurs.  

 

 


Références 

  1. Rahimi K, Bidel Z, Nazarzadeh M, et al; The Blood Pressure Lowering Treatment Trialists' Collaboration. Pharmacological blood pressure lowering for primary and secondary prevention of cardiovascular disease across different levels of blood pressure: an individual participant­level data meta­analysis. Lancet 2021;397:1625-36. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)00590-0
  2. De Cort P. Augmentation nocturne de la pression artérielle et risque cardiovasculaire. Minerva Analyse 15/5/2021.
  3. Kario K, Pickering TG, Matsuo T, et al. Stroke prognosis and abnormal nocturnal blood pressure falls in older hypertensives. Hypertension 2001;38:852-57. DOI: 10.1161/hy1001.092640
  4. Laekeman G. Prise d’au moins un antihypertenseur le soir ? MinervaF 2012;11(1):6-7.
  5. Hermida RC, Ayala DE, Mojon A, Fernandez JR. Influence of time of day of blood pressure-lowering treatment on cardiovascular risk in hypertensive patients with type 2 diabetes. Diabetes Care 2011;34:1270-6. DOI: 10.2337/dc11-0297
  6. Van der Linden L. Que penser de la prise d’au moins un antihypertenseur au coucher ? MinervaF 2020;19(8):94-7.
  7. Hermida RC, Crespo JJ, Dominguez-Sardina M et al. Bedtime hypertension improves cardiovascular risk reduction: het Hygia Chronotherapy Trial. Eur Heart J 2019;ehz 754. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz754
  8. Mackenzie IS, Rogers A, Poulter NR, et al; TIME Study Group. Cardiovascular outcomes in adults with hypertension with evening versus morning dosing of usual antihypertensives in the UK (TIME study): a prospective, randomised, open-label, blinded-endpoint clinical trial. Lancet 2022;400:1417-25. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)01786-X
  9. Tapela N, Collister J, Clifton L, et al. Prevalence and determinants of hypetension control among almost 100000 treated adults oin the UK. Open Heart 2021;8: e001461. DOI: 10.1136/openhrt-2020-001461
  10. Mackenzie IS, Ford I, Nuki G, et al. Long­term cardiovascular safety of febuxostat compared with allopurinol in patients with gout (FAST): a multicentre, prospective, randomised, open­label, non­inferiority trial. Lancet 2020;396:1745-57. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)32234-0
  11. Chevalier P. Etudes d’équivalence versus études d’infériorité ou de supériorité. MinervaF 2009;9(8):116.




Ajoutez un commentaire

Commentaires