Revue d'Evidence-Based Medicine



Les suppresseurs vestibulaires sont-ils efficaces en cas de vertige positionnel paroxystique bénin ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 6 Page 109 - 112

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Sharif S, Khoujah D, Greer A, et al. Vestibular suppressants for benign paroxysmal positional vertigo: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Acad Emerg Med 2023;30:541-51. DOI: 10.1111/acem.14608


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’emploi des suppresseurs vestibulaires chez les adultes atteints de vertiges positionnels paroxystiques bénins par comparaison avec l’absence de traitement, avec un traitement placebo ou avec une manœuvre thérapeutique ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les suppresseurs vestibulaires n’ont aucun effet positif sur les symptômes du vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB). Les manœuvres thérapeutiques ont montré une valeur ajoutée par rapport aux suppresseurs vestibulaires, mais cette étude ne permet pas de savoir clairement quelle est la pertinence clinique du résultat. La synthèse méthodique est de bonne qualité méthodologique mais basée sur un nombre limité d’études randomisées contrôlées avec un faible nombre de patients et un risque élevé de biais, de sorte que la certitude des preuves pour tous les résultats est faible à très faible. De plus, il existe également une hétérogénéité clinique importante, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats.


Contexte 

Parmi les patients qui ont des vertiges, environ 25% sont atteints de vertiges positionnels paroxystiques bénins (VPPB) (1). Le VPPB est causé par le détachement de cristaux de carbonate de calcium provenant de l’utricule et qui migrent dans les canaux semi-circulaires (2). Des manœuvres thérapeutiques sont recommandées pour le traitement du VPPB (1). Dans Minerva, nous avons discuté d’une synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique qui montrait que la manœuvre d’Epley est plus efficace qu’une manœuvre placebo pour le traitement du VPPB. Nous n’avons toutefois pas pu tirer de conclusion concernant la place de la manœuvre d’Epley par rapport aux autres manœuvres thérapeutiques et aux exercices réalisés par le patient lui-même (3,4). En raison d’un rapport bénéfice/risque défavorable, les suppresseurs vestibulaires (tels que les antihistaminiques, les benzodiazépines, les anticholinergiques, les phénothiazines) ne sont pas recommandés (1). Les résultats d’une synthèse méthodique, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, à partir d’études avec un petit nombre de patients, suggèrent que les antihistaminiques en monodose peuvent être efficaces pour le traitement des vertiges aigus et qu’ils sont plus efficaces que les benzodiazépines en monodose (5,6). Les antihistaminiques n’étaient cependant pas plus efficaces que les autres comparateurs actifs (ondansétron, métoclopramide, dropéridol) (5,6). À partir d’une autre synthèse méthodique avec méta-analyse d’études très hétérogènes, pour la plupart de faible qualité méthodologique, nous avons conclu que, chez les patients souffrant de vertiges épisodiques (généralement maladie de Ménière ou VPPB), la bétahistine avait un effet bénéfique sur la fréquence, la durée et/ou l’intensité des épisodes de vertige, par comparaison avec un placebo (7,8).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

 

Synthèse méthodique et méta-analyse (9).

 

Sources consultées

  • MEDLINE, Cochrane, EMBASE, ClinicalTrials.Gov ; jusqu’au 25 mars 2022
  • abstracts des congrès de l’American Neurotology Society, de l’American Otological Society et de l’American Academy of Otolaryngology-Head&Neck
  • listes de références des études incluses
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées examinant l’effet des antihistaminiques, des benzodiazépines, des anticholinergiques et des phénothiazines versus placebo, à l’absence de traitement ou à une manœuvre thérapeutique chez des patients adultes ≥ 18 ans atteints de VPPB du canal semi-circulaire postérieur
  • critères d’exclusion : patients atteints d’une variante du VPPB, comme le VPPB du canal horizontal ; études avec bétahistine ; études portant sur des médicaments pour des vertiges non aigus persistant après une manœuvre thérapeutique
  • finalement, inclusion de 6 études randomisées contrôlées (RCT) monocentriques, dont 1 RCT croisée, avec 6 à 52 patients par groupe de traitement ; 2 études examinaient l’effet des médicaments par rapport à un placebo, et 4 études comparaient les médicaments avec une manœuvre thérapeutique ; les médicaments étudiés étaient des benzodiazépines (diazépam 3 x 5 mg/jour ou lorazépam 3 x 1 mg/jour) (N = 1 étude) ; benzodiazépines, antihistaminiques, antiémétiques et/ou liquide intraveineux (N = 1 étude) ; un antihistaminique (cinnarizine 3 x 25 mg/jour dans 2 études et flunarizine 1 x 10 mg/jour dans 1 étude) et une préparation associant un antagoniste des récepteurs GABA-A et un antihistaminique (N = 1 étude) ; la durée du traitement allait de la durée de l’intervention dans le service des urgences (N = 1) à 1 semaine (N = 1), 2 semaines (N = 2), 4 semaines (N = 1) et 2 mois (N = 1) ; le suivi variait de ≤ 30 jours (N = 5) à 180 jours (N = 1).

 

Population étudiée

  • 296 patients adultes âgés en moyenne de 32 à 75 ans (1 étude incluait des patients ayant plus de 60 ans) qui s’étaient présentés au service des urgences (N = 1) ou à la consultation externe d’une clinique (N = 5) pour VPPB aigu du canal semi-circulaire postérieur, confirmé au moyen de la manœuvre de Dix-Hallpike.

 

Mesure des résultats

  • critères d’évaluation tirés des études incluses : résolution des symptômes dans les 24 heures, résolution des symptômes à la fin du suivi, visites répétées à l’hôpital dans un service d’urgence ou un service de consultation externe en cas de récidive, satisfaction des patients, qualité de vie et événements indésirables
  • méta-analyse à effets aléatoires 
  • résultats exprimés en différence moyenne (standardisée) (DMS) pour les critères d’évaluation continus et en différence de risque absolu et risque relatif pour les variables dichotomiques.

 

Résultats

  • pas de différence statistiquement significative entre les suppresseurs vestibulaires et le contrôle (placebo ou manœuvre thérapeutique) en termes de résolution des symptômes en tant que variable continue à la fin du suivi (N = 2 et n = 63 ; I² = 0% ; faible niveau de certitude)
  • à la fin du suivi, on a observé plus de résolution des symptômes comme variable dichotomique avec les manœuvres thérapeutiques qu’avec les suppresseurs vestibulaires (différence absolue de risque de 33,6% avec IC à 95% de 43,6% à 20% ou RR de 0,63 avec IC à 95% de 0,52 à 0,78 ; N = 2 et n = 115 ; I² = 0% ; faible niveau de certitude)
  • aucun effet des suppresseurs vestibulaires dans les 24 heures par rapport à la manœuvre thérapeutique sur la résolution des symptômes en tant que variable continue (N = 1 et n = 26 ; niveau de confiance très faible) 
  • aucune différence entre les suppresseurs vestibulaires et la manœuvre thérapeutique quant aux visites répétées à l’hôpital (N = 1 et n = 26), quant à la satisfaction des patients (N = 1 et n = 26) et quant à la qualité de vie (N = 1 et n = 26), chaque fois avec un très faible niveau de certitude
  • aucun événement indésirable signalé dans une étude comparant les suppresseurs vestibulaires à l’absence de traitement ou à une manœuvre thérapeutique (N = 1 et n = 104 ; très faible niveau de certitude).

 

Conclusion des auteurs

Chez les patients atteints de vertiges positionnels paroxystiques bénins (VPPB), il est peu probable que les suppresseurs vestibulaires aient un effet sur la résolution à long terme des symptômes. Il existe cependant des preuves de la supériorité des manœuvres thérapeutiques par rapport au traitement pharmacologique. On ne sait pas quel effet ont les suppresseurs vestibulaires sur la résolution des symptômes dans les 24 heures, sur les visites répétées à l’hôpital ou au service des urgences, sur la satisfaction des patients, sur la qualité de vie et sur les événements indésirables. Ces résultats suggèrent que le traitement de choix du VPPB devrait consister en manœuvres thérapeutiques plutôt qu’en l’administration de suppresseurs vestibulaires.

 

Financement de l’étude

Le premier auteur a reçu un « Medicine Early Career Award » de la Faculté de médecine de l’Université McMaster (Hamilton, Canada). Aucun autre financement n’est mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Pas de mention de conflits d’intérêt déclaré.

 

 

Discussion

 

Discussion de la méthodologie

Le protocole de la synthèse méthodique a été préenregistré sur PROSPERO, et les modifications ultérieures sont rapportées et justifiées dans l’article. Par exemple, après la publication du protocole, il a été décidé d’exclure les études portant sur le traitement médicamenteux des vertiges non aigus persistant après une manœuvre thérapeutique parce que la population étudiée est différente. La recherche documentaire dans diverses bases de données a été décrite en détail. Deux auteurs de la revue, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné les études. En cas de désaccord, un consensus était recherché, éventuellement avec l’intervention d’un troisième chercheur. La méthodologie des études a également été évaluée par deux chercheurs indépendants à l’aide de l’outil Cochrane évaluant le risque de biais (risk of bias, RoB) 2.0. La certitude des preuves pour les différents résultats a également été exprimée en consensus avec GRADE en tenant compte du risque de biais, de l’incohérence, du caractère indirect, de l’imprécision et des biais de publication. Pour toutes les études, le risque de biais était globalement élevé. Plus précisément, pour 4 des 6 études, il y avait probablement un risque élevé de biais de détection, sans doute parce qu’on ne sait pas si les praticiens responsables du traitement étaient différents des évaluateurs de l’effet ni si l’évaluation de l’effet a été effectuée en aveugle. Avec l’imprécision (du fait que les populations étudiées étaient de petits échantillons), le risque élevé de biais est la principale raison pour laquelle la certitude des données probantes pour tous les critères de jugement était faible à très faible. En outre, il existe également une hétérogénéité clinique importante due aux grandes différences dans les durées de traitement et dans les durées de suivi et aux différents mécanismes d’action des médicaments étudiés.

 

Discussion des résultats

Cette étude ne peut donc pas démontrer un effet positif des suppresseurs vestibulaires sur la résolution des symptômes, ni à court terme ni à long terme. En outre, aucun effet sur les visites répétées à l’hôpital, sur la satisfaction des patients et sur la qualité de vie n’a pu être observé. On ne peut pas non plus tirer de conclusions concernant la prévention des effets indésirables. Nous devons toutefois faire remarquer que les études portant sur la bétahistine ont été exclues en raison de l’hétérogénéité clinique. Tout cela signifie que l’équilibre entre le bénéfice et le risque des suppresseurs vestibulaires pour le traitement du VPPB tend à être en leur défaveur plutôt qu’en leur faveur. Comme les manœuvres thérapeutiques sont peut-être supérieures aux médicaments, les auteurs concluent à juste titre qu’en pratique, il vaut mieux inciter les médecins à effectuer une manœuvre thérapeutique que de prescrire un médicament. En raison de l’hétérogénéité clinique (la manœuvre d’Epley a été utilisée dans une étude, et la manœuvre de Semont dans une étude), cette étude ne permet pas de savoir quelle manœuvre thérapeutique est à privilégier. De plus, les résultats ne permettent pas de savoir quelle est la pertinence clinique de l’effet obtenu. 

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Pour le traitement du vertige paroxystique bénin du canal semi-circulaire postérieur, Ebpracticenet (1) recommande principalement des manœuvres thérapeutiques. Les plus couramment utilisées sont la manœuvre d’Epley et la manœuvre de Semont. Si la réponse au traitement est insuffisante, il peut être utile de refaire la manœuvre. Un patient motivé peut également apprendre à effectuer les exercices de Brandt-Darroff chez lui. Le patient peut être adressé à un kinésithérapeute pour les manœuvres thérapeutiques et pour apprendre les exercices. Dans les cas résistants au traitement, le patient doit consulter un ORL. Les suppresseurs vestibulaires et les anxiolytiques présentent une balance bénéfice-risque défavorable.

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que les suppresseurs vestibulaires n’ont aucun effet positif sur les symptômes du vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB). Les manœuvres thérapeutiques ont montré une valeur ajoutée par rapport aux suppresseurs vestibulaires, mais cette étude ne permet pas de savoir clairement quelle est la pertinence clinique du résultat. La synthèse méthodique est de bonne qualité méthodologique mais basée sur un nombre limité d’études randomisées contrôlées avec un faible nombre de patients et un risque élevé de biais, de sorte que la certitude des preuves pour tous les résultats est faible à très faible. De plus, il existe également une hétérogénéité clinique importante, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats.

 

 

 


Références 

  1. Vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB). Duodecim Medical Publications. Mis à jour par le producteur: 06/09/2017. Screené par Ebpracticenet: 2018.
  2. Epley JM. Positional vertigo related to semicircular canalithiasis. Otolaryngol Head Neck Surg 1995;112:154-61. DOI: 10.1016/S0194-59989570315-2
  3. Poelman T. Vertige paroxystique bénin : manœuvres thérapeutiques efficaces ? MinervaF 2011;10(7):88-9.
  4. Helminski JO, Zee DS, Janssen I, Hain TC. Effectiveness of particle repositioning maneuvers in the treatment of benign paroxysmal positional vertigo: a systematic review. Phys Ther 2010;90:663-78. DOI: 10.2522/ptj.20090071
  5. Saubry MI. Efficacité des benzodiazépines ou des antihistaminiques pour des patients présentant un vertige aigu quelle qu’en soit la cause sous-jacente? MinervaF 2023;22(3):50-3.
  6. Hunter BR, Wang AZ, Bucca AW, et al. Efficacy of benzodiazepines or antihistamines for patients with acute vertigo: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2022;79:846-55. DOI: 10.1001/jamaneurol.2022.1858
  7. Dhooge I, Acke F. Bétahistine en cas de vertiges? Minerva Analyse 15/12/2017.
  8. Murdin L, Hussain K, Schilder AG. Betahistine for symptoms of vertigo. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD010696.pub2
  9. Sharif S, Khoujah D, Greer A, et al. Vestibular suppressants for benign paroxysmal positional vertigo: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Acad Emerg Med 2023;30:541-51. DOI: 10.1111/acem.14608


Auteurs

Dhooge I.
Dienst Neus-, Keel- en Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Acke F.
Dienst Neus-, Keel- en Oorheelkunde, Universitair Ziekenhuis Gent
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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