Revue d'Evidence-Based Medicine



Effet de l’augmentation de la consommation de protéines sur la masse maigre et sur la force musculaire chez les personnes âgées



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 6 Page 113 - 117

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste

Analyse de
Kirwan RP, Mazidi, M, Rodriguez Garcia C, et al. Protein interventions augment the effect of resistance exercise on appendicular lean mass and handgrip strength in older adults: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Clin Nutr 2022;115:897-913. DOI: 10.1093/ajcn/nqab355


Question clinique
Quel est l’effet d’une alimentation riche en protéines, d’une alimentation enrichie en protéines et de suppléments protéinés, avec ou sans exercices de résistance supplémentaires, sur la masse maigre et sur la force musculaire chez les personnes âgées ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de RCTs présentant un risque de biais modéré à élevé montre qu’une augmentation de l’apport en protéines entraîne une augmentation de la masse maigre appendiculaire et de la force de préhension des mains chez les personnes âgées qui participent également à un entraînement en résistance, plus précisément dans un petit groupe de « personnes âgées fragiles, présentant une sarcopénie ou une obésité sarcopénique ». La taille d’effet est toutefois relativement faible, ce qui fait que la pertinence clinique n’est pas claire.


Contexte

L’avancée en âge s’accompagne d’une diminution de la force musculaire et de la masse musculaire, ce qui est appelé sarcopénie (1). Cependant, il existe une grande variation interindividuelle dans le pic de masse musculaire et de force musculaire atteint quand on est jeune, ainsi que dans la vitesse à laquelle cette masse musculaire et cette force musculaire diminuent à l’âge adulte (2). Une diminution importante de la force musculaire peut avoir des conséquences néfastes, notamment un risque accru de chutes, un risque accru de fractures, entrainer une inactivité physique, une perte d’autonomie et une diminution de la qualité de vie (2,3). Une récente revue parapluie de synthèses méthodiques avec méta-analyses a montré qu’un apport accru en protéines, associé ou non à des exercices de résistance, avait un effet positif sur la masse musculaire (1). Chez les personnes obèses, il y aurait également un effet bénéfique supplémentaire sur la force musculaire en ajoutant un entraînement en résistance. Dans un commentaire publié en 2022 qui traitait d’une étude clinique avec randomisation par grappe, Minerva a analysé une étude qui concluait qu’un régime enrichi en protéines et en calcium réduisait le risque de fractures chez les personnes âgées résidant en maison de repos et de soins (4,5). L’effet de cette intervention sur la masse musculaire et sur la force musculaire était donc intéressant à aborder (6). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse.

 

Sources consultées

  • PubMed, Medline, Web of Science, Cochrane CENTRAL ; depuis janvier 1990 jusqu’au 17 juillet 2021
  • uniquement des publications complètes en anglais.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées (RCTs) ayant examiné pendant au moins 6 semaines l’effet d’une alimentation riche en protéines, d’une alimentation enrichie en protéines et de suppléments protéinés, avec ou sans entraînement en résistance dans le groupe témoin et/ou dans le groupe d’intervention, sur la masse maigre ou sur la masse maigre appendiculaire (obtenue en additionnant la masse musculaire des deux bras et des deux jambes) (comme critères de jugement principaux) et, si disponible, sur la force musculaire (comme critère de jugement secondaire) chez des personnes âgées ayant en moyenne plus de 50 ans 
  • critères d’exclusion : interventions avec une composante de restriction énergétique ; interventions avec des suppléments d’acides aminés isolés, ainsi que l’administration de stéroïdes anabolisants, d’hormones, de vitamines ou de suppléments qui stimulent l’hypertrophie (comme la créatine ou les acides gras oméga-3)
  • finalement, inclusion de 28 RCTs (dont 22 ont été incluses dans la méta-analyse) avec 12 à 196 participants par étude et une durée d’intervention de 10 à 104 semaines ; l’intervention consistait en la consommation de boissons protéinées supplémentaires (N = 21), une alimentation riche en protéines (N = 5) et des protéines supplémentaires ajoutées à l’alimentation (N = 2) ; 19 études ont utilisé des exercices de résistance dans au moins un bras de l’étude (à l’exception de 2 études, le groupe témoin a effectué les mêmes exercices que le groupe dans lequel la consommation de protéines était augmentée). 

 

Population étudiée 

  • finalement, inclusion de 1926 personnes dont l’âge moyen allait de 61 à 85 ans 
    • dans 17 études, il s’agissait de personnes en bonne santé
    • dans 6 études, de personnes âgées fragiles (définies notamment par une perte de poids involontaire, de la fatigue, une perte de force, un ralentissement de la marche, une faible activité physique, le fait d’être dépendant d’autres personnes)
    • dans 4 études, il s’agissait de personnes âgées atteintes de sarcopénie
    • dans 1 étude, de personnes âgées atteintes d’obésité sarcopénique
  • exclusion des populations étudiées présentant des pathologies autres que la sarcopénie et la fragilité, comme un cancer, une maladie cardiovasculaire, un diabète de type 2, une maladie rénale chronique, une cachexie, un déficit immunitaire…

 

Mesure des résultats

  • principaux critères de jugement : masse maigre totale, masse maigre appendiculaire ; généralement mesurée par absorptiométrie biphotonique (Dual Energy X-ray Absorptiometry, DEXA ou DXA) et aussi par analyse d’impédance bioélectrique (Bioelectrical Impedance Analysis, BIA), pesée hydrostatique, imagerie par résonance magnétique (IRM) et/ou pléthysmographie par déplacement d’air
  • critères de jugement secondaires : force, mesurée par la force de préhension de la main ou la force d’extension du genou
  • analyses de sous-groupes, y compris l’entraînement en résistance par rapport à l’absence d’entraînement en résistance.

 

Résultats

  • résultats des critères de jugement primaires : 
    • par comparaison avec un groupe témoin recevant un apport en protéines plus faible, on n’a pas observé, avec un apport en protéines plus important, d’augmentation statistiquement significative de la masse maigre totale (différence moyenne pondérée de 0,34 kg avec IC à 95% de -0,21 à 0,89 ; I² = 90,01% ; N = 21 et n = 967) ; aucune différence quant aux résultats entre les études avec et sans ajout d’exercices de résistance dans les groupes contrôle et intervention 
    • par comparaison avec un groupe témoin recevant un apport en protéines plus faible, on n’a pas observé, avec un apport en protéines plus important, d’augmentation statistiquement significative de la masse maigre appendiculaire (différence moyenne pondérée de 0,4 kg avec IC à 95% de -0,01 à 0,81 ; I² = 90,38% ; N = 10 et n = 467)) 
    • contrairement aux études sans exercice de résistance, les études avec entraînement en résistance ont montré une augmentation statistiquement significative de la masse maigre appendiculaire avec un apport accru en protéines par rapport à un groupe témoin (différence moyenne pondérée de 0,54 kg avec IC à 95% de 0,03 à 1,05 ; I² = 89,76%) 
    • une analyse plus poussée des sous-groupes a montré que cette différence statistiquement significative ne persistait que dans un sous-groupe de personnes âgées fragiles, atteintes de sarcopénie ou d’obésité sarcopénique qui avaient effectué des exercices de résistance
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • par comparaison avec un groupe témoin recevant un apport en protéines plus faible, on n’a pas observé, avec un apport en protéines plus important, d’augmentation statistiquement significative de la force de préhension de la main (N = 11 ; n = 629 ; I² = 94,52%) ou de la force d’extension du genou (N = 8 ; n = 335 ; I² = 95,35%) 
      dans les études avec entraînement en résistance, une augmentation statistiquement significative de la force de préhension a été observée avec un apport accru en protéines (différence moyenne pondérée de 1,71 avec IC à 95% de 0,12 à 3,30 ; N = 4 ; n = 187 ; I² = 88,71%)
    • une analyse plus poussée des sous-groupes a montré que cette différence statistiquement significative ne persistait que dans un sous-groupe de personnes âgées fragiles, atteintes de sarcopénie ou d’obésité sarcopénique qui avaient effectué des exercices de résistance.

 

Conclusion des auteurs

Chez les personnes âgées qui effectuent un entraînement en résistance, l’augmentation de l’apport en protéines entraîne une augmentation de la masse maigre appendiculaire et de la force de préhension, par comparaison avec un groupe témoin chez qui l’apport en protéines est moindre. Sans entraînement en résistance, l’augmentation de l’apport en protéines n’apporte aucun avantage supplémentaire en termes de masse maigre totale, de masse maigre appendiculaire ou de force de préhension.

 

Financement de l’étude

Financée en partie par l’Institute for Health Research de l’Université John Moores de Liverpool. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Un auteur a reçu une forme de soutien, citant un produit alimentaire de Grahams’ Family Dairy ; un auteur a reçu des honoraires pour un symposium organisé par la British Association for Parenteral and Enteral Nutrition et des frais de consultation de Myprotein ; les autres auteurs ne mentionnent pas de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Les chercheurs ont suivi les directives PRISMA pour l’élaboration du rapport de leur synthèse méthodique. La méta-analyse a été réalisée conformément au manuel Cochrane pour les synthèses méthodiques portant sur des interventions (Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions). Pour la recherche documentaire, plusieurs bases de données ont été consultées à l’aide de termes de recherche adéquats. Malgré le fait que les publications en anglais étaient limitées et que la littérature grise n’a pas été consultée, les funnel plots et les tests d’Egger n’ont pas montré de biais de publication. 
La sélection des études et l’extraction des données ont été effectuées par deux chercheurs indépendants, de même que l’évaluation de la qualité méthodologique des études incluses. En cas de divergences, un consensus était recherché, si nécessaire avec l’aide d’un troisième chercheur. La qualité méthodologique des études randomisées contrôlées trouvées a été évaluée à l’aide de l’outil Cochrane révisé évaluant le risque de biais dans les études cliniques randomisées (Risk of Bias, RoB-2) (7). Le risque de biais a été évalué comme faible dans 6 études, modéré dans 18 études et élevé dans 4 études. Dans 17 des 28 études, il y avait un risque possible de biais de notification. Une évaluation de la certitude des preuves par critère de jugement (avec GRADE, par exemple) manque dans la publication, or, compte tenu du risque de biais modéré à élevé, elle aurait certainement pu apporter une valeur ajoutée pour l’interprétation correcte des résultats. Une analyse de sensibilité a montré que la taille d’effet combiné estimée pour le critère de jugement masse maigre n’était pas différente entre les RCTs menées en double aveugle et celles qui n’ont pas été menées en double aveugle, ce qui montre la robustesse des résultats.
Les résultats des différentes études ont été pondérés dans la méta-analyse au moyen de la méthode générique de l’inverse de la variance (generic inverse variance method) et regroupés selon le modèle à effets aléatoires. L’hétérogénéité a été contrôlée avec l’indice I² et il y avait une forte hétérogénéité statistique (> 90%) pour tous les critères de jugement. Outre les analyses de sous-groupes (avec versus sans entraînement en résistance ; en bonne santé versus en mauvaise santé (sarcopénie/obésité sarcopénique/fragilité)), plusieurs analyses par méta-régression ont également été réalisées pour différents paramètres : apport protéique à l’entrée dans l’étude, fréquence de l’intervention protéique, consommation de protéines par repas, durée de l’intervention et âge. Une variable que les auteurs n’ont pas incluse dans l’analyse par méta-régression est le sexe des participants, ce qui peut exercer une influence importante sur les résultats compte tenu des différences possibles dans la synthèse des protéines musculaires (8). 

 

Évaluation des résultats

Les critères de jugement utilisés (masse maigre et force de préhension) sont pertinents pour la pratique, car ils sont considérés comme des paramètres importants pour le diagnostic de la sarcopénie chez la personne âgée. La définition consensuelle du groupe de travail européen sur la sarcopénie (European Working Group on Sarcopenia in Older People, EWGSOP) conseille de commencer à mesurer la force musculaire en testant la force de préhension de la main. Par la suite, selon le contexte, on peut envisager des examens portant sur la masse musculaire. D’après la définition consensuelle du groupe de travail EWGSOP et vu l’importance de la prévention des chutes, etc., il semble indiqué de choisir la force musculaire comme principal critère de jugement. Il est donc quelque peu surprenant que les auteurs aient choisi la masse maigre comme critère de jugement principal et la force musculaire comme critère de jugement secondaire. Une précédente revue parapluie a montré qu’une augmentation de l’apport en protéines avait un effet sur la masse musculaire, mais pas sur la force musculaire, sauf chez les personnes obèses (1). Les auteurs ont peut-être délibérément choisi la masse musculaire comme critère de jugement principal s’ils s’attendaient à une absence d’effet sur la force musculaire. 
La méta-analyse montre qu’une augmentation de l’apport en protéines entraîne une augmentation statistiquement significative de la masse maigre appendiculaire et de la force de préhension chez les personnes âgées, uniquement lorsque l’augmentation de l’apport en protéines est associée à un entraînement en résistance. La taille d’effet moyenne d’une augmentation de 0,5 kg de la masse appendiculaire peut être cliniquement pertinente, car des recherches antérieures ont montré qu’une augmentation de 5,5 kg de la masse maigre appendiculaire était associée à une diminution de 50% du risque de décès (9). Peut-être que l’entraînement en résistance a déjà un effet important et que l’augmentation de l’apport en protéines a un effet additif plus limité. Une augmentation statistiquement significative de la force de préhension de la main a également été observée uniquement dans un sous-groupe effectuant simultanément des exercices de résistance et chez les « personnes âgées fragiles, présentant une sarcopénie ou une obésité sarcopénique ». Cependant, cela concerne un groupe hétérogène très limité. De plus, les études incluses n’ont pas utilisé de définitions claires pour la fragilité et la sarcopénie, et la pertinence clinique de la taille de l’effet n’est pas claire.
Les chercheurs ont également constaté que seulement 11 des 28 études rapportaient comment était suivie l’observance des participants. En d’autres termes, pour la majorité des études, on ne sait pas dans quelle mesure la consommation de protéines a effectivement augmenté. Pourtant, cela peut avoir fortement influencé les résultats. Au vu de la diversité des interventions possibles, il aurait également été intéressant en pratique de savoir quelles interventions sont associées à une meilleure observance.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La Société belge de gérontologie et de gériatrie a publié en 2021 un guide de pratique sur la sarcopénie, consultable sur Ebpracticenet, qui comporte des recommandations spécifiques concernant l’augmentation de l’apport en protéines chez les personnes âgées présentant une sarcopénie ou un risque de sarcopénie (2). Une supplémentation en protéines en combinaison avec un entraînement en résistance est recommandée pour améliorer la masse musculaire et la force, en particulier chez les personnes obèses. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de RCTs présentant un risque de biais modéré à élevé montre qu’une augmentation de l’apport en protéines entraîne une augmentation de la masse maigre appendiculaire et de la force de préhension des mains chez les personnes âgées qui participent également à un entraînement en résistance, plus précisément dans un petit groupe de « personnes âgées fragiles, présentant une sarcopénie ou une obésité sarcopénique ». La taille d’effet est toutefois relativement faible, ce qui fait que la pertinence clinique n’est pas claire. 


Références 

  1. Gielen E, Beckwée D, Delaere A, et al. Nutritional interventions to improve muscle mass, muscle strength, and physical performance in older people: an umbrella review of systematic reviews and meta-analyses. Nutr Rev 2021;79:121-47. DOI: 10.1093/nutrit/nuaa011
  2. Belgische Vereniging voor Gerontologie en Geriatrie. Richtlijn sarcopenie. Ebpracticenet. Mis à jour par le producteur: 04/02/2021. (Cette ressource d'information evidence-based est seulement disponible en néerlandais.)
  3. Cruz-Jentoft AJ, Bahat G, Bauer J, et al. Sarcopenia: revised European consensus on definition and diagnosis. Age Ageing 2019;48:601. DOI: 10.1093/ageing/afz046
  4. Dequiedt C. Effets d’un régime riche en calcium et en protéines chez la personne âgée institutionnalisée. Minerva Analyse 27/06/2022
  5. Iuliano S, Poon S, Robbins J. et al. Effect of dietary sources of calcium and protein on hip fractures and falls in older adults in residential care: cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;375:n2364. DOI: 10.1136/bmj.n2364
  6. Kirwan RP, Mazidi, M, Rodriguez Garcia C, et al. Protein interventions augment the effect of resistance exercise on appendicular lean mass and handgrip strength in older adults: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Clin Nutr 2022;115:897-913. DOI: 10.1093/ajcn/nqab355
  7. Sterne JA, Savović J, Page MJ, et al. RoB 2: a revised tool for assessing risk of bias in randomised trials. BMJ 2019;366:l4898. DOI: 10.1136/bmj.l4898
  8. Smith GI, Atherton P, Villareal DT, et al. Differences in muscle protein synthesis and anabolic signaling in the postabsorptive state and in response to food in 65-80 year old men and women. PLoS One 2008;3:e1875. DOI: 10.1371/journal.pone.0001875
  9. Brown JC, Harhay MO, Harhay MN. Appendicular lean mass and mortality among prefrail and frail older adults. J Nutr Health Aging 2017;21:342–5. DOI: 10.1007/s12603-016-0753-7




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