Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’importance de la présence d’une pyurie pour poser un diagnostic d’infection urinaire ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 6 Page 118 - 121

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Cheng B, Zaman M, Cox W. Correlation of pyuria and bacteriuria in acute care. Am J Med 2022;135:e353-e358. DOI: 10.1016/j.amjmed.2022.04.022


Question clinique
Quelle est la précision diagnostique de la pyurie dans le diagnostic d’une infection urinaire chez les patients symptomatiques et asymptomatiques ?


Conclusion
Cette étude diagnostique observationnelle rétrospective conduite dans une vaste population hospitalière non sélectionnée montre que la précision diagnostique du nombre de leucocytes au microscope ne suffit pas pour prédire la présence d’une bactériurie chez les patients symptomatiques et asymptomatiques. Le fait que la symptomatologie des patients inclus n’ait pas été prise en compte limite la pertinence clinique de cette étude.


Contexte

Le diagnostic d’infection urinaire repose principalement sur les symptômes cliniques ; il peut être étayé par la présence, dans l’urine, de globules blancs (pyurie) et de bactéries (bactériurie) (1,2). Dans Minerva, nous avons déjà mentionné qu’en cas de suspicion d’infection urinaire, les symptômes individuels ont une force probante relativement limitée. La combinaison de symptômes et d’un test de nitrites positif est un bon indicateur d’une infection urinaire. Ni l’absence de symptômes individuels ni leur association avec un test nitrite négatif et un test leucocytes estérase négatif n’ont une force excluante suffisante (3,4). Le nombre de globules blancs présents dans le sédiment urinaire peut être déterminé au laboratoire ; une culture microbiologique peut ensuite également être effectuée. L’agent causal le plus fréquent en médecine générale est l’Escherichia coli (75 à 85% de toutes les infections urinaires). Les cultures d’urine représentent une part importante de la charge de travail des laboratoires de microbiologie (5). La pyurie est souvent retrouvée chez les patients asymptomatiques sans diagnostic clinique d’infection urinaire, comme chez les personnes âgées en institution (6). Nous avons pu conclure d’une étude transversale discutée dans Minerva que la détection d’une bactériurie n’apporte que peu ou pas d’informations utiles chez les résidents de maison de repos qui présentent différents symptômes aspécifiques (7,8). De plus, une synthèse méthodique avec méta-analyse d’études hétérogènes, principalement menées chez des patients âgés, n’a pas permis de montrer une différence clinique entre le traitement antibiotique et un placebo ou l’absence de traitement en cas de bactériurie asymptomatique. Il y avait toutefois une meilleure éradication bactérienne, mais les effets indésirables étaient significativement plus nombreux (9,10). Par ailleurs, les patients présentant une autre maladie, comme une maladie auto-immune, une insuffisance rénale chronique ou une allergie, peuvent également avoir un nombre accru de leucocytes dans l’urine (11). La valeur diagnostique de la pyurie est encore loin d’être claire dans le cadre des infections urinaires symptomatiques et asymptomatiques.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • inclusion de patients ayant plus de 18 ans, admis dans un hôpital aux États-Unis, avec un code ICD10 d’infection urinaire (N39.0) dans le dossier médical, chez qui une analyse d’urine a en outre été effectuée et dont les résultats d’une culture d’urine étaient disponibles
  • critères d’exclusion : résultats d’une culture provenant d’une autre source que les voies urinaires, croissance de levures ou d’autres champignons dans la culture
  • finalement, inclusion de 46127 patients hospitalisés (de différents hôpitaux) ayant en moyenne 56,8 ans (ET 23,03 ans), 21% étant de sexe masculin, 3% ayant une sonde urinaire.

 

Protocole de l’étude

Étude diagnostique rétrospective observationnelle (12).

  • stratification des patients en 4 groupes en fonction du nombre de leucocytes dans les urines : 0 à 5 globules blancs (GB) par champ d’observation à fort grossissement (high power field, HPF)* ; 5 à 10 GB/HPF ; 10 à 25 GB/HPF et > 25 GB/HPF
  • « bactériurie » définie comme toute croissance bactérienne dans la culture d’urine, indépendamment du nombre de bactéries
  • « bactériurie cliniquement significative » définie comme toute croissance bactérienne > 50000 unités formant colonie (UFC) par ml d’urine.

 

*Le champ d’observation au grossissement maximal de l’objectif utilisé du microscope ; cela correspond généralement à un grossissement de 400 fois.

 

Mesure des résultats

  • sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive, valeur prédictive négative du nombre de globules blancs par champ à fort grossissement pour le diagnostic de bactériurie
  • courbe ROC avec ASC.

 

Résultats

  • l’incidence de la culture d’urine positive était de 25,4% dans le groupe 0-5 GB/HPF, de 28,2% dans le groupe 5-10 GB/HPF, de 33% dans le groupe 10-25 GB/HPF et de 53,8% dans le groupe > 25 GB/HPF (p < 0,05 pour la différence d’incidence entre les groupes) ; une bactériurie cliniquement significative a été observée dans 79,7% à 86,2% des cultures d’urine positives (sans différence statistiquement significative entre les groupes)
  • la sensibilité, la spécificité, la valeur prédictive positive, la valeur prédictive négative étaient faibles pour tous les groupes (voir tableau)
  • l’analyse de la courbe ROC montre une ASC de 0,637 (avec un IC à 95% de 0,632 à 0,643) pour distinguer entre un résultat positif et un résultat négatif à la culture microbienne des urines ; la valeur seuil optimale de sensibilité/spécificité était > 25 GB/HPF.

Tableau. Précision du diagnostic (sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive (VPP, ou PPV en anglais) et valeur prédictive négative (VPN, ou NPV en anglais)) pour 5-10 GB/HPF, 10-25 GB/HPF et > 25 GB/HPF.

 

GB/HPF

Sensibilité

Spécificité

PPV

NPV

5-10

87,66%

23,95%

43,27%

74,58%

10-25

77,77%

40,66%

46,44%

73,43%

> 25

57,67%

67,24%

53,81%

70,60%

 


Conclusion des auteurs

La précision diagnostique de la pyurie seule est insuffisante pour prédire la bactériurie. La valeur seuil optimale pour détecter la bactériurie était > 25 globules blancs (GB) par champ d’observation à fort grossissement (high power field, HPF). Les résultats de cette étude corroborent les recommandations actuelles de ne pas instaurer un traitement antibiotique en se basant uniquement sur l’analyse d’urine. Les résultats obtenus peuvent également être utilisés pour préparer de futures études randomisées contrôlées portant sur des stratégies pour les patients asymptomatiques atteints de pyurie.

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par la Health Care System Capital Division.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie 

Le test examiné dans cette étude diagnostique était le nombre de globules blancs déterminé par une méthode microscopique manuelle. La méthode manuelle reste la méthode de référence pour l’évaluation des sédiments urinaires, mais la plupart des laboratoires cliniques en Europe examinent les sédiments urinaires avec des analyseurs automatiques de sédiments urinaires, et le nombre de globules blancs est exprimé en nombre par microlitre ou en 106 par litre. Comme le dénombrement des globules blancs au moyen de la méthode manuelle se caractérise par une grande variabilité (13), on peut se demander si les patients de cette étude ont été correctement classés. Cette limite doit donc être prise en compte lors de l’interprétation des résultats. 
Le test de référence était la bactériurie, qui était utilisée comme substitut de l’infection. La sélection des patients étant basée sur un code de diagnostic d’infection urinaire sans questions sur les symptômes et les signes d’infection, nous ne pouvons pas déterminer avec précision la prévalence des infections urinaires par rapport à la bactériurie asymptomatique dans cette étude. Les chercheurs ont donc défini un sous-groupe de bactériurie cliniquement significative (50 000 UFC/ml). Étant donné que le nombre de patients présentant une bactériurie cliniquement significative variait de 79,7 à 86,2% selon le groupe de patients, cela n’a entraîné aucune différence significative dans les résultats. Historiquement, la culture d’urine positive était toutefois définie comme la présence de ≥ 105 UFC/ml (14,15). Cette valeur seuil est dérivée d’un groupe de femmes atteintes de pyélonéphrite aiguë, mais elle est néanmoins souvent utilisée pour la population générale. De récentes publications indiquent cependant que cette valeur seuil n’est pas généralisable étant donné qu’il y a souvent moins de 105 UFC/ml chez 30 à 50% des patients atteints de syndrome urétral aigu (16). Un nombre inférieur d’UFC/ml en cas d’infection cliniquement significative a déjà été signalé chez des patients sous antibiotiques, chez des hommes et dans des cultures d’urine où poussent des micro-organismes autres que E. coli et que les espèces Proteus. Dans ce contexte, il est également important de noter que l’étude ne tenait pas compte du micro-organisme responsable de l’infection urinaire. Pourtant, outre la présence d’une pyurie et le nombre de micro-organismes, il est également important de savoir quels micro-organismes sont présents et sur quel type d’échantillon le sédiment urinaire a été déterminé (17). De plus, les cultures avec ≥ 105 UFC/ml, mais avec > 2 uropathogènes différents doivent être considérées comme une contamination. 

 

Évaluation des résultats

La principale valeur ajoutée de cette étude pourrait résider dans le fait qu’aucun groupe de patients spécifique n’a été sélectionné et que les résultats obtenus sont donc généralisables à la population hospitalière générale. On peut déduire des résultats que la majorité des personnes incluses dans l’étude étaient des femmes (79%). Cela cadre avec la prévalence des infections des voies urinaires dans la population générale (18). Les résultats montrent que la pyurie seule n’a pas une valeur suffisante pour diagnostiquer une bactériurie ni ne permet de conclure à la présence d’une infection urinaire et ne peut donc certainement pas être utilisée pour décider de l’instauration d’une antibiothérapie. La prudence est toutefois de rigueur pour l’interprétation des résultats de cette étude étant donné la définition « vague » de l’infection urinaire cliniquement pertinente et la méthode utilisée pour quantifier le nombre de leucocytes.
Cela pourrait se traduire par le fait qu’outre la pyurie, le nombre et le type de micro-organismes ainsi que le type d’échantillon doivent également être pris en compte lors de l’interprétation d’un échantillon d’urine (19,20). Les commentaires du laboratoire clinique dans le rapport des cultures d’urine peuvent être une valeur ajoutée à cet égard. Outre les informations sur le patient, des informations cliniquement pertinentes (telles que l’utilisation d’antibiotiques) et le type d’échantillon peuvent également être importants lors de l’interprétation des résultats d’un échantillon d’urine (18). De cette manière, les cultures d’urine peuvent être signalées comme « négatives » ou comme ne présentant « aucune croissance d’uropathogènes ». Pour les cultures dans lesquelles des uropathogènes sont présents, le nombre d’UFC/ml ainsi que le type d’uropathogène doivent être signalés, avec ou sans commentaires supplémentaires (17,19). De plus, le médecin doit corréler les résultats d’un échantillon d’urine avec la présentation clinique du patient pour déterminer si une infection urinaire est présente ou non et pour instaurer un traitement si nécessaire.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Une infection urinaire a été observée en cas de symptômes liés aux voies urinaires associés à un test de nitrites positif. Une infection urinaire peut être pratiquement exclue si les tests de nitrites et d’estérase leucocytaire sont négatifs (1,2). En cas de doute (par exemple test de nitrites négatif et test d’estérase leucocytaire positif), il peut être utile de réaliser une analyse d’urine avec dipslide (lame à immersion) ou sédiment, éventuellement suivie d’une culture (1,2) pour déterminer, en tenant compte de la présentation clinique et des antécédents du patient, si un traitement antibiotique doit être instauré. 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude diagnostique observationnelle rétrospective conduite dans une vaste population hospitalière non sélectionnée montre que la précision diagnostique du nombre de leucocytes au microscope ne suffit pas pour prédire la présence d’une bactériurie chez les patients symptomatiques et asymptomatiques. Le fait que la symptomatologie des patients inclus n’ait pas été prise en compte limite la pertinence clinique de cette étude.

 

 


Références 

  1. Infections des voies urinaires. Duodecim Medical Publications 2017. Screené par Ebpracticenet: 2018.
  2. Bouma M, Geerlings SE, Klinkhamer S, et al. Urineweginfecties. NHG-Standaard 2020.
  3. Christiaens T, Heytens S. Valeur diagnostique des symptômes et signes cliniques en cas d’infection non compliquée des voies urinaires. Minerva Analyse 28/01/2012.
  4. Giesen LG, Cousins G, Dimitrov BD, et al. Predicting acute uncomplicated urinary tract infection in women: a systematic review of the diagnostic accuracy of symptoms and signs. BMC Fam Pract 2010;11:78. DOI: 10.1186/1471-2296-11-78
  5. Bouza E, San Juan R, Munoz P, et al; European Study Group on Nosocomial Infections. A European perspective on nosocomial urinary tract infections. Report on the microbiology workload, etiology and antimicrobial susceptibility (ESGNI-003 study). Clin Microbiol Infect Dis 2001;7:523-31. DOI: 10.1046/j.1198-743x.2001.00326.x
  6. Rodgers K, Nicolle L, McIntyre M, Harding G, Hoban D, Murray D. Pyuria in institutionalized elderly subjects. Can J Infect Dis 1991;2:142-6. DOI: 10.1155/1991/139202
  7. De Cort P. La culture d'urine, instrument discutable pour détecter la cause de plaintes non spécifiques chez la personne âgée. Minerva Analyse 28/11/2012.
  8. Sundvall PD, Ulteryd P, Gunnarsson RK. Urine culture doubtful in determining etiology of diffuse symptoms among elderly individuals: a cross-sectional study of 32 nursing homes. BMC Fam Pract 2011;12:36. DOI: 10.1186/1471-2296-12-36
  9. Heytens S, Christiaens T. Les antibiotiques sont-ils utiles en cas de bactériurie asymptomatique ? MinervaF 2015;14(8):96-7.
  10. Trestioreanu AZ, Lador A, Sauerbrun-Cutler MT, Leibovici L. Antibiotics for asymptomatic bacteriuria. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD009534.pub2
  11. Glen P, Prashar A, Hawary A. Sterile pyuria: a practical management guide. Br J Gen Pract 2016;66:e225-7. DOI: 10.3399/bjgp16X684217
  12. Cheng B, Zaman M, Cox W. Correlation of pyuria and bacteriuria in acute care. Am J Med 2022;135:e353-e358. DOI: 10.1016/j.amjmed.2022.04.022
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  14. Kass EH. Asymptomatic infections of the urinary tract. Trans Assoc Am Phys 1956;69:56-63.
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