Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’utilité des antidépresseurs dans le traitement de la douleur ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 6 Page 136 - 141

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Ferreira GE, Abdel-Shaheed C, Underwood M, et al. Efficacy, safety, and tolerability of antidepressants for pain in adults: overview of systematic reviews. BMJ 2023;380:e072415. DOI: 10.1136/bmj-2022-072415


Question clinique
Quel est l’effet des antidépresseurs, par comparaison avec un placebo, pour le traitement de la douleur chez l’adulte ?


Conclusion
Cette revue parapluie, dont la qualité méthodologique est bonne, montre que les études parviennent à des conclusions divergentes sur la question de savoir si les antidépresseurs peuvent être recommandés dans le traitement de la douleur. Il y avait une certitude modérée des preuves selon lesquelles les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) sont efficaces dans les dorsalgies, dans les douleurs postopératoires, dans la fibromyalgie et dans les douleurs neuropathiques. Pour d’autres molécules et pour d’autres syndromes se caractérisant par de la douleur, l’efficacité ou l’inefficacité reposait sur des preuves de faible certitude. Les résultats de la plupart des comparaisons n’étaient toutefois pas concluants. La prudence est donc de rigueur pour la prescription d’antidépresseurs en cas d’affection douloureuse.


Contexte

Minerva a déjà traité à plusieurs reprises de l’effet des antidépresseurs pour le traitement de diverses formes de douleur. Dans un récent commentaire (2021), nous avons discuté des résultats d’une synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, qui montrait que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) soulageaient la douleur et amélioraient les capacités fonctionnelles en cas de dorsalgie et d’arthrose du genou (1,2). Le niveau de preuve était toutefois modéré à faible. Un effet bénéfique cliniquement pertinent sur la douleur sciatique a également pu être observé avec les IRSN et avec les antidépresseurs tricycliques (ATC), mais, ici aussi, le niveau de preuve était faible à très faible (1,2). Une autre méta-analyse n’a montré aucun bénéfice des antidépresseurs chez des adultes souffrant (principalement) de lombalgie chronique non spécifique (sans cause établie) (3,4). Pour le traitement de la douleur neuropathique, les données probantes indiquant que l’amitriptyline était supérieure à un placebo étaient de faible qualité (5,6). Les ATC en traitement prophylactique de la migraine et des céphalées de tension se sont révélés plus efficaces que le placebo et que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) (niveau de preuve très faible). Pour la comparaison avec d’autres traitements et avec des traitements non médicamenteux, les données n’étaient toutefois pas suffisantes pour permettre de tirer des conclusions (7,8). Un effet des antidépresseurs a également été observé dans le traitement du syndrome du côlon irritable (9-12). Enfin, l’amitriptyline et la duloxétine se sont avérées efficaces pour le traitement de la fibromyalgie (13-18). Il semble donc utile de réaliser une synthèse générale portant sur l’efficacité et la sécurité d’emploi des antidépresseurs dans diverses affections caractérisées par de la douleur (19).

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique parapluie. 

 

Sources consultées 

  • PubMed, Embase, PsycINFO, la base de données Cochrane des synthèses méthodiques, jusqu’au 20 février 2022
  • pas de littérature grise.

 

Études sélectionnées 

  • critères d’inclusion : synthèses méthodiques avec ou sans méta-analyses, publiées dans des revues avec évaluation intercollégiale, comparant l’efficacité d’un antidépresseur avec un placebo pour le traitement d’une douleur chez l’adulte
  • critères d’exclusion : synthèses méthodiques qui incluaient des enfants et/ou des adolescents ou qui ne rendaient pas compte de la douleur ou de la sécurité ; pas de traduction anglaise disponible de la publication ; méta-analyses en réseau sans comparaisons directes entre les antidépresseurs et un placebo
  • lorsque plusieurs synthèses sur le même thème étaient disponibles, la synthèse sélectionnée était celle qui contenait le plus d’études pertinentes pour la comparaison entre les antidépresseurs et le placebo ; lorsqu’une synthèse Cochrane et une synthèse non-Cochrane des mêmes études étaient publiées, la synthèse Cochrane a été préférée 
  • finalement, sélection de 26 synthèses méthodiques publiées entre 2012 et 2022, comprenant 156 études uniques et > 25000 participants, avec 42 comparaisons distinctes entre 8 classes d’antidépresseurs et un placebo pour 22 affections différentes associées à de la douleur.

 

Mesure des résultats 

  • principal critère de jugement : différence entre les deux groupes quant à la douleur, mesurée par n’importe quel instrument, convertie en une différence moyenne avec IC à 95% sur une échelle de 0 (pas de douleur) à 100 (pire douleur) pour les résultats continus et en un risque relatif avec IC à 95% pour les résultats dichotomiques ; lorsqu’il y avait plusieurs moments de mesure, c’est la mesure la plus proche de la fin du traitement qui a été choisie dans plus de la moitié des études ; pour les céphalées (migraine, céphalée de tension), la fréquence des crises a été extraite
  • critères de jugement secondaires : sécurité d’emploi : effets indésirables et abandons pour effets indésirables, exprimés en rapport de risque (risk ratio)
  • modèle à effets aléatoires
  • classification des comparaisons entre un antidépresseur et un placebo : « efficace » (bénéfice statistiquement significatif de l’antidépresseur, et certitude des preuves faible ou mieux), « inefficace » (pas de différence statistiquement significative entre l’antidépresseur et le placebo, et certitude des preuves faible ou mieux), et « non concluant » (très faible certitude de preuve ou étayé par une seule petite étude comptant moins de 100 participants par bras)
  • analyse de sensibilité : description des études incluses et des tailles d’effet des synthèses méthodiques qui ont été exclues en raison d’un chevauchement et qui avaient été publiées dans les 5 ans avant ou après la revue incluse ; recalcul des différences moyennes ou des rapports de risque après exclusion des études apparaissant dans plusieurs des revues incluses.

 

Résultats

  • critère de jugement principal : 
    • les antidépresseurs étaient efficaces lors de 11 comparaisons avec un placebo (voir tableau 1) :
      • les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN, ou SNRI pour serotonin/noradrenaline reuptake inhibitor) étaient efficaces dans les dorsalgies, les douleurs postopératoires, la fibromyalgie et les douleurs neuropathiques (certitude des preuves modérée)
      • les IRSN étaient efficaces dans la douleur liée au traitement par inhibiteurs de l’aromatase en cas de cancer du sein, dans la douleur chronique comorbide en cas de dépression et dans l’arthrose du genou (faible certitude de preuve)
      • les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS, ou SSRI pour selective serotonin reuptake inhibitor) étaient efficaces dans la douleur chronique comorbide en cas de dépression (faible certitude de preuve), et les antidépresseurs tricycliques (ATC) étaient efficaces dans le syndrome du côlon irritable, la douleur neuropathique et les céphalées de tension chroniques (faible certitude de preuve)
    • les antidépresseurs n’étaient pas efficaces lors de 5 comparaisons avec un placebo : 
      • les ISRS étaient inefficaces dans les dorsalgies, la fibromyalgie, la dyspepsie fonctionnelle et les douleurs thoraciques non cardiaques (faible certitude de preuve) 
      • les ATC étaient inefficaces dans la dyspepsie fonctionnelle (certitude de preuve modérée)
      • pour 26 comparaisons, les preuves de l’efficacité des antidépresseurs n’étaient pas concluantes
  • critères de jugement secondaires :
    • la plupart des données relatives à la sécurité d’emploi et à la tolérance étaient imprécises
    • un risque accru d’effets indésirables a été trouvé avec les IRSN, les ATC et les inhibiteurs de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline (IRDN, ou NDRI pour norepinephrine-dopamine reuptake inhibitor) (voir tableau 2)
    • le nombre d’abandons d’étude en raison d’effets indésirables était moins important avec les IRSN, les ISRS, les ATC et les antidépresseurs tétracycliques/atypiques (voir tableau 3).

 


Tableau 1. Différence moyenne (DM) ou rapport de risque (RR) (avec intervalle de confiance (IC) à 95 %) (et certitude des preuves) entre les antidépresseurs et le placebo pour diverses affections douloureuses.

 

Antidépresseur

Affection douloureuse

Différence moyenne (DM) / rapport de risque (RR) (avec IC à 95%)

Certitude des preuves

IRSN

dorsalgie

DM -5,3 (-7,3 à -3,3)

assez bonne

IRSN

douleur postopératoire

DM -7,3 (-12,9 à -1,7)

assez bonne

IRSN

fibromyalgie

RR 1,4 (1,3 à 1,6)

assez bonne

IRSN

douleur neuropathique

DM -6,8 (-8,7 à -4,8)

assez bonne

IRSN

douleur liée au traitement par inhibiteurs de l’aromatase en cas de cancer du sein

DM -6,3 (-9,7 à -2,9)

faible

IRSN

douleur chronique comorbide en cas de dépression

DM -6,4 (-7,7 à -5,1)

faible

IRSN

arthrose du genou

DM -9,6 (-12,3 à -6,9)

faible

ISRS

douleur chronique comorbide en cas de dépression

DM -5,9 (-10,1 à -1,7)

faible

ATC

côlon irritable

RR 0,6 (0,4 à 0,8)

faible

ATC

douleur neuropathique

RR 3,4 (2,1 à 5,5)

faible

ATC

céphalées de tension chroniques

DM -4,8 (-6,6 à -3)

faible

 

 

Tableau 2. Rapport de risque (RR) (avec IC à 95%) de survenue d’effets indésirables entre les antidépresseurs et le placebo pour différentes affections douloureuses, et nombre d’études (nombre de participants).

 

Antidépresseur / Affection douloureuse

Effet indésirable

RR (IC à 95%)

Nombre d’études (nombre total de participants)

IRSN

Douleur liée au traitement par inhibiteurs de l’aromatase en cas de cancer du sein

tout effet secondaire

1,58 (1,3 à 1,9)

 

1 (279)

Dorsalgie, sciatique et arthrose du genou

tout effet secondaire

1,23 (1,16 à 1,30)

13 (3447)

ATC

Dyspepsie fonctionnelle

tout effet secondaire

1,65 (1,11 à 2,45)

2 (232)

Côlon irritable

tout effet secondaire

1,59 (1,23 à 2,06)

6 (388)

Stomatite aiguë

sensation de piqûre ou de brûlure

somnolence

5,6 (2,9 à 8,3)

1,7 (-1,2 à 4,6)

1 (127)

Vulvodynie

sécheresse de la bouche

bouffées de chaleur

vertiges

douleur

tachycardie (> 100 bpm)

enzymes hépatiques

hypertension

2,89 (1,11 à 7,58)

4,08 (1,20 à 13,85)

3,06 (1,04 à 9,04)

0,40 (0,15 à 1,03)

8,91 (1,15 à 68,87)

3,33 (0,14 à 80,11)

3,33 (0,14 à 80,11)

1 (112)

Céphalée de tension

douleur abdominale

vision floue

vertiges

somnolence

sécheresse de la bouche

nausées/ vomissements

sommeil perturbé

hypersudation

prise de poids

1,4 (0,84 à 2,4)

1,04 (0,56 à 1,9)

1,1 (0,71 à 1,7)

1,9 (1,2 à 2,9)

2,3 (1,6 à 3,3)

0,73 (0,25 à 2,2)

0,6 (0,34 à 1,1)

1,1 (0,39 à 3,1)

1,5 (0,63 à 3,4)

5 (415)

3 (366)

6 (366)

6 (578)

3 (203)

7 (564)

2 (221)

2 (193)

3 (268)

IRDN

Dorsalgie

tout effet secondaire

2,80 (1,30 à 6,02)

1 (99)

 

 

Tableau 3. Rapport de risque (RR) (avec IC à 95%) de sortie d’étude en raison d’effets indésirables entre les antidépresseurs et le placebo pour différentes affections douloureuses, et nombre d’études (nombre de participants).

 

Antidépresseur / Affection douloureuse

Rapport de risque (IC à 95%)

Nombre d’études (nombre total de participants)

IRSN

Dyspepsie fonctionnelle

4,25 (1,50 à 12,07)

1 (160)

Douleur neuropathique

2,66 (1,98 à 3,57)

13 (2743)

Fibromyalgie

1,94 (1,60 à 2,35)

15 (7029)

Dorsalgie, sciatique et arthrose

2,16 (1,71 à 2,73)

12 (3638)

ISRS

Dyspepsie fonctionnelle

1,94 (1,03 à 3,67)

2 (388)

ATC

Douleur neuropathique

2,69 (1,57 à 4,61)

13 (931)

Antidépresseurs tétracycliques/atypiques

Céphalée de tension

4 (1,5 à 10,9)

1 (76)

 


Conclusion des auteurs

Dans cette revue de synthèses méthodiques, des preuves de l’efficacité des antidépresseurs ont été trouvées dans 11 des 42 comparaisons, dont sept examinant l’efficacité des IRSN. Dans les 31 autres comparaisons, les antidépresseurs étaient inefficaces, ou les preuves de leur efficacité n’étaient pas concluantes. Les résultats suggèrent que la prescription d’antidépresseurs contre la douleur nécessite une approche plus nuancée.

 

Financement de l’étude

L’étude n’a pas reçu de subvention particulière. Trois auteurs (GEF, JZ, CM), dont les deux examinateurs indépendants, ont été financés par des bourses du Conseil national australien de la santé et de la recherche médicale (National Health and Medical Research Council, NHMRC), et un de ces auteurs (CM) a également été financé par des subventions du Centre for Research Excellence. Un auteur (NBF) signale aussi un financement de la Lundbeck Foundation. 

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs ne signalent aucun soutien d’aucune organisation pour cet article. Ils signalent un certain nombre de collaborations passées qu’il peut être pertinent de mentionner, notamment les financements par des entreprises pharmaceutiques ou les services de consultation pour des entreprises pharmaceutiques, entre autres GlaxoSmithKline, Almirall, NeuroPN, Vertex, Novartis, Pharma, Nanobiotix.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Comme discuté dans un article méthodologique de Minerva, les revues de compilation (revues « parapluies ») doivent répondre aux exigences méthodologiques des synthèses méthodiques (20). Le protocole de l’étude a été enregistré à l’avance et préparé conformément à la norme de réalisation des synthèses de revues (Preferred Reporting Items for Overviews of Reviews, PRIOR). Les auteurs sont transparents à propos de deux écarts par rapport au protocole. Premièrement, l’invalidité et les événements indésirables graves n’ont pas fait l’objet d’une recherche plus approfondie en tant que critère de jugement secondaire dans le protocole d’origine. Cela est dû au manque de données sur l’invalidité et au fait que la puissance était insuffisante pour détecter des événements indésirables graves dans les études individuelles. Pourtant, ces informations correspondaient à la question de recherche. Il est donc indiqué que les recherches futures accordent plus d’attention à ces critères de jugement. Deuxièmement, le critère de jugement pour la douleur a été adapté. Dans le protocole, le critère de jugement pour la douleur était déterminé à 3 à 12 mois et le plus proche de 6 mois, mais la plupart des revues n’avaient qu’une seule mesure à la fin du traitement (généralement après 6 à 12 semaines). Par souci d’uniformité, le critère de jugement choisi dans toutes les études était la mesure la plus proche de la fin du traitement. Le critère de jugement (douleur) a été défini clairement et uniformément pour différents types de mesures dans toutes les synthèses. Les résultats sont publiés de manière transparente. Deux examinateurs indépendants étaient responsables de la sélection des études, de l’extraction des données et de l’évaluation de la qualité méthodologique. En cas d’avis contradictoire, celui-ci était résolu par consensus avec un autre chercheur. La qualité des avis a été évaluée à l’aide de l’outil AMSTAR (A Measurement Tool to Assess Systematic Reviews, outil d’évaluation des synthèses méthodiques)-2. Il en est ressorti que la qualité méthodologique était très faible dans 12 revues, faible dans 5 revues, et élevée dans 9 revues. Le risque de biais des différentes études a également été estimé (s’il n’avait pas déjà été évalué dans la revue d’origine) avec l’outil de la Cochrane Collaboration pour évaluer le risque de biais. Dans la plupart des études, le risque de biais était indéterminé pour différents domaines. Les critères GRADE ont été utilisés pour évaluer la qualité des preuves. Pour 8 comparaisons, les preuves ont été évaluées comme étant très faibles ; pour 28 comparaisons, elles ont été évaluées comme étant faibles, et pour 6 comparaisons, elles ont été évaluées comme étant modérées. Aucun biais de publication n’a été détecté car on ne disposait d’un minimum de dix études que pour 5 des 42 comparaisons. L’analyse de sensibilité effectuée a donné des tailles d’effet comparables pour les revues non incluses. Cependant, la valeur ajoutée de cette analyse n’apparaît pas clairement. L’article ne poursuit pas la discussion sur la deuxième analyse de sensibilité, à savoir la nouvelle détermination des effets après exclusion des études qui se chevauchaient dans les revues incluses, alors qu’elle nous semble justement avoir plus d’importance. 

 

Évaluation des résultats 

En raison de l’hétérogénéité des affections douloureuses, les auteurs ont délibérément choisi de ne pas définir de seuil de pertinence clinique. Ce qui n’est pas pour faciliter l’interprétation clinique des résultats. On peut donc se demander s’il était pertinent de faire une synthèse des revues regroupant toutes les affections caractérisées par de la douleur. 
Les résultats pour la réduction de la douleur en cas de douleur comorbide dans la dépression doivent être interprétés avec prudence car la douleur n’était pas un critère d’inclusion pour 9 des 14 études incluses dans la revue. De plus, dans le cadre des affections associées à de la douleur, les antidépresseurs ne sont pas toujours prescrits pour la douleur, mais aussi pour d’autres raisons telles que la pesanteur épigastrique postprandiale, la fatigue ou les troubles du sommeil. La pertinence clinique de la douleur comme principal critère de jugement peut donc être remise en question pour de nombreuses affections. 
La force de la preuve n’est élevée pour aucune comparaison. Une certitude modérée des preuves a été trouvée pour l’utilisation des IRSN dans un certain nombre d’affections douloureuses. Remarquons néanmoins que, dans 45% des revues (68% examinant un IRSN), les auteurs avaient des liens avec l’industrie pharmaceutique. 
Les conclusions de la revue parapluie discutée ici cadrent globalement avec différents guides de pratique clinique (21,23), à l’exception de l’utilité des ATC dans la fibromyalgie et la lombalgie chronique, dont les preuves ne sont pas concluantes. Par ailleurs, la présente étude a trouvé des preuves de l’efficacité des IRSN dans la douleur postopératoire, dans la douleur liée au traitement par inhibiteurs de l’aromatase en cas de cancer du sein et dans la dépression avec douleur chronique comorbide, ainsi que des preuves de l’efficacité des ATC dans le syndrome du côlon irritable et dans les céphalées de tension chroniques. Les guides de pratique clinique actuels ne les mentionnent pas spécifiquement. Pour les résultats indiquant que les antidépresseurs ne seraient pas efficaces, on observe de petites différences avec des intervalles de confiance relativement larges. Des recherches supplémentaires de meilleure qualité méthodologique avec des échantillons représentatifs plus importants sont donc nécessaires pour permettre de tirer des conclusions plus fermes.  

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

L’échelle de la douleur de l’OMS est souvent utilisée pour déterminer le traitement médicamenteux approprié en cas de douleur chronique (21,22). L’accent est mis sur l’importance d’un diagnostic précis et d’une évaluation rigoureuse et donc de soins axés sur la personne. Comme médicaments, le paracétamol et les AINS sont à privilégier en cas d’arthrose (GRADE 2B), de lombalgie chronique (GRADE 2B) et de douleur musculo-squelettique chronique (GRADE 1A) (23). Les antidépresseurs (IRSN et ATC) sont mentionnés comme médicaments complémentaires, mais pas comme traitement principal. Pour des syndromes douloureux spécifiques, les antidépresseurs sont encore mentionnés comme traitement de première intention dans différents guides de pratique clinique. Les ATC (amitriptyline) sont recommandés en cas de douleur neuropathique et de fibromyalgie (GRADE 1A), les IRSN (duloxétine) en cas de neuropathie diabétique et, dans une moindre mesure, en cas de fibromyalgie ou d’arthrose (GRADE 1A, 1++) (21,23). Il vaut mieux ne pas utiliser d’ATC en cas de lombalgie chronique (1++) (22). Les ISRS (fluoxétine) sont à envisager en cas de fibromyalgie (1++) (21).
Pour le traitement de la douleur chronique, une approche multidisciplinaire est recommandée (23). L’activité physique et la gymnastique médicale sont recommandées en cas de douleur chronique (grade 2B). D’autres approches non pharmacologiques, telles que l’éducation (GRADE 2C), la thérapie cognitivo-comportementale (GRADE 2C), l’acupuncture (GRADE 2B) doivent également être envisagées. 

 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue parapluie, dont la qualité méthodologique est bonne, montre que les études parviennent à des conclusions divergentes sur la question de savoir si les antidépresseurs peuvent être recommandés dans le traitement de la douleur. Il y avait une certitude modérée des preuves selon lesquelles les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) sont efficaces dans les dorsalgies, dans les douleurs postopératoires, dans la fibromyalgie et dans les douleurs neuropathiques. Pour d’autres molécules et pour d’autres syndromes se caractérisant par de la douleur, l’efficacité ou l’inefficacité reposait sur des preuves de faible certitude. Les résultats de la plupart des comparaisons n’étaient toutefois pas concluants. La prudence est donc de rigueur pour la prescription d’antidépresseurs en cas d’affection douloureuse.

 

 

 

Références 

  1. Lemiengre M. Les antidépresseurs sont-ils utiles en cas de dorsalgie, de gonarthrose et de coxarthrose ? Minerva Analyse 27/07/2021.
  2. Ferreira GE, McLachlan AJ, Lin CW, et al. Efficacy and safety of antidepressants for the treatment of back pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis. BMJ 2021;372:m4825. DOI: 10.1136/bmj.m482
  3. Chevalier P. Des antidépresseurs pour soulager les patients avec lombalgies non spécifiques ? MinervaF 2008;7(7):100-1.
  4. Urquhart DM, Hoving JL, Assendelft WW, et al. Antidepressants for non-specific low back pain. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 1. DOI: 10.1002/14651858.CD001703.pub3
  5. De Cort P. Quelle est l’efficacité de l’amitriptyline en cas de douleur neuropathique ? MinervaF Analyse 18/05/2016.
  6. Moore RA, Derry S, Aldington D, et al. Amitriptyline for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD008242.pub3
  7.  Chevalier P, Vanwelde C. Antidépresseurs et céphalées chroniques. MinervaF 2011;10(8):93-4.
  8. Jackson JL, Shimeall W, Sessums L, et al. Tricyclic antidepressants and headaches: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;341:c5222. DOI: 10.1136/bmj.c5222
  9. Chevalier P, Vanwelde C. Syndrome du côlon irritable : fibres, antispasmodique ou antidépresseur ? Minerva 2012;11(2):15-6
  10. Ruepert L, Quartero AO, de Wit NJ, et al. Bulking agents, antispasmodics and antidepressants for the treatment of irritable bowel syndrome. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 8. DOI: 10.1002/14651858.CD003460.pub3
  11. Bouüaert C. Côlon irritable : antidépresseurs ou psychothérapie ? Minerva 2010;9(2):22-3.
  12. Ford AC, Talley NJ, Schoenfeld PS, et al. Efficacy of antidepressants and psychological therapies in irritable bowel syndrome: systematic review and meta-analysis. Gut 2009;58:367-78. DOI: 10.1136/gut.2008.163162
  13. Chevalier P. Antidépresseurs pour traiter les symptômes de la fibromyalgie (bis). MinervaF 2009;8(8):115.
  14. Häuser W, Bernardy K, Üçeyler N, Sommer C. Treatment of fibromyalgia syndrome with antidepressants: a meta-analysis. JAMA 2009;301:198-209. DOI: 10.1001/jama.2008.944
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  16. Üçeyler N, Häuser W, Sommer C. A systematic review on the effectiveness of treatment with antidepressants in fibromyalgia syndrome. Arthritis Rheum 2008;59:1279-98. DOI: 10.1002/art.24000
  17. Chevalier P. La duloxétine pour réduire la douleur liée à une fibromyalgie ? MinervaF 2009;8(2):18-9
  18. Russell IJ, Mease PJ, Smith TR, et al. Efficacy and safety of duloxetine for treatment of fibromyalgia in patients with or without major depressive disorder: results from a 6-month, randomized, double-blind, placebo-controlled, fixed-dose trial. Pain 2008;136:432-44. DOI: 10.1016/j.pain.2008.02.024
  19. Ferreira GE, Abdel-Shaheed C, Underwood M, et al. Efficacy, safety, and tolerability of antidepressants for pain in adults: overview of systematic reviews. BMJ 2023;380:e072415. DOI: 10.1136/bmj-2022-072415
  20. Poelman T. La revue parapluie est-elle au sommet de la pyramide ? MinervaF 2022;21(6):150-3
  21. SIGN 136 : Management of chronic pain: a national clinical guideline. Scottish Intercollegiate Guidelines Network, 2013.
  22. Anekar AA, Hendrix JM, Cascella M. WHO analgesic ladder. In: StatPearls. StatPearls Publishing, 2023. Accessed June 21, 2023. 
  23. Henrard G, Cordyn S, Chaspierre A, et al. Guide de pratique clinique sur la prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Groupe de travail développement de guides de pratiques en première ligne (WOREL) 2017. Ebpracticenet. 

 




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