Revue d'Evidence-Based Medicine



Le traitement d’une infection asymptomatique par Helicobacter pylori protège modestement du risque de saignement gastro-duodénal le sujet âgé prenant de faibles doses d’aspirine



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 7 Page 168 - 171

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Hawkey C, Avery A, Coupland CA, et al. Helicobacter pylori eradication for primary prevention of peptic ulcer bleeding in older patients prescribed aspirin in primary care (HEAT): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2022;400:1597-606. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)01843-8


Question clinique
L'éradication de Helicobacter pylori protège-t-il, par rapport à un placebo, contre les saignements d'ulcère associés à l'aspirine chez des patients âgés de 60 ans ou plus et recevant de l'aspirine à une dose ≤ 325 mg/j et un test respiratoire à l'urée C13 positif pour Helicobacter pylori lors du dépistage ?


Conclusion
Pour les auteurs de cette étude, l'éradication de Helicobacter pylori protège, en soins primaires, chez des patients âgés de 60 ans ou plus non sélectionnés recevant de l'aspirine à une dose de 325 mg ou moins, contre les saignements d'ulcère peptique associés à l'aspirine avec une réduction significative du risque d'hospitalisation pour saignement d'ulcère, mais ce bénéfice pourrait ne pas être maintenu à long terme. Ce bénéfice a été observé dans une population à faible risque (< 2% de patients avec des antécédents ulcéreux) : il faut traiter 238 malades avec un test positif pour Helicobacter pylori pour éviter une hospitalisation en raison d'un saignement sur ulcère peptique.


Contexte 

L'aspirine est largement recommandée pour la prévention secondaire des maladies vasculaires thrombotiques. Son utilisation est principalement limitée par un risque accru de saignement, en particulier du tractus gastro-intestinal, dû au développement d’ulcères peptiques où Helicobacter pylori pourrait jouer un rôle central. Une méta-analyse a évalué que ce risque doublait chez les patients infectés par Helicobacter pylori (1). Son éradication a été proposée à des patients devant recevoir des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Une étude randomisée analysée en 2002 dans Minerva (2,3) a montré que chez les patients arthrosiques, positifs pour l’Helicobacter, présentant une dyspepsie ou des antécédents d'ulcère, le risque d'ulcère visualisé à l'endoscopie ainsi que le risque d'ulcère avec complications diminuent si, lors de l'instauration d'un traitement de longue haleine avec un AINS, un traitement d'éradication de l'Helicobacter est prescrit. Une étude randomisée réalisée 20 ans plus tard, appelé HEAT pour « Helicobacter Eradication Aspirin Trial », a testé dans le contexte d’un traitement par aspirine si l'éradication préventive de H. pylori protégerait contre les saignements d'ulcère associés à cet AINS (4).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 30166 patients dépistés (dont 17,8% positifs pour Helicobacter pylori) et randomisés sur base des critères d’inclusion suivants :
  • être âgé d’au moins 60 ans
    • recevoir de l'aspirine à une dose de 325 mg ou moins par jour et avoir reçu au moins quatre prescriptions d'aspirine de 28 jours au cours de l'année précédente
    • avoir un test respiratoire à l'urée C13 positif à H. pylori lors de la visite de dépistage
  • critères d’exclusion 
    • recevoir des AINS ou des médicaments gastroprotecteurs lors de leur visite de dépistage
    • allergique au traitement d'éradication de H. pylori
  • finalement inclusion de 5352 patients avec les caractéristiques suivantes : âge moyen de 73,6 ans, 72,8% de sexe masculin, avec la maladie coronarienne comme comorbidité la plus fréquente parmi les indications de l'aspirine, suivie du diabète et d'antécédents d'accident vasculaire cérébral ou d'accident ischémique transitoire ; < 2% d’antécédent d'ulcère peptique.

 

Protocole d’étude

  • il s’agit d’un essai randomisé, multicentrique, en double aveugle, contre placebo, de phase III, avec 2 bras :
    • lansoprazole oral 30 mg, clarithromycine 500 mg et métronidazole 400 mg, pris deux fois par jour pendant 1 semaine (n=2677)
    • placebo (n=2675)
  • suivi médian de 5,0 ans (avec IQR de 3,9 à 6,4).

 

Critères de jugement 

  • critère de jugement primaire : délai d'hospitalisation ou de décès dû à une hémorragie certaine ou probable (selon les critères de l'étude TARGET) d'un ulcère gastro-duodénal
  • critères de jugement secondaires : 
    • délai jusqu'au premier épisode d'hospitalisation ou de décès dû à une hémorragie d'ulcère gastrique ou duodénal (hémorragie d'ulcère de l'œsophage exclu)
    • toutes les autres causes d'hémorragie gastro-intestinale cliniquement significative
    • accidents cardiovasculaires thrombotiques
    • ulcères non compliqués détectés
    • nombre de consultations en médecine générale pour dyspepsie
    • délai avant la première prescription d'un médicament inhibiteur de la pompe à protons ou d'un autre médicament antiulcéreux ou contre la dyspepsie (antagoniste des récepteurs H2, antiacide ou alginate)
    • événements indésirables suspectés liés au traitement.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : réduction significative au cours des 2,5 premières années de suivi dans le groupe traité versus groupe témoin avec six épisodes jugés comme des saignements d'ulcère gastro-duodénal certains ou probables, taux de 0,92 avec IC à 95% de 0,41 à 2,04 pour 1000 personnes-années versus 17 épisodes, taux de 2,61 avec IC à 95% de 1,62 à 4,19 pour 1000 personnes-années ; RR de 0,35 avec IC à 95% de 0,14 à 0,89 ; p = 0,028 ; cet avantage est resté significatif après ajustement pour le risque concurrent de décès (p = 0,028) mais a été perdu avec un suivi plus long : HR de 1,31 avec IC à 95% de 0,55 à 3,11 dans la période suivante (p = 0,54) où on a observé 21 épisodes de saignement sur ulcère (dont 12 dans le groupe traité)
  • critères de jugement secondaires : 
    • pas de différence significative hormis pour l'hospitalisation due à une hémorragie d'ulcère gastrique et duodénal : différence significative d'incidence entre le groupe d'éradication active et le groupe témoin (HR de 0,31 avec IC à 95% de 0,11 à 0,85 ; p = 0,023) sur les 2,5 premières années mais pas par la suite (HR de 1,10 avec IC à 95% de 0,43 à 2,86) ; le nombre nécessaire de patients à traiter pour éviter une hospitalisation était de 238 (avec IC à 95% de 184 à 1661)
    • événements indésirables suspectés liés au traitement : le plus fréquent = troubles du goût (787 patients).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’éradication de Helicobacter pylori protège contre les saignements d'ulcère peptique associés à l'aspirine, mais ce bénéfice pourrait ne pas être maintenu à long terme. 

 

Financement de l’étude

Par le National Institute for Health and Care Research Health Technology Assessment (UK).

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Quelques liens d’intérêt avec l’industrie surtout technologique et de diagnostic.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit d’une étude randomisée à 2 bras en double aveugle basée sur un protocole méthodologiquement bien construit, avec une analyse en intention de traitement (l’analyse per protocole donne des résultats similaires). Les considérations statistiques, bien définies a priori, n’ont pu être respectées par surestimation du risque. Sur la base des données publiées, les auteurs ont supposé un taux de saignement d'ulcère de huit événements pour 1000 années-patients dans le groupe témoin. Pour détecter un RR de 0,50 comparant le groupe d'intervention au groupe témoin, avec un niveau de signification bilatéral de 5% et une puissance de 90%, un total de 87 événements était nécessaire, avec 145000 années-personnes d'exposition. En raison d'un déficit à la fois de la proportion anticipée de patients positifs pour Helicobacter pylori et du taux de résultat principal, les périodes de recrutement et de suivi ont été allongées. En raison de la crainte que des risques concurrents (y compris la mort) ne deviennent l'influence dominante avec une période de suivi excessivement longue, l'essai a été arrêté lorsque 44 événements de résultats principaux se sont produits. L’essai a porté sur 26668 années-personnes d'exposition. Le problème vient du fait que l'étude a été conçue avec une taille de l'échantillon basée sur un taux de fond de 8 événements pour 1000 personnes-années d'exposition sur 2,5 ans mais qu’il n’y a eu qu’un taux de 2,67 événements pour 1000 personnes-années dans le groupe témoin au cours des 2,5 premières années de suivi. La survenue des événements a donc été fort surestimée pour la population de l’étude.

 

Interprétation des résultats 

Cette étude a été conduite en soins de santé primaires avec des tests de sélection et des traitements parfaitement faisables en ambulatoire. Même s’il est positif, le gain de l’éradication d’H. pylori dans cette population âgée d’au moins 60 ans et recevant de l'aspirine à une dose de 325 mg ou moins par jour est assez modeste. Sur 5352 patients randomisés pour 30166 dépistés par un test à l’urée pour H. pylori, il y a eu 44 événements observés pendant les 2,5 premières années (33 par la suite). Sur les 657 patients décédés au cours de l’étude, seuls 2 sont morts par hémorragie sur ulcère. Les auteurs ont calculé qu’en moyenne, 238 malades (avec IC à 95% de 184 à 1661) devraient être traités pour éviter une hospitalisation en raison d'un saignement sur ulcère peptique.
Le bénéfice se perd avec le temps. Après 2,5 ans suivant le traitement d’éradication, on a observé 21 épisodes de saignement sur ulcère (dont 12 dans le groupe traité) et il n’y a plus de différence significative entre les deux groupes. A noter que les auteurs n’ont pas trouvé de différence dans la durée de la prescription antérieure d'aspirine entre les patients qui ont atteint le critère principal et ceux qui ne l'ont pas atteint. La longueur du traitement préalable à l’aspirine ne permet donc pas de définir un groupe particulièrement à risque. 

 

Que disent les guides de pratique clinique?

Dans son guide de pratique clinique de 2017 (5), l’American College of Gastroenterology (ACG) recommande d’envisager le dépistage de l'infection à Helicobacter pylori chez les patients prenant de l'aspirine à long terme et à faible dose, pour réduire le risque d'hémorragie ulcéreuse. Ceux dont le test est positif devraient se voir proposer un traitement d'éradication pour réduire le risque d'hémorragie de l'ulcère. Cette recommandation est conditionnelle avec des preuves de qualité modérée. Dans son consensus dit de “Maastricht VI/Florence” (6), l’European Helicobacter and Microbiota Study Group recommande le dépistage et le traitement de H. pylori pour les patients à haut risque (c-à-d ceux qui ont déjà eu un ulcère peptique) qui sont déjà sous aspirine à long terme. Le dépistage et le traitement de H. pylori sont recommandés pour les patients naïfs commençant un traitement par AINS à long terme. Les personnes à haut risque peuvent avoir besoin d'un traitement supplémentaire par IPP.

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs de cette étude, l'éradication de Helicobacter pylori protège, en soins primaires, chez des patients âgés de 60 ans ou plus non sélectionnés recevant de l'aspirine à une dose de 325 mg ou moins, contre les saignements d'ulcère peptique associés à l'aspirine avec une réduction significative du risque d'hospitalisation pour saignement d'ulcère, mais ce bénéfice pourrait ne pas être maintenu à long terme. Ce bénéfice a été observé dans une population à faible risque (< 2% de patients avec des antécédents ulcéreux) : il faut traiter 238 malades avec un test positif pour Helicobacter pylori pour éviter une hospitalisation en raison d'un saignement sur ulcère peptique.

 

 

 


Références 

    1. Ng JC, Yeomans ND. Helicobacter pylori infection and the risk of upper gastrointestinal bleeding in low dose aspirin users: systematic review and meta-analysis. Med J Aust 2018;209:306‑11. DOI: 10.5694/mja17.01274
    2. Ferrant L. Éradication de l’hélicobacter pylori avant l’utilisation d’un AINS (anti-inflammatoire non-stéroïdien)? MinervaF 2002;1(9):29‑30.
    3. Chan FK, To KF, Wu JC, et al. Eradication of Helicobacter pylori and risk of peptic ulcers in patients starting long-term treatment with non-steroidal anti-inflammatory drugs : a randomized trial. Lancet 2002;359:9-13. DOI: 10.1016/s0140-6736(02)07272-0
    4. Hawkey C, Avery A, Coupland CA, et al. Helicobacter pylori eradication for primary prevention of peptic ulcer bleeding in older patients prescribed aspirin in primary care (HEAT): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2022;400:1597-606. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)01843-8 
    5. Chey WD, Leontiadis GI, Howden CW, Moss SF. ACG Clinical Guideline: Treatment of Helicobacter pylori Infection. Am J Gastroenterol 2017;112:212‑39. DOI: 10.1038/ajg.2016.563
    6. Malfertheiner P, Megraud F, Rokkas T, et al. Management of Helicobacter pylori infection: the Maastricht VI/Florence consensus report. Gut 2022;gutjnl-2022-327745. DOI: 10.1136/gutjnl-2022-327745

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


B98, K25, R10, Z92
A23, D02, D29, D86


Ajoutez un commentaire

Commentaires