Revue d'Evidence-Based Medicine



Une petite consommation régulière d’alcool ne réduit pas le risque de mortalité



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 9 Page 197 - 198

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Zhao J, Stockwell T, Naimi T, et al. Association between daily alcohol intake and risk of all-cause mortality: a systematic review and meta-analyses. JAMA network open 2023;6: e236185. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2023.6185


Question clinique
Y a-t-il une association entre la consommation moyenne d’alcool et la mortalité globale chez l’adulte et si oui, à partir de quel seuil ?


Conclusion
Pour les auteurs, une consommation quotidienne d'alcool faible ou moyenne n'est pas associée de manière significative au risque de mortalité toutes causes confondues, tandis qu'un risque accru est évident à des niveaux de consommation plus élevés, en commençant à des niveaux plus faibles pour les femmes que pour les hommes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas d’effet protecteur de l’alcool consommé à faibles doses contre les complications cardiovasculaires. Il conviendrait de conduire si possible le même type d’analyse pour ce contexte précis.


Contexte

La consommation exagérée d’alcool représente un vrai problème de santé publique. Comme analysé dans Minerva, son dépistage en médecine générale n’est pas évident (1,2) de même que sa prise en charge (3,4). Une question importante est le seuil de consommation à partir duquel un effet nocif sur la santé est observé. Cette question est sujette à controverses vu la difficulté à conduire des études de qualité sur le sujet et le lobbying industriel visant à protéger les ventes de boissons alcoolisées (5). Des données suggèrent un effet bénéfique de doses modérées d’alcool, notamment sur le risque cardiovasculaire (6,7). Mais il y a des biais et toutes les études ne supportent pas ces données. Un groupe de chercheurs n’a ainsi pas mis en évidence d’effet protecteur de faibles doses d’alcool sur la mortalité globale dans une première revue systématique avec méta-analyses (8). Le même groupe a mis à jour cette revue avec des raffinements méthodologiques (9). 

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique de la littérature avec méta-analyses.

 

Sources consultées 

  • PubMed 
  • Web of Science
  • recherche manuelle dans les références sélectionnées
  • dates de publication : 1980 à juillet 2021.

 

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : études observationnelles, prospectives ou rétrospectives, sur le rapport entre mortalité globale et consommation d’alcool, publiées en langue anglaise
  • critères d’exclusion : tout article ne répondant pas aux critères d’inclusion
  • au total : 107 études dont 20 nouvelles par rapport à la revue précédente de 2016, avec 724 estimations de la relation de risque entre le niveau de consommation d'alcool et la mortalité toutes causes confondues, incluant 4838825 participants et 425564 décès. 

 

Population étudiée

  • sujets de tout âge.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : mortalité de toute cause selon la consommation d’alcool par rapport aux non-buveurs, c-à-d. :
    • anciens buveurs (c'est-à-dire maintenant complètement abstinents)
    • buveurs occasionnels  (< 9,1 g par semaine)
    • volume faible (1,3 - 24,0 g par jour)
    • volume moyen (25,0 - 44,0 g par jour)
    • volume élevé (45,0 - 64,0 g) 
    • les plus gros buveurs (≥ 65,0 g par jour).

 

Résultats (modèle entièrement ajusté)

  • par rapport à des personnes abstinentes : 
    • augmentation non significative du risque de mortalité toutes causes confondues chez les buveurs de 25 à 44 g par jour : RR de 1,05 avec IC à 95% de 0,96 à 1,14 ; p = 0,28
    • risque significativement accru pour les buveurs de 45 à 64 et 65 grammes ou plus par jour : RR de 1,19 avec IC à 95% de 1,07 à 1,32 et de 1,35 avec IC à 95% de 1,23 à 1,47 ; p < 0,001
    • risques de mortalité significativement plus élevés chez les femmes buveuses que chez les femmes non-buveuses au cours de leur vie : RR de 1,22 avec IC à 95% de 1,02 à 1,46 ; p = 0,03 ; le risque chez les femmes est déjà significatif pour des consommations moyennes contrairement aux hommes avec des RR respectivement de 1,21 avec IC à 95% de 1,08 à 1,36 et de 1,01 avec IC à 95% de 0,93 à 1,10.

 

Conclusion des auteurs

Une consommation quotidienne d'alcool faible ou moyenne n'est pas associée de manière significative à un risque augmenté de mortalité toutes causes confondues, tandis qu'un risque accru est évident à des niveaux de consommation plus élevés, en commençant à des niveaux plus faibles pour les femmes que pour les hommes. 

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée en partie par le CCLAT en sous-traitance pour une subvention de Santé Canada.
 

Conflits d’intérêts des auteurs

Un auteur a déclaré avoir reçu des honoraires personnels de la part de fonctionnaires de l'Ontario Public Servants Employees Union. Un autre a déclaré avoir reçu des subventions du Canadian Centre on Substance Use and Addiction (CCSA). Aucune autre divulgation n’a été signalée.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit de méta-analyses basées sur les études publiées dans la littérature et non sur les données individuelles des sujets inclus dans celles-ci. Les auteurs ont suivi les lignes directrices PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses). Deux d’entre eux ont sélectionné indépendamment les études et trois se sont chargés des données. Aucune preuve de biais de publication n'a été détectée ni par inspection de la symétrie dans le tracé en entonnoir (« funnel plot ») des estimations du log-RR et de leurs erreurs types inverses ni par analyse de régression linéaire d'Egger. Une hétérogénéité significative a été observée dans les études pour toutes les catégories de consommation d'alcool, confirmée à la fois par la statistique Q et par les estimations I². Si une hétérogénéité était détectée, des modèles à effets mixtes ont été réalisés pour estimer les RR. En raison d'une hétérogénéité significative, des analyses de régression à effets mixtes ont été effectuées dans lesquelles les groupes de consommation d’alcool et les variables de contrôle ont été traités comme des effets fixes avec un effet d'étude aléatoire.

 

Évaluation des résultats

Les auteurs se sont limités aux publications écrites en langue anglaise. L’origine géographique des études est variée : 41 viennent d’Amérique du Nord et Centrale, 53 d’Europe (combinée avec l’Australie) et 14 d’Asie. Les analyses ont été ajustées pour tenir compte des effets de confusion potentiels liées aux caractéristiques de l'étude, notamment la répartition médiane par âge et par sexe des échantillons étudiés, les biais des buveurs liés à leur classifications correctes dans les groupes prédéfinis, le pays où l'étude a été menée, les années de suivi et la présence ou l'absence de facteurs confondants. Il n’y a pas eu d’analyses de sous-groupes d’origine géographique. Ce point mérite approfondissement d’autant plus qu’il y a des différences importante entre les populations comme cela a été montré dans une analyse récente allemande de la littérature sur le risque cardiovasculaire (10). 
La classification des sujets selon leur consommation d’alcool est source de biais potentiels. La définition d’un abstinent ou d’un buveur occasionnel peut varier. L’âge au moment de l’inclusion et la durée du suivi peuvent également influer les résultats. Ainsi dans le sous-ensemble d'études ayant recruté des participants âgés de 56 ans ou moins et suivis pendant au moins 10 ans, les buveurs occasionnels et les buveurs moyens ne présentaient pas de risque de mortalité accru après ajustement dans les modèles. Par contre, le risque était beaucoup plus haut pour une consommation élevée par rapport aux abstinents et des estimations de risque considérablement plus hauts pour une consommation élevée par rapport aux résultats globaux. De plus, l’inclusion des études s’étend sur plus de 40 ans, avec le risque de changements liés à de nouveaux styles de vie.

 

Que disent les guides de pratique clinique?

Les recommandations américaines « Dietary Guidelines for Americans, 2020-2025 » (11) reprises par l’« US Preventive Services Task Force » dans ses guidelines pour le style de vie (12) disent que  les adultes en âge légal de consommer de l'alcool peuvent choisir de ne pas boire ou de boire avec modération en limitant leur consommation à 2 verres ou moins par jour pour les hommes et à 1 verre ou moins par jour pour les femmes, lorsque de l'alcool est consommé. Boire moins est meilleur pour la santé que boire plus. Certains adultes ne devraient pas boire d’alcool, comme les femmes enceintes. En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé en 2018 (13) recommande de limiter sa consommation d’alcool (car toute consommation d’alcool a un impact sur la santé), de ne pas consommer d’alcool avant 18 ans, de ne pas boire plus de 10 unités standards d’alcool par semaine, à répartir sur plusieurs jours, de prévoir plusieurs jours dans la semaine sans alcool, et de ne pas boire de boissons alcoolisées pour les femmes enceintes, celles qui souhaitent le devenir et les femmes qui allaitent.

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs, une consommation quotidienne d'alcool faible ou moyenne n'est pas associée de manière significative au risque de mortalité toutes causes confondues, tandis qu'un risque accru est évident à des niveaux de consommation plus élevés, en commençant à des niveaux plus faibles pour les femmes que pour les hommes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas d’effet protecteur de l’alcool consommé à faibles doses contre les complications cardiovasculaires. Il conviendrait de conduire si possible le même type d’analyse pour ce contexte précis. 

 

 


Références 

  1. Aertgeerts B. Dépistage et thérapie brève d’une consommation abusive d’alcool. MinervaF 2004;3(8):132‑4.
  2. Beich A, Thorsen T, Rollnick S. Screening in brief intervention trials targeting excessive drinkers in general practice: systematic review and meta-analysis. BMJ 2003;327:536-42. DOI: 10.1136/bmj.327.7414.536
  3. Matheï C. Consommation problématique d’alcool de l’adulte en pratique ambulatoire: traitement médicamenteux. MinervaF 2015;14(2):22‑3.
  4.  Jonas DE, Amick HR, Feltner C, et al. Pharmacotherapy for adults with alcohol use disorders in outpatient settings:  systematic review and meta-analysis. JAMA 2014;311:1889-900. DOI: 10.1001/jama.2014.3628
  5. Hawkins BR, McCambridge J. Partners or opponents? Alcohol industry strategy and the 2016 revision of the U.K. Low-Risk Drinking Guidelines. J Stud Alcohol Drugs 2021;82:84‑92. Disponible sur: https://www.jsad.com/doi/10.15288/jsad.2021.82.84
  6.  Ronksley PE, Brien SE, Turner BJ, et al. Association of alcohol consumption with selected cardiovascular disease outcomes: a systematic review and meta-analysis. BMJ 2011;342:d671. DOI: 10.1136/bmj.d671
  7. Ricci C, Wood A, Muller D, et al. Alcohol intake in relation to non-fatal and fatal coronary heart disease and stroke: EPIC-CVD case-cohort study. BMJ 2018;361:k934.  DOI: 10.1136/bmj.k934
  8. Stockwell T, Zhao J, Panwar S, et al. Do “moderate” drinkers have reduced mortality risk? A systematic review and meta-analysis of alcohol consumption and all-cause mortality. J Stud Alcohol Drugs 2016;77:185‑98. DOI: 10.15288/jsad.2016.77.185
  9. Zhao J, Stockwell T, Naimi T, et al. Association between daily alcohol intake and risk of all-cause mortality: a systematic review and meta-analyses. JAMA network open 2023;6: e236185. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2023.6185
  10. Global Cardiovascular Risk Consortium, Magnussen C, Ojeda FM, Leong DP, et al. Global effect of modifiable risk factors on cardiovascular disease and mortality. N Engl J Med 2023:389:1273-85. DOI: 10.1056/NEJMoa2206916 
  11. US Department of Health and Human Services, US Department of Agriculture. Dietary Guidelines for Americans, 2020-2025. 9th edition, 2020. Disponible sur: www.dietaryguidelines.gov/resources/2020-2025-dietary-guidelines-online-materials
  12. US Preventive Services Task Force, Mangione CM, Barry MJ, Nicholson WK, et al. Behavioral counseling interventions to promote a healthy diet and physical activity for cardiovascular disease prevention in adults without cardiovascular disease risk factors: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2022;328:367-74. DOI: 10.1001/jama.2022.10951
  13. Conseil Supérieur de la Santé. Risques liés à la consommation d’alcool. CSS N° 9438 Mai 2018. Disponible sur: www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/css_9438_avis_alcool.pdf

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

funnel plot

Code


Z72
A23


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