Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’efficacité des antihistaminiques en prévention du mal des transports chez les adultes et enfants de moins de 18 ans ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 9 Page 205 - 210

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Karrim N, Byrne R, Magula N, Saman Y. Antihistamines for motion sickness. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012715.pub2


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des antihistaminiques en prévention et en traitement du mal des transports chez les adultes et les enfants de moins de 18 ans ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse correctement menée, mais incluant des études majoritairement à haut risque de biais, montre qu’il y a probablement une efficacité des antihistaminiques de première génération chez les patients ≥16 ans ayant une sensibilité connue au mal des transports en prévention dans des conditions naturelles de mouvement. Des preuves de faible niveau de certitude montrent que les antihistaminiques peuvent être plus susceptibles de provoquer une sédation en comparaison au placebo.


Contexte 

Le mal des transports est un syndrome qui se produit à la suite d'un mouvement passif du corps en réponse à un mouvement réel ou à l'illusion d'un mouvement lors de l'exposition à des environnements visuels virtuels et en mouvement. Il s'agit généralement d'une réaction physiologique chez une personne en bonne santé dont le système vestibulaire est intact (1). Les symptômes caractéristiques du mal des transports sont des nausées, des vomissements, de la pâleur, des vertiges, de la somnolence, de la transpiration, de la salivation, des sensations de chaleur corporelle, de la bradycardie, de l’hypotension artérielle et des maux de tête (1). Le mal des transports est rare chez les enfants de moins de 2 ans, mais augmente durant l’enfance (pic d’incidence à l’âge de 9 ans), suivi d’un déclin progressif durant l’adolescence (2). Il est à noter que la sensibilité au mal des transports diminue lors de voyages fréquents et réguliers ; l’habituation peut donc constituer une mesure de prévention non médicamenteuse efficace (3). Une autre mesure de prévention non médicamenteuse ayant démontré une efficacité est la réduction des mouvements passifs de la tête et de l'instabilité posturale en regardant l'horizon et en élargissant sa position (4). Les traitements médicamenteux préventifs impliquent principalement l'utilisation d'anticholinergiques et d'antihistaminiques. La scopolamine est l'anticholinergique le plus couramment utilisé et a montré une efficacité, dans une méta-analyse de la Cochrane publiée en 2011, par rapport au placebo, dans la prévention du mal des transports ; toutefois, les données étaient insuffisantes en ce qui concerne le traitement des symptômes établis (5). Les antihistaminiques sont le traitement pharmacologique le plus couramment utilisé mais les résultats quant à leur efficacité restent contradictoires, ce qui justifie une synthèse méthodique (6).

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Revue systématique de RCTs avec méta-analyse.

Sources consultées

  • PubMed, Embase, Cochrane ENT Trials Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), LILACS, Web of Knowledge, Web of Science, CNKI (via Google Scholar), ClinicalTrials.gov (via Cochrane Registers of Studies), World Health Organization (WHO) International Clinical Trials Registry Platform. 

 

Etudes sélectionnées

  • toutes les RCTS publiées et non publiées, y compris les essais randomisés en grappe jusqu’au 7 décembre 2021
  • critères d’éligibilité : 
    • population : adultes et enfants (≤ 18 ans), ayant une expérience antérieure du mal des transports et/ou une susceptibilité au mal des transports basée sur les résultats d'une échelle validée dans des conditions naturelles (transport par voie aérienne, maritime et routier) ou un mal des transports induit dans des conditions expérimentales (analyse séparée)
    • intervention : antihistaminiques 
    • comparateur : soit l'absence de traitement, soit le placebo ou soit à toute autre intervention pharmacologique ou non pharmacologique 
    • pas de restriction de langue
  • critères d’exclusion : études de type cross-over, patients avec comorbidités vestibulaires, visuelles ou neurologiques
  • au total, inclusion de 8 RCTs et 1 étude cross-over (le volet maritime de l'étude a été inclus dans cette analyse car il répondait aux critères d'inclusion) avec 4 comparaisons différentes.

 

Population étudiée

  • 658 patients ont été inclus, âge moyen des participants entre 16 et 55 ans ; rapport hommes/femmes de 2/1 ; 5 études spécifient que les patients n’ont pas de comorbidités associées ; 3 ne donnent pas de précision quant à la présence ou l’absence de comorbidités. 

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement principal : proportion de participants sensibles n’ayant ressenti aucun symptôme de mal des transports, mesurée sur base d'un rapport subjectif des nausées et/ou des vomissements ou par une échelle validée 
  • critères de jugement secondaire : mesures physiologiques : fréquence cardiaque, température centrale et tachyarythmie gastrique (électrogastrographie) à court terme (≤ 24 heures) ou à long terme (> 24 heures).

 

Résultats 

 

Critères de jugement

Nombre de participants

(nombre d’études incluses)

Résultats

(avec IC à 95%)

Niveau de certitude (GRADE)

Antihistaminiques versus placebo

Proportion de participants sensibles qui n'ont pas ressenti de symptômes de mal des transports dans des conditions naturelles

 

Suivi : variable

240

(3 études)

RR de 1,81

(1,23 à 2,66)

modéré

Proportion de participants sensibles qui n'ont pas éprouvé de symptômes dans les conditions expérimentales

 

Suivi : variable (7 jours, 1 heure et 20 minutes)

62

(2 études)

DMS dans les groupes d'intervention supérieure de 0,32 (0,18 à 0,83)

très bas

Mesures physiologiques : tachyarythmie gastrique

 

Suivi : 1 heure 20 minutes

42

(1 étude)

Score moyen dans le groupe d’intervention inférieur de 2,2 points (-11,71 à 7,31)

bas

Effets indésirables :

-        sédation

 

-        troubles cognitifs

 

-        troubles de la vision

 

Suivi : avant le départ et après le retour d'un voyage en mer d'une durée totale de 4 à 6 heures dans une étude, et de 5 heures dans l’autre étude

190

(2 études)

 

 

RR de 1,51 (1,12 à 2,02)

RR de 0,89 (0,58 à 1,38)

RR de 1,14 (0,53 à 2,48)

bas

 

Antihistaminiques versus scopolamine

Proportion de participants sensibles qui n'ont pas ressenti de symptômes de mal des transports dans des conditions naturelles

71

(2 études)

RR de 0,89 (0,68 à 1,16)

très bas

Mesures physiologiques : fréquence cardiaque

 

Suivi : varaible

20

(1 étude)

Résumé narratif : "Pas de différence dans la fréquence des impulsions"

très bas

Effets indésirables :

-        sédation

 

-        troubles de la vision

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suivi : toutes les 1 à 2 heures pour un voyage en mer d’une durée totale de 7 à 8 heures dans une étude et non précisée dans l’autre étude.

 

90

(2 études)

51

(1 étude)

 

RR de 0,82 (0,07 à 9,25)

résumé narratif : «L'utilisation de la scopolamine transdermique a entraîné certains effets secondaires avant le mouvement, notamment une sécheresse de la bouche, une somnolence et une vision floue, mais seule l'incidence de la sécheresse de la bouche était statistiquement significative (p = 0,001) »

très bas

 

 

Antihistaminiques versus antiémétiques

Proportion de participants sensibles qui n'ont éprouvé aucun symptôme du mal des transports dans conditions expérimentales

 

Suivi : 1 heure et 20 minutes

42

(1 étude)

Proportion moyenne

dans le groupe intervention inférieure de 0,20 (-10,91 à 10,51)

bas

Mesures physiologiques : tachyarythmie gastrique

 

Suivi : 1 heure et 20 minutes

42

(1 étude)

Score moyen dans le groupe d'intervention supérieur de 4,56 (3,49 à 12,61)

bas

Antihistaminiques versus acupuncture

Proportion de participants sensibles qui n'ont pas ressenti de symptômes de mal des dans les conditions expérimentales

 

Suivi : avant et après traitement (temps exact non spécifié)

100

(1 étude)

RR de 1,32 (1,12 à 1,57)

très bas

DMS = Différence moyenne standardisée

 

  • aucune étude n'a rapporté le résultat d’une réduction ou d’une résolution des symptômes du mal des transports.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l'utilisation d'antihistaminiques de première génération chez les adultes sensibles au mal des transports réduit probablement le risque de développer des symptômes de mal des transports dans des conditions naturelles de mouvement, par rapport à un placebo. Les antihistaminiques peuvent être plus susceptibles de provoquer une sédation que le placebo. Aucune étude n'a évalué le traitement du mal des transports existant et il existe peu de données sur l'effet des antihistaminiques chez les enfants. Pour tous les autres résultats et comparaisons (par rapport à la scopolamine, aux antiémétiques et à l'acupuncture), la certitude est faible ou très faible et ils ne sont donc pas certains des effets des antihistaminiques.

 

Financement de l’étude

National Institute for Health Research, UK et Infrastructure funding for Cochrane ENT.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

 

Discussion 

Évaluation de la méthodologie

Cette revue systématique avec méta-analyse est de bonne qualité. Le protocole a bien été enregistré dans Cochrane Database of Systematic Reviews Protocol – Intervention avant la recherche et a bien été respecté. La réalisation et le reporting de la méta-analyse ont été réalisés selon les directives décrites dans le Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Intervention version 5.1.0. 9 bases de données ont été consultées selon un vocabulaire contrôlé et une recherche dans des sources additionnelles a été performée. Deux chercheurs ont sélectionné de façon indépendante les abstracts. 8 essais cliniques randomisés rencontraient les critères d’inclusion et 1 étude cross-over (critère d’exclusion) a été incluse après confirmation par les auteurs que les participants de chaque bras n’étaient pas les mêmes, le volet mer de l’étude a donc été inclus. En raison du faible nombre d’études incluses, la probabilité d’un biais de publication n’a pas été évaluée à l’aide d’un funnel plot ou à l’aide d’un test statistique d’asymétrie mais les auteurs déclarent qu’aucune étude non publiée potentiellement éligible n’a été identifiée. L’évaluation de la qualité des études incluses a été réalisée à l’aide de l’outil Cochrane’s tool for assessing the risk of bias. Sur les 9 essais inclus, 7 études sont à haut risque de rapportage sélectif des résultats. Une étude présentait un risque de biais élevé en raison de la nature invasive de l’intervention de comparaison (l’acupuncture). Au total, une seule étude sur les 9 est à faible risque de biais et 3 à risque modéré. L’interprétation des résultats tient compte de l’évaluation du risque de biais. Des méthodes appropriées ont été utilisées pour combiner les résultats des différentes études. Les auteurs ont également évalué le niveau global de certitude de preuve par la méthode GRADE. Toutefois, il convient de noter que toutes les études incluses présentaient une taille d’échantillon relativement faible (maximum 100 patients).

 

Évaluation des résultats

Les considérations suivantes doivent être prises en compte dans l’interprétation des résultats : seulement la moitié des études ont utilisé des échelles validées et parmi les études n’ayant pas utilisé d’échelles validées, certaines ont mesuré uniquement les nausées et/ou les vomissements et d’autres encore aucun des deux. Aucune étude n’a évalué le traitement des symptômes déjà présents du mal des transports, ce qui constitue une lacune importante. Les 2 critères d’évaluation secondaire ont été repris par 2 études sur les 8 ; pour la fréquence cardiaque les données étaient incomplètes et il n’y avait pas de données sur la température centrale. 5 études ont évalué les effets indésirables des antihistaminiques mais aucune n’a signalé les effets indésirables à long terme. Une variabilité importante dans le type et les doses d’antihistaminiques a été identifiée. La susceptibilité des participants au mal des transports a été principalement autodéclarée et était répartie non uniformément entre les études. Une seule étude a évalué le mal des transports chez les enfants (moins de 18 ans étant la définition des enfants et 16 à 55 ans la définition des adultes). En raison du nombre limité d’études de bonne qualité, de l’imprécision en raison d’une très faible taille de l’échantillon pouvant entraîner l’absence d’effet, les résultats doivent être interprétés avec une grande prudence. Les résultats montrent qu’il y a probablement une réduction du risque de développer le mal des transports dans des conditions naturelles de mouvement lors de l'utilisation d'antihistaminiques par rapport à un placebo chez les patients adultes ayant une sensibilité connue au mal des transports. Notons qu’il s’agit du seul résultat à être basé sur 3 études à faible risque ou à risque modéré de biais et calculé sur 240 patients (comparaison reprenant le nombre le plus élevé de patients). Pour ces raisons, il a été rapporté comme ayant un niveau de certitude modéré. 
Concernant les effets indésirables, les preuves que les antihistaminiques peuvent être plus susceptibles de provoquer une sédation en comparaison au placebo chez les patients adultes sont de faible niveau de certitude. De même qu’ils peuvent entraîner peu ou pas de différence en termes de vision floue et peu ou pas de différence en termes d’altération de la cognition, toujours en comparaison du placebo. Pour la comparaison antihistaminique versus scopolamine, l’estimation réelle de l’effet n’est pas claire. Les preuves sont de très faibles certitudes. Et pour finir aucune étude n’a clairement évalué la population pédiatrique.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

En ce qui concerne les mesures préventives non médicamenteuse, dans le Folia Pharmacothérapeutica 2019, le CBIP préconise de manger léger avant le départ, boire beaucoup d’eau en cours de route, éviter l’alcool, prendre la place à l’avant du véhicule ou dans la partie centrale de l’avion ou encore sur le pont d’un bateau, regarder droit vers l’horizon et veiller à avoir de l’air frais (7). Selon les recommandations du BMJ Best Practice le choix entre des mesures comportementales ou pharmacologiques dépendra des caractéristiques individuelles du patient (âge, nécessité d'effectuer des tâches exigeantes pendant le mouvement, sensibilité aux médicaments) et par la gravité et la durée probables de l'exposition au mouvement (8).
En ce qui concerne le traitement médicamenteux préventif, toujours selon le Folia Pharmacothérapeutica de 2019, les antihistaminiques H1 sédatifs (diménhydrinate, méclozine) possèdent l’indication pour le mal des transports et sont le traitement de premier choix. En raison de leurs effets anticholinergiques, la prudence s’impose chez les enfants (plus particulièrement de moins de 2 ans) et les personnes âgées. La cinnarizine est indiquée et constitue également un premier choix. Elle présente également des effets anticholinergiques et peut dans de rares cas provoquer des symptômes extrapyramidaux (7).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse correctement menée, mais incluant des études majoritairement à haut risque de biais, montre qu’il y a probablement une efficacité des antihistaminiques de première génération chez les patients ≥16 ans ayant une sensibilité connue au mal des transports en prévention dans des conditions naturelles de mouvement. Des preuves de faible niveau de certitude montrent que les antihistaminiques peuvent être plus susceptibles de provoquer une sédation en comparaison au placebo.

 

 


Références 

  1. Bertolini G, Straumann D.  Moving in a moving world: a review on vestibular motion sickness. Front Neurol 2016;7:14. DOI: 10.3389/fneur.2016.00014
  2. Henriques IF, Douglas de Oliveira DW,  Oliveira-Ferreira F, Andrade PM. Motion sickness prevalence in school children. Eur J Pediatr 2014;173:1473‑82. DOI: 10.1007/s00431-014-2351-1
  3. Cowings PS, Toscano WB. Autogenic-feedback training exercise is superior to promethazine for control of motion sickness symptoms. J Clin Pharmacol 2000;40:1154-65. DOI: 10.1177/009127000004001010
  4. Spinks A, Wasiak J. Scopolamine (hyoscine) for preventing and treating motion sickness. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 6. DOI: 10.1002/14651858.CD002851.pub4
  5. Stoffregen TA, Smart LJ. Postural instability precedes motion sickness. Brain Res Bull 1998;47:437-48. DOI: 10.1016/S0361-9230(98)00102-6
  6. Karrim N, Byrne R, Magula N, Saman Y. Antihistamines for motion sickness. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012715.pub2
  7. CBIP. Mal des transports. Folia Pharmacotherapeutica mai 2019
  8. BMJ Best Practice. Motion sikness. BMJ Publishing Group 2023.

Auteurs

Nonneman A.
pharmacienne, Centre Académique de Médecine Générale UCLouvain
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code


T75
A88


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