Revue d'Evidence-Based Medicine



Traiter l’hypertension artérielle de manière plus personnalisée ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 10 Page 225 - 228

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Sundström J, Lind L, Nowrouzi S, et al. Heterogeneity in blood pressure response to 4 antihypertensive drugs: a randomized clinical trial. JAMA 2023;329:1160-9. DOI: 10.1001/jama.2023.3322


Question clinique
En cas d’hypertension, l’utilisation personnalisée de quatre classes d’antihypertenseurs fréquemment prescrits permet-elle d’accroître un éventuel effet hypotenseur ?


Conclusion
À partir de cette étude randomisée contrôlée, croisée, monocentrique, menée en double aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, nous pouvons conclure que, dans les cas d’hypertension légère non compliquée, les réponses aux antihypertenseurs varient, tant chez un même patient que d’un patient à l’autre. La différence en termes de diminution de la tension artérielle entre le traitement personnalisé et le traitement fixe ne semble pas cliniquement pertinente, mais l’idée de mener des recherches scientifiques plus approfondies sur les paramètres permettant de déterminer un traitement antihypertenseur optimal reste intéressante et prometteuse.


Contexte

En 2003, Minerva a traité d’une méta-analyse qui montrait que l’effet hypotenseur de la dose standard d’un antihypertenseur était le même pour chaque classe de médicaments (1,2). Le médecin doit augmenter progressivement la dose de l’antihypertenseur jusqu’à obtenir la tension artérielle cible (3,4). Le choix d’un antihypertenseur particulier doit également tenir compte du risque cardiovasculaire et des comorbidités du patient. Cette stratégie suppose donc une certaine personnalisation du traitement. Des modifications physiologiques, comme le stress, la fatigue et la température, peuvent, en fonction de l’individu, influencer durablement la pression artérielle et contribuer à l’apparition d’une hypertension. Ces différences dans la pathogenèse pourraient également être à l’origine de différences dans les réponses individuelles au médicament proposé. Les médecins peuvent en effet constater dans leur pratique qu’un même antihypertenseur n’a pas la même efficacité chez tous les patients, et cette hypothèse fait l’objet d’études scientifiques depuis la fin du XXe siècle (5).  

 

 

Résumé
 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : personnes ayant entre 40 et 75 ans, avec une hypertension connue (pression systolique entre 140 et 159 mmHg, mesurée au cours des cinq années précédant le début de l’étude), sans traitement médicamenteux ou traitées au moyen d’un seul antihypertenseur (qui peut être arrêté durant l’étude) ; les personnes finalement incluses étaient celles chez qui, pendant une phase de préinclusion d’une durée de deux semaines avec un placebo, une mesure classique de la tension donnait une pression systolique entre 140 et 179 mmHg et une pression diastolique ≤ 109 mmHg 
  • critères d’exclusion : hypertension secondaire, goutte, maladie grave, maladie cardiovasculaire, insuffisance rénale, diabète ou contre-indication au médicament à l’étude
  • finalement, inclusion de 280 patients ayant en moyenne 64 ans, dont 54,3% de sexe masculin, atteints d’hypertension depuis 3 ans en moyenne, dont 62,1% prenaient un antihypertenseur en monothérapie ; après la phase de préinclusion avec placebo, la tension artérielle mesurée de manière classique était en moyenne de 154/89 mmHg, et la tension artérielle quotidienne moyenne mesurée en ambulatoire, de 145/89 mmHg ; l’IMC était en moyenne de 29 (ET 15), et 60% des patients n’avaient jamais fumé.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée, croisée, monocentrique, menée en double aveugle (6)

  • chaque participant a été randomisé pour suivre six séquences de traitement différentes
  • dans chaque séquence de traitement, six périodes de traitement de 7 à 9 semaines avec un antihypertenseur spécifique alternaient avec une période de sevrage d’une semaine avec un placebo
  • pendant chaque période de traitement, après une période de 1 à 2 semaines, la demi-dose d’antihypertenseur a été augmentée pour atteindre la dose complète (16 mg de candésartan ou 20 mg de lisinopril ou 10 mg d’amlodipine ou 25 mg de thiazidique) : chaque participant a reçu chaque antihypertenseur au moins une fois et, au hasard, deux antihypertenseurs deux fois
  • à la fin de chaque période de traitement, une mesure ambulatoire de la tension artérielle sur 24 heures a été effectuée, avec des mesures de la tension artérielle toutes les 20 minutes durant la journée et toutes les heures durant la nuit.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : variation de la pression systolique quotidienne mesurée en ambulatoire (de 10 heures à 20 heures) chez un même patient et entre les patients pour les quatre antihypertenseurs utilisés
  • l’analyse a inclus uniquement les périodes de traitement avec une observance de 90% (selon le nombre de comprimés pris) et avec une surveillance réussie de la tension artérielle sur 24 heures (au moins pendant 22 heures, au moins 2 mesures par heure et au moins 14 mesures entre 10 heures et 20 heures).

 

Résultats

  • 270 participants ont suivi intégralement 1468 périodes de traitement, la durée médiane étant de 56 jours
  • en moyenne, on a observé une pression systolique moyenne quotidienne plus élevée avec les thiazidiques qu’avec le lisinopril (différence moyenne de 6,4 mmHg avec IC à 95% de 5,3 à 7,6), plus élevée avec les thiazidiques qu’avec le candésartan (différence moyenne de 4,3 mmHg avec IC à 95% de 3,2 à 5,4), plus élevée avec les thiazidiques qu’avec l’amlodipine (différence moyenne de 5,1 mmHg avec IC à 95% de 3,9 à 6,2) et plus élevée avec l’amlodipine qu’avec le lisinopril (différence moyenne de 1,4 mmHg avec IC à 95% de 0,2 à 2,5), tandis qu’elle était plus faible avec le lisinopril qu’avec le candésartan (différence moyenne de -2,1 avec IC à 95% de -3,3 à -1,0) ; il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre l’amlodipine et le candésartan
  • pour tous les traitements, on a observé une grande variation de la pression systolique moyenne quotidienne entre les patients, ainsi qu’entre les périodes de traitement avec le même traitement chez des patients individuels (qui ont reçu le même traitement deux fois)
  • par comparaison avec un traitement fixe, un traitement personnalisé entraîne potentiellement une diminution supplémentaire moyenne de 4,4 mmHg de la pression systolique moyenne quotidienne ; pour le choix du candésartan par rapport au lisinopril et de l’amlodipine par rapport au thiazidique, il n’existe aucune preuve d’effets personnalisés (tant dans l’analyse approfondie comprenant tous les patients que dans l’analyse étroite ne prenant en compte que les patients ayant reçu le traitement sur deux périodes).

 

Conclusion des auteurs

Cette étude révèle une importante hétérogénéité dans la réponse aux antihypertenseurs en termes de diminution de la tension artérielle. Ces données peuvent avoir des implications pour le concept de traitement personnalisé.  

 

Financement de l’étude

L'étude a été financée par le Conseil suédois de la recherche, la Fondation Kjell et Märta Beijer et Anders Wiklöf.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

L'auteur principal a déclaré détenir des parts dans deux sociétés, à savoir Symptoms Europe AB et Anagram Kommunikation AB ; un deuxième auteur a reçu des honoraires de plusieurs sociétés pharmaceutiques ; un troisième a été indemnisé par l'université d'Uppsala pour sa participation à l'étude sur la physique ; aucun autre intérêt n'a été signalé.

 

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie 

La question de recherche nécessitait une méthodologie permettant de contrôler la grande variabilité personnelle de la tension artérielle. Une étude randomisée contrôlée classique ne convient pas parfaitement pour cela car elle génère seulement des données en groupes parallèles. En revanche, un plan expérimental croisé permettait de proposer différents traitements par patient pendant 7 à 9 semaines et de calculer ensuite la variabilité des effets du traitement chez chaque patient et entre les patients (7). 
La randomisation des participants aux différents traitements a été contrôlée par ordinateur à chaque phase, en respectant le secret de l’attribution. En outre, l’étude a été menée intégralement en double aveugle : les infirmier/ères de l’étude ont donné aux patients le médicament à l’étude dans des blisters numérotés contenant des gélules identiques, et l’analyse ultérieure des résultats par les statisticiens a également été effectuée en aveugle de l’attribution. Seulement 10 des 280 patients randomisés (3,8%) n’ont finalement pas pris part à l’étude, et, en outre, 1 468 des 1 680 périodes de traitement prévues (87,3%) ont effectivement eu lieu. Étant donné ce faible taux d’abandons de l’étude et cette observance thérapeutique élevée, nous pouvons supposer que la puissance prédéterminée de l’étude a été atteinte. 

 

Évaluation des résultats

Le recrutement s’est déroulé au niveau de la deuxième ligne parmi des personnes se rendant au centre ambulatoire universitaire de l’Université d’Uppsala en Suède. Cela rend difficile l’extrapolation à la première ligne, car le groupe de l’étude est probablement plus homogène que ne le serait un échantillon de la population générale. La période de préinclusion a peut-être aussi conduit à la création d’un groupe d’étude plus homogène. Il pourrait en résulter que l’hétérogénéité des effets du traitement a peut-être été sous-estimée. 
De plus, cela concerne un groupe sélectionné de patients ayant une hypertension non compliquée et présentant un faible risque cardiovasculaire. Certains paramètres permettant de calculer le risque cardiovasculaire total sont absents de cette étude (comme les lipides et les antécédents familiaux) ; une estimation correcte du risque cardiovasculaire n’est donc pas possible, alors que le médecin doit pouvoir en tenir compte pour l’instauration éventuelle d’un traitement médicamenteux (8). À noter que la plupart des patients de l’étude avaient une hypertension légère (GRADE I) et n’entraient donc pas vraiment en ligne de compte pour un traitement médicamenteux de leur tension artérielle. 
Avec une approche personnalisée, la diminution moyenne statistiquement significative de la tension artérielle quotidienne moyenne mesurée en ambulatoire est de 4,4 mmHg. Ce résultat découle d’une « estimation théorique » qui suppose l’utilisation d’une dose équipotente de chaque médicament, or, d’après les résultats de l’étude, ce n’est clairement pas le cas. Cette différence n’a, de toute façon, que peu de pertinence clinique. Néanmoins, cela encourage à poursuivre la recherche scientifique, d’autant qu’à l’avenir, on pourra disposer de tensiomètres plus confortables et plus précis mesurant la tension artérielle de jour comme de nuit. On attend également le développement de tests de laboratoire plus précis et plus rapides pour le calcul des caractéristiques phénotypiques. Par exemple, dans le passé, on mentionnait l’activité rénine plasmatique, mais, vu son manque de spécificité, on ne l’a plus utilisée en clinique (9). Cette étude ne permet pas d’extraire de caractéristique personnelle pouvant aider au choix d’un médicament plus approprié. Le développement d’un meilleur modèle prédictif pour un traitement personnalisé de la tension artérielle basé sur des biomarqueurs et des caractéristiques cliniques peut certainement faire l’objet de recherches plus approfondies. Cela devrait aider à choisir le médicament qui convient à un patient, au lieu d’ajouter un médicament à son traitement. Enfin, il faut remarquer que cette étude ne prend pas en compte les avantages ou inconvénients déjà connus de certains médicaments sur les comorbidités (par exemple, effet bénéfique des thiazidiques en cas d’insuffisance cardiaque). Si elle en avait tenu compte, aurait-on encore observé les différences significatives dans les comparaisons de médicaments ? 

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Les guides de pratique actuels (10,11) recommandent de choisir individuellement le traitement médicamenteux d’un patient hypertendu en fonction de l’évaluation de son risque cardiovasculaire et de ses comorbidités. Des caractéristiques telles que l’origine ethnique, l’âge, l’activité physique et les comorbidités peuvent être déterminantes, mais l’inclusion des caractéristiques phénotypiques du patient n’est pour le moment pas encore à l’ordre du jour. 

 

 

Conclusion de Minerva

À partir de cette étude randomisée contrôlée, croisée, monocentrique, menée en double aveugle, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, nous pouvons conclure que, dans les cas d’hypertension légère non compliquée, les réponses aux antihypertenseurs varient, tant chez un même patient que d’un patient à l’autre. La différence en termes de diminution de la tension artérielle entre le traitement personnalisé et le traitement fixe ne semble pas cliniquement pertinente, mais l’idée de mener des recherches scientifiques plus approfondies sur les paramètres permettant de déterminer un traitement antihypertenseur optimal reste intéressante et prometteuse.

 

 


Références

  1. De Cort P. Efficacité de faibles doses d'antihypertenseurs et de leurs associations. MinervaF 2005;4(5):70-2
  2. Law MR, Wald NJ, Morris JK, Jordan RE. Value of low dose combination treatment with blood pressure lowering drugs: analysis of 354 randomised trials. BMJ 2003;326:1427-34. DOI: 10.1136/bmj.326.7404.1427
  3. De Cort P. La diminution de la pression artérielle: le fondement de la réduction du risque cardiovasculaire. MinervaF 2003;2(2):30-1.
  4. Staessen J, Wang J, Thijs L. Cardiovascular protection and blood pressure reduction: a meta-analysis. Lancet 2001;358:1305-15. DOI: 10.1016/S0140-6736(01)06411-X
  5. Attwood S, Bird R, Burch K, et al. Within-patient correlation between the antihypertensive effect of atenolol, lisinopril and nifedipine. J Hypertens 1994;12:1053-60.
  6. Sundström J, Lind L, Nowrouzi S, et al. Heterogeneity in blood pressure response to 4 antihypertensive drugs: a randomized clinical trial. JAMA 2023;329:1160-9. DOI: 10.1001/jama.2023.3322
  7. Senn S. Statistical pitfalls of personalized medicine. Nature 2018;563:619-21. DOI: 10.1038/d41586-018-07535-2
  8. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertensie. Aanbevelingen voor goede medische praktijkvoering. Domus Medica 2009, opvolgrapport 2013.
  9. Robert M. Carey. Is personalized antihypertensive drug selection feasible? JAMA 2023;329:1153-4. DOI: 10.1001/jama.2023.3704
  10. Hypertension. Guide de pratique clinique belge. SSMG 2009. 
  11. Cardiovasculair risicomanagement. NHG-Standaard. (M84). Gepubliceerd: juni 2019.  Laatste aanpassing: juni 2019. 

 




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