Revue d'Evidence-Based Medicine



L’efficacité de la thérapie interpersonnelle brève sur la dépression pendant la grossesse



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 10 Page 239 - 242

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue, Sage-femme

Analyse de
Hankin BL, Demers CH, Hennessey EP, et al. Effect of brief interpersonal therapy on depression during pregnancy. JAMA Psychiatry 2023;80:539. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2023.0702


Question clinique
Quel est l’effet de la psychothérapie interpersonnelle brève, comparée à une prise en charge habituelle renforcée, chez les femmes enceintes souffrant de dépression prénatale ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, dont l’évaluation de l’effet a été réalisée en aveugle, montre que la thérapie interpersonnelle brève est déjà efficace à partir de 6 à 7 semaines dans le traitement de la dépression prénatale. On a observé une diminution des symptômes dépressifs et du nombre de dépressions majeures, par comparaison avec une prise en charge renforcée. Les résultats de l’étude sont largement extrapolables car ils concernent une population d’étude diversifiée sur le plan ethnique et socio-économique et parce que ni l’utilisation d’antidépresseurs pendant l’intervention, ni l’âge gestationnel, ni la présence de dépression au début de l’étude n’ont eu d’influence sur les résultats.


Contexte

La dépression pendant la grossesse touche 7 à 15% des femmes dans les pays à revenu élevé (1,2). La dépression prénatale serait associée non seulement à des souffrances pour la mère, mais aussi à un risque accru de dépression du post-partum chez la mère (3), ainsi qu’à un accouchement prématuré, à des complications obstétricales (4), à des complications liées à l’allaitement (4,5) et au développement d’un affect négatif, de symptômes de dépression et d’anxiété chez l’enfant (6). Malgré ces risques pour la mère et l’enfant, la recherche sur les interventions non pharmacologiques efficaces contre la dépression prénatale est limitée. Une analyse publiée dans Minerva a traité d’une méta-analyse montrant l’efficacité de la psychothérapie pour traiter la dépression en première ligne, mais son efficacité chez les femmes enceintes n’a pas été spécifiquement examinée (7,8). Deux méta-analyses d’études randomisées contrôlées (RCTs) ont déjà montré l’efficacité de la thérapie interpersonnelle sur la dépression prénatale et la dépression du post-partum (9,10). La thérapie interpersonnelle est une forme de psychothérapie qui vise à améliorer le fonctionnement interpersonnel et les relations interpersonnelles (11). 

 

 

Résumé

 

Population étudiée 

  • recrutement des participantes dans des services d’obstétrique et de gynécologie dans deux hôpitaux aux États-Unis (Denver, Colorado)
  • critères d’inclusion : femmes anglophones âgées de 18 à 45 ans, avec une grossesse unique ≤ 25 semaines et présentant des symptômes dépressifs à la sélection (≥ 10 sur l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg (Edinburgh Postnatal Depression Scale)
  • critères d’exclusion : consommation actuelle de drogues illicites ou de méthadone, graves problèmes de santé nécessitant des traitements invasifs (tels que dialyse, transfusions sanguines, chimiothérapie) ; épisodes actuels ou passés de psychose ou de manie ; déjà sous thérapie cognitivo-comportementale ou thérapie interpersonnelle ; IVG prévue ; actuellement en prison
  • finalement, 234 femmes ont été incluses ; âge moyen de 29,8 (ET 5,9) ans ; en majorité (43,2%) des femmes blanches ; enceintes de 16,7 semaines en moyenne, de leur premier enfant dans 39,5 à 53% des cas ; le revenu annuel médian était de 50000 dollars (écart interquartile 25000 à 90000), et 40,4% vivaient au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté ; 5,6% n’avaient pas le niveau secondaire, et 19,2% n’avaient pas dépassé le niveau secondaire ; 36,8% souffraient de dépression majeure au moment de l’inclusion, et 21,4% prenaient des médicaments psychotropes pendant la grossesse. 

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée contrôlée, prospective, menée en ouvert, à deux bras, l’évaluation de l’effet étant réalisée en aveugle :

  • groupe intervention (n = 115) : psychothérapie interpersonnelle brève pendant 8 semaines avec un thérapeute agréé ayant suivi une formation à cet effet ; 8 séances hebdomadaires individuelles de 50 minutes ont été assurées ; elles pouvaient être complétées par des séances d’entretien moins fréquentes en concertation entre le thérapeute et la patiente ; l’intervention s’est concentrée sur la psychoéducation et le lien entre les sentiments et les interactions interpersonnelles : les participantes ont appris à résoudre les conflits interpersonnels qui peuvent contribuer aux symptômes dépressifs et à accroître le soutien interpersonnel ; avant le début de l’intervention, une séance a été organisée pour limiter les barrières (logistiques, émotionnelles ou culturelles) au suivi du traitement et ainsi augmenter l’observance du traitement
  • groupe témoin (n = 119) : prise en charge habituelle renforcée, comprenant un accompagnement individuel, via une séance de 60 minutes avec psychoéducation sur la dépression périnatale, ainsi que (si souhaité) une orientation vers un soutien psychologique/psychiatrique supplémentaire (pas de thérapie cognitivo-comportementale ni de psychothérapie interpersonnelle) ; de nombreuses informations ont également été données concernant d’autres établissements et services de santé mentale, le soutien psychosocial et les centres locaux de soutien pendant la grossesse et après l’accouchement
  • en outre, des antidépresseurs pouvaient être prescrits tant dans le groupe intervention que dans le groupe témoin
  • suivi à différents moments après la randomisation, jusqu’à 2 semaines avant l’accouchement. 

 

Mesure des résultats 

 

Résultats 

  • principaux critères de jugement :
    • amélioration plus importante des symptômes dépressifs dans le groupe intervention que dans le groupe témoin, et ce de manière statistiquement significative, mesurée tant à l’aide de l’échelle SCL-20 (à partir d’un suivi de 6 à 7 semaines) que de l’échelle EDPS (à partir d’un suivi de 11 semaines) (voir tableau)

 

Tableau. Diminution moyenne par semaine du score SCL-20 et du score EPDS dans le groupe intervention et le groupe témoin ; taille de l’effet de l’intervention exprimée en d de Cohen. 

 

Diminution moyenne par semaine dans le groupe intervention (ET)

Diminution moyenne par semaine dans le groupe témoin (ET)

Différence moyenne entre les deux groupes quant à la diminution

Valeur de p

d de Cohen (IC à 95%)

SCL-20

0,551 (0,067)

0,149 (0,065)

0,402 (0,093)

< 0,001

0,57 (0,22 à 0,91)

EPDS

0,250 (0,025)

0,154 (0,026)

0,095 (0,035)

0,007

0,40 (0,06 à 0,74)

 

    • diminution statistiquement significative du nombre de diagnostics de dépression majeure dans le groupe intervention par rapport au groupe témoin (OR de 4,99 avec IC à 95% de 2,08 à 11,97 ; p < 0,001), également après contrôle de la parité (OR de 1,38 avec IC à 95% de 0,98 à 1,91 ; p = 0,05)
  • critères de jugement secondaires :
    • la fidélité des thérapeutes au protocole de traitement était très élevée (moyenne 1,90 sur une échelle de 0 à 2)
    • ni la présence d’une dépression majeure au départ ni l’âge gestationnel n’ont eu d’effet modérateur sur les résultats.

 

Conclusion des auteurs

Dans cette étude, la psychothérapie interpersonnelle brève a réduit de manière significative les symptômes de dépression prénatale et le taux de diagnostics de dépression majeure, par comparaison avec une prise en charge habituelle renforcée, chez des femmes enceintes, de diverses origines ethniques et socio-économiques, recrutées dans des cliniques d’obstétrique et de gynécologie. La psychothérapie interpersonnelle brève est une intervention sûre et efficace pour soulager la dépression pendant la grossesse et peut avoir un impact positif sur le bien-être mental de la mère et sur le développement du fœtus.

 

Financement de l’étude

L’étude a été financée par le National Institute of Mental Health et par le National Heart, Lung, and Blood Institute.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Un auteur a reçu des allocations personnelles de l’Université de Denver, et un autre a reçu des subsides de National Institutes of Health. 

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette RCT à deux bras menée en ouvert a été correctement menée, l’évaluation de l’effet ayant été réalisée en aveugle. La randomisation a été stratifiée selon le statut Medicaid (assurance maladie pour les personnes à faible revenu), le diagnostic de dépression majeure et l’âge gestationnel au départ. Après la randomisation, il y avait plus de femmes dans le groupe intervention ayant eu une première grossesse (53% contre 39,5% dans le groupe témoin), mais après ajustement pour tenir compte de cette différence de parité, le nombre de diagnostics de dépression majeure en fin de grossesse est resté plus faible dans le groupe intervention. 
En raison de la nature de l’intervention, il n’était pas possible d’effectuer l’intervention en aveugle des participantes et des thérapeutes. Comme le taux d’abandons de l’étude est comparable dans le groupe intervention et dans le groupe témoin (12% contre 13%), un biais d’attrition est peu probable. Étant donné que deux questionnaires d’auto-évaluation ont été utilisés pour surveiller les symptômes dépressifs, il existe un risque de biais de conformité sociale. Pour la surveillance du diagnostic de dépression majeure, des évaluateurs indépendants ont utilisé l’entretien clinique structuré SCID-5, basé sur les critères du DSM-5, et, ici aussi, une différence statistiquement significative a été observée en faveur de l’intervention. La dépression a donc été mesurée de trois manières, et, pour chacune d’elles, un effet en faveur de l’intervention était visible, ce qui confirme la robustesse des résultats.
Les auteurs indiquent que, sur la base d’un échantillon de calcul, il fallait 256 participantes pour trouver un effet modéré (d = 0,50) avec une puissance de 99%. On ignore cependant à quel résultat cela se rapporte précisément. L’échantillon final était composé de 234 participantes en raison d’une pause dans l’inclusion due à la pandémie de covid-19. Selon leurs calculs a posteriori, cela correspondrait à une puissance de 95 %, ce qui reste acceptable, d’autant plus qu’un effet statistiquement significatif a été constaté pour tous les critères de jugement.
Avant le début de l’intervention, une séance a été organisée pour limiter les barrières (logistiques, émotionnelles ou culturelles) à l’observance du traitement. Cela n’a pas été fait pour le groupe témoin, de sorte que le risque d’abandon de l’étude aurait pu être plus important avec la prise en charge habituelle. L’effet de cette séance précédente a probablement été très limité puisqu’à la fin de l’étude, il s’est avéré que le taux d’abandons était comparable dans les deux groupes (12% dans le groupe intervention, 13% dans le groupe témoin).

 

Évaluation des résultats

Dans cette étude, une différence quant aux symptômes dépressifs entre le groupe thérapie interpersonnelle brève et le groupe témoin a pu être observée relativement rapidement, déjà après 6 à 7 semaines. La moitié des participantes du groupe témoin ont eu recours à un soutien psychologique individuel supplémentaire, ce qui a pu diluer les résultats. Par ailleurs, il faut également noter que la majorité des participantes du groupe intervention ont assisté à toutes les séances (nombre moyen de séances 7,27 ; ET 3,5) et que les séances ont été effectuées de manière fiable. L’étude ayant été menée auprès de femmes de diverses origines socio-économiques et ethniques, les résultats sont largement extrapolables. Le revenu médian de la population étudiée était inférieur au revenu médian de Denver (où l’étude a été menée), et 40 % des participantes vivaient au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté. L’échantillon peut donc concerner majoritairement des femmes de statut socio-économique défavorisé. L’influence du statut socio-économique sur l’efficacité de l’intervention n’est par reprise dans les analyses. 
Un certain nombre d’analyses de sensibilité ont été réalisées post hoc. L’étude s’est déroulée pendant la pandémie de covid-19. Cela peut avoir eu un impact non seulement sur le recrutement des participantes (voir ci-dessus), mais aussi sur le nombre et la gravité des symptômes dépressifs. Les analyses de sensibilité n’ont toutefois pas montré d’effet modérateur de la pandémie de covid-19. De plus, les antidépresseurs étaient autorisés pendant l’étude, mais la prise de psychotropes n’avait pas non plus d’effet modérateur sur les résultats. De ce fait, les résultats sont plus proches de la réalité, où médicaments et thérapie non médicamenteuse sont souvent associés.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Concernant la gestion de la grossesse, le Réseau d’expertise flamand en santé mentale périnatale (Vlaams Expertise Netwerk Perinatale Mentale Gezondheid, VENPMG), Domus Medica et le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) recommandent comme pratique standard le dépistage de la dépression et des symptômes dépressifs tout au long de la grossesse (12-14). Le VENPMG recommande un accompagnement et un traitement multidisciplinaire, y compris la psychothérapie (12). Il ne mentionne pas de traitement thérapeutique spécifique. Les guides de pratique du NICE préconisent des interventions psychologiques pour les femmes enceintes souffrant de dépression modérée à sévère, avec ou sans médicaments (14). La thérapie cognitivo-comportementale est mentionnée à titre d’exemple. Les guides de pratique du Centre of Perinatal Excellence recommandent également la psychothérapie, en particulier la thérapie cognitivo-comportementale ou la thérapie interpersonnelle (15).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, en ouvert, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, dont l’évaluation de l’effet a été réalisée en aveugle, montre que la thérapie interpersonnelle brève est déjà efficace à partir de 6 à 7 semaines dans le traitement de la dépression prénatale. On a observé une diminution des symptômes dépressifs et du nombre de dépressions majeures, par comparaison avec une prise en charge renforcée. Les résultats de l’étude sont largement extrapolables car ils concernent une population d’étude diversifiée sur le plan ethnique et socio-économique et parce que ni l’utilisation d’antidépresseurs pendant l’intervention, ni l’âge gestationnel, ni la présence de dépression au début de l’étude n’ont eu d’influence sur les résultats. 

 

 

 

Références 

  1. Gelaye B, Rondon MB, Araya R, Williams MA. Epidemiology of maternal depression, risk factors, and child outcomes in low-income and middle-income countries. Lancet Psychiatry 2016;3:973-82. DOI: 10.1016/S2215-0366(16)30284-X
  2. World Health Organisation (WHO). Maternal mental health. Accessed August 18, 2023. Url: https://www.who.int/teams/mental-health-and-substance-use/promotion-prevention/maternal-mental-health
  3. Shuffrey LC, Lucchini M, Morales S, et al. Gestational diabetes mellitus, prenatal maternal depression, and risk for postpartum depression: an Environmental influences on Child Health Outcomes (ECHO) Study. BMC Pregnancy Childbirth 2022;22:758. DOI: 10.1186/s12884-022-05049-4
  4. Grigoriadis S, VonderPorten EH, Mamisashvili L, et al. The impact of maternal depression during pregnancy on perinatal outcomes: a systematic review and meta-analysis. J Clin Psychiatry 2013;74:e321-41. DOI: 10.4088/JCP.12r07968
  5. Dias CC, Figueiredo B. Breastfeeding and depression: a systematic review of the literature. J Affect Disord 2015;171:142-54. DOI: 10.1016/j.jad.2014.09.022
  6. Glynn LM, Howland MA, Sandman CA, et al. Prenatal maternal mood patterns predict child temperament and adolescent mental health. J Affect Disord 2018;228:83-90. DOI: 10.1016/j.jad.2017.11.065
  7. Van Daele, T. La psychothérapie est-elle efficace pour le traitement de la dépression en première ligne de soins ? Minerva Duiding 15/07/2015
  8. Linde K, Sigterman K, Kriston L, et al. Effectiveness of psychological treatments for depressive disorders in primary care: systematic review and meta-analysis. Ann Fam Med 2015;13:56-68. DOI: 10.1370/afm.1719
  9. Sockol LE, Epperson CN, Barber JP. A meta-analysis of treatments for perinatal depression. Clin Psychol Rev 2011;31:839-49. DOI: 10.1016/j.cpr.2011.03.009
  10. Cuijpers P, Franco P, Ciharova M, et al. Psychological treatment of perinatal depression: a meta-analysis. Psychol Med 2023;53:2596-608. DOI: 10.1017/S0033291721004529
  11. Hankin BL, Demers CH, Hennessey EP, et al. Effect of brief interpersonal therapy on depression during pregnancy. JAMA Psychiatry 2023;80:539.  DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2023.0702
  12. Van Damme R, Van Parys AS, Vogels C, et al. Screening en detectie van perinatale mentale stoornissen: richtlijn als leidraad voor het ontwikkelen van een zorgpad. 2018. Url:  https://zorg-en-gezondheid.be/sites/default/files/2022-04/Richtlijn-perinatale-gezondheid.pdf
  13. Dekker N, Goemaes R, Neirinckx J, et al. Suivi de la grossesse. Ebpracticenet. SSMG, mis à jour par le producteur: 11/08/2015.
  14. National Institute for Health and Care Excellence. Antenatal and postnatal mental health: clinical management and service guidance. NICE Clinical guideline [CG192]. Published 17/12/2014, last updated: 11/02/2020.  
  15. Austin M-P, Highet N, and the Expert Working Group. Mental health care in the perinatal period: Australian clinical practice guideline. Centre of Perinatal Excellence, 2017.



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