Revue d'Evidence-Based Medicine



L’amygdalectomie diminue le nombre de jours de maux de gorge chez l’adulte avec amygdalites aiguës récidivantes



Minerva 2024 Volume 23 Numéro 1 Page 7 - 10

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Wilson JA, O’Hara J, Fouweather T, et al. Conservative management versus tonsillectomy in adults with recurrent acute tonsillitis in the UK (NATTINA): a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2023;401:2051‑9. DOI: 10.1016/S0140-6736(23)00519-6


Question clinique
Chez les patients adultes atteints d'amygdalites aiguës récurrentes, quels sont l'efficacité clinique (en termes de réduction du nombre de jours de maux de gorge) et le rapport coût-efficacité de la prise en charge conservatrice par rapport à l'amygdalectomie ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée en ouvert confirme que l'amygdalectomie immédiate, comparée à un traitement conservateur chez l'adulte, réduit le nombre de jours de maux de gorge pendant les deux ans suivant l’intervention.


Contexte

Comme déjà mentionné dans Minerva en 2015, l’ablation chirurgicale des amygdales, avec ou sans adénoïdectomie, est une opération fréquente chez les patients présentant un problème d’angines récurrentes et fréquentes. Pourtant, l’utilité de cette intervention, tant chez l’enfant que chez l’adulte, reste sujet à controverse. L’analyse de 2015 (1) d’une synthèse méthodique de la Collaboration Cochrane (2) avait conclu que l’amygdalectomie avec ou sans adénoïdectomie diminue d’environ 5 jours le nombre de jours de mal de gorge dans l’année suivant l’intervention versus guérison spontanée. Les risques de l’amygdalectomie sont rares, mais bien documentés. Cette revue ne plaidait pas, chez les enfants et les adultes présentant des angines récurrentes et fréquentes, pour proposer l’amygdalectomie avec ou sans adénoïdectomie de manière quasi automatique. Les Britanniques ont publié en 2023 une étude randomisée sur le sujet chez l’adulte (3).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’éligibilité :
    • âge de ≥ 16 ans 
    • être dans les recommandations britanniques pour l'amygdalectomie : les épisodes de maux de gorge sont dus à une amygdalite aiguë ; ils empêchent un bon fonctionnement ; il y a eu sept épisodes ou plus de maux de gorge cliniquement significatifs au cours de l'année précédente, ou cinq épisodes ou plus au cours de chacune des 2 années précédentes, ou trois épisodes ou plus au cours de chacune des 3 années précédentes
    • consentement informé écrit
  • critères d’exclusion : amygdalectomie antérieure ; trouble respiratoire primaire du sommeil ; suspicion de malignité ; tonsillolithes ; femme enceinte ou allaitante ; diathèse hémorragique ; anticoagulation thérapeutique
  • au total, 453 patients ont été randomisés ; âge médian de 23 ans (IQR 19-30), avec 355 (78%) de femmes et 97 (21%) d'hommes.

 

Protocole d’étude

Essai randomisé contrôlé (« NATTINA »), ouvert, multicentrique, de phase III, avec 2 bras : 

  • amygdalectomie versus traitement conservateur
  • analyse en intention de traiter.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de jours de maux de gorge collectés pendant les 24 mois suivant la randomisation
  • critères de jugement secondaires : 
    • score TOI-14 (Tonsil Outcome Inventory-14, avec des catégories définies comme légères 0 à 35, moyennes 36 à 48 ou sévères 49 à 70) mesuré au départ et à 6, 12, 18 et 24 mois 
    • qualité de vie générale mesurée à l'aide du SF-12 (Short Form Survey) au départ et à 6, 12, 18 et 24 mois 
    • nombre d'événements indésirables 
    • points de vue et expériences des patients et des cliniciens concernant l'amygdalectomie et la prise en charge conservatrice
    • décès quelle qu'en soit la cause
    • évaluation économique.

 

Résultats 

  • critère de jugement primaire : rapport de taux d'incidence (RTI) du nombre total de jours de mal de gorge significativement réduit dans le groupe amygdalectomie immédiate (n = 224) par rapport au groupe de traitement conservateur (n = 205) : 0,53 (IC à 95% de 0,43 à 0,65 ; p < 0,0001) ; les participants du groupe d'amygdalectomie immédiate ont eu moins de jours de maux de gorge pendant 24 mois que ceux du groupe de traitement conservateur (médiane de 23 jours (IQR 11-46) contre 30 jours (14-65))
  • critères de jugement secondaires :
    • score TOI-14 : amélioré (réduit) pendant 24 mois dans les deux groupes de traitement, avec une amélioration plus prononcée et plus précoce dans l'amygdalectomie immédiate que dans le groupe de traitement conservateur (moyenne de 4,3 (IC à 95% de 3,4 à 5,3) chez 122 (55%) participants contre 21,7 (18,5–24,9) chez 117 (50%) participants à 12 mois et moyenne de 4,7 (2,9–6,4) chez 99 (42%) contre 15,4 (12,0–18,8) chez 100 (45%) participants à 24 mois ; p < 0,0001)
    • SF-12 : plus élevé pendant les 24 mois de suivi dans le groupe amygdalectomie immédiat
      coût (en prenant en compte les coûts des participants) : amygdalectomie moins coûteuse que la prise en charge conservatrice (différence moyenne de 889 £ (IC à 95% de 40 à 1738)) et plus efficace (différence moyenne de 0,12 QALY (0,09-0,14))
    • effets indésirables : 191 rapportés chez 90 (39%) des 231 participants subissant une amygdalectomie et jugés liés à l'amygdalectomie, l’hémorragie étant le plus fréquent (observée chez 19% des opérés)
    • décès : aucun constaté.

 

Conclusion des auteurs

Par rapport à une prise en charge conservatrice, l'amygdalectomie immédiate est cliniquement efficace et rentable chez les adultes souffrant d'amygdalite aiguë récurrente.

 

Financement de l’étude

Par le « NIHR Health Technology Assessment programme”.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

Aucun lien d’intérêt rapporté avec l’industrie.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit d’une étude randomisée ouverte avec deux bras, basée sur des considérations statistiques qui ont dû être revues à cause de difficultés de recrutement. Le nombre prérequis de patients à randomiser, initialement fixé à 510, a été réduit à 444, entraînant une baisse de puissance de 90 à 85% de détecter la différence d’effet préétablie (différence de 3,6 jours pour l’objectif primaire). L’analyse a été faite en intention de traitement. En tout, 4165 patients ont été évalués pour l’éligibilité à l’essai et 3712 exclus dont la moitié pour refus de participation. 453 ont été randomisés, 24 ont été exclus de l’analyse pour manque de données sur l’objectif primaire, laissant 429 patients pour l’analyse dite en intention de traitement. Chez les 220 patients randomisés pour le traitement conservateur, 57 ont eu une amygdalectomie tardive. Une analyse « per protocol » va dans le même sens que l’analyse en intention de traitement de même que les analyses de sensibilité menées en restreignant la population à ceux qui ont bien rempli les formulaires. 
Les données ont été récoltées non par des médecins lors de visites mais par questionnaires à remplir hebdomadairement par les patients. Des données complètes sur les maux de gorge sur 104 semaines n’ont été reçues pour 115 (25%) des 453 participants. 15 (3%) n’ont pas fourni du tout de données sur les maux de gorge. Il y a eu un taux de retour numériquement plus élevé des données sur les maux de gorge dans le groupe amygdalectomie que dans le groupe de traitement conservateur : 144 (62%) contre 115 (53%) patients ont complété les retours de données sur les maux de gorge pendant 83 (80%) sur les 104 semaines.

 

Évaluation des résultats

Il s’agit d’une population très contemporaine de patients, recrutée en Grande-Bretagne entre 2015 et 2018. Les auteurs ont pris comme objectif primaire les maux de gorge rapportés par les patients eux-mêmes sans diagnostic médical et non les amygdalites (angines) récidivantes. On ne sait d’ailleurs pas le nombre d’angines observées pendant le suivi. En pratique, sur deux ans, le nombre de jours avec maux de gorge passe de 30 à 23 en cas d’intervention chirurgicale. Il faut noter qu’il y a eu beaucoup de refus de participation à l’étude. Il se peut donc que les cas avec des récidives plus sévères n’aient pas participé à l’essai. Les traitements administrés sont ceux prodigués en routine. Pour le traitement chirurgical, l’intervention était réalisée par un chirurgien souvent, mais pas toujours, expérimenté. Le traitement standard comprenait une analgésie auto-administrée plus une prescription ad hoc d'antibiotiques en soins primaires ou une consultation d’un service d'urgence en cas d'amygdalite sévère mais le détail n’est pas rapporté. On ne sait donc pas non plus le nombre de prescriptions d’antibiotiques. 
Il faut noter que l’amygdalectomie s’est avérée coût-efficace dans le système de santé britannique. L’analyse réalisée a tenu compte des coûts directs et indirects. Il serait intéressant de réaliser une telle étude avec notre pratique et notre système de soins.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Il n’y a pas de recommandations récentes sur l’amygdalectomie chez l’adulte, celles disponibles concernent l’enfant (4). En 2013, Prescrire ne recommandait pas l’amygdalectomie car l’efficacité de l’amygdalectomie pour prévenir les récidives d’angine n’est pas établie avec un bon niveau de preuves (5), tout comme le faisait Minerva dans son analyse de la revue systématique Cochrane de 2014 (1,2). Ces deux synthèses pointaient que l’intervention chirurgicale réduit d’environ 5 jours la durée de mal de gorge, douleur postopératoire comprise, dans l’année suivant l’intervention chirurgicale. L’essai britannique randomisé confirme cet effet chez l’adulte.
 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée en ouvert confirme que l'amygdalectomie immédiate, comparée à un traitement conservateur chez l'adulte, réduit le nombre de jours de maux de gorge pendant les deux ans suivant l’intervention.

 

 


Références 

  1. Matthys J, De Meyere M. Intérêt de l’(adéno-)amygdalectomie en cas d’angines récurrentes et fréquentes ? Minerva Analyse 15/10/2015.
  2. Burton MJ, Glasziou PP, Chong LY, Venekamp RP. Tonsillectomy or adenotonsillectomy versus non-surgical treatment for chronic/recurrent acute tonsillitis. Cochrane Database Syst Rev 2014, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD001802.pub3
  3. Wilson JA, O’Hara J, Fouweather T, et al. Conservative management versus tonsillectomy in adults with recurrent acute tonsillitis in the UK (NATTINA): a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2023;401:2051‑9. DOI: 10.1016/S0140-6736(23)00519-6
  4. Société Française d’Oto-Rhino-Laryngologie et de Chirurgie de la Face et du Cou. Amygdalectomie de l’enfant. Actualisation 2020 de la recommandation SFORL & CFC 2020. Disponible sur: https://www.sforl.org/wp-content/uploads/2021/11/Recommandation-SFORL-Amygdalectomie_2021.pdf
  5. Prescrire Rédaction. Prévention des récidives d’angine : pas d’amygdalectomie Une balance bénéfices-risques défavorable, même en cas de récidives très fréquentes. Rev Prescrire 2013;33:519‑23

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Code


J02, R07
R21, R74


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