Revue d'Evidence-Based Medicine



Le picosulfate pour la constipation chronique ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 2 Page 17 - 18

Professions de santé


Analyse de
Mueller-Lissner S, Kamm MA, Wald A, et al. Multicenter, 4-week, double-blind, randomized, placebo-controlled trial of sodium picosulfate in patients with chronic constipation. Am J Gastroenterol 2010;105:897-903.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité du picosulfate sodique versus placebo dans une constipation chronique fonctionnelle chez un adulte en termes de nombre de défécations par semaine ?


Conclusion
Cette RCT sur une durée de 4 semaines montre un intérêt du picosulfate sodique pour traiter une constipation chronique fonctionnelle dans une population majoritairement féminine fort sélectionnée. Aucune comparaison avec d’autres laxatifs, particulièrement ceux qui sont actuellement recommandés, n’est disponible.


 

Contexte

La constipation chronique est une plainte fréquente, avec une prévalence pouvant cependant fort varier selon qu’il s’agisse d’une constipation suivant les critères de ROME III ou si elle concerne des déclarations des patients : elle varie ainsi de 5% à 35% en Europe (1). De nombreux médicaments possédant cette indication mais commercialisés depuis longtemps n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’étude de niveau méthodologique actuellement exigé. C’est le cas du picosulfate sodique, disponible depuis les années 1960, qui est analysé ici.

 

Résumé

Population étudiée

  • 367 patients, sur 468 dépistés avec une constipation fonctionnelle chronique selon les critères de Rome III en médecine générale en Allemagne ; 78% de femmes, âge moyen de 50,8 ans (ET 16,9), IMC moyen de 26,3 (ET 4,8) ; âge moyen de la constipation 13,2 ans (ET 14)
  • critères de constipation pour la randomisation : < 3 défécations spontanées complètes par semaine en moyenne, avec au moins 1 des symptômes suivants survenant au moins durant 25% du temps : efforts nécessaires, évacuation incomplète, et/ou selles grumeleuses ou dures
  • critères d’exclusion : e.a. troubles alimentaires (anorexie nerveuse, boulimie) et recours excessif à des laxatifs, constipation organique, métabolique ou neurologique, troubles psychiatriques sévères, traitement médicamenteux constipant, fissure anale, proctite ulcérée, chirurgie abdominale aiguë, trouble électrolytique cliniquement significatif, antibiothérapie en cours.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, en groupes parallèles
  • période initiale d’enregistrement dans un journalier électronique (eDiary) par le patient de son nombre de défécations durant 2 semaines
  • randomisation (2/1) ensuite des patients avec constipation fonctionnelle confirmée, observant pour l’eDiary et le recours à un médicament si nécessaire (pour la constipation)
  • intervention : administration quotidienne de picosulfate sodique en gouttes (18 gouttes = 10 mg) (n = 233) versus placebo (n = 134) durant 4 semaines
  • titration possible vers la diminution (9 gouttes) en cas de diarrhée ou d’inconfort abdominal sévère (avec accord préalable de l’investigateur)
  • en cas d’absence d’exonération durant plus de 72 heures, recours autorisé à un suppositoire de bisacodyl 10 mg (comme dans les 2 semaines initiales)
  • analyses en échantillon total et par protocole.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : nombre d’exonérations fécales spontanées complètes (EFSC) par semaine ; une exonération spontanée (EFS) est une défécation non induite par un recours à un autre médicament et elle est dite complète si elle s’accompagne de la sensation d’une évacuation complète
  • critères secondaires : nombres d’EFSC par chaque semaine d’étude, d’EFS par semaine, de patients avec augmentation de ≥1 EFSC par semaine, de patients avec ≥1 EFSC par jour, de patients avec ≥3 EFSC par semaine ; recours au bisacodyl, score de symptômes liés à la constipation, indice de satisfaction, qualité de vie mesurée au Constipation-related Patient Assessment of Constipation (PAC)-QoL et au Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey (SF-36) est un questionnaire validé comportant 36 questions. Il permet d’explorer huit aspects de la qualité de vie : santé générale et mentale, capacités fonctionnelles physiques et sociales, santé physique et émotionnelle, douleur et vitalité. Les scores pour chacun des huit domaines vont de 0 (le moins bon) à 100 (le meilleur).">SF-36 (version 2)
  • visites de contrôle aux jours 16 et 30.

Résultats

  • sorties d’étude : 5,2% sous picosulfate, 3,8% sous placebo
  • critère primaire
    • nombre d’EFSC moyen (± ES) passant de 0,9 ± 0,1 à 3,4 ± 0,2 dans le groupe picosulfate et de 1,1 ± 0,1 à 1,7 ± 0,1 dans le groupe placebo ; p<0,0001 pour la différence
  • critères secondaires
    • pourcentage de patients avec au moins 1 EFSC en plus par semaine versus début d’étude : 65,5% versus 32,3% ; p<0,0001
    • pourcentage de patients avec au moins 3 EFSC par semaine : 51,1% versus 18,0% ; p<0,0001
    • titration vers une diminution en cours d’étude chez presque 50% des sujets
    • avantage significatif (p<0,01) en faveur du picosulfate pour les critères efforts de défécation, consistance des selles, exonération non complète, sensation d’obstruction anale, manœuvre de débouchage ou de pression abdominale et avec p<0,0001 pour la satisfaction générale, et autres symptômes liés à la constipation
    • qualité de vie : amélioration significative sous picosulfate pour le PAC-QoL total et pour certains critères du SF-36.
  • effets indésirables
    • diarrhée : 4,5% sous placebo, 31,8% sous picosulfate
    • douleur abdominale : 2,2% sous placebo, 5,6% sous picosulfate.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un traitement d’une constipation chronique par du picosulfate sodique améliore la fonction intestinale, les symptômes, la qualité de vie et est bien toléré. La dose peut être ajustée individuellement tout en maintenant le bénéfice.

Financement

Firme Boehringer Ingelheim.

Conflits d’intérêt 

3 des 7 auteurs sont consultants pour la firme Boehringer Ingelheim ; les 4 autres sont employés par la firme.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT est basée sur un protocole correct avec attribution aléatoire et secret d’attribution bien respectés, ainsi que le double aveugle. Le placebo est semblable à la solution de picosulfate au point de vue couleur et goût. Sa durée est cependant beaucoup trop courte pour une affection chronique. Il y a manifestement plus de femmes dans le groupe placebo (86%) que dans le groupe picosulfate (73%) ce qui représente un risque de biais, non pris en considération par les auteurs. Les auteurs donnent des analyses pour l’ensemble de l’échantillon randomisé (FAS full analysis set). En FAS ne sont exclus que les patients (5 au total) n’ayant pas pris au moins une dose du médicament donné (4 au total) et celui n’ayant pas complété son journalier ; correctement ils ne parlent pas d’analyse en intention de traiter modifiée. Pour l’analyse par protocole, ils détaillent bien les critères d’exclusion, dont, entre autres, les patients qui ne répondaient pas aux critères d’inclusion mais qui ont été malgré tout randomisés. Leur présentation est donc très correcte (voir Analyse en ITT modifiée (2)).

Mise en perspective des résultats

Le bisacodyl et le picosulfate sodique sont deux médicaments transformés en un même métabolite actif au niveau des intestins, métabolite ayant un effet prokinétique direct et aussi un effet anti absorption sécrétoire. Ils sont classés parmi les laxatifs de contact, alias stimulants. Le picosulfate agit rapidement (6 à 12 h après l’ingestion). Au vu d’une absence de preuves fiables de leur efficacité, le picosulfate et le bisacodyl n’étaient généralement pas repris dans les laxatifs recommandés dans les guides de pratique pour la constipation chronique (3,4). La population de cette étude est fort sélectionnée : les critères d’exclusion sont nombreux, avec plus d’1/4 des patients recrutés exclus. Les résultats ne sont donc pas extrapolables à des populations plus à risque d’effets indésirables ou a priori avec constipation plus difficile à lever, populations exclues de cette étude. Si l’efficacité du picosulfate ne semble pas faiblir après 4 semaines, il reste à montrer qu’il en est de même à plus long terme.

L’évaluation scientifique du picosulfate est très faible ; seules 2 RCTs plus récentes (5,6), en double aveugle, incluant un nombre faible de patients (n = 55 et 57) montrent un avantage du picosulfate versus placebo sur 3 mois de suivi. La synthèse de Ramkumar (7), publiée avant ces 2 RCTs n’avait isolé aucune étude contrôlée évaluant un laxatif de contact versus placebo. Cette synthèse montrait de bonnes preuves d’efficacité du polyéthylène glycol et du tégasérod et des preuves modérées de l’intérêt du psyllium et du lactulose. L’intérêt d’associer si cliniquement indiqué un laxatif de contact au lactulose était suggéré dans certaines études, mais sans contrôle versus placebo cependant.

L’intérêt (efficacité et sécurité) du picosulfate dans une population moins sélectionnée et à long terme reste à évaluer. Son intérêt versus nouveaux médicaments, versus laxatifs de lest et laxatifs osmotiques reste également à évaluer.

Un usage intermittent de ces médicaments permettant de proposer des séquences adéquates n’est pas évalué.

Effets indésirables

Comme pour les autres laxatifs, le picosulfate est contre-indiqué en cas de suspicion d’occlusion, de perforation intestinale ou de déshydratation. Dans cette étude les seuls effets indésirables plus fréquemment observés sous picosulfate sont la diarrhée et les douleurs abdominales, surtout en début de traitement. Les laxatifs stimulants en usage prolongé sont susceptibles de provoquer des diarrhées chroniques, des troubles hydro-électrolytiques (hypokaliémie, déshydratation), d’altérer l’épithélium colique et de favoriser l’accoutumance qui incite à augmenter les dosages (4,8). La pharmacovigilance australienne a signalé que de faibles quantités de solutions contenant du picosulfate pouvaient provoquer une déshydratation marquée, une hyponatrémie, d’autres anomalies électrolytiques ; les personnes âgées, fragiles, en insuffisance cardiaque ou rénale, sont particulièrement à risque (9). Il peut également provoquer de l’urticaire généralisé (8). 

Conclusion de Minerva

Cette RCT sur une durée de 4 semaines montre un intérêt du picosulfate sodique pour traiter une constipation chronique fonctionnelle dans une population majoritairement féminine fort sélectionnée. Aucune comparaison avec d’autres laxatifs, particulièrement ceux qui sont actuellement recommandés, n’est disponible. 

Pour la pratique

Les guidelines recommandent en premier choix les laxatifs de lest et les laxatifs osmotiques en cas de constipation chronique (3,4). Le NHG standaard Obstipatie (10) est plus précis encore : les laxatifs osmotiques lactulose et macrogol sont proposés en premier choix en raison d’un manque de données pour les autres laxatifs, l’impression qu’ils provoquent davantage d’effets indésirables et l’absence de données à long terme (malgré que la notion de paralysie intestinale due à une utilisation prolongée des laxatifs de contact n’ait jamais été cliniquement prouvée). Ce guide de pratique propose en 3ème choix en cas d’efficacité insuffisante des 2 premiers, du bisacodyl, des sennosides ou un autre laxatif osmotique (oxyde de magnésium par exemple). Les autres laxatifs que les laxatifs de lest et les osmotiques sont nettement moins bien évalués et leurs effets indésirables par contre sont plus importants, parfois sévères. Cette étude avec le picosulfate sodique dans une population majoritairement féminine, fort sélectionnée et sur une durée très courte ne remet pas les recommandations en question.

 

Noms de marque

picosulfate: Dulcolax Picosulphate®, Fructines®, Laxoberon®, Picolaxine

bisacodyl: Bisacodyl Teva®, Carters®, Dulcolax Bisacodyl®,  Mucinum®, Purgo-Pil®, Bisolax®

 

 

Références

  1. Peppas G, Alexiou VG Mourtzoukou E, Falagas ME. Epidemiology of constipation in Europe and Oceania: a systematic review. BMC Gastroenterology 2008;8:5.
  2. Chevalier P. Analyse en intention de traiter modifiée. MinervaF 2011;10(2):38.
  3. CKS. Constipation in adults. http://www.cks.nhs.uk/constipation#-313558 2008 (consulté le 20 juin 2010).
  4. Piche T, Dapoigny M, Bouteloup C, et al. Recommandations pour la pratique clinique dans la prise en charge et le traitement de la constipation chronique de l'adulte. Gastroenterol Clin Biol 2007;31:125-35.
  5. Wulkow R, Vix JM, Schuijt C, et al. Randomised, placebo controlled, dubbel blind study to investigate the efficacy and safety of the acute use of sodium picosulphate in patients with chronic constipation. Int J Clin Pract 2007;61:944-50.
  6. Kienzle-Hom S, Vix JM, Schuijt C, et al. Efficacy and safety of bisacodyl in the acute treatment of constipation: a double-blind, randomized, placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther 2006;23:1479-88.
  7. Ramkumar D, Rao SS. Efficacy and safety of traditional medical therapies for chronic constipation: systematic review. Am J Gastroenterol 2005;100;936-71.
  8. Aronson JK. Laxatives. In: Aronson JK. Meyler’s side effects of drugs. 15th Edition, Elsevier 2006.
  9. Martindale, The Complete Drug Reference. 35ste Edition, Pharmaceutical Press, 2007.
  10. Diemel JM, Van den Hurk AP, Muris JW, et al. NHG-Standaard Obstipatie. Huisarts Wet 2010;53:484-98.
Le picosulfate pour la constipation chronique ?



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