Revue d'Evidence-Based Medicine



Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 6 Page 74 - 75

Professions de santé


Analyse de
Connolly SJ, Ezekowitz MD, S. Yusuf, et al; RE-LY Steering Committee and Investigators. Dabigatran versus warfarin in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2009;361:1139-51.


Question clinique
En cas de fibrillation auriculaire, quelles sont l’efficacité et la sécurité du dabigatran versus warfarine dans la prévention d’un accident vasculaire cérébral ou d’une embolie systémique ?


Conclusion
Chez des patients en FA et à risque accru de faire un AVC, sans risque hémorragique accru, cette RCT montre un intérêt possible du dabigatran à la dose de 2 x 110 mg en prévention de l’accident vasculaire cérébral ou d’embolie systémique versus warfarine. Les risques liés à ce médicament, surtout en utilisation chronique, restent à préciser. Aucun antidote n’est connu.


 

Contexte

La warfarine est plus efficace que l’aspirine dans la prévention thrombo-embolique chez les patients atteints de fibrillation auriculaire avec un risque d’AVC élevé, quel que soit l’âge du patient. Elle augmente cependant fortement le risque d’hémorragie (extracrânienne et surtout intracrânienne). Elle nécessite un suivi régulier de l’INR avec adaptation de la posologie et une surveillance étroite des interactions. Le dabigatran, anticoagulant oral à posologie fixe, inhibiteur spécifique de la thrombine, n’impose pas de surveillance biologique. A côté de cette plus grande facilité d’emploi, quelles sont l’efficacité pratique et la sécurité du dabigatran versus warfarine pour cette administration chronique ?

 

Résumé

Population étudiée

  • 18113 patients présentant une fibrillation auriculaire à l’ECG et un risque accru d’AVC ; âge moyen de 71 ans ; 63,6% d’hommes ; moitié des patients sous anti-vitamine K depuis longtemps
  • recrutés dans 951 centres, dans 44 pays
  • risque accru d’AVC sur base d’au moins 1 des caractéristiques : précédent AVC ou AIT, FEVG <40%, insuffisance cardiaque NYHA ≥2, ≥75 ans ou 65-74 ans et diabète, HTA ou atteinte coronaire
  • exclusion : valvulopathie cardiaque sévère, AVC dans les 14 jours ou AVC sévère dans les 6 mois, risque hémorragique accru, clairance de la créatinine <30 ml/min, hépatopathie, grossesse
  • prise concomitante d’aspirine dans 20% des cas dans l’étude.

Protocole d’étude

  • étude de étude de non-infériorité tente de démontrer qu’un traitement en expérimentation n’est pas moins efficace qu’un traitement de référence. L’hypothèse nulle est, dans ce cas, que la différence observée entre les deux traitements est plus importante qu’une valeur précisée au préalable. S’il y a moins de 5% de risque que la différence observée soit supérieure à la valeur précisée, le traitement expérimenté est jugé non inférieur.">non infériorité de 2 doses de dabigatran versus warfarine (+ analyse de supériorité si non infériorité observée) avec une borne de non infériorité à 1,46 pour un IC à 97,5% pour le RR avec p<0,025
  • intervention : en aveugle, soit 110 mg de dabigatran (n=6015) soit 150 mg (n=6076), x 2 prises par jour
  • comparateur : en ouvert, warfarine (n=6022) titrée pour INR 2 à 3 (atteint dans 64% en cours d’étude)
  • suivi moyen de 2 ans
  • analyse en ITT.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire d’efficacité : AVC ou embolie systémique
  • critère primaire de sécurité : hémorragie sévère
  • critères secondaires : AVC, embolie systémique, décès
  • autres critères : infarctus du myocarde, embolie pulmonaire, AIT, hospitalisation.

Résultats

  • 99,9% de suivi complet ; moins d’arrêts de traitement sous warfarine (16,6% vs 20,7 et 21,2% sous dabigatran à 2 ans)
  • critères de jugement primaires : voir tableau
  • pas de différence significative pour les décès ni pour les infarctus du myocarde (augmentation à la limite de la signification statistique pour le dabigatran 150 mg)
  • seul effet indésirable plus fréquent sous dabigatran : dyspepsie.

 

Tableau. Incidence/an des critères pour les différents bras, avec Risque Relatif (avec IC à 95%) pour les bras dabigatran versus groupe warfarine.

 

 

Dabigatran 110 mg

Dabigatran 150 mg

Warfarine titrée

Critère primaire efficacité

1,53%

Non infériorité vs warfarine

Pas de supériorité vs warfarine : RR 0,91 (0,74 à 1,11)

1,11%

Non infériorité vs warfarine

Supériorité vs warfarine :

RR 0,66 (0,53 à 0,82)

1,69%

Critère primaire sécurité

2,71%

RR vs warfarine 0,80 (0,69 à 0,93)

3,11%

RR vs warfarine 0,93 (0,81 à 1,07)

3,36%

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients en fibrillation auriculaire, l’administration de dabigatran à la dose de 110 mg est associée à une incidence d’AVC et d’embolie systémique similaire à celle liée à la warfarine, avec une incidence moindre d’hémorragie sévère. A la dose de 150 mg, versus warfarine, l’incidence d’AVC et d’embolie systémique est moindre mais avec un risque d’hémorragie sévère identique.

Financement 

Ffirme Boehringer Ingelheim.

Conflits d’intérêt 

19 des 21 auteurs ont reçu des honoraires de différentes firmes à différents titres ; 2 auteurs sont employés par la firme Boehringer Ingelheim.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette étude est, comme celui d’une précédente étude analysée par Minerva concernant un autre anticoagulant oral inhibiteur spécifique de la thrombine, le rivaroxaban (1), complexe : non infériorité avec analyse de la supériorité en cas de non infériorité. Les auteurs décrivent un calcul correct de la borne de non infériorité en référence à une méta-analyse des anti-vitamines K. Par contre, ils mentionnent avoir réalisé toutes les analyses en intention de traiter. Ceci n’est pas correct pour une étude de non infériorité, qui nécessite une analyse par protocole, d’autant plus nécessaire dans cette étude-ci avec des taux d’arrêts de traitement proches de 20%, donc 20% de données soit manquantes soit ne correspondant pas à l’évaluation d’un traitement bien observé. Pour les bras dabigatran, l’étude est dite en aveugle, ce qui est trompeur, le groupe de comparaison (warfarine) n’étant pas en insu. Pour ce groupe warfarine, l’absence de double aveugle pourrait représenter un risque de biais dans le signalement ou l’adjudication d’événements. L’adjudication des événements se fait cependant sur des définitions précises des événements à rapporter, de manière centrale et en insu du traitement. L’échantillon de patients est important, supérieur aux 15000 patients nécessaires pour atteindre une puissance de 84%.

Interprétation des résultats

Pour le critère primaire d’efficacité, les deux doses de dabigatran sont non inférieures à la warfarine, la dose la plus forte (150 mg par jour) étant même supérieure à la warfarine avec, calculé par nous, un NNT = 1/RAR *100.">NST de 172 (IC non calculable vu l’absence de données pour l’IC de la RAR). Le risque d’hémorragie sévère est moins important, versus warfarine, uniquement pour la dose la plus faible (153 personnes à traiter pendant 1 an par dabigatran plutôt que par warfarine pour éviter une hémorragie sévère). Soulignons aussi que les hémorragies gastro-intestinales sont plus fréquentes sous dabigatran que sous warfarine, significativement pour la dose de 150 mg. Le problème de l’attitude face à une hémorragie sous dabigatran n’est pas abordé dans cette étude ; il est cependant crucial, le Résumé des Caractéristiques de ce Produit mentionnant qu’il n’existe aucun antidote au dabigatran. Une toxicité hépatique du dabigatran n’a été observée ni dans cette étude ni dans de précédentes, mais il faut rappeler que le ximélagatran, autre anticoagulant oral inhibiteur spécifique de la thrombine, a été retiré du marché pour toxicité hépatique, tardivement mise en évidence. Les auteurs soulignent aussi une incidence plus grande d’infarctus du myocarde sous dabigatran versus warfarine, non significative pour la dose de 110 mg, à la limite de la signification statistique pour la dose de 150 mg. La biodisponibilité du dabigatran est multipliée par environ 2,7 en cas d’insuffisance rénale modérée (clairance de créatinine entre 30 et 50 ml/min) et d’environ 50% chez les patients âgés (2). La prudence s’impose avec les inhibiteurs de la glycoprotéine P (amiodarone et quinidine par exemple). Toutes ces observations invitent à un suivi clinique rigoureux et à une pharmacovigilance attentive pour ce médicament, particulièrement, en usage chronique comme dans cette indication de FA, chez des personnes âgées. En Belgique, le dabigatran ne possède pas l’indication FA.

Alternatives à la warfarine

Une méta-analyse (3), précédemment analysée dans Minerva (4), montrait la plus grande efficacité des anticoagulants oraux en comparaison avec les antiagrégants plaquettaires en prévention de l’accident vasculaire cérébral (AVC) chez des patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire. L’association clopidogrel et aspirine est moins efficace que la warfarine. En cas de contre-indication à l’administration de warfarine, l’étude ACTIVE montrait un bénéfice d’un traitement clopidogrel-aspirine versus aspirine seule, bénéfice peut-être légèrement supérieur au risque accru d’hémorragie, mais ceci demande confirmation dans la pratique (5). L’idraparinux (en administration sous-cutanée), associé à un risque plus élevé d’hémorragies, n’est plus disponible en Belgique. D’autres anticoagulants oraux spécifiques de la thrombine ou du facteur Xa sont encore à l‘étude dans cette indication de FA, dont le rivaroxaban.

Pour la pratique

En cas de fibrillation auriculaire, le choix du traitement antithrombotique doit actuellement tenir compte du risque absolu d’AVC : en cas de risque élevé, un anticoagulant est recommandé. Il faut également, avant de décider d’instaurer un traitement anticoagulant, tenir compte du risque de saignement mais aussi de la qualité possible du suivi de l’INR. Si le risque lié à un traitement anticoagulant est important, en raison d’une contre-indication, de problèmes d’observance, de co-morbidité, de polymédication, l’aspirine est une alternative (6). Les patients à risque hémorragique accru ont été exclus de cette étude avec le dabigatran. En cas de non contre-indication à un traitement anticoagulant, les inhibiteurs spécifiques de la thrombine comme le dabigatran sont une alternative théoriquement intéressante (pas de contrôle biologique nécessaire) mais non dénués de risque d’interactions médicamenteuses, de risque en cas de surdosage (pas d’antidote disponible) et leur sécurité à long terme reste à déterminer.   

 

Conclusion

Chez des patients en FA et à risque accru de faire un AVC, sans risque hémorragique accru, cette RCT montre un intérêt possible du dabigatran à la dose de 2 x 110 mg en prévention de l’accident vasculaire cérébral ou d’embolie systémique versus warfarine. Les risques liés à ce médicament, surtout en utilisation chronique, restent à préciser. Aucun antidote n’est connu.

 

Références

  1. Chevalier P. Rivaroxaban plutôt qu’une HBPM après chirurgie orthopédique élective majeure ? MinervaF 2009;8(1):4-5.
  2. Dabigatran : en rester à une héparine, mieux connue. Rev Prescr 2008;28:806-10.
  3. Hart RG, Pearce LA, Aguilar MI. Meta-analysis: antithrombotic therapy to prevent stroke in patients who have nonvalvular atrial fibrillation. Ann Intern Med 2007;146:857-67.
  4. Willems R, De Cort P. Un traitement antithrombotique en prévention d’un AVC chez des patients présentant une FA sans valvulopathie ? MinervaF 2008;7(6):90-1.
  5. Chevalier P. Clopidogrel et aspirine pour la fibrillation auriculaire. MinervaF 2009;8(10):144-5.
  6. Prévention thrombo-embolique dans la fibrillation auriculaire. Folia Pharmacotherapeutica 2008;35:2-3.

 

Nom de médicament

Dabigatran: Pradaxa®

Dabigatran versus warfarine en cas de fibrillation auriculaire



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