Revue d'Evidence-Based Medicine



Télémonitoring de la pression artérielle à domicile en cas de non contrôle



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 4 Page 47 - 48

Professions de santé


Analyse de
McKinstry B, Hanley J, Wild S, et al. Telemonitoring based service redesign for the management of uncontrolled hypertension: multicentre randomized controlled trial. BMJ 2013;346:f3030.


Question clinique
Versus stratégie habituelle du médecin généraliste dans l’hypertension, le télémonitoring des valeurs tensionnelles mesurées à domicile conduit-il après six mois à une baisse cliniquement importante des chiffres de pression artérielle chez les patients atteints d’hypertension artérielle non contrôlée en première ligne de soins ?


Conclusion
Cette étude multicentrique randomisée contrôlée, comme d’autres données de la littérature scientifique montre l’intérêt du télémonitoring des mesures de la pression artérielle effectuées à domicile. Une diminution statistiquement significative de la pression artérielle systolique chez les patients atteints d’hypertension non contrôlée est observée. La pertinence clinique de cet avantage, sa persistance sur le long terme ainsi que l’efficience de cette méthode doivent encore être montrées.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Lorsque le médecin constate une pression artérielle élevée, le diagnostic d’hypertension artérielle doit être confirmé par une série de mesures standardisées de la pression artérielle effectuées par le patient lui-même, à domicile (1). Les mesures de la pression artérielle à domicile, en cas d’hypertension non contrôlée, ne contribuent toutefois que dans une mesure limitée à un meilleur contrôle de la pression artérielle (2). Avec le télémonitoring, les valeurs tensionnelles mesurées à domicile sont immédiatement envoyées électroniquement sur un site internet (le plus souvent par le biais du téléphone mobile). Les patients et les médecins ont ainsi toujours accès aux différentes mesures de la pression artérielle effectuées au cours de la journée au domicile ou au travail. L’effet du télémonitoring sur le contrôle de la pression artérielle n’a cependant pas encore été suffisamment évalué.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 401 patients âgés d’au moins 18 ans (âge moyen de 60,5 ans), dont 60 % d’hommes, atteints d’hypertension artérielle (HTA) non contrôlée : dernière mesure conventionnelle de la pression artérielle mentionnée dans le dossier médical informatisé (DMI) > 145 mmHg pour la pression artérielle systolique (PAS) ou > 85 mmHg pour la pression artérielle diastolique (PAD) et pression artérielle moyenne ≥ 135/85 mmHg et ≤ 210/135 mmHg lors d’une surveillance de la pression artérielle en ambulatoire toutes les 20 minutes durant 14 heures ; dans 20 cabinets de médecine générale en Écosse ; le status socio-économique des patients est varié ; la pression artérielle conventionnelle dans le DMI variait en moyenne de 152,9/92,1 à 152,4/89,9 mmHg, et la moyenne journalière de la pression artérielle surveillée en ambulatoire durant 14 heures variait de 146,2/87,1 à 146,2/85,4 mmHg
  • critères d’exclusion : patients limités sur le plan cognitif, fibrillation auriculaire, accident vasculaire cérébral, diabète, traitement pour un événement cardiaque ou pour une affection engageant le pronostic vital endéans les six derniers mois, intervention chirurgicale majeure au cours des trois derniers mois, insuffisance rénale, hypertension artérielle traitée en deuxième ligne de soins.

Protocole d’étude

  • étude multicentrique randomisée contrôlée avec deux groupes parallèles :
    • contrôle de la pression artérielle par télémonitoring (TM) (n = 200) : les patients mesurent leur pression artérielle de manière électronique deux fois le matin et deux fois le soir, tous les jours la première semaine et ensuite au moins une fois par semaine ; les mesures tensionnelles sont automatiquement envoyées sur un serveur central ; tant les médecins que les patients peuvent consulter le site internet où figurent les valeurs tensionnelles envoyées ; les patients reçoivent, par SMS ou message électronique, un feed-back sur le contrôle de leur pression artérielle, et, si celle-ci est insuffisamment contrôlée, ils sont invités à contacter leur médecin ; il est demandé aux médecins de consulter le site internet toutes les semaines et de contacter les patients dont la pression artérielle est insuffisamment contrôlée ; la pression artérielle cible est < 135/85 mmHg
    • contrôle de la pression artérielle selon la prise en charge habituelle (n = 201) : les patients sont adressés au cabinet du médecin généraliste pour un contrôle de leur pression artérielle ; la pression artérielle cible est de 140/90 mmHg
  • durée du suivi : 6 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : moyenne journalière de la PAS durant la surveillance de la pression artérielle en ambulatoire (TM) durant 14 heures, 6 mois après la randomisation
  • critères de jugement secondaires : PAS moyenne et PAD moyenne (moyenne de 2 mesures tensionnelles conventionnelles), utilisation d’antihypertenseurs, consultations du médecin généraliste ou de l’infirmière
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • après 6 mois, la différence corrigée entre les deux groupes pour la moyenne de la pression artérielle surveillée en ambulatoire durant 14 heures est de 4,3 mmHg (avec IC à 95 % de 2,0 à 6,5 ; p = 0,0002) pour la PAS et de 2,3 mmHg (avec IC à 95 % de 0,9-3,6 ; p = 0,001) pour la PAD, en faveur du groupe TM
  • après 6 mois, la différence corrigée entre les deux groupes quant à la moyenne de la PAS mesurée de manière conventionnelle est de 4,6 mmHg (avec IC à 95 % de 1,7 à 7,5 ; p = 0,0017) et de 2,8 mmHg (avec IC à 95 % de 1,0 à 4,6 ; p = 0,0021) pour la PAD en faveur du groupe TM
  • le recours à des antihypertenseurs a augmenté chez un nombre plus important de patients dans le groupe TM (p < 0,001).
  • les patients du groupe TM ont consulté en moyenne une fois de plus (p = 0,0002) leur médecin généraliste et 0,6 fois de plus (p = 0,01) l’infirmière.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, chez les patients atteints d’hypertension artérielle insuffisamment contrôlée, la mesure de la pression artérielle par le patient lui-même avec recours au télémonitoring est une méthode efficace en première ligne de soins pour obtenir une baisse cliniquement importante de la pression artérielle. Ceci va toutefois de pair avec une utilisation plus importante des ressources des services de santé. Une recherche plus approfondie est nécessaire pour examiner le rapport coût-efficacité ainsi que l’effet à long terme sur la pression artérielle.

Financement 

BUPA Foundation et financement complémentaire émanant de services de santé locaux, qui n’ont joué aucun rôle dans les analyses.

Conflits d’intérêt 

Aucun

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude contrôlée randomisée conçue à grande échelle est menée dans plusieurs centres de première ligne de soins, dans une population à status socio-économique varié. Les auteurs n’ont pas cherché à savoir pourquoi, parmi les 2.428 patients invités à participer à l’étude, 1 625 n’ont pas répondu ou ont paru ne pas être intéressés. Pour au moins 300 des 803 personnes intéressées, la raison de leur non participation est inconnue. Un biais de sélection n’est donc pas exclu, ce qui rend difficile l’extrapolation des résultats à la pratique de médecine générale en Belgique. Par ailleurs, déterminer l’existence d’une hypertension non contrôlée en s’appuyant sur la pression artérielle surveillée en ambulatoire durant 14 heures ne correspond pas aux guides de bonne pratique actuels (1). En incluant 401 patients, les investigateurs ont atteint la puissance prédéfinie qui tenait compte d’une diminution moyenne de la pression artérielle de 4,5 mmHg dans la moyenne journalière de la PAS (critère d’évaluation primaire) avec une proportion de sorties d’étude de 20 %. La proportion de sorties d’étude n’a été que de 5 % et seulement 10 % des données manquaient.

La nature de l’intervention explique pourquoi elle n’a pas été effectuée en aveugle, tant pour les patients que pour les médecins généralistes. Cette source possible de biais a été partiellement corrigée par la mesure en aveugle de la pression artérielle, prise après 6 mois, par le personnel infirmier.

Les auteurs ont corrigé les résultats pour tenir compte de la différence entre les deux groupes quant à la moyenne journalière de la PAD en ambulatoire en début d’étude. Nous nous demandons cependant pourquoi la moyenne journalière de la PAD de la pression artérielle surveillée en ambulatoire durant 14 heures n’a pas été mentionnée comme critère d’évaluation distinct.

 

Mise en perspective des résultats

Bien qu’une différence statistiquement significative entre les deux groupes pour la diminution de la PAS ait été constatée après 6 mois, ce résultat ne peut être considéré comme cliniquement pertinent car le gain obtenu de 4,3 mmHg est inférieur à la diminution de la PAS de 4,5 mmHg utilisée pour calculer la puissance. De plus, la différence constatée pour la diminution de la PAD est minime.

Les résultats sont similaires à ceux d’une récente méta-analyse (3) incluant 23 études contrôlées randomisées (n = 3 509). Le contrôle de la PAS et de la PAD est significativement meilleur, avec une diminution respectivement de 4,71 mmHg (p = 0,003) et de 2,45 mmHg (p = 0,048) avec le télémonitoring (TM) versus prise en charge habituelle.

Dans le groupe TM, le nombre de prescriptions d’antihypertenseurs était plus élevé (+0,40 ; p < 0,001), et les modifications de traitement plus fréquentes. Une autre méta-analyse (4) incluant 37 études (n = 9 446) a également montré une adaptation plus rapide du traitement, appelée « diminution de l’inertie thérapeutique » par les auteurs. Une diminution statistiquement significative de 2,63 mmHg (p < 0,0001) pour la PAS et de 1,68 mmHg (p < 0,0001) pour la PAD était observée. Contrairement à la méta-analyse décrite (3) plus haut et à l’étude de McKinstry, une diminution du nombre de médicaments prescrits a été observée. La revue de la littérature effectuée par AbuDagga (5), qui inclut 13 études, décrit aussi une diminution importante de la PAS (entre 3,9 et 13 mmHg) et de la PAD (entre 2 et 8 mmHg) avec TM versus prise en charge habituelle.

La raison pour laquelle le télémonitoring apporterait une plus-value versus mesures classiques de la pression artérielle à domicile est une question intéressante. Une première hypothèse est que le patient respecte mieux la mesure de sa pression, ce qui a été montré dans 8 des 13 études incluses par AbuDagga. Toutefois, une diminution du respect de la mesure au cours du déroulement des études a également été constatée. En outre, une étude contrôlée randomisée danoise (6) portant sur la précision diagnostique du TM a montré que les patients font des erreurs (consciemment ou non ?) en notant les mesures qu’ils ont eux-mêmes effectuées de leur pression artérielle. Ceci a été confirmé précédemment par une étude de Nordmann (7) qui avait montré que seulement 89,9 % des mesures effectuées par les patients sont notées et que seulement 72,8 % d’entre elles sont consignées avec exactitude. Un niveau de formation peu élevé s’est avéré être un prédicteur indépendant de mauvais enregistrements. De même, l’étude contrôlée randomisée de Johnson (8), qui comparait également l’exactitude et le rapport des mesures effectuées à domicile par le patient avec celle des résultats de mesure enregistrés de manière automatique, a montré qu’en cas d’hypertension non contrôlée, la PAS et la PAD étaient incorrectement notées dans respectivement 9 % et 21 % des cas, contre respectivement 4 % et 4 % des cas pour l’hypertension sous contrôle (p < 0,0001 chaque fois).

La satisfaction du patient pour le TM n’est pas évaluée dans les études actuelles, les patients font cependant généralement preuve d’enthousiasme vis-à-vis du télémonitoring, qu’ils considèrent comme une plus-value dans le traitement de leur hypertension (9), mais ils reconnaissent aussi qu’ils souhaitent plus régulièrement consulter leur médecin généraliste, surtout en cas de nécessité d’une adaptation de leur traitement. Nous constatons également dans l’étude de McKinstry que le groupe TM a significativement plus souvent recours à l’aide médicale.

Comme les données connues sont encore rares et qu’en outre elles proviennent de systèmes de soins de santé différents, nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur le rapport bénéfices-risques du télémonitoring. Dans l’étude d’Omboni (9), menée en Italie, et dans l’étude de Wang (10) sur le télémonitoring avec feed-back téléphonique, menée parmi les vétérans aux États-Unis, aucun frais supplémentaire n’a en tout cas été constaté.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude multicentrique randomisée contrôlée, comme d’autres données de la littérature scientifique montre l’intérêt du télémonitoring des mesures de la pression artérielle effectuées à domicile. Une diminution statistiquement significative de la pression artérielle systolique chez les patients atteints d’hypertension non contrôlée est observée. La pertinence clinique de cet avantage, sa persistance sur le long terme ainsi que l’efficience de cette méthode doivent encore être montrées.

 

Pour la pratique

La recommandation belge concernant l’hypertension artérielle préconise que le médecin généraliste fonde le diagnostic d’hypertension artérielle sur la moyenne des mesures de la pression artérielle effectuées par le patient lui-même (au moins deux fois par jour) durant au moins 6 jours consécutifs. En cas d’hypertension non compliquée sans comorbidité, il est suffisant d’effectuer un contrôle mensuel jusqu’à la stabilisation de la pression artérielle (ensuite, tous les 3 à 6 mois), avec une réévaluation annuelle du risque cardiovasculaire, le dépistage de pathologies associées, un examen biologique (protéinurie, microalbuminurie, créatininémie) et un ECG en fonction d’une comorbidité éventuelle ou de signes d’alarme (GRADE 2C) (1). À l’heure actuelle, le rôle des mesures de la pression artérielle à domicile et du télémonitoring dans le suivi des patients hypertendus n’est pas encore clair.

 

Références

  1. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Recommandation de Bonne Pratique. Hypertension. SSMG 2009.
  2. De Cort P. Mesure de la PA au domicile : efficacité sur le contrôle de la PA. MinervaF 2011;10(2):15-6
  3. Omboni S, Guarda A. Impact of home blood pressure telemonitoring and blood pressure control: a meta-analysis of randomized controlled studies. Am J Hypertens 2011;24:989-98.
  4. Agarwal R, Bills JE, Hecht TJ, Light RP. Role of home blood pressure monitoring in overcoming therapeutic inertia and improving hypertension control: a systematic review and meta-analysis. Hypertension 2011;57:29-38.
  5. AbuDagga A, Resnick HE, Alwan M. Impact of blood pressure telemonitoring on hypertension outcomes: a literature review. Telemed J E Health 2010;16:830-8.
  6. Møller DS, Dideriksen A, Sørensen S, et al. Accuracy of telemedical home blood pressure measurement in the diagnosis of hypertension. J Hum Hypertens 2003;17:549-54.
  7. Nordmann A, Frach B, Walker T, et al. Comparison of self-reported home blood pressure measurements with automatically stored values and ambulatory blood pressure. Blood Press 2000;9:200-5.
  8. Johnson KA, Partsch DJ, Rippole LL, McVey DM. Reliability of self-reported blood pressure measurements. Arch Intern Med 2013;159:2689-93.
  9. Omboni S, Gazzola T, Carabelli G, Parati G. Clinical usefulness and cost effectiveness of home blood pressure telemonitoring: meta-analysis of RCT’s. J Hypertens 2013;31:455-68.
  10. Wang V, Smith VA, Bosworth HB, et al. Economic evaluation of Telephone self-management interventions for blood pressure control. Am Heart J 2012;163:980-6.
Télémonitoring de la pression artérielle à domicile en cas de non contrôle



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