Revue d'Evidence-Based Medicine



Carbocistéine pour diminuer les exacerbations de BPCO ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 2 Page 24 - 25

Professions de santé


Analyse de
Zheng JP, Kang J, Huang SG, et al. Effect of carbocisteine on acute exacerbation of chronic obstructive pulmonary disease (PEACE Study): a randomised placebo-controlled study. Lancet 2008;371:2013-8.


Question clinique
Un traitement quotidien d’1,5 g de carbocistéine durant 1 an réduit-il, versus placebo, le risque d’exacerbation chez des patients atteints de BPCO ?


Conclusion
Cette étude montre que l’administration durant 1 an de carbocistéine versus placebo diminue de façon limitée le nombre d’exacerbations de BPCO chez des patients chinois, sans amélioration de la qualité de vie ni de la fonction pulmonaire. Ces résultats ne sont pas extrapolables à une population belge. Il n’y a actuellement pas de preuves suffisantes pour recommander l’utilisation de mucolytiques de manière systématique en cas de BPCO.


 

Contexte

Les exacerbations aiguës de BPCO entraînent des hospitalisations plus fréquentes et augmentent significativement le risque de décès (1). Différents médicaments ont été évalués quant à leur capacité à réduire le nombre d’exacerbations. Pour les mucolytiques, ce pouvoir est sujet à controverses (2).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 709 patients présentant une BPCO (environ 50% au stade II de GOLD), âgés de 40 à 80 ans (âge moyen : 65 ans), recrutés dans 22 centres (dont 20 hospitaliers) en Chine ; 78% d’hommes, 17% sous corticostéroïdes inhalés (CSI)
  • critères d’inclusion : antécédents d’au moins 2 exacerbations de BPCO dans les 2 années précédentes, état stable dans les 4 semaines avant inclusion, index de Tiffeneau < 0,7 ; VEMs 25 à 79% de la valeur prédite
  • critères d’exclusion : asthme, chirurgie pulmonaire, oxygénothérapie, revalidation pulmonaire, corticostéroïdes oraux, pathologie cardiaque, rénale ou hépatique sévère, glaucome, abus d’alcool ou de médicament.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique
  • intervention : 2 comprimés de 250 mg de carbocistéine 3 x/j durant 1 an
  • contrôle : 2 comprimés de placebo 3x/j
  • maintien du traitement habituel de la BPCO : bronchodilatateurs à courte et longue durée d’action, CSI
  • lors des exacerbations, recours autorisé à : corticostéroïdes systémiques, antibiotiques, antitussifs, autres mucolytiques que la carbocistéine
  • suivi : visite trimestrielle durant 1 an.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : fréquence des exacerbations de BPCO suivant les critères classiques d’Anthonisen (3), sur base du journalier tenu par le patient, après consultation du médecin traitant et sur validation du comité de pilotage
  • critères secondaires : fréquence des exacerbations de BPCO après corrections pour les covariables, la qualité de vie (SGRQ), les paramètres fonctionnels pulmonaires et la saturation artérielle en oxygène
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère primaire : 1,01 exacerbations/année-patient sous carbocistéine, 1,35 sous placebo ;  rapport de risque de 0,75 (IC à 95 % de 0,62 à 0,92) ; différence devenant significative à partir de 6 mois de traitement
  • résultats peu modifiés lors d’une correction pour le stade de BPCO ou les co-traitements
  • score SGRQ total : - 4,06 sous carbocistéine, - 0,05 sous placebo (différence de 4 points considérée comme cliniquement pertinente)
  • VEMs et saturation en oxygène : pas de différence
  • effets indésirables : pas de différence significative.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les mucolytiques tels que la carbocistéine, devraient être considérés comme un traitement valide en prévention des exacerbations chez des patients chinois présentant une BPCO.

 

Financement

Kyorin Pharmaceuticals, producteur de la carbocistéine ; le sponsor n’est intervenu ni dans l’élaboration de l’étude, ni dans la récolte des données ni dans l’analyse des résultats.

 

Conflits d’intérêt

Jin-Ping Zheng a reçu de l’European Respiratory Society une bourse de voyage comme prix pour un “Meilleur Poster” pour une recherche BPCO lors de sa conférence de 2007.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette recherche est effectuée sur base d’un bon protocole : randomisation et double insu adéquats et bien décrits. Les critères d’inclusion des sujets dans l’étude ou de leur exclusion sont bien définis. Les résultats sont corrigés pour différentes variables telles que le stade de BPCO, le fait de fumer ou non, les co-traitements. Le critère de jugement primaire choisi par les auteurs de cette étude PEACE est la fréquence des exacerbations de BPCO, un des critères de jugement primaire également choisi dans l’autre étude importante évaluant un mucolytique (la N-acétylcystéine) dans le même type de population (BRONCUS) mais entre autres en Belgique (4,5) et autres pays européens.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs mentionnent une réduction relative de risque d’exacerbations de 25% en faveur du groupe carbocistéine versus groupe placebo. Les résultats étant formulés en incidence cumulée d’exacerbations, il n’est pas possible de les traduire en données individualisées. Pour certains patients, le nombre d’exacerbations peut diminuer, parfois de plusieurs unités s’ils en ont de très nombreuses, alors que pour de plus nombreux ayant moins d’exacerbations leur nombre ne sera pas modifié par le traitement. La seule mesure valable est le nombre de patients présentant moins d’exacerbations (au moins une en moins) (6). Les auteurs ne donnent que des chiffres de patients ne présentant pas d’exacerbation, dans un graphique d’évolution en cours d’étude (Kaplan-Meier) mais sans analyse statistique.

Si le nombre d’exacerbations varie en fonction du stade de BPCO, les auteurs n’observent pas d’interaction significative entre l’efficacité préventive du traitement et la sévérité de la BPCO. Ils donnent dans un tableau (table 2 de l’étude) des résultats qui ne correspondent pas toujours à ceux figurant dans le texte et qui induisent une confusion entre le nombre d’exacerbations (quel que soit le traitement) et l’effet du traitement. Les patients inclus dans cette étude sont peu nombreux à utiliser des CSI (16,7% versus 70% dans l’étude BRONCUS par exemple).

Au point de vue qualité de vie, au score SGRQ global, dans le groupe carbocistéine une différence jugée cliniquement pertinente (7) est observée versus valeurs initiales (-4,06 ; ET 16,43) mais cette amélioration n’est par contre pas statistiquement significative (p=0,13) versus celle observée dans le groupe placebo (-0,05 ; ET 19,01 dans ce groupe). Le nombre d’effets indésirables décrit dans le texte ne correspond pas aux chiffres repris dans le tableau correspondant.

 

Autres études

Une synthèse méthodique des mucolytiques (ensemble fort hétéroclite) dans la BPCO a été réalisée par Poole pour la Cochrane Collaboration et mise à jour en 2007 (8). Cette publication mentionne un NST de 6 (IC à 95% de 5 à 7) pour prévenir toute exacerbation chez un patient sur une période de 8 mois. C’est nettement moins que dans l’étude PEACE analysée ici (NST de 62). Cette méta-analyse de Poole présente cependant de très nombreuses limites méthodologiques et inclut 26 études très hétérogènes. Elle montrait un bénéfice en sommant les résultats de 10 études en termes de réduction du nombre de jours de maladie liés à des exacerbations de BPCO : 0,3 jours versus 3,9 par patient par mois. Elle ne montrait pas de bénéfice en termes de qualité de vie ni de différence pour les effets indésirables et en termes de mortalité. Les guidelines GOLD (9) estiment, malgré la méta-analyse de Poole, que le bénéfice des mucolytiques semble très faible et ne recommandent pas leur utilisation systématique. La seule étude incluse dans cette méta-analyse de Poole dont la méthodologie est explicitée et adéquate est l’étude BRONCUS (4) qui inclut 523 patients BPCO traités par 600 mg de N-acétylcystéine versus placebo. Cette étude ne montre pas de différence pour le nombre d’exacerbations (critère primaire avec la fonction pulmonaire) (5).

 

Pour la pratique

Le choix de cette étude PEACE de ne pas mentionner le nombre de patients présentant moins d’exacerbation (au moins une en moins) ne nous permet pas d’évaluer réellement le bénéfice d’un traitement par carbocistéine chez des patients souffrant de BPCO. En outre, les résultats de cette étude ne peuvent être extrapolés à la population belge pour diverses différences : facteurs génétiques, facteurs déclenchant des exacerbations, prise en charge de la BPCO (10). Dans cette publication chinoise, versus population belge, davantage de recours à des xanthines (30%) et moins à des CSI aux stades GOLD 3 et 4. Les résultats de l’étude PEACE n’apportent donc pas d’argument suffisant pour une utilisation systématique d’un mucolytique chez des patients souffrant de BPCO. Le chapitre BPCO de Clinical Evidence (11) conclut à une efficacité non connue pour les mucolytiques et les guidelines GOLD (9) concluent à un bénéfice très faible et ne recommandent également pas leur utilisation systématique. 

 

 

Conclusion

Cette étude montre que l’administration durant 1 an de carbocistéine versus placebo diminue de façon limitée le nombre d’exacerbations de BPCO chez des patients chinois, sans amélioration de la qualité de vie ni de la fonction pulmonaire. Ces résultats ne sont pas extrapolables à une population belge. Il n’y a actuellement pas de preuves suffisantes pour recommander l’utilisation de mucolytiques de manière systématique en cas de BPCO.

 

Références

  1. Rabe KF, Hurd S, Anzueto A, et al. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease. Global strategy for the diagnosis, management and prevention of chronic obstructive pulmonary disease. GOLD Executive Summary. Am J Respir Crit Care Med 2007;176:532–55.
  2. Sturtewagen JP. Usage des mucolytiques oraux dans le traitement de la bronchopneumonie chronique obstructive. MinervaF 2002;1(7):9-12.
  3. Anthonisen NR, Manfreda J, Warren CP, et al. Antibiotic therapy in exacerbation of chronic obstructive pulmonary disease. Ann Intern Med 1987;106:196–204.
  4. Decramer M, Rutten-van Molken M, Dekhuijzen PN, et al. Eff ects of N-acetylcysteine on outcomes in chronic obstructive pulmonary disease (Bronchitis Randomized on NAC Cost-Utility Study, BRONCUS): a randomised placebo-controlled trial. Lancet 2005;365:1552-60.
  5. Sturtewagen JP. N-acétylcysteïne pour la BPCO. MinervaF 2006;5(3)34-6.
  6. Chevalier P. Nombre de sujets à traiter. MinervaF 2009;8(2):24.
  7. Jones PW. Health status measurement in chronic obstructive pulmonary disease. Thorax 2001;56:880-7.
  8. Poole PJ, Black PN. Mucolytic agents for chronic bronchitis or chronic obstructive pulmonary disease. Cochrane Database Syst Rev 2006 , Issue 3.
  9. Global Initiative for Chronic Obstructive Lung Disease (GOLD). Global Strategy for Diagnosis, Management, and Prevention of COPD, Updated 2008.
  10. Infections aiguës des voies respiratoires en première ligne. Folia Farmacotherapeutica 2008;35:82-4.
  11. Kerstjens H, Postma D. Chronic obstructive pulmonary disease. Clin Evid online (search date March 2007).
Carbocistéine pour diminuer les exacerbations de BPCO ?

Auteurs

Buffels J.
huisarts, Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
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