Revue d'Evidence-Based Medicine



Estimation sur le lieu de soin du pronostic des douleurs musculo-squelettiques chez la personne âgée



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 4 Page 41 - 42

Professions de santé


Analyse de
Mallen CD, Thomas E, Belcher J, et al. Point-of-care prognosis for common musculoskeletal pain in older adults. JAMA Intern Med 2013;173:1119-25.


Question clinique
Quelle est la valeur d’un ensemble d’indicateurs pour l’évaluation du pronostic des douleurs musculo-squelettiques chez la personne âgée lors d’une consultation chez le médecin généraliste ?


Conclusion
Cette étude de cohorte prospective de bonne qualité méthodologique, suggère qu’il est possible pour le médecin généraliste, de réaliser au cours d’une seule consultation une estimation acceptable du pronostic des douleurs musculo-squelettiques chez les patients âgés à l’aide de quelques questions simples.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Les affections musculo-squelettiques, telles que l’arthrose, les douleurs lombaires aspécifiques et les douleurs locales non inflammatoires, sont responsables de près d’un tiers des consultations en médecine générale (1) ; elles entraînent souvent des douleurs sur le long terme et une invalidité (2). Après exclusion des rares affections graves, le patient se voit souvent prescrire un traitement sans qu’un diagnostic précis n’ait été posé. La plupart des études portent sur l’utilité de différents modèles pour le pronostic de formes spécifiques de douleurs musculo-squelettiques, telle que la douleur de l’épaule ou la douleur cervicale (3). Ces modèles ont cependant moins d’utilité pour le médecin généraliste, qui est le plus souvent confronté à des douleurs musculo-squelettiques généralisées, et ces modèles sont souvent trop compliqués pour être utilisés dans la pratique (4).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 403 patients âgés de plus de 50 ans (âge moyen de 64,8 (ET de 10,1) ans, dont 61 % de femmes, qui ont consulté 44 médecins généralistes (dans cinq cabinets de médecine générale au Royaume-Uni) pour douleurs musculo-squelettiques non inflammatoires, l’intensité des douleurs étant en moyenne de 6,1 (ET de 2,2) sur une échelle de 0 à 10 ; pour 255 patients, les médecins généralistes ont utilisé dans le dossier médical informatisé (DMI) un code aspécifique, tel que « douleur lombaire » ou « douleur du genou ». 48 patients avec diagnostic d’arthrose ; autre diagnostic (comme une fasciite plantaire ou un conflit sous-acromial) chez 83 patients
  • critères d’exclusion : signal d’alarme tel qu’un traumatisme récent, des articulations rouges, chaudes, enflées, une maladie articulaire inflammatoire, personnes vulnérables (régression cognitive, maladie terminale).

 

Protocole d’étude

  • étude de cohorte prospective
  • au cours de la consultation, le médecin généraliste a mesuré 5 indicateurs (durée de l’épisode douloureux actuel, intensité des douleurs, effet des douleurs sur les activités quotidiennes, douleurs avec localisations multiples, sentiments dépressifs) et a ensuite évalué le pronostic des douleurs à six mois (rétablissement complet, amélioration nette, amélioration, absence d’amélioration, aggravation, aggravation nette)
  • après 3, 6, 12, 24 et 36 mois, les patients ont répondu à un questionnaire sur l’intensité des douleurs, leur effet sur les activités quotidiennes et la dépression.

Mesure des résultats

  • modification des douleurs (voir ci dessus), évaluée par le patient six mois après la première consultation
  • au moyen d’une analyse de régression logistique multiple, élaboration de 3 modèles pronostiques permettant de faire la distinction entre une évolution favorable des douleurs (rétablissement complet, amélioration nette, amélioration) et une évolution défavorable (absence d’amélioration, aggravation, aggravation nette) après 6 mois
  • comparaison de ces modèles d’après la statistique C.

Résultats

  • après 6 mois, l’intensité moyenne des douleurs est diminuée à 4,2 (ET de 2,9) sur une échelle de 0 à 10, la diminution de l’intensité des douleurs étant modérée (30 %), notable (50 %) et importante (70 %) chez respectivement 49,9 %, 39,9 % et 25,3 % des patients
  • pour 194 (48%) des 403 patients, 6 mois après la première consultation, l’évolution des douleurs est défavorable (absence d’amélioration, aggravation, aggravation nette) ; chez ces patients, l’intensité des douleurs est encore ≥ 4 sur une échelle de 0 à 10 après 3 ans
  • l’estimation du pronostic par le médecin généraliste (modèle 1) est correcte pour 251 (62 %) patients (rapport de cotes 2,78 avec IC à 95 % de 1,69 à 4,57) ; statistique C de 0,62 ; tendance à une estimation trop optimiste (37 % d’évolution défavorable prévue contre 48 % observée)
  • l’estimation du pronostic par le médecin généraliste + 5 indicateurs de pronostic (modèle 2) a donné une statistique C de 0,72
  • l’estimation du pronostic par le médecin généraliste + les 3 indicateurs les plus précis (durée de l’épisode douloureux actuel, effet des douleurs sur les activités quotidiennes, douleurs multilocalisées) (modèle 3) a donné une statistique C de 0,72 (correct pour 69 % des patients)
  • pas de différence quant aux résultats entre les patients qui consultaient pour la première fois et ceux qui avaient déjà consulté pour des douleurs.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la réponse à 3 questions simples, suivie par l’enregistrement systématique de l’estimation du pronostic par le médecin généraliste, conduit à une estimation simple du pronostic sur le lieu de soin des problèmes musculo-squelettiques chez la personne âgée. Cette approche constitue une base générale pour poursuivre la recherche sur l’utilité de la stratification pronostique pendant la consultation comme fil conducteur de la stratégie à adopter dans une série de problèmes de douleur très fréquents.

Financement

Arthritis Research UK Primary Care Research, National Institute for Health Research, Medical Research Council Prognosis ReSearch Strategy Partnership, Keele University.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est signalé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement des patients pour cette étude de cohorte prospective s’est déroulé avec beaucoup d’efficacité. En fonction du code attribué par le médecin généraliste au patient pendant la consultation, le dossier médical informatisé (DMI) proposait un modèle comportant 5 questions qui avaient été élaborées à partir d’une recherche systématique dans la littérature scientifique (3), d’une enquête auprès des médecins généralistes (5) et d’une analyse secondaire d’un vaste ensemble de données (6). Les investigateurs ont eu accès aux DMI et ont ainsi pu limiter l’envoi des questionnaires aux patients qui satisfaisaient aux critères d’inclusion et d’exclusion (n = 650). Les patients qui ont retourné le questionnaire (n = 502) et qui se déclaraient prêts à participer à l’étude (n = 403) ont été suivis après 3 et 6 mois à nouveau par questionnaire. Seuls les patients plus âgés paraissaient moins enclins à participer. Le risque de biais de sélection est donc faible. Le taux de réponse après 3 et 6 mois est élevé (respectivement 89 % et 81 %), mais la totalité des données n’est disponible que pour 49 % des patients. Pour les données manquantes, les investigateurs ont utilisé une technique d’imputation. Afin de déterminer l’importance des résultats à 6 mois pour le pronostic à long terme, un questionnaire a de nouveau été envoyé après 3 ans. La précision des modèles pronostiques a été contrôlée d’après la statistique C. Il est regrettable que les investigateurs n’aient pas tenu compte de facteurs de confusion tels que l’âge, le sexe, l’utilisation de médicaments et l’IMC.

 

Mise en perspective des résultats

Le modèle pronostique qui tient compte de la durée de l’épisode douloureux actuel, de l’effet des douleurs sur les activités quotidiennes, de la présence de douleurs multilocalisées et qui est suivi d’une estimation globale du pronostic à 6 mois est le plus discriminant, avec une statistique C de 0,72. Ce résultat peut être considéré comme acceptable (7). Toutefois, il n’est pas certain que le modèle sera aussi efficace dans une étude de validation externe. En effet, cette étude a été menée au Royaume-Uni dans cinq cabinets de médecine générale seulement, ce qui doit inciter à la prudence pour une extrapolation des résultats.

Un modèle pronostique pour les douleurs musculo-squelettiques généralisées représente un atout important par rapport aux modèles qui se limitent à une seule partie du corps. En outre, comme les indicateurs peuvent être examinés pendant la consultation, le modèle peut très bien être utilisé dans la pratique. Les auteurs ne nient pas qu’il puisse exister d’autres indicateurs qui donneraient une estimation encore meilleure du pronostic. Il est intéressant de relever que l’utilisation des informations pronostiques psychologiques (dépression) dans cette étude n’a pas été retenue comme suffisamment indicative. Peut-être les symptômes dépressifs ont-ils été mal classés ?

Dans d’autres études, l’utilisation de l’estimation du pronostic par le médecin généraliste ne donnait pas toujours une bonne estimation du pronostic (8,9). La présente étude souligne l’importance de cette estimation par le médecin comme réponse à une demande structurée et après examen des réponses à 3 questions pronostiques. Il ressort des résultats que ces questions permettent de corriger l’estimation faite par le médecin, qui est souvent trop optimiste.

Les auteurs espèrent que ce modèle pourra servir d’exemple pour stratifier les patients en fonction de leur pronostic et contribuera au choix d’un traitement déterminé. Cette étude ne permet toutefois pas d’évaluer l’effet de ce modèle sur la stratégie de prise en charge des patients présentant des douleurs musculo-squelettiques ni sur les coûts découlant de certaines décisions thérapeutiques. Une étude plus approfondie est donc indiquée avant d’appliquerce modèle dans la pratique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de cohorte prospective de bonne qualité méthodologique, suggère qu’il est possible pour le médecin généraliste, de réaliser au cours d’une seule consultation une estimation acceptable du pronostic des douleurs musculo-squelettiques chez les patients âgés à l’aide de quelques questions simples.

 

Pour la pratique

Un modèle pronostique qui, pendant la consultation chez le médecin généraliste, tient compte de la durée de l’épisode douloureux actuel, de l’effet des douleurs sur les activités quotidiennes, de la présence de douleurs en plusieurs endroits de l’anatomie, suivi par une évaluation globale effectuée par le médecin généraliste, permet de réaliser une estimation acceptable du pronostic des douleurs chez les patients âgés présentant des douleurs musculo-squelettiques. Ce modèle pourrait aider le médecin généraliste à mieux planifier les interventions (telles qu’une mise en place d’une prothèse de hanche). Il pourrait aussi corriger les attentes du patient et du médecin. En absence d’un consensus sur le moment à partir duquel les douleurs musculo-squelettiques nécessitent un traitement plus poussé, l’intérêt de ce modèle dans la pratique est actuellement limité.

 

 

Références

  1. MacKay C, Canizares M, Davis AM, Badley EM. Health care utilization for musculoskeletal disorders. Arthritis Care Res (Hoboken) 2010;62:161-9.
  2. Schiøttz-Christensen B, Nielsen GL, Hansen VK, et al. Long-term prognosis of acute low back pain in patients seen in general practice: a 1-year prospective follow-up study. Fam Pract 1999;16:223-32.
  3. Mallen CD, Peat G, Thomas E, et al. Prognostic factors for musculoskeletal pain in primary care: a systematic review. Br J Gen Pract 2007;57:655-61.
  4. Carnes D, Parsons S, Ashby D, et al. Chronic musculoskeletal pain rarely presents in a single body site: results from a UK population study. Rheumatology (Oxford) 2007;46:1168-70.
  5. Mallen CD, Peat G, Porcheret M, Croft P. The prognosis of joint pain in the older patient: general practitioners’ views on discussing and estimating prognosis. Eur J Gen Pract 2007;13:166-8.
  6. Mallen CD, Peat G, Thomas E, Lacey R, Croft P. Predicting poor functional outcome in community-dwelling older adults with knee pain: prognostic value of generic indicators. Ann Rheum Dis 2007;66:1456-61.
  7. Chevalier P. C statistique. MinervaF 2013;12(1):12.
  8. Feleus A, Bierma-Zeinstra SM, Miedema HS, et al. Prognostic indicators for non-recovery of non-traumatic complaints at arm, neck and shoulder in general practice--6 months follow-up. Rheumatology (Oxford) 2007;46:169-76.
  9. Jellema P, van der Windt DA, van der Horst HE, et al. Prediction of an unfavourable course of low back pain in general practice: comparison of four instruments. Br J Gen Pract 2007;57:15-22.
Estimation sur le lieu de soin du pronostic des douleurs musculo-squelettiques chez la personne âgée



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