Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité d’un counselling téléphonique pour l’arrêt du tabac



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 1 Page 12 - 13

Professions de santé


Analyse de
Ellerbeck EF, Mahnken JD, Cupertino AP, et al. Effect of varying levels of disease management on smoking cessation: a randomized trial. Ann Intern Med 2009;150:437-46.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un counselling téléphonique soit limité soit intensif associé à des médicaments versus médicaments seuls chez des sujets non spontanément demandeurs d’un arrêt tabagique ?


Conclusion
Les auteurs de cette étude montrent que l’association d’un médicament pour aider au sevrage tabagique avec un counselling téléphonique non effectué par le médecin généraliste favorise l’arrêt du tabac chez des fumeurs qui ne manifestent pas spontanément l’envie d’arrêter de fumer. Il n’y a cependant pas de preuve d’une plus-value d’un counselling versus médicament seul dans ce contexte précis.


 

Contexte

Les programmes d’arrêt tabagique n’atteignent souvent qu’un nombre limité de fumeurs. Les patients ont également un accès plus difficile à de tels programmes en milieu rural. D’où l’intérêt d’une étude évaluant l’intérêt de la délivrance gratuite de médicaments pour l’aide au sevrage tabagique seule ou versus ajout d’un counselling téléphonique bref ou de forte intensité chez des sujets en milieu rural, sujets n’exprimant pas spontanément la volonté d’arrêter de fumer.

 

Résumé

 

Population étudiée

750 sujets d’un âge moyen de 47,2 ans (ET 13,1), fumant en moyenne 24 cigarettes par jour (ET 10) ; 58,5% de femmes

critères d’inclusion : fumeurs, âgés > 18 ans, fumant > 10 cigarettes/jour depuis au moins 1 an, consultant 1 des 50 pratiques de médecine générale du Kansas (E.-U.) participantes parlant anglais, disposant d’un téléphone

critères d’exclusion : grossesse ou désir de grossesse, démence ou maladie mentale faisant obstacle à une participation, projet de déménagement hors région, partenaire participant à l’étude.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en insu du chercheur
  • information sur le sevrage tabagique et l’usage de bupropion et de patch nicotinique à tous les sujets avant randomisation
  • randomisation (1/1/1) dans trois bras
    • groupe 1 : médicament seul (patch nicotinique ou bupropion)
    • groupe 2 : médicament + counselling téléphonique limité (1 à 2 contacts par 6 mois)
    • groupe 3 : médicament + counselling téléphonique intensif (jusqu’à 6 contacts sur 6 mois)
  • interventions proposées à 4 reprises (tous les 6 mois), exécutées par un soignant formé pour le sevrage tabagique et pour l’entretien motivationnel
  • les médecins généralistes des sujets des groupes 2 et 3 reçoivent tous les 6 mois un bilan avec des suggestions concernant l’arrêt tabagique de leurs patients
  • suivi après 6, 12, 18 et 24 mois.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : arrêt tabagique après 24 mois autorapporté (pas de consommation dans les 7 jours précédant l’évaluation) ; dosage de la cotinine dans des prélèvements salivaires après 12 et 24 mois ; arrêt tabagique certifié par des membres de la famille après 24 mois en cas d’absence de prélèvement
  • critères secondaires : arrêt tabagique autorapporté après 6, 12 et 18 mois ; recours à des médicaments, nombre de consultations médicales à propos de l’arrêt tabagique.

Résultats

  • sorties d’étude : 22% sous médicament seul ; 31% sous counselling téléphonique ; p=0,03 pour la différence
  • interventions téléphoniques moyennes sur 24 mois : 8,2 (0-24) sous counselling intensif vs 3,6 (0-7) sous counselling limité
  • critères primaires :
    • arrêt autorapporté à 24 mois : pas de différence entre un counselling téléphonique (associé au médicament) intensif (27,9%) et limité (23,5%); OR 1,33 avec IC à 95% de 0,88 à 2,02 ; pas de différence entre un counselling téléphonique (associé à un médicament) et un médicament seul (23,0%) : OR 1,12 avec IC à 95% de 0,78 à 1,61
    • abstinence confirmée par le dosage de cotinine salivaire : pas de différence significative sous counselling intensif versus médicament seul (OR 1,19 avec IC à 95% de 0,76 à 1,87 ; p=0,44) malgré une différence significative à 12 mois (OR 2,33 avec IC à 95% de 1,24 à 4,38 ; p=0,01)
  • critères secondaires :
    • arrêt tabagique sur les 24 mois : différence pour le groupe counselling intensif versus counselling limité à la limite de la signification statistique (OR 1,43 avec IC à 95% de 1,00 à 2,03) et significative pour un counselling + médicament versus médicament seul (OR 1,47 avec IC à 95% de 1,08 à 2,00)
    • recours à des médicaments : pas de différence entre les différents groupes : 63,8%, 40,9%, 23,9%, 24,7% après 6, 12, 18 et 24 mois
    • nombre de consultations médicales à propos de l’arrêt tabagique : pas de différence.
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les fumeurs sont disposés à des essais répétés d’arrêt tabagique avec une aide médicamenteuse, conduisant à une abstinence tabagique progressivement plus importante. Malgré l’absence de différence d’abstinence au terme des 24 mois, les analyses des résultats sur l’ensemble des 24 mois montre qu’un counselling de plus forte intensité plus médicament est associé à une abstinence accrue.

 

Financement

National Cancer Institute ; les médicaments sont fournis par GlaxoSmithKline.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le type d’intervention ne permettait pas un protocole autre que randomisé en aveugle pour les chercheurs. Ils sélectionnent une large population et pas uniquement des fumeurs initialement spontanément demandeurs d’une aide à l’arrêt du tabac. Ils déterminent cependant le niveau de motivation initial mais n’utilisent pas cette détermination lors de l’analyse des résultats. Les médicaments pour l’arrêt tabagique sont délivrés gratuitement, au choix du patient, ce qui peut influencer les résultats de l’étude aussi bien positivement (accès facilité) que négativement (moindre motivation ?) ; l’extrapolabilité des résultats de cette étude en est de toute façon réduite. L’arrêt tabagique est validé sur le fait d’un arrêt de 7 jours avant l’évaluation, ce qui est très peu pour cette étude qui s’est poursuivie sur 2 ans. Nous ne disposons pas de données de suivi après l’intervention, ce qui ne permet pas de se prononcer sur la persistance après intervention d’un éventuel bénéfice observé en cours d’intervention. La certification de l’arrêt tabagique est variable : autorapporté (en sachant que c’est le comportement souhaité), prélèvement salivaire pour dosage de cotinine (mais grande résistance des sujets pour le réaliser) et, à défaut de ce dosage, témoignage d’un membre de la famille. Les auteurs ne précisent pas quel critère est finalement utilisé, ce qui ne nous permet pas d’interpréter correctement les résultats.

 

Interprétation des résultats

Les différents résultats de cette étude semblent contradictoires. Aucune différence n’est observée entre les différents groupes pour les critères primaires. Sur la période complète de 24 mois, seul l’ avantage d’un counselling téléphonique + médicament est franchement significatif versus médicament seul Ce critère est cependant de pertinence clinique limitée, une rechute pouvant se produire après arrêt. Il faut souligner, sans en avoir d’explication, une brusque augmentation de l’arrêt tabagique après 24 mois (versus 18 mois) dans les groupes médicament seul (de 14,2% à 23%) et dans le groupe counselling limité (de 16,7% à 23,5%). Dans le groupe counselling intensif, cette augmentation n’est pas observée. Ceci montre que l’arrêt tabagique dépend de multiples facteurs, non entièrement élucidés.

Les données sont insuffisantes pour comparer l’efficacité relative des substituts nicotiniques et du bupropion. Comme déjà mentionné, les auteurs n’analysent pas le pourcentage d’arrêt en fonction de la motivation initiale (pourtant évaluée).

   

Autres études

Une mise à jour de guides de pratique étatsuniens (1) mentionne une relation dose-effet entre l’intensité d’un counselling (déterminé par la durée d’une session, le nombre de sessions sur la durée de contact) et l’arrêt tabagique. D’autres sources confirment l’efficacité d’interventions plus intensives, en médecine générale (2) et chez des patients hospitalisés (3). D’autres études encore montrent que des moyens de communication plus nouveaux (informatique, internet, gsm et sms) prennent une place prépondérante dans la réalisation d’un counselling pour un arrêt tabagique (4, 5). Le choix des auteurs de choisir un public non initialement spontanément motivé pour un arrêt tabagique et de permettre différents essais d’arrêt tabagique avait déjà été évalué (6,7).

 

Pour la pratique

Cette étude évalue l’intérêt d’un counselling téléphonique, exécuté par un soignant formé à cet effet. Ce type de counselling “anonyme” est étranger à l’accompagnement par un médecin généraliste. La prescription d’un médicament, obligatoirement accompagnée d’un counselling par le médecin généraliste, a d’ailleurs été évaluée à maintes reprises et est reprise dans les guides de pratique actuels (8). Cette étude montre l’intérêt de proposer un traitement d’aide à l’arrêt tabagique chez des sujets qui n’en font pas spontanément la demande. Les chiffres d’arrêt, en valeur absolue, diffèrent peu de ceux d’autres études (9). Soulignons aussi que, lors du choix entre patchs nicotiniques et bupropion tous les deux gratuits, davantage de patients choisissent les premiers.

 

Conclusion

Les auteurs de cette étude montrent que l’association d’un médicament pour aider au sevrage tabagique avec un counselling téléphonique non effectué par le médecin généraliste favorise l’arrêt du tabac chez des fumeurs qui ne manifestent pas spontanément l’envie d’arrêter de fumer. Il n’y a cependant pas de preuve d’une plus-value d’un counselling versus médicament seul dans ce contexte précis.

 

Références

  1. Treating tobacco use and dependence: 2008 update. Rockville (MD): U.S. Department of Health and Human Services, Public Health Service; 2008 May. 257 p.
  2. Stead LF, Bergson G, Lancaster T. Physician advice for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 2.
  3. Rigotti NA, Munafo MR, Stead LF. Interventions for smoking cessation in hospitalised patients. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 3.
  4. Stead LF, Perera R, Lancaster T. Telephone counselling for smoking cessation. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 3.
  5. Brendryen H, Drozd F, Kraft P. A digital smoking cessation program delivered through internet and cell phone without nicotine replacement (happy ending): randomised controlled trial. J Med Internet Res 2008;10:e51.
  6. Pisinger C, Vestbo J, Borch-Johnsen K, Jorgesen T. Smoking cessation intervention in a large randomised population-based study. The Inter99 study. Prev Med 2005;40:285-92.
  7. Solberg LI, Maciosek MV, Edwards NM, et al. Repeated tobacco-use screening and intervention in clinical practice: health impact and cost effectiveness. Am J Prev Med 2006;3162-71.
  8. Gailly J. Recommandation de bonne pratique. Arrêter de fumer. SSMG 2005.
  9. De Sutter A. Varénicline et cytisine pour arrêter de fumer. MinervaF 2007;6(8):120-1.
Efficacité d’un counselling téléphonique pour l’arrêt du tabac

Auteurs

Boudrez H.
psycholoog-tabacoloog, Universiteit Gent
COI :

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