Revue d'Evidence-Based Medicine



La dexaméthasone pour prévenir les récidives migraineuses ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 1 Page 8 - 9

Professions de santé


Analyse de
Colman I, Friedman BW, Brown MD, et al. Parenteral dexamethasone for acute severe migraine headache: meta-analysis of randomised controlled trials for preventing recurrence. BMJ 2008;336:1359-61.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des corticostéroïdes administrés par voie parentérale en termes de soulagement de la crise de migraine sévère et de la prévention des récidives précoces chez les adultes ?


Conclusion
Cette méta-analyse d’un nombre limité d’études montre, en termes de prévention des récidives migraineuses à 24-72h chez des adultes, une efficacité modérée de la dexaméthasone administrée par voie parentérale versus placebo en ajout au traitement classique de la crise de migraine sévère. Ces résultats ne modifient pas les recommandations actuelles pour le traitement de la crise de migraine sévère.


 

Contexte

Une récidive de céphalées est fréquente dans les 24-72h post traitement de crise de migraine sévère (1). Les preuves sont contradictoires en ce qui concerne l’efficacité des corticostéroïdes, en ajout à un traitement antimigraineux classique, en termes de réduction des récidives précoces ; elles manquaient quant à l’efficacité de la dexaméthasone en ce qui concerne le soulagement immédiat de la douleur migraineuse.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, LILACS et CINAHL
  • consultation de rapports de conférence (10 dernières années), guides de pratique, firmes, auteurs, experts et listes de référence.

Etudes sélectionnées

  • RCTs incluant des adultes avec crise de migraine sévère, comparant administration parentérale de corticostéroïdes (seuls ou en association avec un traitement antimigraineux classique) à un placebo ou à autre traitement de référence des crises de migraine
  • inclusion des études avec : événement aigu et sévère, critères permettant de distinguer la migraine d’autres types de céphalées, service d’urgence ou clinique de céphalées, voie parentérale, accès aux données d’études pour les critères de jugement
  • pas de restriction de langues
  • sur 666 abstracts potentiellement pertinents, 7 RCTs (5 publiées, 2 résumés avec données par les auteurs) comparant en association avec un traitement antimigraineux classique, une dose unique (voie parentérale) de dexaméthasone versus placebo en termes de réduction de la douleur et de récidive de céphalées dans les 72h.

Population étudiée

  • 738 patients (55 à 205 / étude), ≤ 18 ans ; services d’urgence (multicentrique pour 5 études)
  • traités par corticostéroïdes parentéraux + traitement antimigraineux classique (6 études) ou métoclopramide + antihistaminique (diphenhydramine) IV (1 étude ; n=205) ; dexaméthasone IV (6 études), IV ou IM (1 étude) ; dose : 10 mg à 24 mg
  • suivi de 24 à 72h
  • score de Jadad de 4 et 5.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : récidive migraineuse endéans les 24-72h post traitement après sédation majeure de la crise
  • critères secondaires : réduction de la douleur post traitement sur une échelle visuelle analogique (de 10 cm) (4 études (n=455)), effets indésirables
  • tests d’hétérogénéité χ² et I2 et analyse en modèle d’effets fixes
  • différences moyennes pondérées (DMP) et RR.

Résultats

  • critère primaire : à 24-72h, moins de récidives sous dexaméthasone versus placebo (RR 0,74 ; IC 95% 0,60 à 0,90 ; I² 3,4%)
  • absence de différence pour la réduction de la douleur (DMP 0,37 (IC 95% -0,20 à 0,94 ; I² 46,2%))
  • effets indésirables : pas de différence pour les critères agitation, somnolence, picotements, engourdissement ou oedème ; plus de troubles d’équilibre et moins de nausées sous corticostéroïdes.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une dose unique de dexaméthasone administrée par voie parentérale, en association avec un traitement classique de la crise migraineuse, est associée à une réduction relative de récidive de céphalées endéans les 72h de 26% avec un NST=9.

Financement 

The Canadian Association of Emergency Physicians Research Consortium.

Conflits d’intérêt 

3 des auteurs sont les auteurs principaux et 2 auteurs sont co-auteurs de certaines études incluses ; 1 des auteurs déclare un financement de la 21st century Canada research chairs programme through the government of Canada.

 

Discussion

Considérations méthodologiques

La recherche dans la littérature est méthodique avec des critères d’inclusion stricts et une recherche de données non publiées. La qualité méthodologique des RCTs incluses est bonne avec un score de Jadad correct au vu du respect du : double aveugle, d’une mention des « perdus de vue » et d’une randomisation correcte dans 5 études. La voie d’administration des médicaments est semblable. Les auteurs effectuent une recherche d’hétérogénéité. Deux examinateurs évaluent la pertinence, l’inclusion et la qualité des études, indépendamment l’un de l’autre.

Cinq des auteurs de cette méta-analyse figurent parmi les (co-)auteurs de 4 études incluses. Les auteurs ne mentionnent pas de funnel plots ou d’autre test qui aurait pu nous renseigner sur un éventuel biais de publication.

  

Mise en perspective des résultats

Le choix du critère primaire est cliniquement pertinent ; étant donné une possible composante inflammatoire, les corticostéroïdes pourraient réduire le taux des récidives migraineuses précoces. Malgré l’inclusion probable dans l’étude de patients non migraineux correspondant à la pratique de terrain, les résultats ne sont cependant pas extrapolables à la 1ère ligne de soins ou aux patients ambulatoires, entre autres en raison des doutes sur la faisabilité d’une administration de la dexaméthasone en IV en ambulatoire. Des études sont nécessaires pour évaluer les possibles interactions médicamenteuses avec les traitements antimigraineux utilisés, la dose optimale, l’efficacité éventuelle de l’administration orale et les sous-groupes de patients pouvant tirer un maximum de bénéfice d’un tel traitement.

Les auteurs calculent (sur une base non mentionnée) un NST de 9 (IC 95% 6 à 25) pour la réduction des récidives de migraine. Son interprétation doit être prudente : non randomisation des co-interventions (facteur confondant important de par la diversité des traitements antimigraineux utilisés (dont des opioïdes) et l’interaction potentielle entre ces différents traitements et la dexaméthasone), dose variable, durée de suivi de 24 à 72h, absence de mention des caractéristiques des patients (âge, sexe, antécédents, co-pathologies, type de migraine) et donc de risque initial de récidive pour chaque patient.

Deux précédentes RCTs versus placebo évaluant, en présence d’une crise de migraine sévère, l’administration orale de dexaméthasone (2) 8 mg et de prednisone (3) n’ont pas montré de bénéfice des corticostéroïdes en ajout à un traitement antimigraineux en ce qui concerne la prévention de la récidive de migraine. Une 3e étude (4) montre l’efficacité des AINS (naproxène sodique 500 mg) dans la prévention de récidive de migraine dans une population en première ligne de soins.

La méta-analyse (5) de SING, reprenant 6 des 7 études de la méta-analyse ici-étudiée et 1 étude avec administration orale, confirme l’efficacité de l’administration de dexaméthasone en termes de prévention des récidives précoces de migraine modérée et sévère endéans les 24-72h (RR 0,87 (IC 95% 0,80 à 0,95) ; RAR 9,7%).

Effets indésirables

Si l’administration ponctuelle de dexaméthasone ne révèle dans cette méta-analyse que quelques différences pour les effets indésirables, le suivi des patients limité à 72h ne permet aucune conclusion à moyen ou long terme. La fréquence des migraines, avec possibilité d’administrations répétées de corticostéroïdes, nécessite des études évaluant la possibilité d’effets indésirables plus rares (nécrose osseuse aseptique de la tête fémorale ou du genou) ou à long terme (diminution de la densité minérale osseuse et incidence de fractures). Insistons, par ailleurs, sur la prudence requise, entre autres, chez les diabétiques en raison du risque d’hyperglycémie prolongée (36-72h de demi-vie pour la dexaméthasone), sur les effets indésirables connus sur l’humeur et au niveau ophtalmique (cataracte et augmentation de la pression intra-oculaire).

Pour la pratique

Cette méta-analyse non extrapolable à la première ligne de soins n’apporte pas d’élément neuf parmi ceux figurant dans les guides de pratique récents en ce qui concerne le traitement des crises migraineuses sévères. L’aspirine 1 g et l’ibuprofène 400 mg (ou autre AINS), administrés dès le début des symptômes, restent des traitements de 1er choix pour les crises migraineuses de toute intensité, le paracétamol pouvant se révéler efficace en cas de crise d’intensité légère à modérée (6). En absence d’efficacité d’analgésiques simples lors de crises précédentes, les triptans seront essayés (6) malgré certains désavantages (restrictions à leur usage en présence de maladies cardiovasculaires, coût) ; leur efficacité et leurs effets indésirables sont doses dépendants (7). La prescription éventuelle d’un traitement préventif est à envisager en fonction de la fréquence des récidives.

 

Conclusion

Cette méta-analyse d’un nombre limité d’études montre, en termes de prévention des récidives migraineuses à 24-72h chez des adultes, une efficacité modérée de la dexaméthasone administrée par voie parentérale versus placebo en ajout au traitement classique de la crise de migraine sévère. Ces résultats ne modifient pas les recommandations actuelles pour le traitement de la crise de migraine sévère.

Lien vers l'article original dans le BMJ:  

http://www.bmj.com/cgi/reprint/336/7657/1359

 

Références

  1. Ducharme J, Beveridge RC, Lee JS, Beaulieu S. Emergency management of migraine: is the headache really over? Acad Emerg Med 1998;5:899-905.
  2. Kelly AM, Kerr D, Clooney M. Impact of oral dexamethasone versus placebo after ED treatment of migraine with phenothiazines on the rate of recurrent headache: a randomised controlled trial. Emerg Med J 2008;25:26-9.
  3. Fiessler F, Shih R, Silverman M, et al. Prednisone for migraine headaches: an emergency department randomized double-blind placebo-controlled trial. Acad Emerg Med 2007;14(suppl 1):S71.
  4. Brandes JL, Kudrow D, Stark SR, et al. Sumatriptan-naproxen for acute treatment of migraine: a randomized trial. JAMA 2007;297:1443-54.
  5. Singh A, Alter HJ, Zaia B. Does the addition of dexamethasone to standard therapy for acute migraine headache decrease the incidence of recurrent headache for patients treated in the emergency department? A meta-analysis and systematic review of the literature. Acad Emerg Med 2008;15:1223-33.
  6. Scottish Intercollegiate Guidelines Network. The diagnosis and management of headache in adults. SIGN, Clinical Guideline N° 107, November 2008.
  7. Fiche de transparence. Antimigraineux. CBIP, Bruxelles, juillet 2008.
La dexaméthasone pour prévenir les récidives migraineuses ?

Auteurs

Vanwelde C.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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