Revue d'Evidence-Based Medicine



Claudication intermittente : revascularisation endovasculaire ou entraînement physique supervisé en milieu hospitalier ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 1 Page 6 - 7

Professions de santé


Analyse de
Spronk S, Bosch JL, den Hoed PT, et al. Intermittent Claudication: Clinical effectiveness of endovascular revascularization versus supervised hospital-based exercise training - randomized controlled trial. Radiology 2009;250:586-95.


Question clinique
Chez les patients avec claudication artérielle périphérique intermittente, quels sont les résultats comparatifs sur 12 mois d’une revascularisation et d’un entraînement physique supervisé ?


Conclusion
Cette étude randomisée ne montre pas de différence à moyen terme entre un processus de revascularisation artérielle périphérique et la pratique d’exercices physiques supervisés dans la prise en charge de la claudication intermittente, malgré un bénéfice précoce, confirmant une synthèse méthodique plus ancienne.


 

Contexte

La claudication intermittente a une prévalence de 3 à 6% chez les patients de 40 à 60 ans. Sa complication la plus redoutée est l’amputation (1 à 3% des cas dans les 5 ans) mais un infarctus du myocarde ou un AVC sont plus fréquents ; la mortalité de cause cardiovasculaire est de 15 à 30% durant cette même période (1). Face à un patient avec claudication intermittente, la limitation du risque cardiovasculaire est une priorité, à côté du contrôle des symptômes douloureux et de la préservation du membre atteint. L’exercice physique est recommandé dans les stades initiaux mais la revascularisation, avec ses résultats immédiats, est de plus en plus utilisée. Peu d’études ont comparé les deux approches.

 

Résumé

Population étudiée

  • parmi 293 patients consécutifs avec symptômes de claudication intermittente évalués dans un centre de chirurgie vasculaire de Rotterdam, 151 recrutés
  • critères d’inclusion : claudication de 1 à 3 selon la classification de Rutherford et d’au moins 3 mois et périmètre de marche non douloureuse de moins de 350 m et index cheville bras de moins de 0,9 au repos ou qui diminue de plus de 0,15 à l’effort et sténose de plus de 50% et consentement éclairé
  • critères d’exclusion : anévrisme abdominal, maladie cardiaque invalidante, maladie multi-étagée nécessitant plusieurs niveaux d’intervention, maladie de l’artère tibiale isolée, lésions sans indication de revascularisation, antécédent d’intervention.

Protocole d’étude

  • étude contrôlée randomisée
  • 76 patients orientés vers la revascularisation par angioplastie (en première intention), placement de stent ou recanalisation conventionnelle si nécessaire
  • 75 patients orientés vers l’exercice physique supervisé (30 minutes sur tapis roulant 2 fois par semaine pendant 24 semaines) et encouragement à marcher 30 minutes 3 fois par semaine.

Mesure des résultats

  • après 1 semaine (uniquement pour l’amélioration clinique), 6 et 12 mois
  • critère de jugement primaire : amélioration de la qualité de vie évaluée à l’aide de 4 (fonctions physiques, importance des limites liées aux problèmes physiques, douleur corporelle, perception de la santé générale) des 8 axes du « 36-Item Short-Form Health Survey », du « Vascular Quality of Life Questionnaire»
  • amélioration clinique définie par une amélioration d’au moins un point dans la classification de Rutherford après effort standardisé sur tapis roulant
  • capacités fonctionnelles mesurées par 3 indicateurs : index cheville bras au repos et à l’effort, périmètre maximal de marche sans douleur, distance maximale de marche
  • l’amélioration clinique et les capacités fonctionnelles sont évaluées par un observateur ignorant l’attribution des traitements 
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • critère primaire, modification de la qualité de vie : amélioration dans les deux groupes sans différence significative à 6 et 12 mois
  • amélioration clinique : voir tableau.
  • amélioration des capacités fonctionnelles : dans les deux groupes sans différence significative à 6 et 12 mois
  • symptômes dans le membre controlatéral : davantage de patients dans le groupe revascularisation que dans le groupe exercice mais différence non significative.

 

Tableau. OR (avec IC à 99%) pour l’amélioration clinique à 1 semaine, 6 mois et 12 mois, groupe revascularisation versus groupe exercices physiques.

 

A 1 semaine

A 6 mois

A 12 mois

OR

IC à 99%

39

11 – 131

0,9

0,3 – 2,3

1,1

0,5 – 2,8

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, après 6 et 12 mois, des patients présentant une claudication intermittente bénéficient aussi bien d’une revascularisation endovasculaire que d’une pratique supervisée d’exercices. L’amélioration est cependant plus rapide après revascularisation.

Financement 

Non mentionné.

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La description très méticuleuse de cette étude révèle sa rigueur, mais aussi toute sa complexité. La population qui souffre de claudication intermittente est très hétérogène et le reste après application de critères d’inclusion et d’exclusion très nombreux. Un des deux bras (revascularisation) regroupe différents types d’interventions. Les caractéristiques initiales des deux groupes sont semblables sauf pour la distance maximale de marche sans douleur, inférieure dans le groupe revascularisation. Une telle étude ne pouvait être réalisée en double aveugle mais l’évaluation est faite en insu pour plusieurs critères. La randomisation paraît adéquate. Le grand nombre de patients exclus de l’étude, comme le fait qu’elle se déroule dans un seul centre, limitent sa validité externe.

Par ailleurs, l’absence de différence significative entre les deux bras pour les différentes mesures pourrait être due à un manque de puissance de l’étude (75 patients dans chaque bras).

L’étude n’a pas été conçue pour évaluer l’effet de ces deux approches sur la morbidité et sur la mortalité cardiovasculaire globale.

Interprétation des résultats

D’autres éléments rendent difficile l’interprétation des résultats : des patients du bras « exercice physique » ont dû subir une intervention, des patients du bras « revascularisation » ont dû subir une réintervention, l’évolution de l’état du membre controlatéral a pu être influencée par l’exercice physique et a influencé elle-même certains résultats (symptômes dans le membre controlatéral). Un nombre non négligeable de patients sont décédés (5 dans le bras « revascularisation » et 3 dans le bras « exercice physique »), même si aucun décès n’est attribué aux interventions ni à une lésion artérielle périphérique. Les auteurs signalent une limite dans les évaluations subjectives de la qualité de vie qui peut être surestimée dans le bras revascularisation par rapport au bras exercice du fait de l’apparition beaucoup plus rapide des effets de l’intervention. L’amélioration clinique initialement plus importante post chirurgie ne l’est plus de manière significative lors des évaluations ultérieures.

Autres études

Une synthèse Cochrane récente (2) a souligné l’intérêt de l’exercice physique dans la claudication intermittente mais notait le manque d’études comparatives avec les autres approches. Une synthèse méthodique Cochrane plus ancienne, mise à jour en 2006, suggérait, sur base de résultats limités, que si l’angioplastie pouvait avoir des bénéfices à court terme, ceux-ci n’étaient peut-être pas durables (3), observation confirmée par la présente étude. Le guide de pratique SIGN (Scottish Intercollegiate Guidelines Network) a fait des recommandations cotées sur base de preuves pour la prise en charge de l’artériopathie des membres inférieurs (4). Il souligne l’importance de la prévention cardiovasculaire (statines, antiaggrégants plaquettaires, contrôle de l’hypertension artérielle, de la glycémie et du poids, arrêt du tabac). Pour la réduction des symptômes, il recommande l’exercice physique (recommandation A), le cilostazol (non commercialisé en Belgique et avec effets indésirables potentiels graves (5)) ou le naftidrofuryl (recommandation A). Une recommandation D concerne l’intervention endovasculaire et chirurgicale : elle n’est pas recommandée chez la majorité des patients avec claudication intermittente. Un avis chez un spécialiste vasculaire est recommandé en cas d’invalidité majeure ou d’aggravation des symptômes. Un consensus d’experts belges basé sur la deuxième édition du Trans-Atlantic Inter-Society Consensus (TASC II) est très superposable, notant juste que la revascularisation peut constituer un premier choix en cas de lésion supra-inguinale et reste nécessaire en cas de nécrose ou de douleur au repos (6). S’il manque de preuve dans les méta-analyses pour orienter vers la revascularisation, l’argument de la rapidité de l’effet de cette intervention peut être pris en considération devant un patient en souffrance importante ou avec un handicap majeur. Reste à voir les possibilités de généralisation et de remboursement de l’exercice supervisé proposé dans l’étude et aussi à comparer les rapports coût/efficacité des deux approches.

Pour la pratique

Les recommandations du guide de pratique de SIGN restent d’actualité sauf pour le cilostazol vu son rapport bénéfice/risques défavorable. Dans tous les cas, les mesures de prévention cardiovasculaires générales doivent être encouragées. L’exercice physique doit être privilégié si l’état du patient le permet, associé éventuellement à un essai de traitement symptomatique. Dans l’attente d’autres études, l’indication éventuelle d’une revascularisation reste à discuter au cas par cas, en fonction du stade des lésions artérielles, de leurs répercussions et des co-morbidités.

 

Conclusion

Cette étude randomisée ne montre pas de différence à moyen terme entre un processus de revascularisation artérielle périphérique et la pratique d’exercices physiques supervisés dans la prise en charge de la claudication intermittente, malgré un bénéfice précoce, confirmant une synthèse méthodique plus ancienne.

 

Références

  1. Karthikeyan G, Eikelboom JW. Treatment of intermittent claudication. [Editorial] BMJ 2009;338:b46.
  2. Watson L, Ellis B, Leng GC. Exercise for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 2008, Issue 4.
  3. Fowkes FG, Gillespie IN. Angioplasty (versus non surgical management) for intermittent claudication. Cochrane Database Syst Rev 1998, Issue 2.
  4. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Diagnosis and management of peripheral arterial disease. Guideline N° 89, October 2006.
  5. Cilostazol (Pletal ®) et claudication intermittente ; trop peu d’efficacité, trop de risque (suite). Rev Prescr 2009;29:316.
  6. Clement D, Kolh P, Motte S, et al; Belgian Working Group for Peripheral Arterial Disease. Diagnosis and treatment of peripheral arterial disease: recommendations for the medical practice in Belgium. Acta Chir Belg 2007;107:595-604.
Claudication intermittente : revascularisation endovasculaire ou entraînement physique supervisé en milieu hospitalier ?

Auteurs

Crismer A.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

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