Revue d'Evidence-Based Medicine
Traitements du glaucome à angle ouvert : efficacité et sécurité comparatives
Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone
Contexte
Le glaucome est une neuropathie optique, cause la plus fréquente de l’apparition d’une cécité dans nos pays occidentaux. Des traitements visant à diminuer la pression intraoculaire sont largement utilisés pour prévenir et traiter le glaucome, aussi bien des médicaments que le laser ou la chirurgie. Les preuves de l’efficacité de ces différents traitements manquent parfois ou sont contradictoires. Lors de l’analyse (1) d’une méta-analyse publiée en 2005 sur ce sujet (2), nous avons conclu, à propos des médicaments administrés en collyre, à l’intérêt d’un bêtabloquant en cas d’hypertension intraoculaire d’au moins 24 mmHg dans la prévention de l’apparition d’un glaucome. Les médicaments plus récents (analogues des prostaglandines et de la prostamide, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique) n’avaient pas encore apporté une telle preuve. Une nouvelle méta-analyse fait le point dans ce domaine qui a beaucoup évolué depuis la précédente recherche dans la littérature, soit presque 10 ans. Nous ciblerons dans cet article essentiellement les traitements que le médecin généraliste est amené à prescrire/surveiller.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique narrative
Sources consultées
- MEDLINE, Cochrane Register of Controlled Trials (CENTRAL) et une base de données sur l’œil et la vision (Université John Hopkins de Baltimore) pour les synthèses méthodiques jusqu’en 2011
- MEDLINE, EMBASE, LILACCS et CENTRAL pour les études primaires (sans restriction de langue ni autres) jusqu’au 30 juillet 2012.
Etudes sélectionnées
- synthèses méthodiques, RCTs, études contrôlées quasi randomisées concernant le traitement et études d’observation concernant la qualité de vie et les effets indésirables
- exclusions : médicaments non approuvés par la FDA ou plus en usage, population autre que celle décrite ci-dessous sauf en cas de stratification pour les différentes conditions
- inclusion finale de 23 synthèses méthodiques et de 379 autres publications (dont 86 déjà incluses dans les synthèses méthodiques).
Population étudiée
- patients âgés d’au moins 40 ans avec un glaucome à angle ouvert primaire ou suspects d’en présenter un.
Mesure des résultats
- troubles visuels et autres issues (effecteurs) rapportés par les patients
- pression intraoculaire
- lésions du nerf optique et perte du champ visuel
- effets indésirables.
Résultats
- pression intraoculaire : diminuée par le traitement médical, le laser (trabéculoplastie) et le traitement chirurgical (trabéculectomie), plus efficace encore si associé à un antimétabolite local, la mitomycine C (haut niveau de preuve)
- risque de lésions du nerf optique et de réduction du champ visuel : réduction versus absence de traitement pour le traitement médical et pour la trabéculectomie (haut niveau de preuve)
- handicap visuel et issues rapportées par les patients : données insuffisantes pour conclure
- efficacité comparative des différents traitements : pas claire, les analogues de la prostaglandine étant plus efficaces que les autres médicaments pour faire baisser la pression intraoculaire
- effets indésirables : surtout locaux (œil rouge, irritation) ; risque de complications plus sérieuses légèrement plus important avec la chirurgie.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que les traitements médicaux et chirurgicaux d’un glaucome à angle ouvert diminuent la pression intraoculaire et réduisent le risque de lésion du nerf optique à court – moyen terme. Les données ne permettent pas de déterminer quel traitement prévient le mieux le handicap visuel ou améliore les issues rapportées par les patients.
Financement de l’étude
Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) U.S.A. dont le rôle s’est limité à la supervision du projet et à une revue de la synthèse des preuves.
Conflits d’intérêt des auteurs
Cinq auteurs déclarent avoir reçu des subsides de l’AHRQ pour leur institution ; 3 auteurs déclarent avoir reçu des honoraires de firmes pharmaceutiques dont un déclare posséder également des actions d’une firme ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
Cette synthèse de la littérature repose sur une recherche exhaustive dans la littérature, dans les bases de données recommandées et pour les différents types d’étude. La qualité méthodologique de ces différents types d’étude est évaluée au moyen des scores de référence validés, entre autres PRISMA pour les synthèses méthodiques. Les synthèses méthodiques de mauvaise qualité ont été exclues. Le niveau de preuve a été attribué en fonction du risque de biais, de la concordance, de l’aspect direct des comparaisons, de la précision des résultats (méthode GRADE) pour les RCTs et synthèses méthodiques. Les auteurs privilégient une synthèse qualitative à une synthèse quantitative ; ils ne réalisent en fait pas de méta-analyse et se limitent à une synthèse méthodique narrative. Ils signalent que les définitions pour les critères de jugement et mesures sont hétérogènes dans les différentes études et qu’ils ont dû exclure plusieurs études de traitement en raison de la non stratification des résultats en fonction du type de glaucome.
Interprétation des résultats
Cette synthèse exhaustive de la littérature confirme qu’un traitement médical (collyres) d’un glaucome diminue la pression intraoculaire et protège contre l’aggravation d’une perte du champ visuel. Une comparaison directe des différents médicaments pour leur capacité de prévention d’une lésion du nerf optique ou de perte du champ visuel n’a pas été faite. Les synthèses méthodiques et études ultérieures montrent que les traitements médicaux et la trabéculectomie diminuent le risque d’incidence ou d’aggravation d’une perte du champ visuel, une trabéculectomie initiale pouvant être plus efficace. Les analogues de la prostaglandine sont les médicaments locaux les plus efficaces pour faire descendre la pression intraoculaire mais peuvent plus fréquemment provoquer une hyperémie conjonctivale que le timolol.
Une trabéculoplastie par laser permet de diminuer la pression intraoculaire mais les études ne permettent pas de déterminer le meilleur type de laser ni le nombre d’applications à recommander.
Les études actuelles ne permettent pas de déterminer le meilleur choix de traitement en termes de handicap visuel ou autre critère de jugement rapporté par le patient.
Effets indésirables
Tous les traitements médicaux locaux peuvent provoquer une irritation oculaire, une rougeur oculaire, une modification de la couleur de l’iris. Les analogues de la prostaglandine ne semblent pas avoir d’effets indésirables systémiques ou provoquer d’interactions avec d’autres médicaments systémiques, contrairement aux bêtabloquants.
Les bêtabloquants exposent à des effets indésirables semblables, qu’ils soient administrés par voie locale ou par voie générale, principalement au niveau cardiovasculaire (insuffisance cardiaque, bradycardies, hypotensions) mais aussi bronchospasmes, exacerbation d’un phénomène de Raynaud, troubles neuropsychiques et digestifs. Les bêtabloquants peuvent interagir avec d’autres médicaments ayant des effets cardiovasculaires identiques et avec les hypoglycémiants (3).
Une trabéculectomie provoque plus d’effets indésirables qu’une chirurgie non pénétrante, entre autres davantage de cataractes (RR autre chirurgie versus trabéculectomie de 0,31 avec IC à 95 % de 0,15 à 0,64).
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique sans méta-analyse montre l’intérêt des différentes approches thérapeutiques (médicaments en collyre, trabéculoplastie au laser, trabéculectomie chirurgicale (+ antimétabolite local)) pour diminuer une pression intraoculaire trop élevée qui est à l’origine de la lésion du nerf optique. Malgré une plus grande efficacité des analogues de la prostaglandine pour faire baisser la pression intraoculaire, les preuves sont insuffisantes pour recommander un traitement particulier en prévention des troubles visuels.
Pour la pratique
Pour le traitement du glaucome à angle ouvert chez l’adulte, le guide de pratique de NICE (4) recommande comme traitement médicamenteux, en première intention soit un bêtabloquant, soit un analogue de la prostaglandine suivant le niveau de la pression intraoculaire et l’épaisseur cornéenne centrale. En cas d’intolérance ou d’échec (malgré une application vérifiée correcte) à un médicament, un autre peut être essayé. En cas d’échec persistant, envisager une trabéculoplastie au laser ou une trabéculectomie chirurgicale + antimétabolite local. Ces recommandations ne sont assorties d’aucun niveau de preuve.
La synthèse méthodique narrative ici analysée n’apporte pas de preuves d’une plus-value d’un traitement médicamenteux par rapport à un autre en termes de prévention des troubles visuels en cas de glaucome. En Belgique, les analogues de la prostaglandine sont soumis à des conditions de remboursement particulières (sauf latanoprost en générique).
Références
- Chevalier P. Traitement de l’hypertension intraoculaire et du glaucome. MinervaF 2006;5(4):60-1.
- Maier PC, Funk J, Schwarzer G et al. Treatment of ocular hypertension and open angle glaucoma: meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2005;331:134-6.
- Glaucome chronique à angle ouvert. La Revue Prescrire. Idées –Forces 2012;350.
- Glaucoma. Diagnosis and management of chronic open angle glaucoma and ocular hypertension. National Collaborating Centre for Acute Care, 22 april 2009.
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