Revue d'Evidence-Based Medicine



Bénéfice cardiovasculaire d’un contrôle glycémique strict ?



Minerva 2009 Volume 8 Numéro 7 Page 94 - 95

Professions de santé


Analyse de
Duckworth W, Abraira C, Moritz T, et al; VADT Investigators. Glucose control and vascular complications in veterans with type 2 diabetes. N Engl J Med 2009;360:129-39.


Question clinique
Est-il efficace de cibler un contrôle intensif de la glycémie chez des patients présentant depuis longtemps un diabète de type 2 en termes de prévention des événements cardiovasculaires ?


Conclusion
Cette nouvelle RCT montre l’absence d’intérêt d’un traitement intensif visant une HbA1c plus basse chez des patients diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire (fort) augmenté en termes de prévention des événements cardiovasculaires. La prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaire reste l’objectif premier par rapport à un taux d’HbA1c plus bas que 7%.


Contexte

L’intérêt d’un contrôle glycémique plus strict en cas de diabète de type 2 a été montré sur des critères de jugement micro vasculaires (étude randomisée UKPDS sur 10 ans). Pour la prévention des événements macro vasculaires, des résultats contradictoires sont observés (1). La RCT ADVANCE ne montre pas de bénéfice d’un traitement intensif pour les lésions macro vasculaires et la RCT ACCORD a dû être prématurément arrêtée pour surmortalité sous contrôle intensif (cible HbA1c < 6%) (2).

 

Résumé

Population étudiée

  • 1 791 vétérans militaires, de 60,4 ans d’âge moyen, 3% de femmes, diabétiques de type 2 (depuis 11,5 ans en moyenne), 52% initialement sous insuline, avec contrôle suboptimal (HbA1c moyenne 9,4%) ; 40% avec anamnèse d’au moins un événement cardiovasculaire (prévention secondaire ou tertiaire)
  • exclusion : HbA1c < 7,5%, événement cardiovasculaire dans les 6 mois précédents, insuffisance cardiaque congestive importante, angor sévère, espérance de vie < 7 ans, IMC 40, créatininémie > 1,6 mg/dl, ALAT > 3x la norme.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, multicentrique, en protocole ouvert
  • groupe traitement intensif (n=892) ciblant un taux d’ HbA1c de 1,5% inférieur à celui du groupe traitement de référence (n=899)
  • schéma thérapeutique : IMC ≥ 27 : metformine + rosiglitazone ; IMC < 27 : glimépiride + rosiglitazone ; ½ doses dans le traitement de référence, dose maximale dans le traitement intensif ; + insuline : si HbA1c non < 6% avec traitement intensif et si non < 9% sous traitement de référence ; ajout autres ADO ensuite possible
  • traitement identique des autres facteurs de risque cardiovasculaire dans les 2 groupes ; aspirine (91 et 94% selon le groupe) et statine (83 et 86%) pour tous les patients sauf contre-indication
  • suivi moyen de 5,6 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère primaire composite : délai de survenue d’un premier événement cardiovasculaire majeur : infarctus du myocarde, AVC, décès cardiovasculaire, insuffisance cardiaque congestive, chirurgie de lésion vasculaire, coronaropathie non opérable, amputation pour gangrène ischémique
  • critères secondaires : angor, AIT, claudication intermittente, ischémie d’une jambe, décès de toute cause, complications microvasculaires
  • effets indésirables dont les hypoglycémies
  • analyse en intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">intention de traiter.

 

Résultats

Groupe traitement intensif versus groupe traitement de référence

  • sorties d’étude : 15% versus 13,5%
  • HbA1c moyenne : 6,9% versus 8,4%
  • critère primaire composite : pas de différence pour le délai de survenue d’un incident : 29,5% vs 33,5% ; RAR 11,9% ; rapport de hasards désigne le risque relatif de survenue d’un résultat dans une analyse réalisée à l’aide du modèle de régression de Cox. Il s’agit d’un risque relatif « instantané » tenant compte de la durée de présence dans l’étude.">HR 0,88 ; intervalle de confiance à 95% est souvent choisi. Ceci signifie que, si l’enquête ou étude est reproduite 100 fois dans la même population avec des échantillons différents, dans 95 des cas la valeur trouvée se situera dans l’intervalle de confiance donné. Cela s’appelle un intervalle de confiance à 95%. L’intervalle de confiance nous renseigne sur la fiabilité des valeurs trouvées dans l’étude. Les limites inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance sont appelées marges de fiabilité ou limites de confiance. Au moins les valeurs extrêmes sont éloignées, au plus l’intervalle de confiance est étroit et au plus l’effet observé est un reflet fiable de l’effet réel. L’intervalle de confiance dépend de la variabilité (exprimée par l’écart type) et de la taille de l’échantillon (le nombre de personnes dans l’étude). Plus l’échantillon est numériquement important, plus l’intervalle de confiance est étroit.">IC à 95% de 0,74 à 1,05 ; valeur p log rank est la valeur p pour ce test log rank.">p log rank = 0,14
  • pas de différence pour les composantes isolées du critère primaire ni pour les décès globaux ni pour les complications microvasculaires
  • effets indésirables (hypoglycémies principalement) : 24,1% versus 17,6%
  • prise de poids : 4 kg versus 0,66 kg ; p=0,01.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’un contrôle glycémique intensif chez des patients diabétiques de type 2 mal contrôlés n’influence pas significativement l’incidence d’événements cardiovasculaires, de décès, ni de complications microvasculaires.

 

Financement 

Veterans Affairs Cooperative Studies Program, American Diabetes Association, National Eye Institute et plusieurs firmes pharmaceutiques ; les sponsors ne sont intervenus à aucun des stades de l’étude.

 

Conflits d’intérêt 

Plusieurs auteurs déclarent avoir reçu des honoraires à titres divers de plusieurs firmes pharmaceutiques.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude randomisée possède un protocole en ouvert correct. La randomisation est effectuée en respectant le secret de l’attribution et les tests statistiques utilisés sont adéquats. Les auteurs n’ont cependant pas ajusté les valeurs de p pour les comparaisons multiples. Ils ne mentionnent pas d’adjudication centrale des événements ; une absence de ce procédé est un handicap pour une étude en protocole ouvert. L’incidence d’événements est moindre que prévue, comme dans l’étude ADVANCE. Il faut souligner que les chiffres de référence pour le calcul de l’échantillon en fonction de la puissance datent de 1997, époque à laquelle la prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaire était moins performante que dans le cadre de ces nouvelles études (voir paragraphe suivant). Les doses de médicaments administrées, entre autres les doses maximales d’ADO et le pourcentage de patients traités par glitazones, ne sont mentionnés ni dans l’article ni dans les annexes disponibles sur site. Les schémas thérapeutiques effectivement donnés et donc leurs différences (par exemple pour l’insuline), ne sont pas mentionnés. Les auteurs déclarent cibler une différence de 1,5% pour l’ HbA1c entre les 2 groupes. Le protocole cite cependant un chiffre d’HbA1C > 6% pour le traitement intensif et de > 9% pour le traitement de référence pour décider l’ajout d’insuline au traitement initial.

 

Interprétation des résultats

Cette étude inclut presque exclusivement des hommes avec un diabète de type 2 évoluant en moyenne depuis plus de 10 ans et dont le risque cardiovasculaire est, en dehors du facteur diabète, mal précisé par rapport à des études comme ADVANCE ou ACCORD. Il semble cependant important : 40% en prévention cardiovasculaire secondaire ou tertiaire, 72% avec HTA, 72% de fumeurs ou ex-fumeurs. Ces autres facteurs de risque semblent, d’après les chiffres donnés, rigoureusement pris en charge : le contrôle est assuré pour la pression artérielle (125/69 mmHg versus 127/68 mmHg), le LDL-cholestérol (< 80 mg/dl), le HDL-cholestérol (41 mg/dl versus 40 mg/dl), la triglycéridémie (159 mg/dl versus 151 mg/dl). Les résultats de cette étude concernent donc des hommes avec un diabète de type 2 présent depuis plus de 10 ans, à risque cardiovasculaire élevé mais dont les facteurs de risque cardiovasculaire amendables sont bien corrigés. C’est pour ce type de population qu’un contrôle intensif du diabète n’apporte pas de bénéfice par rapport à un traitement de référence.  

 

Autres études

La publication des résultats à plus long terme (13,3 ans) de l’étude d’observation prolongeant la RCT Steno 2 précédemment analysée dans Minerva (3) montre un bénéfice persistant d’une intervention avec modifications de style de vie (régime, exercices physiques, arrêt du tabagisme) et traitements médicamenteux progressifs pour atteindre des cibles strictes en HbA1c (<6,5%), cholestérolémie et triglycéridémie, pression artérielle avec encadrement par une équipe (médecin, infirmière, diététicienne). Le bénéfice porte sur la mortalité globale, la morbimortalité cardiovasculaire. Le traitement ne comporte pas de glitazone. Une autre étude d’observation des données UKPDS après 10 ans (4,1) montre une réduction significative des complications microvasculaires, de l’infarctus du myocarde et de la mortalité globale pour les patients ayant suivi un traitement intensif plutôt que conventionnel. Les importantes RCTs plus récentes ne confirment pas ces données en faveur d’un traitement intensif. L’étude ADVANCE (2) ne montre un bénéfice statistiquement significatif en faveur du traitement intensif (HbA1C cible ≤ 6,5%, 6,4% atteints, < 20% de glitazones) que pour la prévention de la néphropathie et non pour celle de la rétinopathie ou des événements macrovasculaires. L’étude ACCORD (2) compare un traitement intensif (HbA1C cible < 6%, 6,5% atteints, 90% de rosiglitazone) à un traitement de référence (HbA1c cible 7,0 à 7,9%, 7,3% atteints) ; en raison d’une mortalité accrue versus traitement de référence, le bras traitement intensif a été prématurément interrompu. Cette étude ne montre pas de différence entre les 2 bras pour le critère primaire composite (infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal, décès cardiovasculaire). L’analyse comparative de ces résultats confirme pour de nombreux experts des doutes quant à la sécurité de la rosiglitazone, mais l’influence d’autres facteurs sur ces mauvais résultats avec un traitement intensif reste à analyser et à réévaluer.

 

Pour la pratique

Les résultats de cette étude vont dans le même sens que ceux de deux autres récentes RCTs : un traitement intensif visant un contrôle très strict de la glycémie n’apporte pas de bénéfice en termes de prévention d’événements macrocardiovasculaires chez des diabétiques de type 2 depuis plus de 10 ans (dans ce cas-ci presque exclusivement des hommes) avec un risque cardiovasculaire augmenté pour d’autres raisons que le diabète mais facteurs de risque bien pris en charge. Les recommandations demeurent donc inchangées pour les patients présentant un diabète de type 2 : arrêt du tabac, alimentation adaptée et exercices physiques, contrôle de la pression artérielle, antiagrégant plaquettaire et statine si indiqué, équilibre glycémique visant une HbA1c < 7%.

 

Conclusion

Cette nouvelle RCT montre l’absence d’intérêt d’un traitement intensif visant une HbA1c plus basse chez des patients diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire (fort) augmenté en termes de prévention des événements cardiovasculaires. La prise en charge des autres facteurs de risque cardiovasculaire reste l’objectif premier par rapport à un taux d’HbA1c plus bas que 7%.

 

 

 

Références  

  1. Wens J. Diabète de type 2 : effet d’un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans. MinervaF 2009;8(7):86-7.
  2. Chevalier P, Wens J. Intensité du contrôle glycémique et risque cardio-(micro et macro)vasculaire. MinervaF 2008;7(8):124-5.
  3. Wens J. Efficacité d’une prise en charge multifactorielle du diabète en termes de mortalité. MinervaF 2008;7(8):122-3.
  4. Holman RR, Paul SK, Bethel MA, et al. 10-year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;359:1577-89.
Bénéfice cardiovasculaire d’un contrôle glycémique strict ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Jandrain B.
Service de Diabétologie, Nutrition et Maladies métaboliques, CHU de Liège
COI :

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