Revue d'Evidence-Based Medicine



Exacerbations de BPCO : indications de l’antibiothérapie ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 2 Page 19 - 20

Professions de santé


Analyse de
Vollenweider DJ, Jarrett H, Steurer-Stey CA, et al. Antibiotics for exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 12.


Question clinique
L’antibiothérapie prévient-elle les échecs thérapeutiques (absence de guérison, aggravation des symptômes, décès provoqué par une exacerbation ou nécessité d’antibiotiques ou d’autres médicaments) chez les patients souffrant d’exacerbations de BPCO ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, conclut que les antibiotiques utilisés actuellement (association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, cotrimoxazole, doxycycline, pénicilline) administrés en cas d’exacerbation aiguë de BPCO en première ligne n’ont pas d’effet statistiquement significatif sur l’évolution clinique de l’exacerbation.


 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Aucun guide de bonne pratique ne recommande l’utilisation systématique des antibiotiques en cas d’exacerbation aiguë de BPCO (1-4) et le moment optimal pour les utiliser est consensuel. La RBP de la BAPCOC (1) recommande de n’instaurer une antibiothérapie que chez les patients avec BPCO fort malades ou lorsqu’il n’y a pas d’amélioration trois ou quatre jours après la prise en charge classique (bronchodilatateurs et glucocorticoïdes par voie orale) selon la sévérité de l’exacerbation. D’autres guides de bonne pratique (2-4) tiennent compte de différents paramètres pour instaurer ou non une antibiothérapie en cas d’exacerbation aiguë de BPCO. Pourtant, ces recommandations ne sont aujourd’hui que peu étayées par des preuves de bonne qualité.  

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, CINAHL, AMED, PSYcINFO (jusque septembre 2012) ; ClinicalTrials.gov (de 2005 à avril 2012)
  • recherche manuelle dans les revues consacrées aux maladies respiratoires, résumés de réunions et listes des références des études contrôlées randomisées et des synthèses méthodiques sélectionnées
  • demande d’études non publiées ou en cours aux auteurs et aux producteurs d’antibiotiques
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

Études sélectionnées

  • inclusion de 16 études contrôlées randomisées comparant l’administration quotidienne d’antibiotiques par voie orale ou intraveineuse pendant au moins 2 jours à un placebo ; 9 études menées chez des patients ambulants, 6 chez des patients hospitalisés et 1 chez des patients séjournant en unité de soins intensifs.

Population étudiée

  • 2 068 patients (19 à 310 par étude) présentant une exacerbation aiguë de BPCO, définie comme une aggravation d’une situation précédemment stabilisée, avec augmentation de la dyspnée, de la toux, du volume des expectorations ou avec modification de la couleur des crachats ; dans chaque étude, une BPCO avait été diagnostiquée chez au moins 90 % des participants (de préférence confirmée par une spirométrie). Les participants sont âgés d’au moins 40 ans
  • exclusion des patients présentant une bronchite aiguë, une pneumonie, un asthme ou des bronchectasies et des patients sous antibiothérapie prophylactique.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : échec thérapeutique (absence de guérison, aggravation des symptômes, décès provoqué par une exacerbation ou nécessité d’antibiotiques ou d’autres médicaments supplémentaires) entre le jour 7 et un mois après le début du traitement
  • critères de jugement secondaires : échec thérapeutique entre les jours 7 et 14 après le début du traitement, mortalité globale, durée de l’hospitalisation (pour les patients hospitalisés), admission aux soins intensifs, nouvelle exacerbation dans les 2 à 6 semaines après le début de la première exacerbation, amélioration de la dyspnée, hospitalisation, qualité de vie liée à la santé, status fonctionnel et absence au travail, effets indésirables
  • analyse selon un modèle d’effets fixes ou selon un modèle d’effets aléatoires
  • analyse de sensibilité avec des antibiotiques couramment utilisés (association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, cotrimoxazole, doxycycline, pénicilline).

Résultats

  • critère de jugement primaire :
    • chez les patients ambulants (N = 7 ; n = 931) : moins d’échec thérapeutique avec les antibiotiques versus placebo de manière statistiquement significative (RR 0,75 avec IC à 95 % de 0,60 à 0,94 ; I² = 35 % et NST = 13 avec IC à 95 % de 8 à 46) ; pas de différence statistiquement significative avec les antibiotiques couramment utilisés (N = 5 ; n = 790 ; RR 0,80 avec IC à 95 % de 0,63 à 1,01 ; I² = 33 %)
    • chez les patients hospitalisés (N = 4 ; n = 612) : moins d’échec thérapeutique avec les antibiotiques versus placebo de manière statistiquement significative (RR 0,77 avec IC à 95 % de 0,65 à 0,91 ; I² = 47 % et NST = 10 avec IC à 95 % de 6 à 45) ; différence statistiquement significative également avec les antibiotiques qui sont couramment utilisés (N = 3 ; n = 385 ; RR 0,71 avec IC à 95 % de 0,55 à 0,92 ; I² = 58 %)
    • chez les patients en soins intensifs (N = 1 ; n = 93) : moins d’échecs thérapeutiques avec les antibiotiques qu’avec le placebo, de manière statistiquement significative (RR 0,19 avec IC à 95 % de 0,08 à 0,45 et NST = 2 avec IC à 95 % de 2 à 3)
  • critères de jugement secondaires :
    • pas d’effet favorable statistiquement significatif des antibiotiques sur la mortalité (N = 4) (sauf dans 1 étude chez des patients en soins intensifs), sur la durée de l’hospitalisation (N = 2), sur l’amélioration de la dyspnée (N = 2), sur la qualité de vie (N = 1) et sur une nouvelle exacerbation dans les 2 à 6 semaines (N = 1)
    • dans 1 étude, les antibiotiques ont eu un effet favorable significatif sur l’absence au travail
    • l’antibiothérapie augmente le risque d’effets indésirables (rapport de cotes de 1,53 avec IC à 95 % de 1,03 à 2,27 et NNN = 32 avec IC à 95 % de 16 à 10 490) et de diarrhée (rapport de cotes de 2,62 avec IC à 95 % de 1,11 à 6,17 et NNN = 36 avec IC à 95 % de 19 à 565).
     

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude concluent que chez les patients admis en soins intensifs, les antibiotiques ont un effet favorable important et concordant sur tous les critères de jugement. Pour les patients en ambulatoire et les patients hospitalisés, les résultats sont toutefois moins concordants. Tant pour les patients hospitalisés que pour les patients en ambulatoire, on observe une diminution significative du risque d’échec thérapeutique lorsque toutes les études sont incluses. Cette diminution n’est plus significative si l’on se limite aux études avec des antibiotiques actuellement utilisés. Les antibiotiques sont sans effet statistiquement significatif sur la mortalité et sur la durée de l’hospitalisation chez les patients hospitalisés. Il manque de données sur les critères de jugement rapportés par les patients. Selon les auteurs, la non concordance de ces effets réclame une recherche plus approfondie sur les signes cliniques et sur les biomarqueurs susceptibles de contribuer à l’identification des patients qui pourraient bénéficier d’une antibiothérapie et de ceux chez qui l’on pourrait éviter les inconvénients des antibiotiques (effets indésirables, coût, multi-résistance).

Financement de l’étude

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Un des auteurs a donné plusieurs conférences pour des firmes pharmaceutiques qui produisent des antibiotiques. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique suit les règles de la Cochrane Collaboration, et elle est d’excellente qualité. L’un de ses points forts est la stratégie de recherche élaborée sans restriction quant à la langue de publication. Afin de réduire la probabilité de biais de publication, les auteurs ont également recherché les études non publiées et les études en cours. Selon eux, il manque pour le moment des données de deux études en cours chez des patients en ambulatoire. Dans l’ensemble, la qualité des études contrôlées randomisées incluses est bonne. Les processus de randomisation, de respect de l’insu et d’analyse en intention de traiter, sont mentionnés et correctement appliqués dans 80 % des études. 56 % des études mentionnent une randomisation dans le groupe traitement ou le groupe placebo et une évaluation des critères de jugement toutes deux correctement effectuées en aveugle. Les auteurs explorent les différents risques de biais précités ainsi que la non concordance et d'autres formes de biais (tel le biais de publication). Ils attribuent à tous les résultats importants un niveau de preuve selon le système GRADE (5).

  

Interprétation des résultats

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse montre que, chez tous les patients, sauf chez les patients admis en soins intensifs, l’ajout d’antibiotiques au traitement d’une exacerbation aiguë de BPCO a un effet limité dans la prévention des échecs thérapeutiques. Chez les patients hospitalisés, que l’on peut supposer atteints d’exacerbations plus graves, le NST est un peu plus bas que chez les patients en ambulatoire, et le résultat reste statistiquement significatif lorsque seules sont prises en compte les études avec des antibiotiques utilisés actuellement. Ceci correspond aux résultats d’une synthèse publiée en 2007 (6).

A l’examen du rapport coûts/bénéfices pour la pratique en ambulatoire, l’avantage en faveur des antibiotiques n’est pas évident. Un petit effet statistiquement significatif, à condition de tenir compte de toutes les études, donc aussi de celles qui utilisent les anciens produits tels que l’oxytétracycline, est observé.  Les auteurs concluent qu’il n’y a pas de preuve solide de l’effet des antibiotiques en cas d’échec du traitement classique en pratique ambulatoire. Par contre, l’augmentation des effets indésirables d’une part et, d’autre part, élément encore plus important, le développement de résistance, sont observés ou craints. Les auteurs n’ont malheureusement pas collecté de données à ce sujet, mais il ressort d’autres études qu’à chaque cure d’antibiotiques, les résistances augmentent chez le patient (7). Les patients souffrant de BPCO étant régulièrement traités par antibiothérapie, les résistances bactériennes augmentent. C’est une raison supplémentaire pour faire preuve de réserve.

Les signes cliniques et les biomarqueurs permettant d’identifier les patients qui pourraient bénéficier d’une antibiothérapie sont également inconnus. Les recommandations actuelles sont dès lors divergentes. Actuellement, les recommandations GOLD (2) préconisent d’instaurer une antibiothérapie en cas d’augmentation de la dyspnée, du volume des expectorations et de la purulence des expectorations. Si seulement deux de ces trois critères sont présents, dont l’augmentation de la purulence des expectorations, les antibiotiques sont recommandés. Le guide de pratique de NICE (3) recommande la prise d’antibiotiques en cas d’augmentation des expectorations purulentes. Par contre, le NHG-Standaard estime que les antibiotiques ne sont indiqués qu’en présence de signes cliniques clairs d’infection tels qu’une fièvre > 38 °C et un mauvais état général associés à une fonction pulmonaire fort altérée (VEMS < 30 % de la valeur prédite) ou en absence d’amélioration suffisante après quatre jours. En Belgique, la RBP de la BAPCOC (1) recommande une antibiothérapie uniquement chez les patients fort malades, en cas de fonction pulmonaire fort altérée, de détérioration de l’état général du patient malgré le respect d’un traitement non antibiotique maximal ou en absence d’amélioration après 3 ou 4 jours selon la sévérité de l’exacerbation.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, conclut que les antibiotiques utilisés actuellement (association d’amoxicilline et d’acide clavulanique, cotrimoxazole, doxycycline, pénicilline) administrés en cas d’exacerbation aiguë de BPCO en première ligne n’ont pas d’effet statistiquement significatif sur l’évolution clinique de l’exacerbation.

 

Pour la pratique

En Belgique, la RBP de la BAPCOC (1) indique qu’un antibiotique n’est pas indiqué en cas d’exacerbation aiguë d’une BPCO (GRADE 1B) sauf pour des patients fort malades, en cas de fonction pulmonaire fort altérée, de détérioration de l’état général du patient malgré le respect d’un traitement non antibiotique maximal ou l’absence d’une amélioration après 3 ou 4 jours selon la sévérité de l’exacerbation. En tenant compte des chiffres actuels concernant la résistance en Belgique, le premier choix thérapeutique antibiotique est l’amoxicilline à raison d’1 g 3 fois par jour durant 7 jours (GRADE 1C). Cette synthèse méthodique avec méta-analyse de la Cochrane n’apporte aucun argument pour remettre en cause les recommandations actuelles de la BAPCOC.

 

 

Références

  1. Elinck K, Vints A, Sibille Y, Gérard B. Prise en charge des exacerbations aiguës de BPCO en pratique ambulatoire. BAPCOC 2009.
  2. GOLD. Global initiative for Chronic Obstructive Lung Disease. Global strategy for the diagnosis, management, and prevention of chronic obstructive pulmonary disease. Revised 2013.
  3. National Institute for Health and Care Excellence. Chronic obstructive pulmonary disease. NICE guideline CG101, June 2010.
  4. Smeele IJ, Van Weel C, Van Schayck CP, et al. NHG-Standaard COPD (tweede herziening). Huisarts Wet 2007;50;362-79.
  5. Guyatt G, Oxman AD, Akl E, et al. GRADE guidelines 1. Introduction - GRADE evidence profiles and summary of findings tables. J Clin Epidemiol 2011;64:383-94.
  6. Puhan MA, Vollenweider D, Latshang T, et al. Exacerbations of chronic obstructive pulmonary disease: when are antibiotics indicated? A systematic review. Respir Res 2007;8:30-41.
  7. Costelloe C, Metcalfe C, Lovering A, et al. Effect of antibiotic prescribing in primary care on microbial resistance in individual patients: systematic review and meta-analysis. BMJ 2010;340:c2096.
Exacerbations de BPCO : indications de l’antibiothérapie ?

Auteurs

De Meyere M.
Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

De Sutter A.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

Glossaire

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