Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage et service de counseling précoce en cas de violence conjugale ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 2 Page 17 - 18

Professions de santé


Analyse de
Hegarty K, O'Doherty L, Taft A, et al. Screening and counselling in the primary care setting for women who have experienced intimate partner violence (WEAVE): a cluster randomised controlled trial. Lancet 2013;382:249-58.


Question clinique
Chez les femmes, le dépistage de la violence conjugale et le counseling par des médecins de première ligne formés dans ce domaine, sont-ils efficaces en termes de meilleure qualité de vie, de plan de sécurité, de comportement favorisant la sécurité et de la santé psychique versus prise en charge habituelle ?


Conclusion
Cette étude de bonne qualité méthodologique montre que chez les femmes, le dépistage de la violence conjugale et l’offre d’un service de counseling par des médecins de première ligne formés à la prise en charge de femmes dépistées comme victimes d’une violence conjugale, ne conduisent ne conduisent pas dans cette situation à une meilleure qualité de vie, à un meilleur plan de sécurité, à un comportement favorisant mieux la sécurité et à une meilleure santé psychique, versus prise en charge habituelle.


 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Dans une étude menée récemment au Royaume-Uni chez des femmes, la prévalence de la violence conjugale est de 13 à 31 % sur une durée de vie (1). L’étude Global Burden of Disease Study 2010 classe la violence conjugale en cinquième position dans la liste des années perdues en raison d’invalidité chez les femmes (2). Les recherches qualitatives que quantitatives montrent que, pour les femmes victimes de violence conjugale, l’interlocuteur professionnel le plus adapté est le médecin généraliste (1). Le dépistage de la violence conjugale en première ligne s’avère cependant peu efficace si l’intervention n’est pas structurée (3,4).

 

Résumé

Population étudiée

  • 52 médecins généralistes, travaillant dans 52 cabinets de l’État de Victoria, Australie, ayant suffisamment de contacts avec des patientes anglophones et utilisant un dossier médical informatisé
  • 272 femmes, âgées de 38,5 ans en moyenne, ayant pris contact avec un de ces médecins généralistes au cours de l’année précédente et chez lesquelles le dépistage de la violence conjugale par le biais d’un questionnaire écrit a donné un résultat positif (= peur de leur partenaire au cours des 12 mois écoulés) ; 53 % vivaient avec leur partenaire ; 59 % avaient des enfants ; 30 % étaient sans emploi
  • critères d’exclusion : patientes à qui il n’était pas possible d’envoyer le questionnaire écrit faute d’adresse, patientes limitées sur le plan cognitif, patientes ne connaissant pas suffisamment l’anglais ; patientes qui, après avoir rempli et renvoyé le questionnaire, n’ont pas donné les renseignements permettant de les contacter ; patientes qui ont mal compris la question concernant la peur ; patientes ne faisant plus partie de la patientèle du médecin.

Protocole d’étude

  • étude contrôlée avec randomisation en grappes
  • groupe intervention (n = 25 médecins généralistes, 137 femmes) : les médecins généralistes ont suivi une formation (6 heures d’e-learning et visites interactives au cabinet pendant 2 heures) sur l’approche des femmes victimes de violence conjugale (écoute active, entretien motivationnel, techniques de résolution de problèmes) ; les femmes chez qui le résultat du dépistage était positif ont reçu un courrier les invitant à 1 à 6 séances gratuites de conseil pendant six mois
  • groupe contrôle (n = 27 médecins généralistes, 135 femmes) : les femmes chez qui le résultat du dépistage était positif ont reçu une prise en charge habituelle lorsqu’elles se sont rendues chez leur médecin généraliste
  • dans les deux groupes, tous les médecins généralistes ont reçu un dossier pédagogique de base sur la violence conjugale et toutes les femmes ont reçu une liste des services d’assistance spécialisée
  • toutes les femmes ont reçu par la poste un questionnaire en début d’étude, après 6 mois et après 12 mois.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : qualité de vie (WHO Quality of Life-BREF); santé psychique (mental health score SF-12) ; un plan de sécurité a-t-il été élaboré ? Y a-t-il eu, au cours des six mois écoulés, plus de cinq démarches sensibilisant à la sécurité ?
  • critères de jugement secondaires : dépression et anxiété (≥ 8 sur l’échelle Hospital Anxiety and Depression Scale ; le médecin s’est-il enquis de la sécurité de la femme et de ses enfants ? La femme se sentait-elle à l’aise pour parler de sa peur au médecin (échelle de Likert à 5 points) ? Nature de la violence (Composite Abuse Scale). Echelle visuelle analogique (EVA) évaluant le dommage subi ou le bénéfice de la participation à l’étude, évaluant la perception du soutien offert par le médecin, recours à des soins de santé et à une l’assistance spécialisée
  • analyse en intention de traiter
  • correction des résultats pour tenir compte du type de cabinet (urbain ou rural) et des valeurs de base ; méthode d’imputation multiple pour prendre en compte les résultats manquants.

Résultats

  • 67 des 137 femmes (49 %) qui ont reçu une invitation ont suivi, au total, 160 séances de counseling (médiane : 1 séance, IC de 1 à 6)
  • critères de jugement primaires : après 12 mois, aucune différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à l’amélioration de la qualité de vie, à la santé psychique, à l’élaboration d’un plan de sécurité et au comportement stimulant la sécurité
  • critères de jugement secondaires : après 12 mois, le groupe intervention comptait moins de femmes atteintes de dépression (OR 0,3 avec IC à 95 % de 0,1 à 0,7 ; p = 0,005) ; après 6 mois, nombre de femmes interrogées par rapport à leur sécurité et à celle de leurs enfants plus important dans le groupe intervention (OR 5,1 avec IC à 95 % de 1,9 à 14,0 ; p = 0,002), de même que le nombre de femmes se sentant soutenues par leur médecin : différence sur l’EVA de 16,0 (IC à 95 % de 3,4 à 28,7 ; p = 0,01).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les résultats peuvent stimuler une recherche plus approfondie sur les conseils succincts proposés en première ligne aux femmes victimes de violence conjugale. Ils concluent aussi qu’un dépistage par questionnaire envoyé par la poste ne constitue pas une bonne approche pour l’identification de ces femmes. En outre, ils estiment que les médecins généralistes doivent être formés pour poser des questions sur la sécurité des femmes et des enfants et pour proposer un service de soutien par des conseils aux femmes victimes de violence conjugale car cela peut réduire les symptômes de dépression ; une amélioration de la qualité de vie n’a pas été montrée.

Financement

Australian National Health and Medical Research Council

Conflits d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Dans l’étude WEAVE, la randomisation est effectuée au niveau des médecins participants. Il est donc impossible que des médecins formés à cet effet traitent à la fois des femmes du groupe intervention et des femmes du groupe témoin. La contamination est ainsi évitée. Pour le calcul de la taille de l’échantillon, les investigateurs ont tenu compte de l’effet de grappe. Le nombre de médecins et de femmes inclus est suffisant pour obtenir une puissance de 80 % et montrer des différences de résultats cliniquement pertinents pour les critères de jugement primaires. Les critères de jugement primaires et secondaires sont décrits de manière correcte, et la mesure des résultats observés est basée sur des questionnaires validés (5-9). La randomisation et le traitement statistique des résultats sont effectués en aveugle. Par contre, au vu de la conception de l’étude, les médecins et les femmes étaient au courant de l’intervention. Comme ce sont surtout les résultats rapportés par les patientes elles-mêmes qui ont été analysés, le risque de biais de réponse est réel. Il convient de remarquer qu’il est très difficile d’effectuer des mesures objectives de la mortalité et de la morbidité dans ce domaine de la violence conjugale. La proportion de sorties d’étude a été de 30 % dans chacun des deux groupes. En complément de l’analyse en intention de traiter, une imputation de données a été utilisée pour remplacer les données manquantes.

Interprétation des résultats

Cette étude australienne est la troisième étude contrôlée randomisée dans un pays occidental portant sur l’approche de la violence conjugale en première ligne de soins. Les deux études précédentes (4,10) ont elles aussi conclu que le dépistage des femmes asymptomatiques et l’offre d’une aide ne conduisent pas nécessairement à une amélioration de la qualité de vie. Contrairement à l’étude WEAVE, qui a examiné l’effet d’une intervention plus intensive du médecin généraliste lui-même, les autres études ont utilisé, après le dépistage, une intervention plus succincte, telle que la remise d’un prospectus, l’élaboration d’un plan de sécurité ou l’orientation vers un centre spécialisé. L’absence d’effet sur la qualité de vie pourrait s’expliquer par le constat que de nombreuses femmes lors du diagnostic de violence conjugale, ne sont pas prêtes à s’adresser à un service spécialisé. Dans l’étude WEAVE, le recours à l’assistance spécialisée était également faible (ainsi par exemple, seuls 1 à 2 % des femmes ont été dans une maison de refuge), et seuls 49 % des femmes dépistées dans le groupe intervention ont donné suite à l’invitation à consulter un service de counseling par leur médecin généraliste. Cette constatation remet donc en cause l’utilité du dépistage général de la violence conjugale. Cette étude ne permet pas de se prononcer sur l’utilité du dépistage individuel lorsque la plainte pour laquelle la femme consulte peut être directement liée à la violence conjugale. Les femmes seront peut-être davantage prêtes à changer de vie et à mettre fin à une relation violente lorsqu’elles prendront conscience que cette violence conjugale est à l’origine de leurs problèmes de santé.

Bien qu’il soit généralement admis que toute intervention opérée qui fait suite à l’identification de personnes asymptomatiques conduise à une meilleure santé de la population examinée, il est légitime de se demander si le service de counseling par les médecins généralistes est utile (11). Cette étude se limite à montrer que les femmes du groupe intervention se sont senties plus soutenues et informées quant à leur sécurité et qu’elles se sont senties moins déprimées. Il convient cependant de tenir compte de la possibilité d’un effet Hawthorne qui pourrait avoir une responsabilité importante dans les résultats observés car le nombre de femmes qui subissent de graves violences conjugales (Composite Abuse Scale ≥ 7) a diminué dans les deux groupes entre le début de l’étude et à 12 mois de suivi, passant de 75 % à 47 % et de 71 % à 42 % respectivement chez les femmes du groupe intervention et chez celles du groupe témoin. En outre, la plupart des femmes étaient satisfaites d’avoir participé à l’étude, et la moitié mentionnent une amélioration de leur qualité de vie.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de bonne qualité méthodologique montre que chez les femmes, le dépistage de la violence conjugale et l’offre d’un service de counseling par des médecins de première ligne formés à la prise en charge de femmes dépistées comme victimes d’une violence conjugale, ne conduisent ne conduisent pas dans cette situation à une meilleure qualité de vie, à un meilleur plan de sécurité, à un comportement favorisant mieux la sécurité et à une meilleure santé psychique, versus prise en charge habituelle.

 

Pour la pratique

Le guide de bonne pratique de Domus Medica pour la détection de la violence conjugale ne recommande pas le dépistage généralisé de cette violence chez toutes les femmes, sauf en cas de grossesse. Il attire toutefois l’attention du médecin sur la nécessité de suspecter l’existence d’une violence conjugale en cas de plaintes vagues inexpliquées, de modifications du comportement, de problèmes psychiques tels que angoisse et dépression, des traumatismes à répétition ou une multiplication des consultations. En posant un nombre limité de questions directes, il est possible de détecter précocement une situation de violence conjugale (12). Tout comme les études précédentes, cette étude-ci remet également en cause le dépistage systématique de la violence conjugale.

 

Références

  1. Feder G, Ramsay J, Dunne D, et al. How far does screening women for domestic (partner) violence in different health-care settings meet criteria for a screening programme? Systematic reviews of nine UK National Screening Committee criteria. Health Technol Assess 2009;13:1-347.
  2. Institute for Health Metrics and Evaluation. GBD 2010 leading causes and risks by region heat map. http://www.healthmetricsandevaluation.org/gbd/visualizations/gbd-2010-leading-causes-and-risks-region-heat-map (accessed April 10, 2013).
  3. Nelson HD, Bougatsos C, Blazina I. Screening women for intimate partner violence: a systematic review to update the 2004 Preventive Services Task Force recommendation. Ann Intern Med 2012;156:796-808.
  4. MacMillan HL, Wathen CN, Jamieson E, et al. Screening for intimate partner violence in health care settings: a randomized trial. JAMA 2009;302:493-501.
  5. Skevington SM, Lotfy M, O’Connell KA; WHOQOL Group. The World Health Organization’s WHOQOL-BREF quality of life assessment: psychometric properties and results of the international field trial. A report from the WHOQOL group. Qual Life Res 2004;13:299-310.
  6. Ware JE Jr, Sherbourne CD. The MOS 36-item short-form health survey (SF-36). I. Conceptual framework and item selection. Med Care 1992;30:473-83.
  7. McFarlane J, Parker B, Soeken K, et al. Safety behaviors of abused women after an intervention during pregnancy. J Obstet Gynecol Neonat Nurs 1998;27: 64-9.
  8. Zigmond AS, Snaith RP. The hospital anxiety and depression scale. Acta Psychiatr Scand 1983;67:361-70.
  9. Hegarty K, Bush R, Sheehan M. The composite abuse scale: further development and assessment of reliability and validity of a multidimensional partner abuse measure in clinical settings. Viol Vict 2005;20:529-47.
  10. Klevens J, Kee R, Trick W, et al. Effect of screening for partner violence on women’s quality of life: a randomized controlled trial. JAMA 2012;308:681-9.
  11. Wilson JM, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Public Health Papers nr 34. Geneva: WHO,1968. 
  12. De Deken L, Pas L, Hillemans K, et al. Detectie van partnergeweld: een aanbeveling voor de huisarts. Huisarts Nu 2010;39:S57-S63.
Dépistage et service de counseling précoce en cas de violence conjugale ?

Auteurs

Hillemans K.
Domus Medica; mede-auteur van de Domus Medica richtlijn: Detectie van partnergeweld
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