Revue d'Evidence-Based Medicine



Soins interdisciplinaires de première ligne pour les personnes âgées vulnérables vivant à domicile ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 8 Page 95 - 96

Professions de santé


Analyse de
Metzelthin SF, van Rossum E, de Witte LP, et al. Effectiveness of interdisciplinary primary care approach to reduce disability in community dwelling frail older people: cluster randomised controlled trial. BMJ 2013;347:f5264.


Question clinique
Quel est l’effet des soins interdisciplinaires de première ligne, versus la prise en charge habituelle, en termes de diminution des limitations sur le plan physique et de ralentissement de la régression fonctionnelle chez les personnes âgées vulnérables vivant à domicile ?


Conclusion
Cette étude contrôlée avec randomisation par grappes, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’une intervention complexe avec une équipe interdisciplinaire sous la direction d’un gestionnaire de cas pour détecter et traiter précocement la vulnérabilité et les limitations des capacités fonctionnelles des personnes âgées n’est pas meilleure que la prise en charge classique.



 

 

Contexte

Étant donné le vieillissement de la population, la rentabilité des soins à domicile pour les personnes âgées vulnérables revêt une importance croissante. Les mieux placés pour instaurer et accompagner cette prise en charge sont les médecins généralistes (1). L’ampleur des soins à domicile dépend fortement de la vulnérabilité de la personne et de sa dépendance pour les activités de tous les jours (2). Une approche préventive est donc utile pour une amélioration précoce de cette dépendance dans le but de maintenir les personnes âgées plus longtemps à domicile (3). Une synthèse méthodique a permis de conclure que l’équipe interdisciplinaire des soins de première ligne est la plus indiquée pour l’accompagnement des soins à domicile chez les personnes âgées vulnérables (4,5).

 

Résumé

Population étudiée

  • 346 patients âgés > 70 ans (âge moyen de 77,2 ans (ET : 5,1 ans)) ; 58% de femmes ; 49% vivant seuls ; 58% ayant un niveau de formation peu élevé ; score ≥ 5 au Groningen Frailty Indicator ; recrutés aux Pays-Bas dans 12 cabinets de médecine générale en absence de politique de dépistage systématique et de suivi des personnes âgées vulnérables 
  • critères d’exclusion : maladie terminale, alitement, limitations cognitives ou psychosociales sévères, impossibilité de communiquer en néerlandais, critères basés sur l’avis du médecin généraliste. 

Protocole d’étude

  • étude contrôlée avec randomisation par grappes avec évaluation de l’effet réalisée en aveugle
  • groupe intervention (6 cabinets ; n = 193) : approche « Prevention of Care » (PoC) : l’infirmière (en l’occurrence gestionnaire de cas) en cabinet médical rend visite à la personne âgée vulnérable et son entourage de manière à faire le point sur les problèmes existants pour les activités quotidiennes et sur les facteurs de risque de dégradation fonctionnelle ; ensuite, l’infirmière en cabinet médical, le médecin généraliste et les éventuels autres prestataires de soins établissent ensemble un plan de traitement avec une liste des objectifs et des stratégies pour satisfaire les besoins de la personne âgée (renforcer les activités quotidiennes, les activités sociales…) ; l’infirmière en cabinet médical est également responsable de la mise en œuvre et de l’évaluation du plan de traitement et elle en informe les autres prestataires de soins 
  • groupe témoin (6 cabinets ; n = 153) : prise en charge habituelle
  • suivi après 6, 12 et 24 mois au moyen de questionnaires envoyés par la poste et d’entretiens téléphoniques.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : limitation fonctionnelle après 24 mois, mesurée à l’aide de l’échelle Restriction Scale" data-content="Cet instrument validé pour mesurer l’incapacité fonctionnelle de la personne âgée se compose de deux sous-échelles (11 items concernant les activités quotidiennes, et 7 items concernant les activités instrumentales de la vie de tous les jours). Le score varie de 18 à 72 ; il est d’autant plus élevé que les limitations sont plus importantes.">Groningen Activity Restriction Scale (GARS)
  • critères de jugement secondaires : Hospital Anxiety and Depression Scale; Social Support List (pour mesurer les interactions sociales) ; Short Falls Efficacy Scale (pour mesurer la peur de tomber) ; Maastricht Social Participation Profile (pour mesurer la participation sociale)
  • analyse multi-niveaux (modèle mixte adapté à l’analyse de données hiérarchisées) avec correction pour tenir compte de l’âge, du sexe, du niveau de formation 
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • patients sortis de l’étude : 76 patients (26% dans le groupe intervention contre 17% dans le groupe témoin ; p < 0,05 pour la différence dans la proportion des patients sortis de l’étude) ;
  • pas de différence quant à la limitation fonctionnelle après 24 mois entre le groupe intervention et le groupe témoin (GARS respectivement de 31,50 (ET 10,92) et de 34,39 (ET 11,58) ; différence moyenne de 1,18 avec IC à 95% de -0,35 à 2,71 ; p = 0,35) ; mais bien augmentation significative à l’échelle GARS dans les deux groupes sur une période de 24 mois
  • pas de différence entre les 2 groupes quant aux critères de jugement secondaires.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que cette étude ne confirme pas l’efficacité de l’approche PoC (Prevention of Care). L’étude permet cependant de mieux se rendre compte du défi que représente la prise en charge dans le cadre communautaire des personnes âgées vulnérables et de la nécessité de poursuivre la recherche.

Financement

Organisation néerlandaise de recherche et développement pour la santé.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est signalé.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Dans cette étude contrôlée avec randomisation par grappes, le recrutement, la randomisation et la stratification ont été correctement menés. La sélection de 12 cabinets de médecine générale parmi les 24 inclus a été effectuée en aveugle. Les cabinets ont été assignés au groupe intervention ou au groupe témoin avant le dépistage des personnes âgées vulnérables. Cette approche se justifie certainement puisque la population étudiée est composée de personnes âgées vulnérables et que donc beaucoup de facteurs entrent en jeu dans la décision concernant la participation à une étude. Avant la randomisation, les cabinets ont été stratifiés en fonction du nombre de patients âgés (plus de 350 versus moins de 350) et en fonction de la situation géographique (ville versus campagne). L’objectif était d’appliquer une correction pour tenir compte du fait que les médecins ont d’autant plus l’habitude de prendre en charge des personnes âgées si elles sont nombreuses dans le cabinet et que les personnes âgées sont plus entourées par leur famille et leurs voisins à la campagne qu’en ville. Afin de mieux pouvoir ensuite extrapoler les résultats, les investigateurs ont fait en sorte que la probabilité de se retrouver dans le groupe intervention soit doublée pour les cabinets situés en ville et comptant beaucoup de patients âgés. On ignore si cette stratégie a été prise en compte dans les analyses. Le calcul de la puissance a tenu compte de l’effet grappes et de la proportion élevée de patients sortis de l’étude.

L’intervention en soi avait été décrite de manière claire, et s’était avérée efficace lors d’une étude pilote préalable (5). Le résultat mesuré est fiable car le suivi de l’intervention a été suffisamment long et la proportion de patients sortis de l’étude est restée limitée. L’évaluation de l’effet a été réalisée en aveugle avec des instruments de mesure validés (6). Lors de l’analyse des résultats, on a tenu compte de différents facteurs, et on a corrigé pour tenir compte de la différence entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à la vulnérabilité et la limitation fonctionnelle des participants.

 

Mise en perspective des résultats

De nombreuses études menées auprès de personnes âgées ont déjà porté sur l’effet de différentes interventions détectant les facteurs de risque de manière proactive pour prévenir la limitation des capacités fonctionnelles et pour réduire le recours aux soins, dans un souci d’économie. Les résultats étaient cependant contradictoires (7), et la présente étude ne montre pas qu’une intervention interdisciplinaire ralentisse la dégradation fonctionnelle. Le profil de vulnérabilité des personnes âgées s’est même accentué dans les 2 groupes, malgré cette approche. Selon les auteurs, ceci pourrait s’expliquer par une contamination entre le groupe intervention et le groupe témoin. Ils observent également que la population de l’étude est plus vulnérable que la population générale (8), ce qui rend toute intervention de stimulation inutile. En revanche, il est également apparu qu’en fonction des médecins généralistes et des infirmières en cabinet médical qui participaient, une partie importante des participants ne présentaient pas de limitations des capacités fonctionnelles dans la vie quotidienne. L’absence d’effet pourrait aussi s’expliquer par une application incorrecte ou insuffisante du protocole d’intervention. En effet, l’évaluation de l’étude a fait apparaître qu’un certain nombre d’étapes n’avaient pas été respectées. À cet égard, de nombreux prestataires de soins ont mentionné que certains éléments de l’intervention demandaient trop de temps et étaient trop difficiles à mettre en œuvre. Nous pouvons donc nous demander s’il convient vraiment de mettre en œuvre ces interventions complexes en Belgique et dans les autres pays européens. En Belgique, les médecins généralistes ne disposent pas d’une infirmière en cabinet médical pour effectuer les visites à domicile, mener les évaluations, prendre les rendez-vous et assurer le suivi. En outre, une implication maximale est également attendue des autres intervenants. N’oublions pas non plus que de tels programmes sont aussi très lourds pour le groupe cible lui-même. La proportion de patients sortis de l’étude, significativement plus élevée dans le bras intervention, vient appuyer cette supposition. Comme dernière explication à l’absence d’effet, les auteurs signalent que la norme de soins aux Pays-Bas est déjà particulièrement élevée, ce qui fait qu’une intervention multidisciplinaire active n’est peut-être pas nécessaire.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée avec randomisation par grappes, correctement menée d’un point de vue méthodologique, montre qu’une intervention complexe avec une équipe interdisciplinaire sous la direction d’un gestionnaire de cas pour détecter et traiter précocement la vulnérabilité et les limitations des capacités fonctionnelles des personnes âgées n’est pas meilleure que la prise en charge classique.

 

Pour la pratique

Le soutien des personnes âgées au domicile est de plus en plus axé sur le maintien de l’autonomie et la prévention de la dépendance aiguë. Cette stratégie exige une approche active impliquant différentes disciplines d’assistance. Cependant, on constate qu’un programme interdisciplinaire avec dépistage, accompagnement et suivi menés de manière intensive ne donne pas le résultat escompté. On peut donc se demander si ces interventions, qui coûtent chères et exigent beaucoup de temps, doivent avoir la préférence sur les efforts de la communauté au sens large pour stimuler et garantir les soins apportés aux personnes âgées. De plus, dans la structure de soins telle qu’elle existe en Belgique, le rôle du gestionnaire de cas sera plutôt assuré par un assistant social intégré dans une organisation de soins. De ce fait, l’approche en matière de soins va plutôt s’adapter à l’offre de l’organisation qu’à l’intérêt ou aux possibilités de celui qui demande des soins. Une première étape consiste peut-être à élargir l’aide proposée aux médecins généralistes et aux patients pour mieux utiliser les institutions de soins existantes.

 

 

Références

  1. Stijnen MM, Duimel-Peeters IG, Jansen MW, Vrijhoef HJ. Early detection of health problems in potentially frail community-dwelling older people by general practices--project [G]OLD: design of a longitudinal, quasi-experimental study. BMC Geriatr 2013;13:7.
  2. Fried LP, Ferrucci L, Darer J, et al. Untangling the concepts of disability, frailty, and comorbidity: implications for improved targeting and care. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2004;59:255-63.
  3. Hallberg IR, Kristensson J. Preventive home care of frail older people: a review of recent case management studies. J Clin Nurs 2004;13(6B):112-20.
  4. Daniels R, Metzelthin S, Van Rossum E, et al. Interventions to prevent disability in frail community-dwelling older persons: an overview. Eur J Ageing 2010;7:37-55.
  5. Daniels R, van Rossum E, Metzelthin S, et al. A disability prevention programme for community-dwelling frail older persons. Clin Rehabil 2011;25:963-74.
  6. Kempen GI, Miedema I, Ormel J, Molenaar W. The assessment of disability with the Groningen Activity Restriction Scale. Conceptual framework and psychometric properties. Soc Sci Med 1996;43:1601-10.
  7. Huss A, Stuck AE, Rubenstein LZ, et al. Multidimensional preventive home visit programs for community-dwelling older adults: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2008;63:298-307. Erratum in: J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2009;64:318.
  8. Daniels R, Van Rossum E, Beurskens A, et al. The predictive validity of three self-report screening instruments for identifying frail older people in the community. BMC Public Health 2012;12:69.

 

 

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