Revue d'Evidence-Based Medicine



Patients et évaluation d’un médicament : pourquoi un nombre suffisant ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 1 Page 12 - 12

Professions de santé


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Enregistrement d’un médicament

Pour montrer l’efficacité d’un nouveau traitement médicamenteux par rapport à un placebo ou par rapport à un médicament de référence, les chercheurs estiment, à l’aide de tables, le nombre de patients qu’il faut inclure dans l’étude en fonction de la différence prévue entre les deux traitements et d’une certaine puissance (80 à 90 % généralement), c’est-à-dire de probabilité statistique de pouvoir rejeter une erreur β, donc de mettre en évidence une différence si elle existe. Ce processus est correct pour une étude (de supériorité) mais est-il suffisant dans le cadre de l’approbation (enregistrement) d’un nouveau médicament ? Un ensemble d’études est nécessaire pour couvrir un programme de développement clinique, dont des études avec puissance suffisante dans la ou les populations cibles du médicament. La durée minimale des études, en fonction de l’affection à traiter est également importante. Il n’y a cependant pas beaucoup de directives claires des autorités pour ces aspects « taille de population » et « durée d’études » pour prouver l’efficacité d’un médicament, par exemple  indiqué dans une maladie chronique. Pour évaluer la sécurité d’un tel médicament par contre, il existe des directives internationales établies par l’International Conference on Harmonisation (ICH), les ICH E1 guidelines (1), directives reprises tant par l’European Medicines Agency (EMA) que par la Food and Drug Administration (FDA). Ces guidelines établissent des recommandations à 3 niveaux : une exposition d’au moins 1 000 à 1 500 patients, 6 mois d’utilisation chez 300 patients et 12 mois chez 100… sans argumenter sur les raisons du choix de tels chiffres. Ces recommandations sont-elles respectées ?

 

Dossiers européens

Duijnhoven et coll. (2) ont évalué tous les (réellement) nouveaux médicaments approuvés entre 2000 et 2010. Ils ont identifié 200 nouveaux médicaments dont 39 médicaments orphelins. La médiane du nombre total de patients inclus avant l’enregistrement est de 1 708 (IQR de 968 à 3 195) pour les premiers et de 438 (IQR de 132 915) pour les orphelins. Les médicaments à usage chronique bénéficient d’études plus importantes avec une médiane de 2 338 avec IQR de 1 462 à 4 135 … ce qui veut dire qu’un quart de ces dossiers ne concernent pas 1 500 patients (sans médicament orphelin concerné).

La sécurité et l’efficacité des médicaments chroniques sont évaluées chez moins de 500 patients pour 7,1% et entre 500 et 1 000 patients pour 4,8% des études. Pour le nombre des patients en fonction de la durée des études, 7,1% des études suivent moins de 300 patients sur 6 mois et 4,8% des études en suivent moins de 100 sur 12 mois. Pour les 84 médicaments destinés à un usage chronique, près de 18% ne respectent pas un nombre de 1 000 patients exposés et au moins 300 à 6 mois et 20% ne suivent pas au moins 100 patients pendant 12 mois, ne suivant donc pas les recommandations internationales qui sont pourtant minimalistes. Il faut ajouter que pour 11,9% des dossiers de l’European Public Assessment Report de l’EMA, nous ignorons le nombre de patients suivis sur 12 mois.

Un nouveau médicament sur 5 enregistrés par l’Union Européenne ne répond donc pas à des critères minimalistes… et insuffisants pour évaluer la sécurité. Une étude à long terme de 1 000 ou 1 500 patients serait un progrès utile … pour montrer des effets indésirables survenant 7,5 à 10 fois plus fréquemment avec le nouveau médicament qu’avec le comparateur avec une incidence de 1/1 000 patients traités avec ce médicament.  S’ils n’arrivent que 2 fois plus fréquemment, il faut environ 24 000 patients dans l’étude avec incidence de 1/1 000 et 118 000 pour une incidence de 1/5 000.

Ces chiffres de populations, jamais atteints, montrent l’intérêt des études d’observation et de leurs méta-analyses pour l’évaluation des effets indésirables.

 

Plans de gestion de risque

L’EMA a également prévu d’imposer des « plans de gestion de risques » lors de l’enregistrement de médicaments, sur base d’autres guidelines de l’ICH (ICH E2E guidelines) (3). Un plan de gestion de risque est sensé être le document central de la pharmacovigilance pour un médicament. Il comporte une description de la sécurité d’un médicament (risques potentiels et identifiés, informations non données à propos d’effets indésirables), le plan de pharmacovigilance demandé (à propos de risques possibles, de risques identifiés, de données manquantes, dont les Periodic Safety Update Reports, alias PSURs) et un plan de minimisation des risques (études de sécurité ou d’efficacité encore à réaliser par la firme, informations au patient, programmes spécifiques d’éducation).

Ces plans de gestion des risques ont été mis sur pied… pour permettre une mise sur le marché plus précoce d’un nouveau médicament, c’est-à-dire avant la constitution d’un dossier pouvant apporter toutes les réponses nécessaires concernant son efficacité mais surtout sa sécurité. La Revue Prescrire a souligné le manque de visibilité sur le suivi des « plans de gestion des risques » et le rôle fort important joué par la firme pharmaceutique dans ce plan (4).

Si la poursuite de l’évaluation d’un médicament est une stratégie à défendre, il est indispensable que l’évaluation initiale, avant la mise sur le marché, soit suffisante, d’une part et que, d’autre part, les prescripteurs soient bien conscients que ces médicaments peuvent être utilisés dans le cadre d’une étude à poursuivre, avec surveillance étroite, et qu’ils en avertissent le patient concerné.

 

 

Références

  1. International Conference on Harmonisation of Technical Requirements for Registration of Pharmaceuticals for Human Use (1994). ICH harmonised tripartite guideline: the extent of population exposure to assess clinical safety for drugs intended for long-term treatment of non-life-threatening conditions - E1.
  2. Duijnhoven R, Straus SM, Raine JM, et al. Number of patients studied prior to approval of new medicines: a database analysis. PLoS Med 2013;10:e1001407.
  3. « Plans de gestion des risques » : pas rassurants du tout. Rev Prescr 2007;27:259-60.
  4. Directive 2004/27/EC of the European Parliament and of the Council of 31 March 2004 amending Directive 2001/83/EC on the Community code relating to medicinal products for human use. Available at: http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32004L0027:EN:HTML
Patients et évaluation d’un médicament : pourquoi un nombre suffisant ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

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