Revue d'Evidence-Based Medicine



Un stimulateur externe pour prévenir la migraine ?



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 1 Page 10 - 11

Professions de santé


Analyse de
Schoenen J, Vandersmissen B, Jeangette S, et al. Migraine prevention with a supraorbital transcutaneous stimulator: a randomized controlled trial. Neurology 2013;80;697-704.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’une stimulation du nerf trijumeau au moyen d’un stimulateur transcutané supra-orbitaire, versus stimulation simulée, en prophylaxie des crises de migraine chez l’adulte ?


Conclusion
La stimulation transcutanée supra-orbitaire dans la prophylaxie migraineuse pourrait représenter une option séduisante mais, en raison de ses limites méthodologiques, cette étude ne peut que générer une hypothèse qui nécessite confirmation.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

Contexte

La migraine peut être considérée comme un problème d’importance pour le médecin généraliste avec une prévalence mondiale évaluée entre 8,4 et 18 % (1) et une incidence de 6,77/1000 patients/année en médecine générale en Flandre entre 2008 et 2010 (2). Si l’évolution naturelle d’une crise migraineuse est spontanément résolutive (durée médiane d’un peu moins de 24h) et que la prévalence tend à diminuer vers 40-45 ans (3), l’impact personnel et socio-économique de cette affection est évident. Les traitements prophylactiques actuellement disponibles ne sont que partiellement efficaces, avec pour les approches médicamenteuses des effets indésirables certains (4). Dans ce contexte, la stimulation nerveuse périphérique représente bien une alternative à investiguer.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 67 patients recrutés dans 5 centres tertiaires belges de « clinique de la céphalée »; âge moyen de 36 ans ; durée moyenne de l’histoire migraineuse de 16 ans ; 4 crises migraineuses par mois en moyenne ; majorité de femmes (91 %)
  • critères d’inclusion : patients âgés de 18 à 65 ans, présentant au minimum 2 crises migraineuses par mois (International Classification of Headache Disorders - ICHD-II, avec ou sans aura).
  • critères d’exclusion : traitement prophylactique dans les 3 mois précédant l’étude, échec de 3 traitements prophylactiques bien conduits, abus de médicaments, céphalée de tension fréquente ou chronique, autres troubles neurologiques ou psychiatriques sévères.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée en double aveugle, multicentrique
  • intervention : stimulation transcutanée supra-orbitaire (application 20 min/jour pendant 3 mois d’une électrode auto-adhésive délivrant un courant électrique d’une intensité de 16 mA) (groupe SV, n = 34) versus stimulation factice (même dispositif mais maximum 1 mA) (groupe SF, n = 33)
  • période d’inclusion d’un mois, vérification des critères d’inclusion puis randomisation et traitement durant 90 jours
  • suivi aux J45 et J90
  • observance mesurée par puce électronique intégrée au dispositif.

  

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : différence du nombre moyen de jours avec migraine et taux de répondeurs (répondeur = diminution d’au moins 50% du nombre de jours avec migraine) entre le mois d’inclusion et le troisième mois d’intervention.
  • critères secondaires : différence de jours avec migraine entre le mois d’inclusion et la moyenne des trois mois d’intervention; différences de fréquence mensuelle de crises migraineuses, de toute céphalée, de sévérité des céphalées par jour avec migraine, de recours à des médicaments de la crise migraineuse et de symptômes associés aux crises migraineuses entre le mois d’inclusion et le troisième mois d’intervention ; pourcentage de patients se déclarant très, modérément, ou non satisfaits en fin d’intervention.

 

Résultats

  • critères de jugement primaires : 
    • nombre moyen de jours avec migraine : diminution statistiquement significative dans le groupe SV (6,94 vs 4,88 ; différence de -2,06 avec IC à 95 % de -0,54 à -3,58 ; p = 0,023) mais non significative dans le groupe SF (6,54 vs 6,22 ; différence de 0,32 avec IC à 95 % de 1,27 à -0,63 ; p = 0,608) ; différence entre les deux groupes non significative (p = 0,054)  
    • taux de répondeurs : 38,2% (IC à 95 % de 21,9 à 54,5) dans le groupe SV et 12,1% (IC à 95 % de 1 à 23,2) dans le groupe SF ; différence significative (p = 0,023)
  • critères de jugement secondaires : différence significative entre les 2 groupes pour la fréquence mensuelle des crises de migraine, pour la fréquence mensuelle de toute céphalée, pour le recours à des antimigraineux (résultats pour tous les critères secondaires : voir tableau).

 

 

Tableau. Différences pour le groupe stimulation vraie et pour le groupe stimulation factice pour les critères secondaires ; valeurs pour le mois d’inclusion versus moyenne des 3 mois d’étude* ou versus troisième mois d’intervention ; différences entre les 2 groupes.

 

 

Groupe stimulation vraie (SV)

Groupe stimulation factice (SF)

Différence entre les deux groupes

Différence de jours avec migraine*

SS

SnS.

SnS

Différences de fréquence mensuelle de crises de migraine 

SnS

SnS

SS

Différence de toute céphalée

SS

SnS.

SS

Différence de sévérité des céphalées par jours avec migraine 

SnS

SnS

SnS

Différence de recours à des antimigraineux

SS

SnS

SS

Différence de symptômes associés aux crises de migraine

pas de modification

pas de modification

 

SS = statistiquement significatif, SnS = statistiquement non significatif

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une stimulation transcutanée supraorbitaire avec le dispositif évalué dans cette étude est efficace et sûr comme traitement préventif de la migraine. Le bénéfice thérapeutique (26 %) est dans les rangs de ceux rapportés pour d’autres traitements antimigraineux préventifs médicamenteux ou non.

  

Financement de l’étude 

Région Wallonne ; les dispositifs médicaux ont été fournis par la firme STX-Med ; un des auteurs est rémunéré par le FNRS belge et par l’Université de Liège.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Le premier auteur est consultant ou a reçu des fonds de recherche de plusieurs firmes actives dans le domaine de la neurostimulation aux USA; il est membre de plusieurs comités d’avis ; un autre auteur est membre d’un comité d’avis de la firme Allergan ; les autres auteurs ne déclarent pas de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude nous semble de bonne méthodologie globale, correctement décrite dans cette publication. Les analyses sont menées en analyse en intention de traiter et par protocole. Plusieurs limites sont cependant à signaler. Le choix des critères d’évaluation primaires pose question. Si le « nombre de jours avec migraine » est jugé acceptable dans le guide de pratique IHS de 2000 (5) cité par les auteurs, ce guide recommande d’utiliser aussi un deuxième critère primaire, la « fréquence des crises », critère qui n’est que secondaire dans cette étude, avec un résultat par ailleurs non statistiquement significatif. Le « taux de répondeurs», lui, est qualifié par le guide de peu sensible et peu spécifique, principalement utile en analyse post-hoc et comme « générateur d’hypothèse ». Les auteurs de cette étude en ont établi la puissance (80 %) pour le critère « taux de répondeurs» et sur base d’une étude préalable de faisabilité réalisée par eux-mêmes sur 10 patients ; ils mentionnent un taux de satisfaction des patients de 55% dans cette étude pilote mais sans spécifier dans leur publication le taux de répondeurs. Les auteurs, interpelés à cet égard, se défendent d’avoir effectué une analyse post-hoc. Le protocole n’a pas été prépublié, ce qui ne nous permet pas de vérifier.

La durée de suivi, limitée à 3 mois, est considérée comme minimale par IHS 2000, qualifiée « d’appropriée seulement pour étude de phase II » par IHS 2012 (6).

Les deux types de stimulateurs ont la même apparence et font le même bruit mais seul le stimulateur vrai provoque des paresthésies, ce qui est un risque de biais de l’insu dans cette étude ; les chercheurs avaient reçu l’instruction de ne pas interroger les patients à ce propos.

Les causes de sorties d’étude ne sont pas mentionnées, ce qui pose question dans une étude d’acceptabilité/sécurité.

 

Interprétation et mise en perspective des résultats

Pour la prophylaxie des céphalées, notamment de la migraine, nous avions abordé dans la revue Minerva l’intérêt des antidépresseurs (7). La question clinique posée par les auteurs de cette étude-ci nous semble un complément pertinent et a le mérite d’oser investiguer un nouveau champ d’intervention. La pertinence clinique des résultats statistiquement significatifs dans cette étude reste ouverte. En se basant sur le critère d’évaluation « fréquence mensuelle des crises de migraine », recommandé aussi comme critère primaire par IHS 2000 et 2012, cette étude montre une différence statistiquement significative entre les deux groupes, mais il s’agit dans cette étude-ci, d’un critère secondaire.  Elle ne montre par contre pas de différence significative pour un des 2 critères primaires choisis par les auteurs, la différence pour les jours de migraine (deuxième critère primaire nécessaire pour l’IHS). La puissance d’étude ne reposait sur aucun de ces 2 critères primaires. Sous réserve de comparaisons indirectes et d’un manque de puissance (cfr ci-dessus), l’ampleur de l’effet sur le critère « taux de répondeurs » semble plus faible (38 % avec IC à 95 % de 22 à 54,5 %) qu’avec le topiramate (35 à 48 %) ou le propranolol (57 %) (4). Sans comparaison directe entre ces différentes approches, nous ne pouvons cependant nous prononcer. La sécurité et l’acceptabilité semblent par contre plutôt bonnes avec 70 % de patients très ou modérément satisfaits (même si les causes des 8 sorties d’étude ne sont pas rapportées). Notons une observance pour le moins sub-optimale avec respectivement 61 % et 54 % des sessions effectuées dans les groupes SV et SF, peut-être à cause de la durée quotidienne de l’intervention (20 min). Aucune donnée n’est disponible sur un éventuel effet dose-réponse. Il reste nécessaire de tester l’intervention en complément d’un traitement médicamenteux, sur des patients plus lourdement atteints et/ou en première ligne de soins, sur une période plus longue.

 

Conclusion Minerva

La stimulation transcutanée supra-orbitaire dans la prophylaxie migraineuse pourrait représenter une option séduisante mais, en raison de ses limites méthodologiques, cette étude ne peut que générer une hypothèse qui nécessite confirmation.

 

Pour la pratique

Une synthèse récente de la littérature à propos des médicaments antimigraineux (4) rappelle qu’en cas de migraine récidivante, seule la prophylaxie médicamenteuse est bien étayée. Les ß-bloquants constituent le premier choix et le valproate de sodium, le topiramate, l’amitriptyline ou la flunarizine le second choix, sans préférence pour une option en particulier. Un guide de pratique britannique (8) propose le propranolol ou le topiramate en première intention, en fonction des préférences du patient, des comorbidités présentes et des risques d’effets indésirables ; il souligne les risques tératogènes potentiels ainsi que les interactions avec la contraception hormonale pour le topiramate. L’étude analysée dans cette article ne permet pas à elle seule de remettre ces recommandations en cause.

 

 

Le dispositif Cefaly utilisé dans cette étude coûte 295 euro et les électrodes (1 électrode pouvant être utilisée de 15 à 30 fois, peut-être plus), coûtent 19 euro par paquets de 3, soit 19 euro pour 3 à 6 mois pour les électrodes pour un traitement préventif une fois par jour (http://www.cefaly.com/en).

 

 

Références

  1. Rasmussen BK. Epidemiology of headache. Cephalalgia 2001;21:774-7.
  2. Chiffre extrait du site Intego ce 10 juillet 2013. http://www.intego.be/Results/DiagnosesTot.aspx
  3. Morillo LE. Migraine headache in adults. BMJ Clin Evid [online] 2011. http://clinicalevidence.bmj.com
  4. Fiche de transparence. Antimigraineux. Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique, mai 2012. Voir http://www.cbip.be/pdf/tft/TF_MIG_Srt.pdf
  5. Tfelt-Hansen P, Block G, Dahlöf C, et al; International Headache Society Clinical Trials Subcommittee. Guidelines for controlled trials of drugs in migraine: second edition. Cephalalgia 2000,20,765-86.
  6. Tfelt-Hansen P, Pascual J, Ramadan N, International Headache Society Clinical Trials Subcommittee. Guidelines for controlled trials of drugs in migraine: third edition. A guide for investigators. Cephalalgia 2012, 32:6-38.
  7. Chevalier P, Vanwelde A. Antidépresseurs et céphalées chroniques. MinervaF 2011;10(8):93-4.
  8. National Institute for Health and Clinical Excellence. Headaches. Diagnosis and management of headaches in young people and adults. Clinical guideline 150, September 2012.
Un stimulateur externe pour prévenir la migraine ?

Auteurs

Henrard G.
Département de Médecine générale, ULiège
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