Revue d'Evidence-Based Medicine



Moins d’antibiotiques, moins de résistances



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 5 Page 68 - 69

Professions de santé


Analyse de
Butler CC, Dunstan F, Heginbothom M, et al. Containing antibiotic resistance: decreased antibiotic-resistant coliform urinary tract infections with reduction in antibiotic prescribing by general practices. Brit J Gen Pract 2007;57:785-92.


Question clinique
Quel est l’impact d’une modification de la prescription d’antibiotiques en médecine générale, pour toute indication, sur la résistance des bactéries (E. coli testés) aux antibiotiques ?


Conclusion
Cette étude montre qu’une réduction de prescription d’antibiotiques à l’échelle d’une pratique de médecine générale diminue les résistances observées pour les E. coli et autres coliformes urinaires dans la population concernée par cette pratique. Un bénéfice d’une réduction de prescription d’antibiotiques, pour toute indication, au niveau d’une large population (un pays) peut donc être également observé à un niveau très localisé. Etant donné les conséquences défavorables de l’émergence de germes résistants également en première ligne de soins, cette observation doit encourager encore plus le médecin généraliste à une prescription raisonnée d’antibiotiques.


 

Résumé

 

Contexte 

L’utilisation d’antibiotiques est un facteur causal important dans l’apparition et dans la sélection de souches bactériennes résistantes. Cette observation a été faite tant à un niveau individuel qu’au niveau de populations. Peu de preuves existent actuellement pour confirmer l’impact d’une réduction de prescription à un niveau local, ou à l’échelle d’une pratique de médecine générale sur une diminution de la résistance des bactéries.

 

Population étudiée 

  • échantillons d’urines envoyés par les médecins généralistes pour analyse dans un laboratoire du Pays de Galles
  • données isolées par pratique de médecine générale au Pays de Galle ; moyenne de 3,4 médecins par groupement ; 240 groupements
  • population : estimée à 1,7 millions de patients/an d’étude
  • exclusion : recueil d’urines par cathétérisation, urines contaminées par des germes résistants aux antibiotiques pour lesquelles la méthode d’analyse a été modifiée au cours de l’étude, duplicata d’échantillon d’un même patient.

 

Protocole d’étude 

  • étude d’observation sur une période de 7 ans (1996-2003)
  • analyse uniquement des prélèvements avec E. coli ou coliformes à la culture (= coliformes dans ce résumé)
  • évaluation de la résistance des coliformes urinaires à : ampicilline, amoxiclavulanate, céfalexine, triméthoprime, ciprofloxacine, nitrofurantoïne
  • analyse primaire : uniquement les pratiques pour lesquelles des données sont disponibles sur les 7 années complètes.

 

Mesure des résultats

  • analyse primaire : modification des prescriptions d’antibiotiques (total, amoxicilline et triméthoprime) évaluée par quartiles versus pourcentage de souches d’E. coli urinaires résistants à différents antibiotiques sur 7 années
  • analyses secondaires : analyse en modélisation multi-niveaux (par pratique, par organisation locale) ; analyse de sensibilité (score de déprivation de Townsend(1), caractéristiques de la pratique).

Résultats 

  • 164 225 échantillons de prélèvements urinaires avec un coliforme
  • diminution sur les 7 ans de 27% des prescriptions enregistrées d’antibiotiques par 1 000 personnes inscrites par pratique, par an
  • augmentation du nombre de prélèvements avec coliformes testés au fil des années : de 12,2 à 13,8 par 1 000 patients/an
  • évolution des résistances en fonction de la diminution de prescription d’antibiotiques : voir tableau
  • diminution de résistance pour l’ampicilline, pour l’ensemble des antibiotiques testés en lien avec la réduction de la prescription d’antibiotiques
  • le degré de déprivation n’influence pas le résultat.

 

Tableau : Evolution des résistances des coliformes urinaires (en % avec IC à 95%) en fonction de la diminution de prescription d’antibiotiques sur 7 ans (en quartiles de réduction de fréquence de prescription). 

Réduction de résistance des coliformes

 

Quartile 1 réduction forte des prescriptions

Pourcentage (IC à 95%))

Quartile 4 réduction faible des prescriptions

Pourcentage (IC à 95%)

pour l’ampicilline

5,2% (de 2,9 à 7,4)

0,3% (de -1,4 à 2,0)

pour le triméthoprime

3,4% (de 1,3 à 5,4%)

0,8% (de -0,7 à 2,3)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une réduction de la prescription d’antibiotiques en pratique de médecine générale est associée à une diminution locale de la résistance aux antibiotiques. Cette observation devrait encourager les cliniciens et les patients à ne recourir aux antibiotiques que de manière circonspecte.

 

Financement

Wales Office for Research and Development for Health and Social Care.

 

Conflits d’intérêt

Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette étude d’observation sur une période de temps significative est fort bien construit. Le fait d’avoir pu mettre en relation l’évolution de résistance des coliformes, par rapport aux antibiotiques d’usage courant, avec les prescriptions d’antibiotiques faites, à un niveau de pratique de médecine générale pour l’ensemble d’une région, est un atout important de cette publication. Le choix des E. coli et autres coliformes urinaires pourrait cependant représenter une limite méthodologique. Un prélèvement urinaire pour culture n’est pas fait systématiquement en médecine générale, surtout pour des infections urinaires non compliquées chez de jeunes femmes non enceintes (2). Les prélèvements sont, en majorité, réservés aux cas compliqués, en cas d’échec d’un premier traitement ou de récidives. Les auteurs mentionnent cependant que le degré de résistance observé dans leur étude est comparable à celui d’une autre étude galloise (même région) dans laquelle un prélèvement urinaire était effectué pour tous les patients présentant des symptômes d’infection urinaire.

Un envoi massif et moins sélectif de prélèvements urinaires par une pratique aurait pu fausser les résultats, en diminuant artificiellement le taux de résistance observée pour ce groupe. La similitude des résultats observés pour la prescription (diminuée) d’antibiotique comme pour la moindre résistance, proportionnelle à cette réduction, dans les groupes évalués et dans des groupes gallois non inclus dans l’étude rendent cette remarque caduque.

Les résultats observés n’ont pu subir l’influence de modifications de méthodes de détection de résistance, car seule l’évaluation de la résistance à l’amoxiclavulanate a été modifiée au cours des 7 ans de l’étude et en a été exclue. L’estimation de la quantité d’antibiotiques administrés au niveau de la population d’un groupement de médecins généralistes ne reprend que les antibiotiques prescrits par les médecins du groupement (y compris les prescriptions différées). Il ne s’agit pas de la consommation réelle par les patients, caractéristique présente dans toute étude d’observation dans lesquelles l’observance n’est pas évaluable.

L’analyse des données est aussi rigoureuse que complexe. Les auteurs ont même renoncé à certains modèles d’analyse prévus étant donné les difficultés d’interprétation. Comme le mentionnent les auteurs, les données sont valides au niveau d’un groupement, mais ne peuvent pas être extrapolées à un niveau individuel.

 

Autres études et mise en perspective

Plusieurs études ont montré le risque individuel de développer une résistance microbienne suite à une antibiothérapie. Parmi les études récentes, une étude sur une cohorte de 119 enfants (3) montre que l’administration d’ampicilline augmente (transitoirement) la présence de souches d’Hémophilus moins sensibles ou résistantes à cet antibiotique chez ces enfants, versus contrôle. Une RCT (4) a montré que l’administration d’un macrolide (azithromycine ou clarithromycine) à des volontaires sains augmentait significativement versus placebo la proportion de streptocoques résistants aux macrolides : augmentation moyenne de 50% au jour 8 pour la clarithromycine et de 53% au jour 4 pour l’azithromycine.

D’autres études ont-elles pu montrer un lien entre la réduction de prescription et la réduction de souches bactériennes ? Une étude pharmaco-épidémiologique prospective a comparé, sur deux cohortes d’enfants situées dans deux régions différentes de France, l’efficacité de deux interventions visant soit à diminuer la prescription d’antibiotiques soit à mieux en adapter la dose et la durée versus soins habituels. Une moindre prescription d’antibiotiques montrait, versus contrôle, une diminution du portage pharyngé de pneumocoque (p<0,001) et de pneumocoque non sensible à la pénicilline (p=0,05) (5).

Les causes et les conséquences de l’émergence de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques à l’hôpital sont bien évaluées, notamment pour le MRSA : la durée d’hospitalisation et la mortalité s’en trouvent augmentées. Nous manquons, par contre, d’études évaluant les conséquences possibles de l’émergence de bactéries résistantes en première ligne de soins et des différences possibles entre une infection avec un germe sensible et cette même infection avec un germe résistant. Le même auteur principal que celui de cette étude a montré dans une étude cas-témoins sur un échantillon (6) que la présence d’un E. coli résistant dans une infection urinaire traitée en première ligne de soins exposait, versus germe sensible, le patient à des symptômes persistants (mictalgie, pollakiurie, sensation de mal-être) et à une incapacité de travail, scolaire ou d’activités habituelles prolongée.

 

Conclusion

Cette étude montre qu’une réduction de prescription d’antibiotiques à l’échelle d’une pratique de médecine générale diminue les résistances observées pour les E. coli et autres coliformes urinaires dans la population concernée par cette pratique. Un bénéfice d’une réduction de prescription d’antibiotiques, pour toute indication, au niveau d’une large population (un pays) peut donc être également observé à un niveau très localisé. Etant donné les conséquences défavorables de l’émergence de germes résistants également en première ligne de soins, cette observation doit encourager encore plus le médecin généraliste à une prescription raisonnée d’antibiotiques.

 

Références 

  1. Chevalier P, Roland M. Etat de déprivation: à intégrer comme facteur de risque. MinervaF 2007;6(10):145.
  2. Christiaens TC, De Meyere M, Verschraegen G, et al. Randomised controlled trial of nitrofurantoin versus placebo in the treatment of uncomplicated urinary tract infection in adult women. Brit J Gen Pract 2002;52:729-34.
  3. Chung A, Perera R, Brueggemann AB, et al. Effect of antibiotic prescribing on antibiotic resistance in individual children in primary care: prospective cohort study. BMJ 2007;335;429-43.
  4. Malhotra-Kumar S, Lammens C, Coenen S, et al. Effect of azithromycin and clarithromycin therapy on pharyngeal carriage of macrolide-resistant streptococci in healthy volunteers: a randomised, double-blind, placebo-controlled study. Lancet 2007;369:482-90.
  5. Guillemot D, Varon E, Bernède C, et al. Reduction of antibiotic use in the community reduces the rate of colonization with penicillin G-nonsusceptible Streptococcus pneumoniae. Clin Infect Dis 2005;41:930-8.
  6. Butler CC, Hillier S, Roberts Z, et al. Antibiotic-resistant infections in primary care are symptomatic for longer and increase workload: outcomes for patients with E. coli UTIs. Br J Gen Pract 2006; 56:686-92.
Moins d’antibiotiques, moins de résistances

Auteurs

Belche J.L.
Département Universitaire de Médecine Générale, Université de Liège
COI :

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

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