Revue d'Evidence-Based Medicine



Ajout d’une chirurgie veineuse pour traiter les ulcères de jambe ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 3 Page 40 - 41

Professions de santé


Analyse de
Gohel MS, Barwell JR, Taylor M, et al. Long term results of compression therapy alone versus compression plus surgery in chronic venous ulceration (ESCHAR): randomised controlled trial. BMJ 2007;335:83-8.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une compressothérapie versus compressothérapie plus chirurgie veineuse en termes de guérison et de prévention de récidives d’ulcères de jambe veineux chroniques ?


Conclusion
Cette étude montre que l’ajout d’une chirurgie veineuse superficielle à une compressothérapie n’influence pas la guérison d’un ulcère actif. Cette intervention chirurgicale diminue cependant significativement le risque de récidive à trois ans. Cette étude ne permet pas de préciser quels patients pourraient davantage bénéficier de cette intervention.


 

Résumé

Contexte

Une insuffisance veineuse chronique est considérée comme la cause principale des ulcères de jambe veineux. L’utilité d’une compressothérapie en prévention comme en traitement des ulcères de jambe est suffisamment prouvée. Malgré un tel traitement, 20 à 30% de ces ulcères ne sont pas guéris après un an et la plupart des ulcères récidivent au moins une fois (1-4). Différentes études ont montré l’intérêt d’une correction de la pathologie veineuse du réseau superficiel en termes de guérison de l’ulcère et de prévention de sa récidive.

 

Population étudiée

  • 500 patients (sur 1 418) référés du domicile ou d’autres services hospitaliers dans des centres vasculaires de 3 hôpitaux d’Angleterre ; âge moyen de 73 ans (60-80) ; 42% d’hommes
  • critères d’inclusion : ulcère de jambe actif ou récemment guéri (< 6 mois), situé entre le genou et les malléoles, présent pendant au moins 4 semaines ; index cheville/bras > 0,85 ; reflux veineux superficiel ou profond à l’examen Duplex
  • critères d’exclusion : examen Duplex ou compressothérapie non possible, pas de consentement éclairé possible, thrombose veineuse profonde, contre-indication à une chirurgie, ulcère malin
  • ulcères d’un diamètre moyen de 2 (1-5) cm, persistant en moyenne 5 (3-11) mois.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée contrôlée
  • intervention : compressothérapie (n=258) ou chirurgie veineuse plus compressothérapie (n=242)
  • compressothérapie : bandage multicouche en cas d’ulcère actif ; bas de contention de classe II en cas d’ulcère guéri
  • chirurgie veineuse : occlusion de la jonction saphéno-fémorale ; stripping de la veine saphène interne ; cure des varices au niveau de la jambe
  • stratification suivant la localisation du reflux veineux pathologique : superficiel isolé, superficiel et profond segmentaire, superficiel et profond total
  • suivi sur 4 ans : mensuel en cas d’ulcère actif ; tous les 6 mois en cas d’ulcère guéri.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : guérison de l’ulcère (réépithélialisation complète) et récidive d’ulcère
  • critère secondaire : intervalle de temps sans ulcère
  • intention de traiter doit être complétée par une imputation de ces résultats manquants dans les différents bras d’étude.">analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • sorties d’étude : 54 patients (9%), 27 dans chaque groupe
  • modification de traitement : pas de chirurgie chez 47 patients du groupe chirurgie ; chirurgie chez 3 patients du groupe compressothérapie seule
  • guérison d’ulcère à 3 ans : 89% dans le groupe compressothérapie seule, 93% dans le groupe avec chirurgie ; p=0,737 pour la différence
  • récidive d’ulcère à 4 ans : 56% dans le groupe compressothérapie, 31% dans le groupe avec chirurgie ; p=0,001 pour la différence ; pas de différence entre les sous-groupes établis selon le type de reflux
  • délai moyen sans récidive d’ulcère sur 3 ans : 100 semaines dans le groupe chirurgie versus 85 dans le groupe compressothérapie seule ; p=0,013 pour la différence.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ajout d’un traitement chirurgical d’un reflux veineux superficiel associé à une compressothérapie n’apporte pas de plus-value pour la guérison de l’ulcère mais diminue le risque de récidive à 4 ans et allonge le laps de temps sans récidive.

 

Financement

NHS Executive South and West Research and Development Directorate, Southmead Hospital Research Foundation et Medical Research Council. Les sponsors ne sont pas intervenus dans l’étude.

 

Conflits d’intérêt

Aucun n’est déclaré.                                                                                    

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’attribution de groupe est faite aléatoirement (par programme informatique) et une stratification est réalisée en fonction de la localisation du reflux veineux pathologique établie par une échographie. La puissance de l’étude est basée sur une précédente étude, non randomisée, des mêmes auteurs et ne concerne que l’ensemble de la population sans estimation du nombre nécessaire dans chaque sous-groupe. Les caractéristiques de base sont semblables dans les deux groupes, sauf pour la présence initiale d’un diabète (10 versus 5%). Une analyse en régression de Cox montre que cette différence n’exerce pas d’influence sur les résultats pour la guérison de l’ulcère (5). Une intervention chirurgicale laissant une ou des cicatrice(s), les évaluateurs (médecins, infirmières ?) étaient au fait de l’intervention réalisée. Une guérison d’ulcère était clairement définie comme une réépithélialisation complète, ce qui réduit le risque du biais d’information.

 

Analyse des résultats

Une précédente publication de cette étude ESCHAR, réalisée sur une population significative (341 ulcères actifs), avait déjà montré l’absence d’effet d’une chirurgie veineuse sur la guérison de l’ulcère (5). Une explication possible pour cette absence d’effet pourrait être le protocole-même de l’étude : la compressothérapie appliquée après l’intervention interfère avec la mesure de l’avantage hémodynamique apporté par la chirurgie. Un nombre important de patients devant être opérés ne l’ont pas été et leur attente moyenne avant l’intervention a été de sept semaines. Une analyse complémentaire par protocole aurait mieux témoigné de l’effet d’une intervention chirurgicale. Une analyse en modèle de risques proportionnels de Cox (multivariée) montre, pour les différents sous-groupes suivant la localisation du reflux veineux pathologique, une absence de différence pour le nombre de récidives d’ulcère en cas d’ajout de la chirurgie : HR 0,833 ; IC à 95% de 0,479 à 1,191 ; p=0,227. Il ne faut pas confondre cette analyse avec une autre (univariée), illustrée par trois graphiques dans la publication, qui donne des courbes de survie Kaplan-Meier pour les trois sous-groupes de localisation. Cette analyse montre un taux de récidive significativement moindre dans 2 sous-groupes (p<0,001 à 4 ans en cas de reflux uniquement superficiel et p=0,044 à 3 ans en cas de reflux superficiel et segmentaire profond) sur les 3 (p=0,331 à 3 ans dans le troisième, celui avec un reflux veineux superficiel et global). Ces valeurs pourraient induire le lecteur en erreur. Le protocole n’ayant pas prévu un nombre nécessaire dans chaque sous-groupe, le nombre de patients dans les sous-groupes est fort inégal, ce qui explique la différence observée pour les valeurs p. La comparaison correcte est celle en modèle de Cox qui ne montre pas de différence (p=0,227) (6). Un examen échographique évaluant le type d’insuffisance veineuse ne permet donc pas d’isoler les patients pour lesquels une intervention chirurgicale veineuse superficielle serait davantage bénéfique. L’observance pour la compressothérapie (bandage ou bas de contention) n’est pas évaluée ; une mauvaise adhérence thérapeutique peut influencer le taux de récidive et une différence entre les groupes modifier les résultats.

 

Autres études

L’étude ESCHAR est la première étude randomisée qui évalue l’efficacité d’une intervention chirurgicale veineuse superficielle chez un nombre suffisant de patients. Deux précédentes petites études (n=45 et n=47) n’avaient pu montrer d’effet significatif pour une ligature des perforantes ni pour une chirurgie invasive a minima sur la guérison d’ulcère (4). D’autres techniques moins invasives (sclérothérapie, laserthérapie) ont été développées ces dernières années pour le traitement de l’insuffisance veineuse superficielle. Elles améliorent sans doute l’observance, mais leur utilité par rapport à la chirurgie traditionnelle n’est pas montrée au niveau intérêt hémodynamique, efficacité clinique et persistance d’effet (4).

 

Pour la pratique

Les patients ont été inclus dans l’étude ESCHAR sur base d’un examen technique pratiqué dans des centres vasculaires ; 20% des candidats possibles ont refusé une intervention chirurgicale. Une extrapolation des résultats dans la pratique quotidienne est donc difficile. La prévalence des ulcères veineux des jambes augmentant avec l’âge (1), ce sont souvent des personnes âgées qui sont concernées, plus difficiles à convaincre de faire soigner leur ulcère « banal » à l’hôpital. Une intervention chirurgicale ne modifie pas le pronostic d’un ulcère actif. Nous ne disposons pas d’éléments précisant quels patients pourraient tirer bénéfice d’une chirurgie veineuse (4) dont l’impact sur la qualité de vie et le rapport coût/efficacité restent à déterminer avant de pouvoir tirer des conclusions pour la pratique.

 

 

Conclusion

 

Cette étude montre que l’ajout d’une chirurgie veineuse superficielle à une compressothérapie n’influence pas la guérison d’un ulcère actif. Cette intervention chirurgicale diminue cependant significativement le risque de récidive à trois ans. Cette étude ne permet pas de préciser quels patients pourraient davantage bénéficier de cette intervention.

 

Références

  1. Plaies chroniques chez la personne âgée: causes et prévention. FormulR/info 2007;14(4):37-9.
  2. Diagnostiek en behandeling van het ulcus cruris venosum. Richtlijn Nederlandse Vereniging voor Dermatologie en Venereologie, 2005.
  3. Cullum N, Nelson EA, Fletcher AW, Sheldon TA. Compression for venous leg ulcers. Cochrane Database Syst Rev 2001, Issue 2.
  4. Nelson EA, Jones J. Venous leg ulcers. Clinical Evidence. Web publication date : 01 May 2007 (based on July 2006 search).
  5. Barwell JR, Davies CE, Deacon J, et al. Comparison of surgery and compression with compression alone in chronic venous ulceration (ESCHAR study): randomised controlled trial. Lancet 2004;363:1854-9.
  6. Fletcher J. Clinical epidemiological notes. Subgroup analyses: how to avoid being misled. BMJ 2007;335:96-7.
Ajout d’une chirurgie veineuse pour traiter les ulcères de jambe ?

Auteurs

Poelman T.
Vakgroep Volksgezondheid en Eerstelijnszorg, UGent
COI :

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