Revue d'Evidence-Based Medicine



BPCO : LABA + corticostéroïde inhalé ou tiotropium ?



Minerva 2008 Volume 7 Numéro 3 Page 36 - 37

Professions de santé


Analyse de
Wedzicha JA, Calverley PM, Seemungal TA, et al; INSPIRE Investigators. The prevention of chronic obstructive pulmonary disease exacerbations by salmeterol/fluticasone propionate or tiotropium bromide. Am J Respir Crit Care Med 2008;177:19-26.


Question clinique
Chez des patients présentant une BPCO sévère ou très sévère, quelle est l’efficacité relative de l’association d’un LABA (salmétérol 50 µg 2x/j) à un corticostéroïde inhalé (fluticasone 500 µg 2x/j) versus tiotropium 18 µg/j inhalé en termes de prévention des exacerbations et critères associés ?


Conclusion
Cette étude ne montre donc pas de différence entre un traitement associant un ß2-mimétique à longue durée d’action (salmétérol) à un corticostéroïde inhalé (fluticasone) versus un traitement par tiotropium chez des patients présentant une BPCO sévère ou très sévère. Les guidelines basés sur les données les plus récentes de la littérature, recommandent aux cliniciens de prescrire une des monothérapies suivantes chez des patients symptomatiques présentant une BPCO stable en cas de VEMS < 60% de la valeur prédite (stades sévères et très sévères) : ß2-mimétique inhalé à longue durée d’action, anticholinergique inhalé à longue durée d’action ou corticostéroïde inhalé.


 

Résumé

 

Contexte

La prévention d’exacerbations aiguës, éléments déterminants de la morbidité et de la mortalité liées à une BPCO, est le but principal d’un traitement d’entretien de cette pathologie. Les guidelines basés sur les données les plus récentes de la littérature, recommandent aux cliniciens de prescrire une des monothérapies suivantes chez des patients symptomatiques présentant une BPCO stable en cas de VEMS < 60% de la valeur prédite : β2-mimétique inhalé à longue durée d’action, anticholinergique inhalé à longue durée d’action ou corticostéroïde inhalé (forte recommandation, preuves de haute qualité) (1). Une comparaison d’efficacité entre l’association LABA + corticostéroïde inhalés versus tiotropium inhalé n’avait pas encore été publiée.

 

Population étudiée

  • 1 323 patients âgés de 40 à 80 ans (moyenne d’âge de 64 ans), avec un tabagisme d’au moins 10 paquets-années, une anamnèse d’exacerbations de BPCO, avec un VEMS post bronchodilatation de moins de 50% (moyenne de 39%) de la valeur prédite, réversibilité de maximum 10% sous salbutamol et un score d’au moins 2 sur léchelle de dyspnée du Modified Medical Research Council
  • exclusion : autre problème respiratoire, oxygénothérapie au long cours.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle et double placebo
  • période d’inclusion de 2 semaines avec arrêt des traitements inhalés habituels ; administration de prednisolone orale 30 mg/j et de salmétérol inhalé 50 μg 2x/j
  • intervention ensuite : salmétérol 50 μg 2x/j en association fixe avec de la fluticasone 500 μg 2x/j en inhalation (groupe SFC, n=658) versus tiotropium 18 μg/j inhalé (n=665) + placebo correspondant dans les 2 groupes
  • autres médicaments autorisés : β2-mimétiques à courte durée d’action, corticostéroïdes systémiques, antibiotiques
  • suivi aux semaines 2, 8 et ensuite toutes les 12 semaines après la randomisation (avec mesure des tests respiratoires une fois sur deux)
  • durée d’étude : 2 ans
  • analyse en intention de traiter.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : fréquence d’exacerbations définies comme un recours au système de soins de santé (corticostéroïdes oraux et/ou antibiotiques ou hospitalisation requise)
  • critères secondaires : status de santé respiratoire (St. Georges Respiratory Questionnaire SGRQ), VEMS 2h post dose, mortalité, effets indésirables, sortie d’étude.

 

Résultats

  • sorties d’étude plus fréquentes de 29% sous tiotropium que sous SFC ; p=0,005 pour la différence
  • taux annuel d’exacerbations : 1,28 sous SFC versus 1,32 sous tiotropium ; rapport de proportions 0,967 ; IC à 95% de 0,836 à 1,119 ; p=0,656
  • SGRQ : une différence statistiquement significative en faveur du groupe SFC : -2,1 unités ; IC à 95% de -0,1 à -4,0 ; p=0,038
  • mortalité significativement moindre dans le groupe SFC (3%) versus tiotropium (6%) ; p=0,032 pour la différence
  • davantage de pneumonies (diagnostic clinique) dans le groupe SFC ; p=0,008.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de différence en termes d’exacerbations pour un traitement par salmétérol/fluticasone versus tiotropium, avec davantage d’arrêts d’étude dans le groupe tiotropium. Un bénéfice relatif est cependant observé pour l’association salmétérol/fluticasone en termes de santé (respiratoire) et de décès.

 

Financement

GlaxoSmithKline Research and Development Ltd qui a réalisé l’analyse des résultats et financé la rédaction de la publication par des professionnels de cette écriture.

 

Conflits d’intérêt

Trois auteurs déclarent avoir reçu des subsides, honoraires, fonds de recherche de plusieurs firmes pharmaceutiques ; deux auteurs sont ou ont été des collaborateurs de GlaxoSmithKline.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie générale de cette étude paraît correcte avec, entre autres, une randomisation par bloc avec respect du secret de l’attribution ; il n’y a pas de différence manifeste pour les caractéristiques entre groupes, sans analyse statistique cependant. Le critère principal, les exacerbations de BPCO, est défini de manière inhabituelle, comme un recours à des corticostéroïdes oraux et/ou antibiotiques ou hospitalisation, ce qui laisse le champ libre à des choix subjectifs, mais similaires dans les deux groupes et est souvent le cas dans les études concernant la BPCO. Le nombre d’exacerbations est ajusté en fonction des caractéristiques de base des patients et entre autres de la sévérité de la BPCO. L’observance des médicaments évalués est vérifiée par la mesure des doses restantes dans les aérosols ; elle est de plus de 99% dans les deux groupes. Le problème principal est le taux de sorties d’étude important : 34,5% dans le groupe salmétérol/fluticasone (SFC) et 41,7% dans le groupe sous tiotropium, différence manifeste depuis la semaine 13 d’étude, et qui apporte un biais dans l’étude. Un effet de survivant sain dans l’étude (healthy survivor effect) peut donc être évoqué : les sujets présentant une détérioration précoce de leur état respiratoire (marqueur indirect d’une plus grande efficacité du traitement SFC versus tiotropium), arrêtent plus précocement leur traitement. Il ne s’agit cependant pas, ici, d’un biais à proprement parler, comme dans le cas du biais du travailleur sain. L’implication de la firme qui finance l’étude est importante (analyse des résultats, financement de la rédaction de l’article par un bureau spécialisé).

 

Interprétation des résultats

L’arrêt imposé des corticostéroïdes inhalés (qu’environ 50% des patients prenaient) pour participer à l’étude pourrait être évoqué comme une cause de sorties d’étude plus fréquentes sous tiotropium ; les auteurs comparent leurs résultats à ceux d’autres études avec un bras placebo mais pouvant inhaler des corticostéroïdes et estiment que les taux d’arrêts sont semblables sous tiotropium et dans ces groupes et que cet argument n’est donc pas à retenir. Près de 40% des sujets inclus ne présentent pas au moins une exacerbation telle que définie sur les deux ans ; en l’absence de groupe placebo, cette observation est cependant d’interprétation difficile. La différence calculée pour l’amélioration moyenne sur le score SGRQ est statistiquement significative ; elle n’est cependant pas cliniquement pertinente, un seuil de 4 points étant en général demandé pour être pertinent (2). Il faut pourtant mentionner que la proportion de patients atteignant une amélioration cliniquement pertinente au score SGRQ est, elle, plus importante dans le groupe SFC (32% versus 27%). Il faut également épingler la proportion de décès plus importante dans le groupe tiotropium malgré la survenue de pneumonie plus fréquente (sur diagnostic clinique essentiellement) dans le groupe sous corticostéroïde. Cette proportion reste aussi présente dans le sous-groupe des patients avec une pathologie cardiovasculaire initiale, groupe pourtant réputé plus à risque pour les LABA. Cette réduction de mortalité pour les LABA associés aux corticostéroïdes inhalés reste à confirmer. Pour rappel, dans l’étude TORCH (3), précédemment analysée dans Minerva (4), les auteurs observaient une tendance à la diminution des décès. Ces deux études sont donc contradictoires par rapport à la méta-analyse (5) qui suggérait une augmentation de décès, dans la BPCO, pour les LABA versus placebo ou versus anticholinergiques (6).

 

Pour la pratique

Cette étude ne montre donc pas de différence entre un traitement associant du salmétérol et de la fluticasone versus tiotropium chez des patients présentant une BPCO, pour le critère exacerbations. Elle rejoint ainsi la déjà longue série de comparaisons ne montrant pas de différence pour ce critère (7) : LABA versus tiotropium, LABA versus ipratropium, LABA versus corticostéroïdes inhalés, association de LABA et de corticostéroïdes inhalés versus corticostéroïdes inhalés ou versus LABA seuls. Les guides de pratique en tirent des conclusions claires. Des associations entre différents médicaments administrés par voie inhalée chez des patients avec une BPCO, symptomatiques (soit présentant des exacerbations) et avec un VEMS inférieur à 60% de la valeur prédite (en majorité < 50% dans les études, soit des stades sévères à très sévères de BPCO) ne font l’objet que d’une faible recommandation, sur base de preuves de qualité modérée alors que la prescription, dans les mêmes conditions, d’un de ces médicaments inhalés en monothérapie, fait l’objet d’une forte recommandation sur base de preuves de haute qualité (1). Les prescriptions faites dans la pratique quotidienne semblent s’écarter de ces recommandations ; c’est l’association fixe d’un LABA avec un corticostéroïde inhalé qui est le médicament inhalé le plus souvent prescrit chez des patients présentant une BPCO (tous stades confondus), en fait pour plus de 50% des patients recevant un traitement. Cette observation est faite en Belgique comme à un niveau international (8).

 

Conclusion

Cette étude ne montre donc pas de différence entre un traitement associant un β2-mimétique à longue durée d’action (salmétérol) à un corticostéroïde inhalé (fluticasone) versus un traitement par tiotropium chez des patients présentant une BPCO sévère ou très sévère.

Les guidelines basés sur les données les plus récentes de la littérature, recommandent aux cliniciens de prescrire une des monothérapies suivantes chez des patients symptomatiques présentant une BPCO stable en cas de VEMS < 60% de la valeur prédite (stades sévères et très sévères) : β2-mimétique inhalé à longue durée d’action, anticholinergique inhalé à longue durée d’action ou corticostéroïde inhalé (1).

 

 

Références

  1. Qaseem A, Snow V, Shekelle P, et al; Clinical Efficacy Assessment Subcommittee of the American College of Physicians. Diagnosis and management of stable chronic obstructive pulmonary disease: a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med 2007;147:633-8.
  2. Jones PW. Health status measurement in chronic obstructive pulmonary disease. Thorax 2001;56:880-7.
  3. Calverley PM, Anderson JA, Celli B, etal; TORCH investigators. Salmeterol and fluticasone propionate and survival in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl J Med 2007;356:775-89.
  4. Sturtewagen JP. Association de salmétérol et de fluticasone : pas de réduction de la mortalité dans la BPCO. MinervaF 2007;6(6):84-6.
  5. Salpeter SR, Buckley NS, Salpeter EE. Meta-analysis: anticholinergics, but not β-agonists, reduce severe exacerbations and respiratory mortality in COPD. J Gen Intern Med 2006;21:1011-9.
  6. Sturtewagen JP, Chevalier P. Bronchodilatateurs: les anticholinergiques en premier choix dans la BPCO? MinervaF 2007;6(4):52-4.
  7. Chevalier P. Médicaments inhalés pour le traitement de la BPCO stable. MinervaF 2008;7(3):34-5.
  8. Oversteegen L, Rovini H, Belsey MJ. Respiratory drug market dynamics. Nat Rev Drug Discov 2007;6:695-6.
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