Revue d'Evidence-Based Medicine



Traitement de l ‘ostéoporose : dénosumab ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 10 Page 123 - 124

Professions de santé


Analyse de
Silva-Fernández L, Rosario MP, Martínez-López JA, et al. Denosumab for the treatment of osteoporosis: a systematic literature review. Reumatol Clin 2013;9:42-52.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité du dénosumab versus placebo ou autres médicaments pour le traitement des patients atteints d’ostéoporose ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, de qualité modérée sur le plan méthodologique, montre que les preuves concernant l’efficacité clinique et la sécurité du dénosumab chez les femmes ménopausées présentant de l’ostéoporose sont limitées. Seule une RCT a pu montrer une diminution significative sur le risque de fracture, principalement sur les tassements vertébraux, versus placebo. Une méta-analyse a aussi permis de constater une incidence accrue des infections (surtout urinaires) et de l’eczéma.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

L’ostéoporose se caractérise par un excès de résorption osseuse par rapport à la formation des os, ce qui entraîne un risque accru de tassements vertébraux et de fractures non vertébrales. Un certain nombre de facteurs de risque de l’ostéoporose sont connus, comme l’âge, la ménopause, le tabagisme, un poids corporel faible, le manque d’exercice physique, une consommation prolongée de corticostéroïdes (1). A ce jour, les médicaments indiqués dans la prévention de l’ostéoporose et des fractures ostéoporotiques les mieux expérimentés étaient les bisphosphonates (alendronate, risédronate, zolédronate) (2,3). Le dénosumab appartient à une nouvelle classe pharmacothérapeutique ; il s’agit d’un anticorps monoclonal ayant un effet inhibiteur sur les ostéoclastes.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE, le registre Cochrane des essais contrôlés jusqu’en juillet 2010
  • recherche manuelle dans les résumés des congrès scientifiques et dans les références des études pertinentes
  • pas de restriction quant à la langue de publication.

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études contrôlées randomisées, avec études d’extension et analyses de sous-groupes, comparant l’efficacité et la sécurité du dénosumab versus placebo ou versus autres médicaments pour le traitement de l’ostéoporose
  • critères d’exclusion : études incluant des patients souffrant d’un cancer ou atteints d’une affection non ostéoporotique, recherche fondamentale, études réalisées chez des animaux
  • au total, inclusion de 25 études (10 sélectionnées parmi 518 études trouvées via les bases de données électroniques, 7 retenues à partir des références et 8 à partir des résumés).

Population étudiée

  • > 10 000 femmes ménopausées âgées de 59 à 72 ans.

Mesure des résultats

  • diminution du risque de fracture ; changement de la densité osseuse, biomarqueurs osseux dans le sérum, microarchitecture osseuse ; paramètres de sécurité
  • analyse en modèle d’effets aléatoires; test I² de Higgins calcule le pourcentage de variation entre les études lié à une hétérogénéité et non au hasard, donnée importante lors de la sommation des différents résultats. Ce test statistique évalue la non concordance (‘inconsistency’) dans les résultats des études. Au contraire du Test Q, le test I² dépend du nombre d’études disponibles. Un résultat de test 0 à 40% = l’hétérogénéité pourrait être peu importante ; 30 à 60% = l’hétérogénéité peut être modérée ; 50 à 90% = l’hétérogénéité peut être substantielle ; 75 à 100% = l’hétérogénéité est considérable.">test I².

Résultats

  • risque de fracture (N = 1 étude) : diminution de l’incidence des tassements vertébraux constatés à la radiographie : 2,3 % contre 7,2 % avec un risque relatif est le quotient de deux risques (absolus), le risque dans le groupe exposé ou intervention et le risque dans le groupe contrôle. Dans une étude d’intervention, le risque relatif est une estimation de la probabilité que le résultat (par exemple survenue d’un décès) dans le groupe intervention soit autant de fois supérieur (RR > 1) ou inférieur (RR < 1) à celui observé dans le groupe contrôle. Le risque relatif n’a pas d’unité de mesure.">RR de 0,32 avec IC à 95 % de 0,26 à 0,41), avec un NST de 22 avec IC à 95 % de 18,3 à 27,5 ; diminution des fractures de hanche : 0,7 % contre 1,2 % avec HR de 0,60 avec IC à 95 % de 0,37 à 0,97 ; diminution des fractures non vertébrales : 6,5 % contre 8 % avec HR de 0,80 avec IC à 95 % de 0,67 à 0,95 après trois ans de traitement par dénosumab versus placebo
  • diminution des biomarqueurs osseux dans le sérum avec le dénosumab versus placebo (N = 3) ou versus alendronate (N = 3)
  • augmentation plus importante de la densité osseuse avec le dénosumab versus placebo (N = 4) et versus alendronate (N = 4)
  • risque plus important avec le dénosumab versus placebo ou versus alendronate d’infections urinaires : RR de 1,73 avec IC à 95 % de 1,13 à 2,64 ; d’infections graves : RR de 1,26 avec IC à 95 % de 1,01 à 1,58 ; d’eczéma : RR de 1,91 avec IC à 95 % de 1,43 à 2,55.

 

Conclusion des auteurs

La conclusion des auteurs est que l’administration de dénosumab deux fois par an par voie sous-cutanée est associée à une diminution du risque de tassements vertébraux, de fractures non vertébrales et de fractures de hanche chez les femmes atteintes d’ostéoporose. L’augmentation de la densité osseuse et la diminution des biomarqueurs osseux sont également plus importantes et de plus longue durée avec le dénosumab qu’avec un placebo et/ou avec l’alendronate. Le dénosumab est cependant associé à un risque plus important d’infections urinaires et d’eczéma.

Financement 

Société espagnole de rhumatologie

 

Conflits d’intérêt 

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêts.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Malgré l’absence de publication préalable d’un protocole, il semble que cette synthèse méthodique ait été raisonnablement bien conduite. Les chercheurs ont utilisé une stratégie de recherche approfondie dans plusieurs bases de données électroniques, ainsi qu’une recherche manuelle dans les résumés des congrès scientifiques et dans les références des études pertinentes. La sélection des études sur la base des critères d’inclusion et d’exclusion, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité méthodologique ont été effectuées par deux chercheurs indépendamment l’un de l’autre. En outre, l’évaluation de la qualité méthodologique des études a été réalisée de deux manières différentes (score de Jadad et niveaux de preuves du Centre d’Evidence-Based Medicine d’Oxford) ; l’analyse des résultats n’a cependant pas tenu compte de la qualité méthodologique. Il n’y a pas eu de tentative de rechercher de biais de publication, ni par funnel plot ni par une autre approche.

Les auteurs parlent de 25 études, mais en réalité il s’agit de 25 rapports (études de suivi, d’extension en ouvert, études de sous-groupes et analyses post-hoc) portant pour la plupart sur les mêmes grandes études (DEFEND, STAND, FREEDOM, DECIDE, DAPS et XTREME-CT). Les auteurs de la synthèse n’ont pas préalablement défini de critère de jugement primaire. Seule une étude (FREEDOM) (4) a utilisé le risque de fracture comme critère de jugement, tandis que, dans les autres études, nous ne retrouvons que des critères de jugement intermédiaires, tels que la densité osseuse, dont la signification clinique est mal connue. En raison de la grande hétérogénéité des études, une méta-analyse n’a pu être réalisée que pour les effets indésirables.

 

Interprétation des résultats

Bien que les critères d’inclusion de cette synthèse méthodique concernent les hommes et les femmes de tout âge atteints de quelque forme d’ostéoporose que ce soit, les auteurs n’ont identifié que des études menées chez des femmes ménopausées. Le risque de fracture versus placebo n’a été évalué que dans une RCT, d’une durée de trois ans, chez 7 868 femmes (âge moyen de 72 ans) présentant une ostéoporose (T-score entre − 2,5 et − 4), ayant reçu une injection sous-cutanée de 60 mg de dénosumab tous les six mois, versus placebo. Le dénosumab a surtout réduit l’incidence des tassements vertébraux constatés à la radiographie (NST = 22), tandis que le NST pour les tassements vertébraux avec traduction clinique était environ trois fois plus élevé (NST = 62). Après trois ans, une étude d’extension en ouvert a débuté, les patients du groupe placebo recevant, eux aussi, du dénosumab. Les premières données des deux années supplémentaires de traitement ont été publiées et montrent un « rattrapage » en termes de risque de fracture et de critères de jugement intermédiaires pour les personnes ayant nouvellement commencé le dénosumab (5). En ce qui concerne le risque de fracture, aucune étude comparant le dénosumab avec d’autres traitements de l’ostéoporose, comme les bisphosphonates, n’a été publiée à ce jour. Le dénosumab a cependant déjà été comparé plusieurs fois aux bisphosphonates en termes de résultats intermédiaires, tels que les déterminations de la densité minérale osseuse. Ces comparaisons montrent qu’il n’y a pas de rapport linéaire avec le risque de fracture. D’autres analyses indirectes des traitements de l’ostéoporose ont été effectuées (6,7) : comparaisons indirectes non fiables car les populations étudiées sont différentes, tout comme leur risque de fracture (6).

Le fabricant du dénosumab cite comme avantage pour celui-ci une meilleure observance du traitement par le patient. A l’heure actuelle, nous ignorons pendant combien de temps le traitement doit être prolongé. L’arrêt d’un traitement par dénosumab entraîne un effet rebond transitoire au niveau des biomarqueurs osseux dont l’impact clinique n’est pas connu (8).

Le dénosumab entraîne une dépression du système immunitaire, et certainement en cas d’association avec d’autres immunosuppresseurs (9). La présente méta-analyse montre une augmentation de l’incidence des infections urinaires. Une augmentation de l’incidence des infections graves pourrait être problématique dans cette tranche d’âge qui souffre déjà d’une diminution de l’immunité. La survenue possible d’une augmentation de l’incidence des cancers et l’apparition d’une nécrose de la mâchoire inférieure et de fractures paradoxales (3,10) appellent à la vigilance. Dans l’étude d’extension FREEDOM (5), deux patients du groupe passant du placebo au dénosumab ont présenté une nécrose de la mâchoire inférieure. La Revue Prescrire mentionne également, en plus des effets indésirables susmentionnés, un risque accru de douleurs osseuses et musculaires, de l’hypercholestérolémie, un risque accru d’angor et de fibrillation auriculaire, d’hypocalcémie, de pancréatite, de cellulite, de cataracte et de constipation (9). La durée des études publiées n’est cependant pas assez longue. Ces études n’ont également pas été conçues pour refléter correctement les effets indésirables. Il faudrait donc mener des études comparatives avec un suivi de longue durée, mais il est difficile de leur trouver un financement et d’assurer leur qualité.

Après une recherche approfondie dans la littérature scientifique, le centre fédéral d’expertise n’a pas pu donner de place au dénosumab dans l’arsenal thérapeutique pour le traitement de l’ostéoporose (11).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, de qualité modérée sur le plan méthodologique, montre que les preuves concernant l’efficacité clinique et la sécurité du dénosumab chez les femmes ménopausées présentant de l’ostéoporose sont limitées. Seule une RCT a pu montrer une diminution significative sur le risque de fracture, principalement sur les tassements vertébraux, versus placebo. Une méta-analyse a aussi permis de constater une incidence accrue des infections (surtout urinaires) et de l’eczéma.

 

Pour la pratique

Les recommandations actuelles (1-3) préconisent les bisphosphonates et un apport suffisant en calcium et en vitamine D comme traitement de premier choix pour la prévention des fractures ostéoporotiques. Ce n’est qu’en cas d’inefficacité ou d’intolérance qu’il faut envisager d’autres options thérapeutiques, y compris le dénosumab, malgré l’absence d’étude dans cette indication précise (3). La prudence reste de mise en cas d’utilisation du dénosumab étant donné la possibilité d’effets indésirables graves (9). Le coût actuel élevé est un argument supplémentaire pour ne pas s’écarter des recommandations actuelles (12).

 

 

Références

  1. CBO Richtlijn. Osteoporose en Fractuurpreventie. Derde herziening (2011).
  2. Conférence de Consensus INAMI. Les traitements efficients pour la prévention des fractures liées à l’ostéoporose. 26/05/2005.
  3. Chevalier P. Dénosumab, raloxifène et acide zolédronique pour l’ostéoporose post-ménopausique ? Minerva online 28/08/2012.
  4. Cummings SR, San Martin J, McClung MR, et al; FREEDOM Trial. Denosumab for prevention of fractures in postmenopausal women with osteoporosis. N Engl J Med 2009;361:756-65.
  5. Papapoulos S, Chapurlat R, Libanati C, et al. Five years of denosumab exposure in women with postmenopausal osteoporosis: results from the first two years of the FREEDOM extension. J Bone Miner Res 2012;27:694-701.
  6. Michiels B. Prévention des fractures post ménopause : efficacité relative des médicaments. Minerva online 28/06/2012.
  7. Kendler DL, Roux C, Benhamou CL, et al. Effects of denosumab on bone mineral density and bone turnover in postmenopausal women transitioning from alendronate therapy. J Bone Miner Res 2010;25:72-81.
  8. Bone HG, Bolognese MA, Yuen CK, et al. Effects of denosumab treatment and discontinuation on bone mineral density and bone turnover markers in postmenopausal women with low bone mass. J Clin Endocrinol Metab 2011;96:972-80.
  9. Patients ayant une ostéoporose. Guide interactions médicamenteuses. Rev Prescr 2012; décembre:20-2.
  10. Informations récentes juillet 2011. Folia Pharmacotherapeutica 2011;38:80.
  11. Roberfroid D, Camberlin C, Dubois C. Pharmacological prevention of fragility fractures in Belgium. Good Clinical Practice (GCP). Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2011. KCE Reports 159C. D/2011/10.273/34.
  12. National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). Denosumab for the prevention of osteoporotic fractures in postmenopausal women. London (UK): National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE); 2010 Oct. 59 p. (Technology appraisal guidance; no. 204).

 

 

Noms du produit

Dénosumab = Prolia®, Xgeva®

Traitement de l ‘ostéoporose : dénosumab ?

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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