Revue d'Evidence-Based Medicine



Moins de rhumes en prenant de l’Echinacea purpurea ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 10 Page 121 - 122

Professions de santé


Analyse de
Jawad M, Schoop R, Suter A, et al. Safety and efficacy profile of Echinacea purpurea to prevent common cold episodes: a randomized double-blind, placebo-controlled trial. Evid Based Complement Alternat Med 2012;12:841315.


Question clinique
Quelles sont, chez l’adulte, la sécurité et l’efficacité préventive en termes de survenue de rhumes de la teinture mère d’Echinacea purpurea administrée pendant une période de quatre mois, versus placebo ?


Conclusion
Dans cette étude randomisée en double aveugle, correctement menée d’un point de vue méthodologique, la prise quotidienne, durant 4 mois, d’une préparation spécifique à concentration d’alcool élevée (teinture mère) d’Echinacea purpurea pour la prévention du rhume dans une population d’adultes en bonne santé se montre sans danger. Les résultats sont toutefois inconstants en termes de prévention. Une diminution significative du nombre de jours de maladie liés au rhume et du recours à des médicaments symptomatiques est observée mais non du nombre d’épisodes de rhume.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Grâce à son action immunomodulatrice, l’échinacée pourpre (Echinacea purpurea (L.) Moench) peut réduire le nombre de rhumes ainsi que leur durée. L’Agence européenne des médicaments (European Medicines Agency, EMA) mentionne le jus d’Echinacea purpurea pressé comme traitement préventif et curatif du rhume (1). De précédentes études cliniques contrôlées évaluant, versus placebo, l’Echinacea purpurea comme traitement préventif des rhumes n’ont montré aucune efficacité préventive (2), mais elles utilisaient d’autres préparations d’Echinacea purpurea.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 755 patients âgés de plus de 18 ans (âge moyen de 23 (ET 7) ans), dont 65 % de femmes, en bonne condition physique, présentant au moins 2 rhumes par an ; recrutement par annonce du Common Cold Center de l’Université de Cardiff (Royaume-Uni)
  • critères d’exclusion : contraception insuffisamment fiable, participation à une autre étude, grossesse, allaitement, sous traitement pour un rhume, prise d’antibiotiques ou de médicaments antiviraux, consommation abusive d’alcool ou de substances, trouble psychiatrique, épilepsie, tentative de suicide, intervention chirurgicale programmée, maladie chronique grave qui influencerait l’absorption, le métabolisme ou l’élimination de l’Echinacea, infection par le VIH ou maladie auto-immune, diabète sucré de type 1, asthme traité par corticostéroïdes, sous traitement pour atopie ou allergie, allergie connue aux astéracées.

 

Protocole d’étude

  • étude en double aveugle, contrôlée versus placebo, avec 2 groupes parallèles :
    • groupe intervention (n = 379) : prise quotidienne de 3 x 0,9 ml de teinture mère d’Echinacea purpurea fraîche (95 % de feuilles et 5 % de racines) ; à diluer préalablement dans de l’eau et à garder en bouche pendant dix secondes ; au cours des périodes de rhume, la dose est augmentée à 5 x 0,9 ml
    • groupe placebo (n = 376) : gouttes de placebo de même taille, même couleur, même consistance, même odeur, même goût et comportant la même quantité d’alcool
  • les participants tiennent un journal où ils consignent les effets indésirables, la survenue de rhumes et leur gravité ainsi que la prise de médicaments supplémen­taires ; il leur est également demandé d’effectuer des frottis de nez au cours des périodes de rhume
  • suivi de 4 mois.

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires : différence entre les deux groupes quant à la proportion de patients présentant des effets indésirables liés au médicament et quant au nombre de jours avec rhume
  • critères de jugement secondaires : différence quant au nombre total d’épisodes de rhume et quant au recours à d’autres médicaments pendant les épisodes de rhume
  • analyse par protocole et en intention de traiter.

 

Résultats

  • 82 patients (10,9 %) ont arrêté l’étude prématurément
  • 9 % des patients du groupe Echinacea ont présenté des effets indésirables liés au médicament contre 10 % dans le groupe placebo ; différence absolue de 0,97 % avec IC unilatéral à 97,5 % de 3,6 %, sous le seuil de non-infériorité prédéfini de 10 %
  • 149 épisodes de rhume avec une durée cumulative de 672 jours dans le groupe Echinacea contre 188 épisodes avec une durée cumulative de 850 jours dans le groupe placebo ; différence de 26 % significative (p < 0,05) uniquement pour le nombre de jours de maladie ; pour 88 patients ayant parfaitement respecté le traitement dans le groupe Echinacea, diminution de 53 % (p < 0,0001) du nombre de jours de maladie versus groupe placebo
  • nombre d’épisodes de rhume traités par aspirine, paracétamol ou ibuprofène : de 52 % (p < 0,05) plus faible dans le groupe Echinacea versus groupe placebo
  • nombre de frottis de nez effectués : plus important dans le groupe placebo que dans le groupe Echinacea (115 contre 86 ; p = 0,0663), et ils étaient aussi plus infectés par un virus avec enveloppe (47 contre 24 ; p < 0,05).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le rapport bénéfices-risques de la prise préventive de teinture mère d’Echinacea purpurea contre les rhumes est positif après quatre mois d’administration lorsque le patient prend correctement son traitement.

 

Financement 

Aucune mention.

 

Conflits d’intérêt 

3 des 5 auteurs certifient ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude clinique a été bien élaborée. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont clairement mentionnés. Le nombre de patients nécessaire par groupe pour montrer une différence quant aux effets indésirables et aux jours de maladie liés à un rhume a été calculé au préalable. La randomisation a été effectuée par blocs, et les mesures prises pour préserver le secret d’attribution sont bien décrites. L’intervention a été clairement présentée (type de plante, parties utilisées et manière de préparer la teinture mère) et permet d’apprécier si les résultats peuvent être extrapolés dans la pratique. Le traitement placebo est, lui aussi, clairement défini. Une étude pilote préalable a montré que les patients n’étaient pas capables de distinguer le placebo de la teinture mère d’Echinacea purpurea. Pendant le suivi, les patients ont tenu un journal dans lequel ils ont noté les effets indésirables, la survenue de symptômes du rhume et leur gravité ainsi que la prise concomitante de médicaments symptomatiques. Le médecin a ensuite déterminé si les effets indésirables pouvaient être attribués à la prise du médicament. Nous ignorons toutefois le degré d’objectivité de cette phase de l’étude. L’épisode de rhume est clairement défini sur la base de l’estimation subjective du patient (au moins 3 jours d’écoulement nasal) et du score global de sévérité (0 = absence à 3 = sévère) de 8 symptômes (céphalées, frissons, éternuements, nez bouché, écoulement nasal, mal de gorge, toux et mal-être) pendant 6 jours. Pour l’évaluation de la sécurité, les auteurs ont utilisé une analyse par protocole (au moins un contact avec le patient après l’inclusion). Pour l’efficacité préventive des rhumes, ils auraient utilisé une analyse en intention de traiter. Les auteurs ont testé la robustesse des résultats en effectuant une analyse également pour une sous-population qui avait parfaitement respecté le traitement, mais qui était toutefois trop limitée pour être statistiquement fiable.

 

Mise en perspective des résultats

La non-infériorité de l’Echinacea par rapport au placebo a été montrée en ce qui concerne les effets indésirables liés au médicament. Comme le rhume guérit spontanément, les chercheurs ont en effet opté pour la sécurité comme critère de jugement principal dans la comparaison entre l’Echinacea et le placebo. Le nombre de jours de maladie liés à un rhume était significativement plus faible dans le groupe Echinacea que dans le groupe placebo. Il est cependant difficile d’estimer si cette différence est également pertinente sur le plan clinique. En effet, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes quant au nombre d’épisodes de rhume. Les patients dans le groupe Echinacea ont par ailleurs recouru significativement moins à des médicaments symptomatiques (aspirine, paracétamol ou ibuprofène). Nous ne savons pas si la puissance de l’étude était suffisante pour montrer une différence pour le nombre d’épisodes de rhume d’une part, et d’autre part, il faut également souligner que le nombre de sorties de l’étude était plus faible que prévu. Les critères de non-inclusion étaient très nombreux, ce qui fait que les patients sont peu représentatifs de la population moyenne des cabinets de médecine générale et des pharmacies de première ligne. L’interprétation des résultats est encore plus difficile du fait qu’il était permis de prendre un traitement à visée thérapeutique en cas de rhume pendant le traitement à visée prophylactique. Une récente synthèse de la Cochrane n’a trouvé que 3 études évaluant l’Echinacea en prévention du rhume, versus placebo. Aucune étude n’a montré une différence quant au nombre de patients présentant un ou plusieurs épisodes de rhume (2). La revue Minerva a précédemment commenté une étude montrant une efficacité préventive contre les infections des voies respiratoires, mais il s’agissait d’une population spécifique d’étudiants recevant une préparation d’un mélange de différentes espèces d’échinacées (3). L’étude menée par Jawad et coll est toutefois la plus vaste étude préventive randomisée contrôlée par placebo portant sur la teinture mère d’Echinacea purpurea. En raison de la composition particulière de cette teinture mère, comportant surtout les parties supérieures de la plante, il est toutefois difficile de comparer les résultats de cette étude avec ceux de précédentes études. L’importance de la composition est illustrée dans une étude récente qui a montré qu’une composition à base des parties supérieures (comme dans l’étude de Jawad) avait plus d’effet sur les symptômes du rhume qu’une composition à base de racines (4). Pour ce qui est de l’efficacité dans le traitement du rhume, les résultats des différentes études de la synthèse méthodique précitée (N = 19) sont contradictoires (2). C’est peut-être la conséquence d’une différence dans la composition des préparations utilisées. La revue Minerva a commenté l’une des études incluses dans cette synthèse, en concluant que des adultes jeunes en bonne santé qui commencent un rhume ne tirent aucun bénéfice de la prise de gélules d’une préparation sèche de la plante (5).

 

Conclusion de Minerva

Dans cette étude randomisée en double aveugle, correctement menée d’un point de vue méthodologique, la prise quotidienne, durant 4 mois, d’une préparation spécifique à concentration d’alcool élevée (teinture mère) d’Echinacea purpurea pour la prévention du rhume dans une population d’adultes en bonne santé se montre sans danger. Les résultats sont toutefois inconstants en termes de prévention. Une diminution significative du nombre de jours de maladie liés au rhume et du recours à des médicaments symptomatiques est observée mais non du nombre d’épisodes de rhume.

 

Pour la pratique

La prise d’Echinacea purpurea n’est pas recommandée dans les guides de bonne pratique, ni pour le traitement ni pour la prévention du rhume (6,7). La teinture mère d’Echinacea purpurea est un médicament que l’on ne peut se procurer qu’en pharmacie. Elle est contre-indiquée chez les patients atopiques (8). Comme mesures préventives de rhume, NICE-CKS (7) recommande en premier lieu les mesures d’hygiène : se laver les mains à l’eau chaude et au savon, s’essuyer les mains si possible avec une serviette qui n’a pas été utilisée par quelqu’un d’autre, laver les jouets des enfants à l’eau savonneuse.

 

 

Références

  1. European Medicines Agency: Community Herbal monograph on Echinacea purpurea (L.) Moench Herba recens: http://www.ema.europa.eu/docs/en_GB/document_library/Herbal_-_Community_herbal_monograph/2009/12/WC500018263.pdf (consulté le 4/09/2013).
  2. Linde K, Barrett B, Wölkart K, et al. Echinacea for preventing and treating the common cold. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 1.
  3. Laekeman G. La phytothérapie peut-elle protéger les jeunes enfants des infections des voies respiratoires ? MinervaF 2005;4(2):26-8.
  4. Brinkeborn RM, Shah DV, Degenring FH. Echinaforce and other Echinacea fresh plant preparations in the treatment of the common cold. A randomized, placebo-controlled, double-blind clinical trial. Phytomedicine 1999;6:1-6.
  5. De Sutter A. L'echinacea en cas de refroidissement. MinervaF 2003;2(10):66-7.
  6. Infections des voies respiratoires supérieures chez l'adulte. Duodecim Medical Publications Ltd 2009 [consulté le bezocht op 8/11/2013]; URL : https://www.ebmpracticenet.be//nl/Paginas/default.aspx?ebmid=ebm00006&sn=38df8045-613d-4b16-a4ed-683e9d22b5f0/b731ed07-beb0-4670-927d-c7d95a06163b
  7. CKS-NICE. Common cold. Last revised in November 2011.
  8. Mullins RJ, Heddle R. Adverse reactions associated with Echinacea: the Australian experience. Ann Allergy Asthma Immunol 2002;88:42-51.
Moins de rhumes en prenant de l’Echinacea purpurea ?

Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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