Revue d'Evidence-Based Medicine



Une faible dose de colchicine en prévention cardiovasculaire secondaire ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 10 Page 119 - 120

Professions de santé


Analyse de
Nidorf SM, Eikelboom JW, Budgeon CA. Low-dose colchicine for secondary prevention of cardiovascular disease. J Am Coll Cardiol 2013;61:404-10.


Question clinique
La colchicine à faible dose réduit-elle le risque de survenue d’évènements cardiovasculaires chez les patients atteints de coronaropathie documentée par une angiographie ?


Conclusion
Cette RCT menée en ouvert dans un groupe restreint de patients sélectionnés présentant une coronaropathie documentée à l’angiographie montre que la colchicine administrée comme traitement complémentaire à une statine, à un antiagrégant plaquettaire et à un antihypertenseur diminue le risque d’évènements cardiovasculaires. Les résultats impressionnants de cette étude demandent à être confirmés dans une RCT incluant un nombre de patients plus important et avec une évaluation correcte des critères de jugement forts (notamment la mortalité globale) et des effets indésirables à long terme.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

 

Contexte

Le risque de (nouveaux) évènements cardiovasculaires chez les patients atteints de coronaropathie reste élevé malgré un traitement recommandé par acide acétylsalicylique, statines et antihypertenseurs (1). Il est admis que la cause en est une rupture d’une plaque athéromateuse sur infiltration de neutrophiles (2). Par ailleurs, la recherche fondamentale a montré que la colchicine inhibe l’action des neutrophiles (3), ce qui expliquerait l’effet favorable observé dans les crises de goutte. Nous ne disposions pas de preuve montrant que l’action anti-inflammatoire de la colchicine entraîne également une diminution du nombre d’évènements cardiovasculaires.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • critères d’inclusion : coronaropathie documentée par une angiographie, âge de 35 à 85 ans, patient cliniquement stable depuis au moins 6 mois, sans comorbidité importante, sans contre-indication à la prise de colchicine, disposé à prendre le médicament et à se soumettre régulièrement à un suivi cardiologique ; les patients avec pontage aorto-coronarien sont inclus si l’intervention date d’au moins 10 ans avec une preuve angiographique de l’échec du pontage aorto-coronarien ou si une angioplastie coronaire transluminale percutanée a été effectuée
  • inclusion de 532 patients âgés en moyenne de 67 ans (ET 9) , dont 89 % d’hommes ; 1 sur 4 avec antécédent d’infarctus du myocarde ou d’angor instable ; 70 à 80 % avec un pontage aorto-coronarien ou une angioplastie coronaire transluminale percutanée ; > 90 % avec aspirine et/ou clopidogrel ; > 90 % sous statine à dose élevée ; 2 sur 3 sous bêtabloquant, et 55 à 60 % sous inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

Protocole d’étude

  • étude contrôlée randomisée (RCT) menée en ouvert avec évaluation en insu
  • deux groupes : prescription de colchicine 0,5 mg par jour (n = 282) versus absence de prescription de colchicine (n = 250)
  • suivi de 24 à 44 mois ; médiane de 36 mois.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : critère de jugement composite combinant syndrome coronarien aigu (infarctus du myocarde aigu documenté par la biologie ou angor instable confirmé à l’angiographie), arrêt cardiaque (fatal ou non) et AVC ischémique confirmé par tomodensitométrie ou MRI et non lié à une fibrillation auriculaire
  • critères de jugement secondaires : les différentes composantes du critère de jugement primaire et les différentes composantes du syndrome coronarien aigu
  • analyse en intention de traiter (ITT).

 

Résultats

  • aucune sortie d’observation ; 7 patients n’ont finalement pas commencé la colchicine ; 32 patients ont arrêté la colchicine dans le premier mois en raison d’effets indésirables gastro-intestinaux ; après 2,36 années en moyenne, 30 patients ont arrêté la colchicine, soit volontairement (n = 7), soit à cause d’une maladie intercurrente (n = 11) soit en raison d’effets indésirables de la colchicine (n = 14)
  • critère de jugement primaire : critère de jugement composite : 15 des 282 patients (5,3 %) du groupe colchicine contre 40 des 250 patients (16,0 %) du groupe témoin : rapport de hasards (HR) de 0,33 avec IC à 95 % de 0,18 à 0,59 et p < 0,001 , soit un NST de11
  • critères de jugement secondaires :
    • diminution significative du syndrome coronarien aigu (13 des 282 patients (4,6 %) du groupe colchicine contre 34 des 250 patients (13,4 %) du groupe témoin (HR de 0,33 avec IC à 95 % de 0,18 à 0,63 et p < 0,001)) ; pas de diminution significative des arrêts cardiaques et des AVC ischémiques
    • 0diminution significative du syndrome coronarien aigu non lié à un stent, de l’infarctus du myocarde aigu et de l’angor instable mais pas du syndrome coronarien aigu lié à un stent.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la colchicine à raison de 0,5 mg/jour s’avère efficace comme traitement complémentaire aux statines et aux autres traitements préventifs secondaires de référence pour prévenir les évènements cardiovasculaires chez les patients présentant une coronaropathie stable.

Financement 

Heart Research Institute of Western Australia; pas de financement externe

 

Conflits d’intérêt 

Un auteur a reçu des honoraires de différentes firmes pharmaceutiques; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt pertinent en rapport avec cette publication. 

  

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de cette RCT en ouvert a été correctement décrite. Ainsi, l’attribution des patients dans le groupe intervention et dans le groupe témoin a été effectuée en aveugle. La répartition pratiquement égale des caractéristiques de base entre les deux groupes prouve que le secret d’attribution a été correctement préservé. L’évaluation des résultats pour les critères de jugement a également été effectuée en aveugle par des personnes expertes en la matière. Toutefois, le risque de biais d’information demeure puisque l’étude a été menée en ouvert. La puissance a été correctement calculée avant le début de l’étude. Pour atteindre le nombre de patients requis, le protocole autorisait le remplacement des patients qui arrêtaient prématurément la colchicine dans le mois suivant la randomisation. Les patients remplacés ont également été suivis, et ils ont aussi été inclus dans l’analyse en intention de traiter. Il n’y a pas eu de sorties d’observation. Les chercheurs ont choisi des critères de jugement pertinents d’un point de vue clinique, mais ils n’ont pas utilisé le critère de jugement composite classique combinant mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde aigu et AVC, critère composite retrouvé dans la plupart des grandes études dans le domaine cardiovasculaire. Il est donc difficile de comparer les résultats. Il est également dommage que l’inclusion ait eu lieu non pas en fonction du diagnostic clinique mais en fonction de critères angiographiques (plaques à la coronarographie). Ceci pourrait expliquer pourquoi, dans le groupe témoin, une morbidité ou une mortalité élevée (moins de 3 %) n’a pas été observée même si la plupart des patients avaient d’importants antécédents de coronaropathie. Le faible taux de morbidité et de mortalité dans le groupe témoin peut aussi s’expliquer par le fait que la plupart des patients étaient déjà traités conformément aux recommandations actuelles.

 

Interprétation des résultats

Bien que la recherche fondamentale suggère que la colchicine ait un effet favorable sur la stabilité des plaques athérothrombotiques (2,3), aucun bénéfice n’a été observé à l’angiographie dans une précédente étude clinique dans laquelle la colchicine était administrée après l’angioplastie (sans stent) (4). Les résultats de cette étude sont donc d’autant plus impressionnants : arriver, sus à un traitement préventif maximal (statine + antiagrégant plaquettaire + bêtabloquant), à obtenir encore un gain relatif de 67 % dans la prévention des évènements cardiovasculaires, avec un NST de 11 sur 3 ans, est important. Le gain est, par exemple, plus important qu’avec les statines dans l’étude scandinave (étude historique 4S) (5) avec un NST de 11 pour les évènements coronariens, mais dans ce cas sur 5 ans. Au total, 10 patients du groupe témoin et 4 patients du groupe colchicine sont décédés, les décès cardiovasculaires étant respectivement de 5 et de 0. La tendance est nette, mais le nombre d’évènements est probablement trop restreint pour atteindre une signification statistique. Les résultats de cette étude demandent donc à être confirmés dans une RCT versus placebo, menée en double aveugle avec un nombre plus important de patients présentant un risque cardiovasculaire élevé et suivis pendant une longue période, le critère de jugement primaire étant un critère de jugement composite classique combinant décès cardiovasculaire + infarctus du myocarde + AVC.

 

Effets indésirables

Dans le groupe colchicine, 11 % des participants ont arrêté la colchicine dans le mois qui a suivi le début de l’étude en raison d’une intolérance gastro-intestinale. Ensuite, 5 % ont encore arrêté la colchicine en raison d’effets indésirables liés au médicament. Nous ne savons pas si les effets indésirables ont été dépistés de manière systématique. La colchicine est toxique en cas d’accumulation et elle ne sera donc pas prescrite chez des patients avec insuffisance rénale et chez des personnes très âgées (6). Par ailleurs, le risque accru de myalgie et de rhabdomyolyse en cas d’association de colchicine avec une statine (6,7) nécessite une surveillance.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT menée en ouvert dans un groupe restreint de patients sélectionnés présentant une coronaropathie documentée à l’angiographie montre que la colchicine administrée comme traitement complémentaire à une statine, à un antiagrégant plaquettaire et à un antihypertenseur diminue le risque d’évènements cardiovasculaires. Les résultats impressionnants de cette étude demandent à être confirmés dans une RCT incluant un nombre de patients plus important et avec une évaluation correcte des critères de jugement forts (notamment la mortalité globale) et des effets indésirables à long terme.

 

Pour la pratique

Pour les patients avec antécédents d’évènement coronaire qui présentent un risque cardiovasculaire accru , la RBP belge (1) recommande le traitement médicamenteux suivant : aspirine 75 mg à 150 mg par jour (sauf contre-indication) (niveau de preuve 1) et statine (niveau de preuve 1), avec une PA cible < 140/90 mmHg (niveau de preuve 1) (première étape : diurétique thiazidique (chlortalidone 25 mg) ; deuxième étape : inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, bêtabloquant (autre que l’aténolol) ou antagoniste du calcium ou un de ceux-ci en association avec le diurétique thiazidique). Quant aux patients ayant fait un infarctus du myocarde, il vaut mieux qu’ils reçoivent un bêtabloquant (métoprolol 200 mg, propranolol 160 mg ou timolol 20 mg) et éventuellement un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (périndopril 8 mg ou ramipril 10 mg). Peut-être la colchicine à faible dose sera-t-elle, à l’avenir, ajoutée à cette liste de médicaments. Les résultats de cette RCT en ouvert sont impressionnants, mais demandent confirmation avant que nous n’exposions de manière chronique les patients à un traitement dont on ne connaît encore qu’insuffisamment les effets indésirables à long terme.

 

 

Références

  1. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Huisarts Nu 2007;36:339-69.
  2. Naruko T, Ueda M, Haze K, et al. Neutrophil infiltration of culprit lesions in acute coronary syndromes. Circulation 2002;106:2894-900.
  3. Ben Chetrit E, Levy M. Colchicine: 1998 update. Semin Arthritis Rheum 1998;28:48-59.
  4. O’Keefe JH, McCallister BD, Bateman TM, et al. Ineffectiveness of colchicine for the prevention of restenosis after coronary angioplasty. J Am Coll Cardiol 1992;19:1597-600.
  5. Scandinavian Simvastatin Survival Study Group. Randomized trial of cholesterol lowering in 4444 patients with coronary heart disease: the Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Lancet 1994;344:1383-9.
  6. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique. Répertoire Commenté des Médicaments 2013, p 259.
  7. Alayli G, Cengiz K, Canturk F, et al. Acute myopathy in a patient with concomitant use of pravastatin and colchicine. Ann Pharmacother 2005;39:1358-61.
Une faible dose de colchicine en <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="prévention" data-content="Trois niveaux de prévention peuvent être distingués. La prévention primaire englobe toutes les interventions ou activités visant à la prévention d’une maladie. Ces interventions visent les facteurs étiologiques de la maladie, par exemple l’arrêt du tabac pour éviter le cancer du poumon ou la vaccination pour prévenir des maladies infectieuses. La prévention secondaire vise à influencer favorablement l’évolution d’une maladie par un diagnostic précoce, par exemple par un dépistage de l’hypertension ou par une recherche de cas de diabète sucré. La prévention tertiaire vise à améliorer la santé des personnes souffrant d’une maladie (chronique) en accélérant la guérison ou en évitant des complications. L’administration d’acide acétylsalicylique après un accident vasculaire cérébral ou le contrôle de la glycémie ainsi que l’éducation de la personne diabétique sont des exemples de prévention tertiaire.">prévention</a></strong> cardiovasculaire secondaire ?

Auteurs

Christiaens T.
Klinische Farmacologie, Vakgroep Farmacologie, UGentVakgroep Fundamentele en Toegepaste Medische Wetenschappen, UGent
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires