Revue d'Evidence-Based Medicine



Aspirine en prévention de la pré-éclampsie ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 9 Page 110 - 111

Professions de santé


Analyse de
Villa PM, Kajantie E, Raïkkönen K, et al. Aspirin in the prevention of pre-eclampsia in high-risk women: a randomised placebo-controlled PREDO Trial and a meta-analysis of randomised trials. BJOG 2012;120:64-74.


Question clinique
Quelle est l’efficacité, chez des femmes enceintes à haut risque et présentant des anomalies des artères utérines à l’écho-doppler, de l’administration d’aspirine débutée entre le 84 et le 97ème jour d’aménorrhée en termes de diminution du risque de pré-éclampsie ?


Conclusion
Cette étude de trop faible puissance ne permet pas de confirmer l’efficacité de l’administration d’aspirine dans la prévention de la pré-éclampsie chez des femmes à risque de pré-eclampsie et présentant des anomalies vélocimétriques au doppler des artères utérines.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Contexte 

La pré-éclampsie reste une pathologie importante en obstétrique. Elle se définit par une hypertension nouvelle associée à une protéinurie après 20 semaines d’aménorrhée. Elle affecte entre 3 % et 5 % des grossesses et est grevée d’une importante morbi-mortalité pour la mère et le fœtus. La pré-éclampsie et ses complications sont responsables de 63 000 décès maternels, chaque année, dans le monde. Dans des hôpitaux bruxellois, la pré-éclampsie sévère représentait 5/1000 accouchements en 2005 (1).

Une méta-analyse sur données individuelles incluant 27 études (2) conclut à une efficacité de l’administration d’aspirine, mais trop modeste pour en recommander la prescription systématique. Une administration précoce chez des femmes à haut risque a été peu étudiée et les résultats sont non concordants. Une nouvelle RCT était donc la bienvenue.

 

Résumé

Population étudiée

  • 152 femmes ont été randomisées parmi les 947 femmes enceintes identifiées à risque de pré-éclampsie recrutées entre 2005 et 2009 dans 10 cliniques de maternités hospitalières en Finlande ; l’inclusion des femmes s’est faite sur base de la présence d’un catacrotisme de second degré au doppler (transvaginal) des artères utérines entre le début de la 12ème et la fin de 13ème semaine d’aménorrhée, lors de leur échographie du premier trimestre
  • critères de risque de pré-éclampsie présents dans le groupe de femmes incluses (% des plus représentés) : âge (moins de 20 ans ou plus de 40 ans), obésité (43 %), hypertension artérielle chronique (≥140/90 mmHg,17 %), syndrome de Sjörgen, antécédents de diabète de grossesse (12 %), de pré-éclampsie (31 %), de bébé trop petit pour l’âge (12 %) ou de mort fœtale
  • critères d’exclusion : allergie à l’aspirine, tabagisme actif, grossesse multiple, antécédent d’asthme, d’ulcère peptique, d’ablation placentaire, de pathologie inflammatoire intestinale, d’arthrite rhumatoïde, d’hémophilie ou de thrombophilie.

 

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée, multicentrique
  • intervention : soit 100 mg/jour d’aspirine (n = 61), soit un placebo (n = 60) jusqu’à la 35ème semaine d’aménorrhée
  • les femmes ne présentant pas de catacrotisme du second degré (n = 795) sont également suivies avec (n = 208) ou sans (n = 587) les mêmes examens de contrôle que celles qui sont incluses, soit un doppler, une biologie et échantillon d’urine à 18-20 et 26-28 semaines, une biologie au terme (mère, père et cordon ombilical) et les issues de l’étude à la naissance en termes de durée de gestation et de poids de naissance
  • un groupe de 117 femmes sans risque de pré-éclampsie constitue le groupe contrôle
  • addition d’une méta-analyse sommant les résultats de cette étude avec ceux des RCTs (deux) incluant des femmes avec des anomalies vélocimétriques des artères utérines (n = 346).

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires :
    • pré-éclampsie (pression artérielle > 140 et/ou 90 mmHg lors de deux mesures consécutives et protéinurie > 0,3 gr/ 24 heures).
    • hypertension gravidique (hypertension nouvelle, après 20 semaines de grossesse)
    • poids de naissance moyen (ET) calculé suivant les normes finlandaises
  • critères secondaires : pré-éclampsie avant la semaine 34, pré-éclampsie sévère (PAS ≥ 160 et/ou PAD ≥ 110 mmHg et/ou protéinurie ≥ 5 g/24 h), pré-éclampsie pré-terme (> 37 sem), petit poids pour l’âge gestationnel, durée de la grossesse
  • analyse par protocole et en intention de traiter.

Résultats

  • 31 femmes (20 %) sont exclues de l’analyse (non observance du traitement, raison médicale ou autre)
  • critères primaires : aucune différence statistiquement significative pour les trois critères retenus
  • critères secondaires : aucune différence statistiquement significative
  • méta-analyse : sous aspirine versus placebo, diminution significative du risque de pré-éclampsie (RR de 0,6 avec IC à 95 % de 0,37 à 0,83) et du risque de pré-éclampsie sévère (RR de 0,3 avec IC à 95 % de 0,11 à 0,69).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur étude d’intervention ne montre pas d’efficacité statistiquement significative de l’aspirine pour prévenir la pré-éclampsie chez des femmes à haut risque. Leur méta-analyse suggère cependant que l’aspirine peut réduire l’incidence de pré-éclampsie.

Financement de l’étude 

Académie de Finlande, Clinical Graduate School in Paediatrics and Obstetrics/Gynaecology, Université d’Helsinki, Finnish Medical Society Duodecim Government Special Subsidy for Health Sciences at Helsinki and Uusimaa Hospital District et différentes fondations privées.

 

Conflits d’intérêt 

Déclaration d’absence de conflit.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Il s’agit d’une étude randomisée et contrôlée dont une première limite est le nombre faible de patientes incluses. Les auteurs écrivent avoir prévu d’inclure au moins 80 femmes par bras pour une puissance de 80 % (ce qui est déjà faible) mais ils n’ont atteint avec leur 60 et 61 inclusions qu’une puissance de 62 %. Dans leur protocole initial enregistré, ils prévoyaient un échantillon de 1 000 participantes.

Il existe des différences dans les caractéristiques initiales des 2 bras d’étude (HTA, diabète de grossesse), différences inévitables au vu du nombre élevé de critères de risque de pré-éclampsie en regard du faible nombre de participantes. Ces différences ont pu jouer un rôle dans l’efficacité plus ou moins grande de l’aspirine.

Dans leur protocole enregistré, les auteurs mentionnaient 43 critères primaires ! Parmi les 3 pour lesquels ils rapportent des résultats, un seul était mentionné dans le protocole enregistré.

Interprétation des résultats

Cette étude inclut des femmes avec facteurs de risques de pré-éclampsie ; il s’agit donc d’une population à risque. Ce risque est-il encore plus élevé en présence d’une anomalie vélocimétrique au Doppler, critère d’inclusion dans cette étude ? Nous pouvons nous poser la question de la validité de ce critère pour estimer le risque de pré-éclampsie, et en particulier celui de sa sensibilité pour déterminer l’ensemble du groupe à risque et de sa spécificité si tôt dans la grossesse. L’OMS (3) recommande de traiter les femmes à haut risque avant 20 semaines d’aménorrhée (force de la recommandation : faible), or de façon physiologique, il peut exister au début de grossesse une encoche ou incisure protodiastolique liée à la persistance de l’élasticité de la paroi des vaisseaux avec reflux sanguin diastolique, catacrotisme qui disparaît ensuite en cours de grossesse. L’intérêt de ce critère vélocimétrique pour la prédiction de la pré-eclampsie est remis en cause (4).

Les résultats de l’étude ne montrent pas d’effet statistiquement significatif de l’aspirine dans la prévention de la pré-éclampsie quelle qu’en soit la sévérité. Toutefois, la méta-analyse réalisée par les auteurs et incluant les résultats de leur étude montre une réduction significative du risque relatif de survenue d’une pré-éclampsie chez des femmes ayant un doppler des artères utérines pathologique et traitées par de l’aspirine.

Dans la méta-analyse réalisée par les auteurs, sont incluses deux études dans lesquelles l’aspirine est commencée au plus tard à 16 semaines d’aménorrhée, chez des femmes pour qui le doppler des artères utérines avait aussi montré une (probable) augmentation du risque. Les auteurs ne mentionnent pas avoir évalué la qualité méthodologique de ces 2 études. Le poids de cette méta-analyse reste ainsi faible en regard d’autres études plus large publiées.

Autres études

Une méta-analyse de la Cochrane Collaboration (5) avait été mise à jour en 2007 (après le début de l’étude analysée ici). Elle incluait 59 RCTs (37 560 femmes) et portait sur l’efficacité des antiagrégants plaquettaires dans la prévention de la pré-éclampsie et de ses complications. Elle montrait une efficacité modeste mais statistiquement significative (RR 0,83 ; CI à 95 % de 0,77 à 0,89), des antiagrégants plaquettaires pour prévenir la pré-éclampsie quel que soit le risque initial. Le nombre de femmes à traiter étant moindre dans des groupes à risque élevé (NST = 19 ; IC à 95 % de 13 à 34) par rapport au groupe de risque modéré (NST = 119, IC à 95 % de 73 à 333). La détermination du risque était toutefois différente dans cette méta-analyse, sans preuve de la validité d’une telle classification. Les femmes considérées à haut risque présentaient des antécédents de pré-éclampsie sévère, de diabète, d’hypertension chronique, de maladie rénale, et de maladie auto-immune ; les femmes avec un doppler des artères utérines anormal étant considérées comme à risque modéré.

Les auteurs insistaient sur la nécessité de mieux évaluer pour quelles femmes ce traitement pourrait être le plus efficace, quand il fallait l’initier, et à quelle dose précise.

Une autre méta-analyse (Askie 2007), sur données individuelles, a tenté de déterminer des critères de plus grande efficacité de l’aspirine dans des sous-groupes précis (diabète, HTA, précédents petits enfants pour l’âge gestationnel, âge de la mère). Aucune caractéristique ne permet d’envisager un bénéfice plus important (RR global de 0,90 avec IC à 95 % de 0,84 à 0,97 pour la prévention de la pré-eclampsie).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de trop faible puissance ne permet pas de confirmer l’efficacité de l’administration d’aspirine dans la prévention de la pré-éclampsie chez des femmes à risque de pré-eclampsie et présentant des anomalies vélocimétriques au doppler des artères utérines.

 

Pour la pratique

L’OMS (3) recommande de prescrire 75 mg d’aspirine chez les femmes à haut risque de pré-éclampsie, intérêt montré dans plusieurs méta-analyses, sans cependant déterminer de sous-groupes de femmes (selon les critères de risque de pré-éclampsie) qui pourraient en retirer le plus grand bénéfice. Cette étude, de trop faible puissance, ne remet pas ces recommandations en cause et ne permet pas de les préciser.

 

Références

  1. Haelterman E. Une nouvelle approche des déterminants de prééclampsie sévère. Hospitals.be 2005;3:26-34.
  2. Askie LM, Duley L, Henderson-Smart DJ, Stewart LA; PARIS Collaborative Group. Antiplatelet agents for prevention of pre-eclampsia: a meta-analysis of individual patient data. Lancet 2007;369:1791-8.
  3. OMS. Prévention et traitement de la prééclampsie et de l’éclampsie, WHO/RHR/11.30 2011,
  4. Myatt L, Clifton RG, Roberts JM, et al. The utility of uterine artery Doppler velocimetry in prediction of preeclampsia in a low-risk population. Obstet Gynecol 2012;120:815-22.
  5. Duley L, Henderson-Smart DJ, Meher S, King JF. Antiplatelet agents for preventing pre-eclampsia and its complications. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 2.
Aspirine en prévention de la pré-éclampsie ?

Auteurs

Dumontier E.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

Leconte S.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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