Revue d'Evidence-Based Medicine



Le magnésium contre les crampes



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 8 Page 97 - 98

Professions de santé


Analyse de
Garrison SR, Allan GM, Sekhon RK, et al. Magnesium for skeletal muscle cramps. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9.


Question clinique
Chez les personnes présentant des crampes, quelle est l’efficacité de suppléments de magnésium versus absence de traitement, placebo ou autre traitement ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique, avec méta-analyse d’un nombre limité d’études, n’a pas permis de montrer une efficacité de l’utilisation prophylactique des sels de magnésium dans les crampes idiopathiques. Les faits probants concernant un effet favorable des sels de magnésium ne sont pas suffisants et sont contradictoires chez les femmes enceintes, et ils sont absents chez les sportifs.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Une crampe musculaire est une contraction musculaire soudaine, involontaire, douloureuse et palpable qui dure de quelques secondes à plusieurs minutes (1-3). Elle ne doit pas être confondue avec le syndrome des jambes sans repos. Dans la sclérose latérale amyotrophique (SLA) et autres maladies du motoneurone, les crampes s’expliquent par une dysfonction du motoneurone périphérique et de son axone. Les crampes peuvent aussi être provoquées par des troubles électrolytiques (hyponatrémie), une déshydratation et un œdème des membres inférieurs ou encore par des médicaments comme les diurétiques (1,2). Généralement, les crampes ne relèvent pas d’une pathologie. Chez la personne âgée et chez la femme enceinte, les crampes surviennent principalement au repos (la nuit) dans les jambes, et, chez les sportifs, après un effort musculaire intense (1,2). Des suppléments de magnésium sont fréquemment prescrits pour les crampes, mais, à ce jour, aucune évaluation systématique portant sur leur efficacité n’a encore été menée.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyses

Sources consultées

  • Cochrane Neuromuscular Disease Group Specialized Register, Cochrane Central Register of Controlled Trials, MEDLINE, EMBASE, LILACS, CINAHL Plus, AMED, SPORTDiscus jusque septembre-octobre 2011
  • les références dans les études trouvées
  • des études non publiées suite au contact avec les auteurs, les firmes pharmaceutiques et la FDA et par le biais de l’International Clinical Trials Registry Platform.

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : RCTs comparant les sels de magnésium (administrés par voie orale ou par voie parentérale) avec un placebo, l’absence de traitement ou un autre traitement chez des personnes de tout âge souffrant de crampes, quelle que soit l’affection sous-jacente
  • critères d’exclusion : magnésium en association avec d’autres minéraux ou d’autres substances actives
  • inclusion finale de 7 RCTs dont 2 études en permutation (n = 118) ; 40 à 84 participants par étude ; comparaison avec un placebo dans 6 études et avec une absence de traitement dans 1 étude ; 1 étude portant sur l’administration de magnésium par voie intraveineuse.
  • Population étudiée
  • 406 personnes, la plupart étant recrutées dans des services de première ligne ou dans des services de maternité : 3 études chez des femmes enceintes (n = 202) et 4 études chez des personnes âgées (âge moyen : 65 ans ; 63 % de sexe féminin) présentant des crampes idiopathiques (nocturnes) (n = 204).

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : différence quant à la diminution procentuelle du nombre de crampes par semaine après quatre semaines par rapport au début de l’étude
  • critères de jugement secondaires :
    • différence quant à la diminution procentuelle du nombre de crampes par semaine après douze semaines par rapport au début de l’étude
    • différence quant au pourcentage de participants chez qui la diminution du nombre de crampes par semaine est d’au moins 25 % après 4 et 12 semaines
    • différence quant au nombre de crampes par semaine après 4 et 12 semaines
    • intensité des crampes (douleur) sur une échelle à 3 points (1 = légère à 3 = importante) après 4 et 12 semaines
    • durée des crampes sur une échelle à 3 points (1 = moins d’une minute à 3 = plus de cinq minutes) après quatre et douze semaines
    • sorties d’étude en raison d’effets indésirables
    • nombre de participants qui présentent des effets indésirables mineurs (tels que de la diarrhée) et de ceux qui présentent des effets indésirables majeurs (tels que décès, hospitalisation, nécessité d’un traitement médical).

Résultats

  • critère primaire : pas de différence entre les 2 groupes ; pas de différence pour le pourcentage de participants chez qui la diminution du nombre de crampes par semaine est d’au moins 25 % par rapport au début de l’étude, tant après quatre semaines (N = 2 ; n = 83) qu’après douze semaines (N = 1 ; n = 43) ; pas de différence quant au nombre de crampes par semaine après quatre semaines (N = 4) et après douze semaines (N = 1) ; pas de différence quant à l’intensité et la durée des crampes après 4 et 12 semaines
  • pour les crampes de la femme enceinte : méta-analyse impossible ; dans une seule étude, pas de différence entre la prise de magnésium et l’absence de traitement quant à l’amélioration des crampes sur une échelle à 3 points ; dans 1 des 2 études comparant l’administration de magnésium à un placebo, diminution du nombre et de l’intensité des crampes sur base des évaluations subjectives effectuées par les participantes
  • nombre de sorties d’étude : aucune différence entre magnésium et placebo
  • pas de différence magnésium versus placebo pour les effets indésirables mineurs et le nombre de participants avec effets indésirables majeurs.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il est improbable que les suppléments de magnésium aient un effet prophylactique cliniquement pertinent sur les crampes idiopathiques chez la personne âgée. Dans le cas des crampes chez la femme enceinte, les résultats sont contradictoires, et une recherche plus approfondie reste donc nécessaire. Aucune RCT évaluant le magnésium administré en cas de crampes provoquées par une activité sportive ou dues à une affection neurologique (comme la SLA ou les autres maladies du motoneurone) n’a été identifiée.

Financement 

Canadian Institutes of Health Research - Doctoral Research Award in the Area of Research on Aging, Canada

Conflits d’intérêt 

2 auteurs de cette synthèse Cochrane sont également les auteurs d’une étude contrôlée randomisée qui a été incluse.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique a été menée conformément aux règles strictes de la Collaboration Cochrane. Deux auteurs ont, indépendamment l’un de l’autre, sélectionné les études, évalué le risque de biais (évaluation de la qualité méthodologique) et extrait des données. Il n’a pas été possible d’obtenir un funnel plot car le nombre d’études incluses était trop faible. Les auteurs ont exploré plusieurs autres sources pour retrouver des études non publiées. Ils ont également essayé de contacter tous les auteurs des études incluses et ont ainsi obtenu les données des patients individuels pour 3 études. Sur le plan méthodologique, les études étaient de qualité inégale. Certaines études n’ont pas suffisamment rendu compte de la méthode de randomisation et d’insu ou bien n’ont donné que les résultats favorables. La description du placebo utilisé est généralement incomplète. Il faut également souligner que le nombre de participants était faible dans toutes les études (n = 43 à 84). La synthèse méthodique ne comportait pas de critère d’inclusion concernant un nombre minimum de patients par bras d’étude. Enfin, les critères de jugement utilisés étaient fort variés et subjectifs, et ce certainement dans les études portant sur les crampes de la femme enceinte ; la comparaison et la sommation ne sont donc pas possibles.

Interprétation des résultats

Malgré de larges critères d’inclusion, cette synthèse méthodique révèle qu’il y a bien peu d’études valides évaluant l’efficacité du magnésium en cas de crampes musculaires. Ce n’est que pour les crampes de la femme enceinte et seulement dans une seule étude qu’un effet statistiquement significatif du magnésium a été observé comparativement à un placebo. Ce résultat n’était toutefois pas pertinent sur le plan clinique. Il est peu probable que des études futures ayant une puissance plus importante montrent un résultat cliniquement pertinent dans cette population. Il est intéressant de relever combien l’effet placebo a été important dans toutes ces études, la proportion de participants chez qui les crampes ont diminué de 25 % après quatre semaines pouvant atteindre 66 %. L’effet placebo important s’explique peut-être par le fait que le placebo utilisé n’était pas inerte. La composition du placebo n’est pas toujours clairement décrite, mais il se peut qu’il contienne une substance potentiellement active, comme du bicarbonate de sodium ou du dextrose. De ce fait, la différence avec les sels de magnésium s’estompe. L’effet placebo permet peut-être aussi d’expliquer pourquoi, dans la pratique clinique, nous nous faisons l’idée que les suppléments de magnésium prescrits ont une efficacité (4).

Étant donné l’hétérogénéité clinique importante entre les différentes études, tant en ce qui concerne les affections sous-jacentes que la nature, le dosage et le mode d’administration des sels de magnésium utilisés, on ignore si ceux-ci pourraient effectivement être utiles pour un sous-groupe restreint. Il faut aussi souligner qu’il n’est pas recommandé de prélever du sang pour un dépistage systématique de la déficience en magnésium (5,6). On n’a d’ailleurs pas montré un lien entre l’apparition des crampes et des troubles électrolytiques (7).

Mentionnons finalement qu’aucun effet indésirable notable n’a été observé. Le nombre de participants est toutefois trop faible, et la période de suivi, trop courte (4 à 12 semaines) pour pouvoir se prononcer valablement dans ce domaine.

Autres études

La quinine est pour le moment le seul médicament dont l’efficacité ait été quelque peu prouvée dans le traitement des crampes idiopathiques, mais il est déconseillé de l’utiliser de manière prolongée à cause de ses effets indésirables potentiellement graves (1,3,8,9). Une synthèse méthodique Cochrane est également arrivée à la conclusion que le niveau de preuve des traitements non pharmacologiques des crampes chez l’adulte est peu élevé (10). Sur la base de la littérature disponible, la conclusion de Clinical Evidence (1) est que l’efficacité des antalgiques, des antiépileptiques, des sels de magnésium, de la vitamine E, des étirements et des bas élastiques n’est pas montrée pour le traitement des crampes. Il n’existe pas davantage de preuves de l’effet des sels de calcium, du chlorure de sodium, des multivitamines et des autres minéraux sur les crampes de la femme enceinte.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de bonne qualité méthodologique, avec méta-analyse d’un nombre limité d’études, n’a pas permis de montrer une efficacité de l’utilisation prophylactique des sels de magnésium dans les crampes idiopathiques. Les faits probants concernant un effet favorable des sels de magnésium ne sont pas suffisants et sont contradictoires chez les femmes enceintes, et ils sont absents chez les sportifs.

 

Pour la pratique

Lorsque les crampes sont provoquées par exemple par des diurétiques ou des laxatifs ou par la déshydratation, il va de soi que le traitement recommandé consiste à en éliminer la cause. Le premier moyen pour lutter contre une crampe, recommandé par l’EBMPracticeNet est l’étirement passif du muscle contracté. Dans les cas graves, l’ajout de sulfate de quinine (niveau de preuve B) et du diazépam ou du méprobamate (niveau de preuve indéterminé accoutumance possible). Pendant les premières semaines du traitement, il faut suivre le patient pour une évaluation de l’efficacité et des effets secondaires (2). NICE recommande dans ses Clinical Knowledge Summaries d’effectuer des étirements musculaires et de veiller à ce que, la nuit, les pieds ne soient pas tendus trop longtemps. Aucune preuve n’est disponible pour ces éléments. L’administration systématique de quinine n’est pas recommandée sauf pour une courte période lorsque la qualité de vie est affectée (3). Aux U.S.A. la prescription de quinine est cependant interdite pour le traitement des crampes musculaires depuis 1995 ; en juillet 2010, la FDA a lancé un nouvel avertissement contre son utilisation en raison d’effets indésirables importants, parfois létaux (troubles du rythme, hématologiques ou de coagulation (8,11). La synthèse méthodique dont il a été question plus haut montre que les sels de magnésium ne jouent aucun rôle dans le traitement médicamenteux des crampes idiopathiques.

 

 

Références

  1. Young G. Leg cramps. Clin Evid (Online). 2009 Mar 26;2009. doi:pii: 1113.
  2. Jambes sans repos, akathisie et crampes musculaires. Duodecim Medical Publications Ltd 8/26/2010. [visité le 10 septembre 2013]. URL:

    https://www.ebmpracticenet.be/fr/pages/default.aspx?ebmid=ebm00428

  3. NICE-CKS. Leg cramps.Last revised in September 2012.
  4. Michiels B. Expérience individuelle et expérimentation scientifique. [Editorial] MinervaF 2009;8(4):25.
  5. Avonts M, Cloetens H, Leyns C, et al. Aanbeveling voor goede medische praktijkvoering: Aanvraag van laboratoriumtests door huisartsen - Deel 1. Huisarts Nu 2011;40:S1-S55.
  6. Leysen P, Avonts M, Cloetens H, et al. Richtlijn voor goede medische praktijkvoering: Aanvraag van laboratoriumtests door huisartsen - Deel 2. Huisarts Nu 2012;41:S1-S12.
  7. Sulzer NU, Schwellnus MP, Noakes TD. Serum electrolytes in ironman triathletes with exercise-associated muscle cramping. Med Sci Sports Exerc 2005;37:1081-5.
  8. De Jonghe M. Les crampes musculaires essentielles de l’adulte : une réelle difficulté thérapeutique. MinervaF 2013;12(1):4-5.
  9. El-Tawil S, Al Musa T, Valli H, et al. Quinine for muscle cramps. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 12.
  10. Blyton F, Chuter V,Walter KE, Burns J. Non-drug therapies for lower limb muscle cramps. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 1.
  11. U.S. Food and Drug Administration. FDA Drug Safety Communication: New risk management plan and patient Medication Guide for Qualaquin (quinine sulfate). July 2010.
Le magnésium contre les crampes

Auteurs

Michiels B.
Vakgroep Eerstelijns- en Interdisciplinaire Zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

Glossaire

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