Revue d'Evidence-Based Medicine



Intervention psychosociale à composantes multiples en cas de maladie d’Alzheimer légère ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 8 Page 95 - 96

Professions de santé


Analyse de
Waldorff FB, Buss DV, Eckermann A, et al. Efficacy of psychosocial intervention in patients with mild Alzheimer’s disease: the multicentre, rater blinded, randomized Danish Alzheimer Intervention Study (DAISY). BMJ 2012;345:e4693.


Question clinique
Quelle est, après douze mois, l’efficacité d’une intervention psychosociale à composantes multiples chez un patient atteint de la maladie d’Alzheimer à un stade léger ainsi que chez le principal aidant naturel, par comparaison avec un suivi structuré seul en termes de qualité de vie, de symptômes dépressifs et de troubles de la mémoire pour le patient ?


Conclusion
Cette étude de bonne qualité méthodologique , montre qu’une intervention psychosociale à composantes multiples, par comparaison avec un suivi structuré seul, chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer à un stade léger et chez le principal aidant naturel, après 12 mois, ne conduit pas à de meilleurs résultats sur le plan de la dépression, de la qualité de vie et des fonctions cognitives chez le patient. Il est nécessaire de poursuivre la recherche sur les interventions psychosociales efficaces à un stade précoce de la maladie d’Alzheimer, tant pour les patients que pour les aidants naturels.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone

 

Contexte

Une prise en charge au domicile des personnes âgées atteintes de démence est possible grâce à leur entourage, mais elle est souvent associée à un risque accru de problèmes de santé somatiques et psychiatriques (1). Plusieurs études ont montré un effet positif des interventions psychosociales chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer au stade modéré à sévère ainsi que chez leurs aidants naturels (2-4). Les résultats sont cependant souvent contradictoires et la qualité des études n’est pas toujours optimale. En outre, il n’y a pas encore eu suffisamment de recherche pour déterminer si une intervention précoce adaptée, sous forme de counseling, d’éducation et de soutien au patient atteint de maladie d’Alzheimer à un stade léger aussi bien qu’à son aidant naturel, offre une protection contre les symptômes dépressifs, apporte une amélioration de la qualité de vie et stabilise les fonctions cognitives du patient.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 330 dyades (couples constitués d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer à un stade léger vivant à domicile et de son principal aidant naturel) recrutées en première ligne de soins et dans de cliniques de la mémoire dans 5 districts danois ; âge moyen de 76 (ET 7) ans pour les patients et de 66 (ET 12) ans pour les intervenants ; % de sexe masculin respectivement de 45 % et 33 %
  • critères d’inclusion : âge ≥ 50 ans ; diagnostic connu depuis 12 mois de démence d’Alzheimer selon les critères DSM-IV et NINCDS-ADRDA ; score MMSE ≥ 20 ; acceptation du principal aidant naturel à participer à l’étude
  • critères d’exclusion : comorbidité psychiatrique ou somatique grave rendant impossible la participation à l’intervention ; participation à une autre étude interventionnelle ; patient institutionnalisé.

 

Protocole d’étude

  • étude clinique randomisée, en simple aveugle, multicentrique
  • groupe intervention (n = 163 dyades) : intervention à composantes multiples, adaptée à chaque dyade, exécutée pendant 8 à 12 mois et constituée des éléments suivants :
    • jusqu’à 7 séances individuelles de counseling centrées sur les stratégies d’adaptation et la responsabilisation du patient (2 séances avec le patient et l’aidant naturel, 2 séances avec chacun d’entre eux séparément et 1 séance avec le patient, l’aidant naturel et la famille)
    • 5 séances éducatives en groupe avec les patients et les aidants naturels séparément : informations de base sur la maladie et ses conséquences données de manière interactive
    • soutien complémentaire par des contacts téléphoniques toutes les 3 à 4 semaines et tenue d’un journal
  • groupe témoin (n = 167 dyades) : uniquement suivi structuré (aux mois 6 et 12) avec informations générales et conseils
  • suivi après 6 et 12 mois.

 

Mesure des résultats

  • critères de jugement primaires pour le patient : changement du score MMSE, du score CSDD et du score EQ-EVA
  • critères de jugement primaires pour l’aidant naturel : changement du score GDS et du score EQ-EVA
  • critères de jugement secondaires : quality of life scale for Alzheimer’s disease; EQ-EVA (évaluation par le patient) ; neuropsychiatric inventory questionnaire ; Alzheimer’s disease cooperative study activities of daily living scale
  • analyse en intention de traiter
  • correction pour la multiplicité probabilité qu’il y ait une erreur de type I ou qu’une hypothèse nulle soit rejetée à tort est forte. Lors de l’interprétation des résultats, il n’est pas possible de savoir de quel test provient une erreur de type I. Pour corriger ce fait, la valeur p, qui est le risque accepté que se produise une erreur de type I, doit être réduite pour tous les tests.">des tests.

Résultats

  • 54 dyades sont sorties de l’étude : 32 du groupe intervention contre 22 du groupe témoin
  • dans le groupe intervention, l’intervention a été complète pour 118 dyades (72 %)
  • critères de jugement primaires et secondaires : pas de différence statistiquement significative entre le groupe intervention et le groupe témoin que ce soit à 6 mois ou à 12 mois
  • score CSDD : petite différence non significative en faveur du groupe intervention (p = 0,015).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’après 12 mois, une intervention à composantes multiples partiellement adaptée, sous forme de counseling, d’éducation et de soutien, pour des patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade léger et pour le principal aidant naturel, après correction pour la multiplicité des tests, est sans effet significatif versus un suivi structuré seul. Un petit effet positif observé pour le critère de jugement primaire non corrigé concernant les symptômes dépressifs des patients nécessite une recherche plus approfondie chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentant une dépression comme comorbidité.

 

Financement

National Board of Social Services at the Danish Ministry of Social Affairs; Danish Ministry of Health; Danish Health Foundation

 

Conflits d’intérêt

Aucun conflit d’intérêt n’a été déclaré.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le protocole de cette RCT (5) satisfait à toutes les exigences méthodologiques de la Cochrane Collaboration. La taille de l’échantillon est calculée « a priori ». La randomisation des patients entre les différents groupes d’étude est effectuée en aveugle (secret d’attribution). Étant donné la nature de l’intervention, seuls les évaluateurs sont restés en insu de l’intervention dans le déroulement ultérieur de l’étude. Les critères d’inclusion sont présentés de manière rigoureuse et permettent d’exclure les patients chez qui le diagnostic de maladie d’Alzheimer est douteux. En raison du manque d’études précédentes correctes évaluant cette intervention chez les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer à un stade léger, il n’existait pas de consensus préalable concernant le critère de jugement primaire à choisir. Les auteurs considèrent donc leur étude comme exploratoire, et ils ont défini trois critères de jugement primaires chez le patient et deux chez l’aidant naturel. Ils ont corrigé les résultats pour la multiplicité des tests. Une correction a également été effectuée pour l’inégalité entre les deux groupes quant au nombre de sorties d’étude.

Interprétation des résultats

Étant donné la nature chronique de la maladie d’Alzheimer et ses conséquences, les avantages à long terme des interventions efficaces à un stade précoce devraient être très importants, tant pour le patient que pour l’aidant naturel. Se rendre dans un centre de recherche afin d’obtenir un counseling, et assister à des séances pédagogiques représente un seuil trop élevé pour certains patients. En conséquence, il est justifié d’intégrer aussi le soutien psychosocial dans l’offre plus large des services à domicile (6).

Cette étude n’a pas pu apporter de résultats significatifs d’une intervention à composantes multiples sous forme de counseling, d’informations et de soutien, que ce soit sur le plan de la prévention des symptômes dépressifs ou de la détérioration de la qualité de vie des patients et de leurs aidants naturels ou sur le plan du déclin cognitif des patients. Nous pouvons émettre les hypothèses suivantes. Tout d’abord, l’inclusion n’a pas été basée sur l’éventuelle demande d’aide du patient ou de son aidant naturel. Les auteurs suggèrent que l’intervention aurait bien pu avoir un effet positif si les critères d’inclusion avaient stipulé la « présence de problèmes psychosociaux ». En outre, le « suivi structuré » dans le groupe témoin est peut-être déjà un type d’intervention qui masque l’effet d’un soutien psychosocial ajouté. Il est également possible que la puissance de l’étude était insuffisante pour montrer une efficacité après une période de suivi relativement courte, à savoir 6 et 12 mois. Une diminution du score de dépression a bien été observée chez le patient, mais elle n’était pas significative. Étant donné la forte comorbidité existant entre la maladie d’Alzheimer et la dépression (7), susceptible par elle-même d’accélérer le déclin cognitif (8), ce résultat pourrait être considéré comme pertinent et invite à poursuivre la recherche.

Enfin, les auteurs signalent que les études quantitatives ne permettent pas de déterminer parfaitement la plus-value que représentent les interventions psychosociales, par exemple sur le plan du « partage des expériences avec les pairs ». Une étude qualitative (9) menée auprès des participants à cette intervention a montré que tant les patients que leurs aidants naturels apprennent à s’adapter aux difficultés causées par la maladie grâce à un soutien précoce individualisé.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude de bonne qualité méthodologique , montre qu’une intervention psychosociale à composantes multiples, par comparaison avec un suivi structuré seul, chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer à un stade léger et chez le principal aidant naturel, après 12 mois, ne conduit pas à de meilleurs résultats sur le plan de la dépression, de la qualité de vie et des fonctions cognitives chez le patient. Il est nécessaire de poursuivre la recherche sur les interventions psychosociales efficaces à un stade précoce de la maladie d’Alzheimer, tant pour les patients que pour les aidants naturels.

 

Pour la pratique

Pour la prise en charge du patient atteint de démence, le guide de pratique du NHG recommande le recours à des interventions psychosociales intensives à composantes multiples orientées sur les besoins du patient et de l’aidant naturel (10). Pour le patient, les interventions psychosociales, éventuellement combinées, sont de préférence adaptées au diagnostic et aux besoins en soins, comme par exemple un accompagnement individuel, des exercices cognitifs et des interventions comportementales. Dans ce domaine, il est également utile que le patient, soutenu par son aidant naturel, soit stimulé à effectuer des activités physiques attrayantes. En ce qui concerne l’aidant naturel, les interventions psychosociales, éventuellement combinées, sont de préférence adaptées aux soins requis, comme par exemple des informations, de la thérapie comportementale cognitive et/ou un accompagnement (prise en charge du cas). L’ergothérapie peut également apporter à l’intervenant de proximité une formation complémentaire pour la résolution de problèmes pour aider le patient. La présente étude montre qu’une intervention psychosociale à composantes multiples évaluée à 12 mois n’est pas source d’avantages pour l’intervenant de proximité et le patient atteint de maladie d’Alzheimer à un stade léger. Dans l’attente d’une recherche complémentaire, il peut être utile pour la pratique clinique, dans ce contexte, de travailler de manière adaptée et individualisée avec différentes formes de soutien psychosocial lorsqu’une demande d’aide ou un besoin d’aide sont clairement présents.

 

 

Références

  1. Ulstein ID, Sandvik L, Wyller TB, et al. A one-year randomized controlled psychosocial intervention study among family carers of dementia patients—effects on patients and carers. Dement Geriatr Cogn Disord 2007;24:469-75.
  2. Brodaty H, Green A, Koschera A. Meta-analysis of psychosocial interventions for caregivers of people with dementia. J Am Geriatr Soc 2003;51:657-64.
  3. Thompson CA, Spilsbury K, Hall J, et al. Systematic review of information and support interventions for caregivers of people with dementia. BMC Geriatr 2007;7:18.
  4. Olazaran J, Reisberg B, Clare L, et al. Nonpharmacological therapies in Alzheimer’s disease: a systematic review of efficacy. Dement Geriatr Cogn Disord 2010;30:161-78.
  5. Waldemar G, Waldorff FB, Buss DV, et al. The Danish Alzheimer Intervention Study: rationale, study design and baseline characteristics of the cohort. Neuroepidemiology 2010;36:52-61.
  6. Spruytte N, Vermeulen B, De Groof M, et al. Thuisbegeleiding dementie Foton. Leuven: LUCAS, 2009.
  7. Ownby RL, Crocco E, Acevedo A, et al. Depression and risk for Alzheimer disease: systematic review, meta-analysis, and metaregression analysis. Arch Gen Psychiatry 2006;63:530-38.
  8. Starkstein SE, Mizrahi, R, Power, BD. Depression in Alzheimer's disease: Phenomenology, clinical correlates and treatment. Int Rev Psychiatry 2008;20;382-88.
  9. Sorensen LV, Waldorff FB, Waldemar G. Early counselling and support for patients with mild Alzheimer’s disease and their caregivers: a qualitative study on outcome. Aging Ment Health 2008;12:444-50.
  10. Moll van Charante E, Perry M, Vernooij-Dassen MJFJ, et al. NHG-Standaard Dementie (derde herziening). Huisarts Wet 2012;55:306-17.
Intervention psychosociale à composantes multiples en cas de maladie d’Alzheimer légère ?



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