Revue d'Evidence-Based Medicine



Ticlopidine et clopidogrel : en prévention cardiovasculaire en cas de diabète de type 2?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 7 Page 88 - 89

Professions de santé


Analyse de
Valentine N, Van de Laar FA, van Driel ML. Adenosine-diphosphate (ADP) receptor antagonists for the prevention of cardiovascular disease in type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 11.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des thiénopyridines pour la prévention cardiovasculaire chez les patients présentant un diabète de type 2 ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de bonne qualité montre la pauvreté des données concernant l’efficacité et la sécurité des thiénopyridines en prévention cardiovasculaire spécifiquement chez les patients présentant un diabète de type 2. Aucune conclusion n’est possible. Seule une ancienne étude montre un avantage pour la ticlopidine versus aspirine en prévention secondaire des AVC/AIT.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Contexte

Les pathologies cardiovasculaires sont les complications les plus fréquentes en cas de diabète de type 2, les patients souffrant de diabète de type 2 présentant un risque de décès cardiovasculaire deux à quatre fois plus élevé que celui de sujets non diabétiques (1). Les antiagrégants plaquettaires sont recommandés, sur base de preuves, en prévention cardiovasculaire secondaire. Pour l’aspirine en particulier, un intérêt en termes de prévention d’évènements cardiovasculaires en cas de diabète de type 2 n’est prouvé que chez les patients ayant présenté un évènement cardiovasculaire (2,3). Qu’en est-il pour les thiénopyridines (ticlopidine, clopidogrel et prasugrel) ou les autres antagonistes des récepteurs de l’adénosine diphosphate ou ADP (ticagrelor) ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • Cochrane Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE jusqu’en avril ou mai 2011
  • consultation des listes de référence des publications isolées et des chercheurs des études originales à la recherche d’informations non publiées
  • consultation des registres des études en cours.

Etudes sélectionnées

  • RCTs comparant un ADP avec un autre antiagrégant plaquettaire ou un placebo sur une durée minimale de 12 mois chez des patients diabétiques et donnant des résultats pour des critères cliniques cardiovasculaires
  • inclusion finale de 8 RCTs.

Population étudiée

  • 21 379 patients souffrant d’un diabète de type 2, en prévention secondaire (post évènement cardiovasculaire) sauf dans l’étude CHARISMA (patients avec facteurs de risque coronariens multiples)
  • 3 RCTs comparant ticlopidine et aspirine ou placebo
  • 5 études comparant clopidogrel et aspirine ou une association d’aspirine et de dipyridamole, ou, d’autre part, comparant l’association aspirine + clopidogrel à l’aspirine seule
  • durée moyenne de suivi de 365 à 913 jours.

Mesure des résultats

  • critères primaires : mortalité globale, mortalité cardiovasculaire, évènements cardiovasculaires (infarctus du myocarde fatal ou non, AVC fatal ou non, artérite périphérique)
  • critères secondaires : effets indésirables (hémorragies majeures), qualité de vie par rapport à l’état de santé, coûts.

Résultats

  • critères primaires :
    • mortalité globale, mortalité vasculaire et infarctus du myocarde (1 étude ticlopidine versus placebo) : pas de différence significative
    • AVC (2 études, 31% des 21 379 patients) : OR de 0,81 (IC à 95% de 0,44 à 1,49 , I2 de 81%) versus autre antiagrégant plaquettaire ; résultat significatif pour la ticlopidine versus aspirine (1 étude post AIT ou AVC mineur) OR de 0,56 (IC à 95% de 0,33 à 0,94) mais non pour le clopidogrel versus aspirine + dipyridamole
    • artérite périphérique : pas de données
  • critères secondaires : pas de données.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les preuves concernant les antagonistes des récepteurs de l’ADP chez les patients présentant un diabète de type 2 sont limitées, la plupart des études ne mentionnant pas les résultats spécifiques aux patients diabétiques. Pour ce motif, les recommandations quant à l’usage de ces médicaments pour la prévention cardiovasculaire chez les patients diabétiques sont basées sur les preuves disponibles issues des études incluant des patients avec ou sans diabète. Il est nécessaire d’effectuer des études concernant des patients diabétiques et des analyses en sous-groupes des patients diabétiques dans les études avec population mixte pour pouvoir apporter des preuves plus solides pour la prise en charge clinique des patients souffrant d’un diabète.

  

Financement de l’étude

Radboud University Nijmegen Medical Centre, Netherlands et General Practice Education & Training, Australia, chacun pour 1 des 3 auteurs.

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun n’est connu.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse est élaborée et réalisée selon une méthodologie rigoureuse. Les directives PRISMA sont bien suivies pour rapporter la sélection des études, recherchées de manière exhaustive. Les risques de biais sont bien évalués pour la séquence et le secret d’attribution, l’insu, une mention incomplète ou sélective des résultats, et d’autres biais. Les auteurs estiment que le risque de biais est en général faible. Ils recherchent l’hétérogénéité des résultats par les tests Chi2 et I2. Au vu du nombre faible d’études trouvées, la recherche prévue d’un biais de publication et d’un biais potentiel lié à de petites études au moyen d’un funnel plot n’a pas pu être réalisée. De même, les analyses de sensibilité prévues n’ont pu être réalisées. Les auteurs soulignent l’absence de données spécifiques pour les patients diabétiques sauf dans 3 (2 avec la ticlopidine) des 8 RCTs ; malgré une demande répétée des auteurs de cette synthèse aux auteurs des études originales, 5 groupes d’auteurs n’ont pas répondu à leur requête.

Mise en perspective des résultats

Le seul bénéfice montré par cette méta-analyse est celui de la ticlopidine versus aspirine dans une étude, pour le critère prévention de l’AVC. Au vu des risques d’effets indésirables hématologiques graves avec ce médicament (dépression médullaire (surtout neutropénie), purpura thrombotique thrombocytopénique), ses indications sont très limitées (angioplastie coronaire et périphériques et certains types d’hémodialyse (4) et il n’est certainement pas un premier choix. Il n’y a donc pas d’argument pour le prendre en considération pour la prévention cardiovasculaire chez le sujet diabétique de type 2.

Pour le clopidogrel, les études ne permettent pas, faute de données spécifiques pour les patients présentant un diabète, de préciser si ce médicament est efficace versus l’ensemble des comparateurs dans cette population. Le manque de données accessibles (absence de réponse des auteurs comme signalé ci-dessus) est curieux. L’étude CHARISMA (5) que nous avons analysée dans la revue Minerva (6) incluait 3 284 patients sans pathologie cardiovasculaire établie, soit 21% de l’effectif de l’étude ; ces patients devaient cependant présenter soit 2 critères de risque athérothrombotique majeurs, soit 3 mineurs, soit 1 majeur et 2 mineurs. Les critères majeurs étaient : diabète de type 1 ou de type 2, néphropathie diabétique, index cheville-bras ≤0,9 (asymptomatique), sténose carotidienne asymptomatique ≥70%, 1 plaque carotidienne. Environ 80% de ces 3 284 patients sans pathologie cardiovasculaire établie présentait un diabète de type 1 ou 2. Il parait peu probable que si les auteurs avaient constaté un effet favorable pour ces patients atteints de diabète, ils n’aient pas fait connaitre ces résultats. Rappelons aussi que cette étude ne montrait pas, pour l’ensemble de sa population, d’intérêt d’ajouter du clopidogrel à l’aspirine pour son critère primaire composite (survenue d’un infarctus du myocarde, d’un accident vasculaire cérébral ou d’un décès d’origine cardiovasculaire) : RR de 0,93 avec IC à 95% de 0,83 à 1,05 et p=0,22.

Pour les deux autres médicaments du groupe des antagonistes des récepteurs de l’adénosine diphosphate, la thiénopyridine prasugrel, et le ticagrélor, cette synthèse méthodique ne nous apporte aucun renseignement pour les patients diabétiques. Ces deux médicaments ne sont indiqués que dans le cas d’un syndrome coronarien aigu, en association avec l’aspirine, et leur remboursement est limité, sur base des données d’étude, à une période de 12 mois.

Si la présence d’un diabète représente une des 3 situations cliniques dans lesquelles le remboursement du prasugrel peut être autorisé, le remboursement du ticagrelor ne nécessite aucune condition relative à la présence ou à l’absence d’un diabète.

Effets indésirables

Les 3 études reprises dans cette synthèse comparant l’association clopidogrel + aspirine versus aspirine seule montrent un risque de saignement accru avec l’association. Une synthèse méthodique récente de la Cochrane Collaboration (7) a évalué cette augmentation de risque à 6 saignements majeurs en plus par 1 000 personnes traitées.

Aucune étude reprise dans cette synthèse ne mentionne les effets indésirables observés spécifiquement pour les patients diabétiques. Les patients souffrant de diabète montrant des différences métaboliques et de la fonction plaquettaire versus non diabétiques (8), il est important d’évaluer plus précisément les effets indésirables (comme l’efficacité) des antiagrégants plaquettaires dans cette population spécifique.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de bonne qualité montre la pauvreté des données concernant l’efficacité et la sécurité des thiénopyridines en prévention cardiovasculaire spécifiquement chez les patients présentant un diabète de type 2. Aucune conclusion n’est possible. Seule une ancienne étude montre un avantage pour la ticlopidine versus aspirine en prévention secondaire des AVC/AIT.

 

Pour la pratique

La RBP belge pour le diabète de type 2 (1) mentionne un avis (sans niveau de preuve) pour la prise en charge du risque cardiovasculaire : prescription d’aspirine en prévention secondaire chez ces patients. Elle réclame davantage de données pour conclure quant à une prescription en prévention primaire. Elle souligne un intérêt égal possible pour le clopidogrel, mais sur base d’une étude non spécifiquement chez des sujets diabétiques. Elle rappelle aussi le risque accru d’hémorragies avec l’association aspirine + clopidogrel.

L’absence de preuves d’un intérêt de l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire chez des patients souffrant de diabète a été confirmée dans des publications plus récentes (2,3).

La synthèse méthodique ici analysée n’apporte aucun argument, sur fond de constat de données disponibles insuffisantes chez des patients présentant un diabète de type 2, en faveur des thiénopyridines (ticlopidine, clopidogrel et prasugrel), pour modifier les recommandations actuelles.

 

Références

  1. Wens J, Sunaert P, Nobels F, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG 2007.
  2. Chevalier P. Aspirine pour tous les diabétiques ? MinervaF 2009;8(2):20-1.
  3. Chevalier P. Aspirine et diabète : pas en prévention primaire. MinervaF 2009;8(5):67.
  4. Centre Belge d'Information Pharmacothérapeutique. Ticlopidine (thiénopyridines). Répertoire Commenté des Médicaments 2012.
  5. Bhatt DL, Fox KA, Hacke W et al; CHARISMA investigators. Clopidogrel and aspirin versus aspirin alone for the prevention of atherothrombotic events. N Engl J Med 2006;354:1706-17.
  6. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire? MinervaF 2006;5(6):88-91.
  7. Squizzato A, Keller T, Romualdi E, Middeldorp S. Clopidogrel plus aspirin versus aspirin alone for preventing cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 1.
  8. Angiolillo DJ, Suryadevara S. Aspirin and clopidogrel: efficacy and resistance in diabetes mellitus. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2009;23:375-88.

 

Noms de marque

Prasugrel : Efient®

Ticagrelor : Brilique®

Ticlopidine et clopidogrel : en prévention cardiovasculaire en cas de diabète de type 2?



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