Revue d'Evidence-Based Medicine



Exercices et soutien de l'aidant naturel en cas d'Alzheimer



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 10 Page 165 - 167

Professions de santé


Analyse de
Teri L, Gibbons LE, McCurry SM et al. Exercise plus behavioral management in patients with Alzheimer disease. JAMA 2003;290:2015–22.


Question clinique
Pour des patients souffrant de la maladie d'Alzheimer,un programme d'exercices associé à un programme de gestion comportementale, comparé aux soins habituels, impliquant un membre qualifié de la famille améliore-t-il la santé mentale et physique et retarde-t-il le placement en institution?


Conclusion
Cette étude, bien construite et correctement analysée, montre que la formation et le soutien des soignants naturels dans une approche globale des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer sont positifs tant d’un point de vue physique que mental. Cette étude, contrairement à d'autres, ne permet pas d’évaluer si cette approche retarde les institutionnalisations. La faisabilité d'une telle intervention dans notre organisation de soins reste à démontrer.


 

Résumé

Contexte

La maladie d’Alzheimer touche 85 000 personnes en Belgique. Le médecin généraliste est souvent appelé à jouer un rôle de coordinateur entre les différents intervenants et à gérer les différentes approches,médicamenteuses et non médicamenteuses 1. La maladie d’Alzheimer altère les fonctions émotionnelles, cognitives et comportementales du patient ainsi que ses capacités physiques 2. Il semble donc approprié d’évaluer des démarches globales visant la qualité de la vie. De nombreuses études ont été réalisées pour juger de l'efficacité de traitements médicamenteux, mais il en existe peu, par contre, évaluant les interventions non médicamenteuses.

Population étudiée

153 personnes d'âge moyen de 78 ans (55 à 93 ans) dont 41% de femmes et 89% de race blanche, souffrant d’une maladie d’Alzheimer modérée à sévère (score MMSE= 16,8 en moyenne) et dont un aidant naturel, souvent un membre de la famille (80% des participants sont époux ou épouse du patient), accepte de participer à l’étude (4 heures minimum par jour doivent être passées au domicile du malade).

Protocole d'étude

Cette étude randomisée, contrôlée, définit deux groupes: les soins habituels (n=76) et un programme d’exercices (RDAD ou Reducing Disability in Alzheimer Disease) (n=77). Ce programme, qui dure 3 mois, est donné par un professionnel de la santé dans le but de promouvoir au moins 30 minutes d’exercices modérés par jour. Parallèlement, l’aidant naturel reçoit une formation sur les démences, est entraîné à reconnaître et à résoudre les troubles comportementaux et est encouragé à dispenser des activités physiques et à initier des activités sociales. Les soins habituels consistent en un suivi médical classique et en la gestion des crises par un professionnel de la santé. Les patients sont évalués cliniquement avant la randomisation. Les praticiens ne savent pas à quel groupe thérapeutique (soins habituels versus programme d’exercices) appartiennent les patients. Cette étude d’un suivi de deux ans s’est déroulée de juin 1994 à avril 1999 à Seattle aux E.U..

Mesure des résultats

Les critères de jugement primaires sont: évaluation de la santé physique et des limitations dues à l’état physique (2 sous-échelles du questionnaire SF-36), de la mobilité (3 sous-groupes du Sickness Impact Profile (SIP)) et du temps passé à réaliser des exercices par semaine (% patients réalisant plus de 60 minutes d’exercices/semaine). Les critères de jugement secondaires sont des mesures de santé physique et fonctionnelle: vitesse de la marche, équilibre, extension fonctionnelle,nombre de minutes de marche ou autres activités aérobiques pendant la dernière semaine, nombre de jours avec restriction d’activités et journées d’alitement pendant les deux dernières semaines, chutes ou pertes d’équilibre pendant le dernier mois. Tous les patients sont réévalués 5 fois durant le suivi de l’étude (3, 6, 12, 18 et 24 mois). Les résultats sont analysés en intention de traiter.

Résultats

Sur les 76 sujets du groupe RDAD initial, 45 terminent l'étude pour 44/77 dans le groupe soins habituels. Si, à 3 mois d’évaluation, tous les critères de jugement sont significativement meilleurs pour le groupe exercices (RDAD), à 24 mois, seuls la santé physique et les fonctions (SF-36) ainsi que la mobilité (SIP) sont encore significativement meilleurs, alors que l’on n’observe plus de différence tant pour la dépression (CSDD) que pour le temps consacré aux exercices physiques par semaine (p =0.13). Les différences entre les deux groupes pour le placement en institution ne sont pas significatives (voir tableau).

 

Tableau: Moyennes (et écart-type) des critères de jugement primaire.

 

SF-36

SIP

CSDD

 

RDAD

Contrôle

RDAD

Contrôle

RDAD

Contrôle

Départ

62,2 (36,6)

67,9 (35,1)

16,3 (19,2)

14,2 (13,8)

5,7 (3,9)

5,8

(4,5)

Score à 24 mois

60,0 (41,1)

57,4 (40,2)

18,9 (17,1)

21,0 (18,8)

6,4 (4,5)

7,4

(5,0)

Valeur ongitudinale* de p à 24 mois, baseline vs post-traitement

p = 0,003

p = 0,02

p = 0,10

Comparaison entre les groupes à 24 mois (IC à 95%)

Différence moyenne

10,89

(3,62 à 18,16)

RR 1,27

(1,03 à 1,56)

Non calculé

* Analyse longitudinale à partir des 5 visites durant le suivi

 

Conclusion des auteurs

Pour les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer, des exercices quotidiens modérés combinés à une approche comportementale donnée par un membre de la famille entraîné, améliorent aussi bien les capacités physiques que la dépression de ces patients.

Financement

The National Institute on Ageing (E.U.).

Conflits d’intérêt

Non déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette étude est méthodologiquement bien construite: les deux groupes sont homogènes, les critères d’inclusion, les procédures de soins et les procédures d’évaluation sont bien décrits. Les résultats sont correctement analysés et présentés. On peut regretter un manque d’informations sur les critères d’exclusion. L’article ne permet pas non plus de savoir si la randomisation est restée ignorée des praticiens évaluateurs au cours des deux années de suivi: cela semblerait étonnant au vu de ce qui est nécessairement échangé lors des différents colloques singuliers. La recherche présente beaucoup de sorties d'étude: 31/76 dans le groupe RDAD et 33/77 dans le groupe contrôle. 68% et 67% respectivement de celles-ci le sont pour institutionnalisation durant l’étude. Mais les raisons de cellesci diffèrent entre les deux groupes: 4 pour problèmes comportementaux dans le groupe RDAD, contre 11 dans le groupe contrôle; 8 pour maladie ou décès du soignant naturel dans le groupe RDAD contre 1 dans le groupe contrôle. Ces différences pourraient avoir faussé les résultats. D’autres études semblent donc nécessaires pour infirmer ou confirmer ces résultats en ce qui concerne la prévention de l'institutionnalisation.

Implication de l'aidant naturel

Intégrer les membres de la famille dans un projet de soins aux patients souffrant de la maladie d’Alzheimer est une démarche déjà bien évaluée 3. Les résultats sont encourageants: cette démarche est positive pour les aidants d’un point de vue psychologique. D'autres études ont montré qu'elle retardait les institutionnalisations. Ces projets semblent d’autant plus positifs que les patients et les membres de leurs familles sont fortement impliqués 4. Les conclusions de ces études proposent néanmoins que les recherches futures se focalisent plus sur l’élaboration d’un programme physique précis car il n’est que trop rarement disponible d’une manière compréhensible et systématique. Cette étude-ci n’échappe pas à cette critique.

Quel est l'élément efficace?

 Il est difficile de savoir quel élément de l’intervention a été prédominant pour expliquer les résultats positifs. Les auteurs eux-mêmes le reconnaissent, mais ils spécifient également que c’était l’évaluation d’une approche globale qui les intéressait. Ils proposent d’explorer les différents composants séparément dans le futur mais ils font l’hypothèse que cette approche plus globale aura toujours un meilleur résultat. Les auteurs relèvent que l’implication des aidants naturels est possible, à domicile, quand on leur en donne les moyens: explication de la maladie, outils pour gérer un trouble du comportement de leur proche, encouragement à dispenser des activités physiques et à initier des activités sociales. Ils pensent que les aidants ont retiré un bénéfice de cette approche, mais aucun outil d’évaluation n’a été mis en place pour l’objectiver.

Enfin, il nous paraît important pour ce genre d’approche de pouvoir bénéficier de données relatives aux statuts socio-économiques des patients et des aidants afin de mieux pouvoir appréhender les capacités des participants de comprendre les conseils de santé et de modifier les facteurs de risque 5.

 

Conclusion

Cette étude, bien construite et correctement analysée, montre que la formation et le soutien des soignants naturels dans une approche globale des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer sont positifs tant d’un point de vue physique que mental. Cette étude, contrairement à d'autres, ne permet pas d’évaluer si cette approche retarde les institutionnalisations. La faisabilité d'une telle intervention dans notre organisation de soins reste à démontrer.

 

Références

  1. Rédaction Minerva. La Démence. Messages clés. MinervaF 2002;1(1):14.
  2. Larson B, Shalden M-F et al. Survival after initial diagnosis of Alzheimer disease. Ann Intern Med 2004;140:501-9.
  3. Roland M. Approches thérapeutiques non médicamenteuses. MinervaF 2002;1(1):9-11.
  4. Brodaty H, Green A, Koschera A. Meta-analysis of psychosocial interventions for caregivers of people with dementia. J Am Geriatric Soc 2003;51:657–64.
  5. Aldrich R, Kemp L, Stewart Willliams J et al. Using socioeconomic evidence in clinical practice guidelines. BMJ 2003;327:1283-5.
 
Exercices et soutien de l'aidant naturel en cas d'Alzheimer

Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Roland M.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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