Revue d'Evidence-Based Medicine



Asthme persistant : CSI tous les jours ou de façon intermittente ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 7 Page 80 - 81

Professions de santé


Analyse de
Chauhan BF, Chartrand C, Ducharme FM. Intermittent versus daily inhaled corticosteroids for persistent asthma in children and adults. Cochrane Database Syst Revs 2012, Issue 12.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité relatives d’une administration intermittente versus quotidienne de corticostéroïdes inhalés dans le traitement d’un asthme persistant chez des enfants ou des adultes ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique incluant un petit nombre d’études mais de bonne qualité ne montre pas de différence entre un traitement intermittent (lors des crises) ou continu par des corticostéroïdes inhalés pour le nombre de crises avec recours à un corticostéroïde oral, chez des enfants et des adultes présentant un asthme persistant léger. Une réelle équivalence n’est cependant pas montrée.


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

Contexte

Pour le traitement d’un asthme persistant présenté par un enfant ou un adulte, les guides de pratique recommandent l’inhalation d’un corticostéroïde chaque jour (1-3). L’adhérence à un traitement chronique est une barrière fréquemment rencontrée en pratique. D’autre part, la crainte d’effets indésirables, notamment un retard de croissance en cas d’administration continue d’un corticostéroïde (inhalé) chez un enfant, a également incité à l’évaluation de traitements intermittents chez l’enfant (4,5), mais aussi chez l’adulte (6). Une synthèse des études dans ce domaine était la bienvenue.

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • bases de données du Cochrane Airways Group Specialised Register of trials (CAGR) qui recherche systématiquement dans le Cochrane Central Register of Controlled Trials (CENTRAL), MEDLINE, EMBASE, CINAHL, AMED et PsychINFO
  • consultation de journaux de pneumologie, des résumés de conférence, de ClinicalTrials.gov et des auteurs de publications originales à la recherche d’autres études publiées ou non
  • jusqu’en décembre 2011.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs comparant un traitement par corticostéroïdes inhalés (CSI) quotidien à un traitement par CSI intermittent, c’est-à-dire initié pour une courte période lors de la survenue d’une crise, incluant des sujets présentant un asthme persistant
  • doses d’ICS augmentées ou non lors des crises, semblables ou non dans les bras d’étude
  • co-interventions non autorisées sauf un recours à des bêta2-mimétiques et à des corticostéroïdes oraux
  • exclusion des études avec utilisation de bêta2-mimétiques à longue durée d’action (LABA), traitement de moins de 4 semaines, traitement de crise hors protocole, traitement en service d’urgence
  • inclusion de 6 RCTs.

  

Population étudiée

  • 2 études avec des enfants en âge préscolaire, suspects de ou à risque de présenter un asthme persistant (épisodes répétés de sibilances, asthme persistant non confirmé)
  • 3 études incluant des enfants âgés de 5 à 18 ans et 2 études incluant des adultes (âgés de 18 à 65 ans), présentant un asthme persistant
  • au total 1 211 sujets
  • durée de l’intervention : de 12 à 52 semaines
  • CSI : budésonide ou béclométhasone.

  

Mesures des résultats

  • critères primaires : crise(s) d’asthme avec recours à un corticostéroïde oral ; effets indésirables sérieux
  • critères secondaires : exacerbation avec hospitalisation, exacerbation avec contact urgent, délai de survenue d’une exacerbation avec recours à des corticostéroïdes oraux, contrôle chronique de l’asthme, marqueurs biologiques d’inflammation, sécurité (effets indésirables en général et spécifiques, croissance, suppression surrénalienne) et taux d’arrêts de traitement.

 

Résultats

  • critères primaires :
    • crise(s) d’asthme avec recours à un corticostéroïde oral (n = 1 204) : RR de 1,07 avec IC à 95% de 0,87 à 1,32 ; sans influence de l’âge, de la sévérité de l’asthme, du protocole step-up, de la durée de l’étude
    • effets indésirables sévères (n = 1 055) : RR de 0,82 avec IC à 95% de 0,33 à 2,03
  • critères secondaires :
    • désavantage pour un traitement intermittent versus quotidien pour les critères suivants : modification du Débit Expiratoire de Pointe versus valeur initiale de -2,56% (IC à 95% de -4,49% à -0,63%), moins de jours sans symptômes (DMS de -0,15 avec IC à 95% de -0,28 à -0,03), moins de jours de contrôle de l’asthme (-9% avec IC à 95% de -14% à -4%), davantage de recours à un bêta2-mimétique, davantage d’expiration de NO
    • absence de différence pour : VEMs, qualité de vie, hyperréactivité bronchique, effets indésirables, hospitalisations, consultations au service d’urgence, arrêts de traitement
    • études pédiatriques : croissance meilleure (0,41 cm versus départ, IC à 95% de 0,13 à 0,69) sous CSI intermittent (n = 532, budésonide, béclométhasone) versus traitement quotidien.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des enfants et adultes présentant un asthme persistant et chez des enfants en âge préscolaire suspects d’asthme persistant, des stratégies d’administration intermittente ou quotidienne de CSI ne montrent pas de différence significative en termes de recours à des corticostéroïdes oraux et de fréquence d’effets indésirables sérieux, mais sans preuve d’équivalence également. Un CSI administré quotidiennement est plus efficace qu’un CSI administré de façon intermittente pour différents indicateurs de la fonction pulmonaire, de l’inflammation des voies respiratoires, du contrôle de l’asthme et du recours à d’autres médicaments. Les deux traitements paraissent sûrs, avec un arrêt de croissance modeste pour un traitement quotidien versus intermittent, de budésonide et de béclométhasone inhalés. Le clinicien devra bien mettre en balance les bénéfices et nuisances potentielles de chacune des options thérapeutiques, en tenant compte de notre ignorance quant à l’impact à long terme (> 1 an) d’un traitement intermittent sur la croissance pulmonaire et sur le déclin de la fonction pulmonaire.

 

Financement de l’étude

Aucun n’est mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

FD a reçu différents honoraires de différentes firmes ; les 2 autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette synthèse méthodique repose sur une méthodologie rigoureuse : consultation de plusieurs bases de données ; pour la sélection de RCTs sur des critères précis, l’analyse de la qualité de la méthodologie des études originales et l’extraction des données, travail réalisé par 2 chercheurs indépendamment l’un de l’autre ; définition claire des critères de jugement retenus. Le nombre d’études retenues (toutes de très bonne qualité méthodologique selon l’analyse des critères classiques : randomisation est un processus consistant à sélectionner et à répartir au hasard les sujets d’un échantillon. Dans une étude randomisée contrôlée (RCT), les sujets doivent être attribués au hasard dans les différents bras de traitement, par exemple un nouveau traitement médicamenteux versus son placebo. La séquence de randomisation est la suite ordonnée prévue dans le dessin d’étude pour attribuer les sujets inclus dans une étude dans un des bras d’étude. Pour être méthodologiquement valide, une étude doit avoir une séquence d’attribution non prévisible pour les chercheurs.">séquence et secret d’attribution, insu des patients, des chercheurs et des évaluateurs, résultats complets et mention complète des résultats) est cependant faible et le funnel-plot montrant une absence de biais de publication pour 1 des 2 critères primaires est donc d’un intérêt discutable. Un total de 1 211 patients pour une pathologie aussi fréquente est étonnant ; les résultats des différentes études sont cependant homogènes, mais avec un large intervalle de confiance et sur des durées d’étude fort variables (12 à 52 semaines).

 

Mise en perspective des résultats

Cette méta-analyse ne montre pas de différence entre un traitement intermittent (lors des crises) ou continu par corticostéroïdes inhalés en termes de crises ayant nécessité la prise de corticostéroïdes oraux chez des enfants comme chez des adultes présentant un asthme persistant léger, mais une absence de différence pour ce critère ne veut pas dire équivalence globale. Comme le soulignent les auteurs : la fréquence des crises peut être réduite de 17% ou augmenter de 32% avec un traitement intermittent versus quotidien. Malgré quelques bénéfices d’un traitement continu, quotidien, en termes de marqueurs de la fonction respiratoire ou de contrôle de l’asthme, ce type de traitement peut aussi freiner la croissance chez l’enfant.

Dans les études incluses dans cette méta-analyse, les traitements proposés lors des crises, sont de 4 types : quadruplement de doses dans les 2 bras (passage à 800 voire 1600 mcg/j), quadruplement de dose dans le bras traitement intermittent uniquement (passage à 2000 mcg/j), CSI + bêta2-mimétique à courte durée d’action à la demande dans les 2 bras, ou dans le bras intermittent uniquement. Nous avions déjà précédemment mentionné dans la revue Minerva (7) l’absence de preuve de l’intérêt d’un doublement des doses de corticostéroïdes inhalés du traitement de fond lors d’une crise, avec confirmation ultérieure (8). Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (9) a également confirmé l’absence d’intérêt d’une augmentation des CSI à 1000-2000 mcg/j lors d’une crise en termes de réduction d’un recours à des corticostéroïdes oraux. Ces constations peuvent sans doute expliquer aussi l’échec observé dans le groupe traitement intermittent.

Pour ce qui est des épisodes de sibilances chez les enfants en âge préscolaire, nous avons déjà souligné que l’administration de corticostéroïdes inhalés à de jeunes enfants à haut risque de développer de l’asthme ne modifie pas l’évolution naturelle de celui-ci, avec amélioration des symptômes durant le traitement mais réapparition de ceux-ci lors de son arrêt (10). Nous avons ensuite présenté les résultats d’une méta-analyse qui confirmait l’intérêt symptomatique des corticostéroïdes inhalés chez des enfants de moins de 5 ans présentant des épisodes de sibilances répétés avec ou sans diagnostic d’asthme, mais aussi l’importance de revoir régulièrement la nécessité de ce traitement qui ne modifie pas l’évolution naturelle de la pathologie (11).

 

Croissance et corticostéroïdes inhalés dans l’enfance

Nous avons aussi précédemment abordé la question d’un retard de croissance chez les enfants avec un traitement prolongé avec des CSI (budésonide) (12). Cette analyse d’une troisième étude (13) publiée sur le sujet, ne montrait pas de modification de la taille adulte « prédictible » sous traitement prolongé avec du budésonide inhalé, même si une croissance « retardée » était observée durant les premières années de traitement. Cette méta-analyse-ci n’apporte pas de renseignement complémentaire étant donné qu’une moindre croissance de 0,41 cm n’est observée avec un traitement continu qu’au terme de 44 à 52 semaines de traitement, sans donnée à plus long terme.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique incluant un petit nombre d’études mais de bonne qualité ne montre pas de différence entre un traitement intermittent (lors des crises) ou continu par des corticostéroïdes inhalés pour le nombre de crises avec recours à un corticostéroïde oral, chez des enfants et des adultes présentant un asthme persistant léger. Une réelle équivalence n’est cependant pas montrée.

 

Pour la pratique

Pour le traitement d’un asthme persistant présenté par un enfant ou un adulte, les guides de pratique recommandent l’inhalation quotidienne, au long cours, d’un corticostéroïde (1-3). La littérature concernant l’intérêt d’un traitement intermittent par CSI (c.-à-d. lors des crises) est actuellement insuffisante pour montrer l’équivalence d’une telle option thérapeutique.

 

 

Références

  1. GINA. Global Strategy for Asthma management and Prevention, revised 2006 Copyright © 2006 MCR VISION, Inc.
  2. National Heart, Lung, and Blood Institute. Expert Panel Report 3: Guidelines for the Diagnosis andManagement of Asthma. National Asthma Education and Prevention Program. Full Report 2007.
  3. Kegels E, De Sutter A, Michels J, et al. Astma bij volwassenen. Huisarts Nu 2003;32:275-300.
  4. Martinez FD, Chinchilli VM, Morgan WJ, et al. Use of beclomethasone dipropionate as rescue treatment for children with mild persistent asthma (TREXA): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2011;377:650-7.
  5. Zeiger RS, Mauger D, Bacharier LB, et al; CARE Network of the National Heart, Lung, and Blood Institute. Daily or intermittent budesonide in preschool children with recurrent wheezing. N Engl J Med 2011;365:1990-2001.
  6. Papi A, Canonica GW, Maestrelli P, et al; BEST Study Group. Rescue use of beclomethasone and albuterol in a single inhaler for mild asthma. N Engl J Med 2007;356:2040-52.
  7. Sturtewagen JP. Intérêt de doubler la dose des corticostéroïdes en cas d'échec du traitement de l'asthme ? MinervaF 2005;4(1):8-10.
  8. Chevalier P. Asthme : CSI à plus forte dose en prévention d’exacerbation ? Minerva online 27/05/2010.
  9. Quon BS, FitzGerald JM, Lemière C, et al. Increased versus stable doses of inhaled corticosteroids for exacerbations of chronic asthma in adults and children. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 12.
  10. Godding V, Chevalier P. Stéroïdes inhalés chez de jeunes enfants à haut risque d’asthme. MinervaF 2007;6(4):59-61.
  11. Chevalier P. Stéroïdes inhalés chez de jeunes enfants. MinervaF 2010;9(1);16.
  12. Vandeweghe M. Budesonide bij kinderen met astma: effect op de lichaamslengte? MinervaF 2002;31(6):326-7.
  13. Agertoft L, Pedersen S. Effect of long-term treatment with inhaled budesonide on adult height in children with asthma. N Engl J Med 2000;343:1064-9.
Asthme persistant : CSI tous les jours ou de façon intermittente ?

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Pierart F.
Pneumologie pédiatrique, CHC Clinique de l’Espérance, Montegnée
COI :

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