Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage de l'anévrisme abdominal



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 1 Page 14 - 16

Professions de santé


Analyse de
The Multicentre Aneurysm Screening Study Group. The Multicentre Aneurysm Screening Study (MASS) into the effect of abdominal aortic aneurysm screening on mortality in men : a randomised controlled trial. Lancet 2002;360:1531-39


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un dépistage échographique de l’anévrisme de l’aorte abdominale sur la mortalité et la qualité de vie ?


Conclusion
Cette étude montre une diminution de la mortalité liée à l’anévrisme de l’aorte abdominale grâce à un dépistage des hommes de 65 à 74 ans jugés « en bonne santé » par leur médecin généraliste. Un dépistage systématique de tous les hommes de cette tranche d’âge n’est cependant pas à recommander. Cette conclusion n’est pas valable pour les femmes, pour les-quelles le risque de rupture est plus élevé.


 

Résumé

Contexte

Une rupture d’un anévrysme de l’aorte abdominale entraîne une mortalité très élevée. La moitié des patients décèdent avant d’arriver à l’hôpital et la mortalité d’une intervention chirurgicale urgente est de 30 à 70 %. La mortalité totale atteint donc de 65 à 85 %. La rupture d’un anévrysme représenterait 2,1 % des causes de décès des hommes âgés de plus de 65 ans. Une échographie est un examen d’accès facile, relativement peu onéreux et permet de déterminer le diamètre de l’aorte dans 99 % des cas. En cas de diamètre élevé, une opération sélective peut être faite. La mortalité post-opératoire dans les 30 premiers jours est de 2 à 6 %. Cependant, les résultats des différentes études publiées concernant le dépistage (et une intervention sélective) ne permettent pas de conclusions univoques.

Population étudiée

Dans 4 centres du Royaume Uni, 70 495 hommes âgés de 65 à 74 ans ont été recrutés de janvier 1997 à mai 1999, dans des listes de pratique de médecine familiale et des « Health Authority lists ». Les critères d’exclusion étaient : maladie terminale, problèmes de santé sévères et antécédents de chirurgie d’un anévrysme de l’aorte. Après une exclusion de 2 695 hommes en raison principalement « d’autres problèmes de santé » ou « non spécifiés », 67 800 hommes ont été inclus dans l’étude.

Protocole d’étude

Après randomisation, 33 839 hommes ont été invités à une mesure échographique du diamètre de leur aorte abdominale. Le groupe contrôle était constitué par 33 961 autres hommes. Un diamètre inférieur à 3 cm n’entraînait pas de suivi, un diamètre compris entre 3 et 4,4 cm un contrôle annuel, et un diamètre supérieur à 4,5 cm, un contrôle trimestriel. Une intervention chirurgicale était envisagée en cas de diamètre supérieur à 5,5 cm, si le diamètre augmentait d’au moins 1 cm par an, ou si des symptômes liés à l’anévrysme se manifestaient. L’« Office of National Statistics » fournissait aux chercheurs une copie de l’acte de décès pour tous les sujets décédés aussi bien dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle. Un groupe de travail analysait tous ces actes de décès et recherchait plus d’informa-tions en cas de mention de rupture d’anévrysme de l’aorte abdominale comme cause de décès ou en cas d’incertitude de cette cause. Une information complémentaire était fournie par les autopsies ou via les données des médecins traitants.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est la mortalité provoquée par un anévrysme abdominal. Les critères de jugement secondaires sont : la mortalité totale, la fréquence de rupture, l’efficacité du dépistage et le retentissement éventuel sur la qualité de vie. Cette qualité de vie est évaluée suivant 4 questionnaires de référence : l’échelle de dépression « hopital anxiety and depression scale (HADS) », le « short-form state anxiety scale (Spieleberg state-trait anxiety scale) », le Medical Outcomes Study Short-Form General Health Survey (SF-36) est un questionnaire validé comportant 36 questions. Il permet d’explorer huit aspects de la qualité de vie : santé générale et mentale, capacités fonctionnelles physiques et sociales, santé physique et émotionnelle, douleur et vitalité. Les scores pour chacun des huit domaines vont de 0 (le moins bon) à 100 (le meilleur).">SF-36 et l’EuroQol est complémentaire à d’autres instruments de mesure de « qualité de vie » (tel que le SF-36). Il est conçu pour être rempli (en quelques minutes) par le patient lui-même.">EuroQol EQ-5D. La différence entre les deux groupes est exprimée en réduction relative du risque (RRR) et en hazard ratio (HR).

Résultats

Des 33 839 hommes sélectionnés pour passer une échographie, 27 147 (80 %) ont participé au dépistage. Un anévrysme de l’aorte abdominale a été mis en évidence chez 1 333 d’entre eux, dont 944 (71 %) avec un diamètre compris entre 3,0 et 4,4 cm, 223 (17 %) entre 4,5 et 5,5 cm et 166 (12 %) de plus que 5,5 cm. Dans le groupe dépisté, 65 décès liés à l’anévrysme ont été enregistrés (risque absolu de 0,19 %) pour 113 dans le groupe contrôle (risque absolu de 0,33 %). Ce qui donne un HR de 0,58 (IC à 95 % de 0,42 à 0,78; p = 0,0002) et une RRR de 42 % (IC à 95 % de 22 à 58;p = 0,0002). Ces résultats demeurent inchangés après correction pour l’âge et pour le centre de dépistage. Une analyse limitée aux hommes dépistés donne une RRR de 53 % (IC à 95 % de 30 à 64). Il n’y a pas de différence significative de mortalité totale observée entre les deux groupes : 2,91 décès par 1000 années-patients (IC à 95% de 2,82 à 3,00) dans le groupe contrôle pour 2,83 (IC à 95% de 2,75 à 2,93) dans le groupe dépisté. Le nombre total de décès attribués à une ischémie coronarienne est de 1098 dans le groupe contrôle et de 999 dans le groupe dépisté (p = 0,03). Le hazard ratio de rupture non fatale d’anévrysme est de 0,59 (IC à 95% de 0,45 à 0,77; p = 0,00006). Dans le groupe dépisté, 322 interventions sélectives et 27 interventions urgentes ont été réalisées pour, respectivement, 92 et 54 dans le groupe contrôle. La mortalité dans les 30 jours post-opératoires est de 6 % pour une intervention sélective et de 37 % pour une intervention urgente. Il n’existe pas de différence significative de mortalité dans ce domaine entre les deux groupes. Il n’y a pas de différence démontrée entre les différents groupes en ce qui concerne l’anxiété et la dépression, mais les hommes opérés attribuent un score plus élevé pour leur état de santé que ceux qui ne le sont pas.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que leur étude apporte une preuve fiable de la nécessité de dépister l’anévrysme de l’aorte abdominale.

Financement

Cette étude est financée par le “UK Medical Research Council”, le “Department of Health” et la “Wellcome Trust”.

Conflits d’intérêt

Aucun n’est signalé par les auteurs.

 

Discussion

Quelques considérations méthodologiques.

Les auteurs mentionnent la mortalité sous la forme de mortalité totale et de mortalité attribuée à l’ané-vrysme. La détermination de la mortalité totale (critère de jugement secondaire) est relativement simple. Certifier que le décès est lié à l’anévrysme de l’aorte (critère de jugement primaire) est déjà un peu plus difficile, le nombre de décès total étant en effet de 7 605. Les auteurs utilisent, pour déterminer la cause du décès, celle qui est mentionnée sur l’acte de décès. La question de la fiabilité de cette mention reste ouverte. Une information complémentaire sur les critères utilisés pour évaluer les actes de décès, comme une demande d’information supplémentaire auprès du médecin traitant, aurait été utile. Une autopsie systématique aurait été un critère encore meilleur, mais de réalisation difficile vu le nombre élevé de décès. Il aurait été, par exemple, intéressant de pratiquer un certain nombre d’autopsies pour avoir un point de comparaison avec les évaluations des actes de décès. La structure de cette recherche entraîne plutôt une surestimation du nombre de décès liés à un anévrysme de l’aorte abdominale : ce que l’on recherche est plus rapidement identifié. Les patients qui, selon le médecin, n’étaient pas assez « en bonne forme » étaient exclus. Ceci représente un critère d’exclusion imprécis et signifie que les conclusions ne sont pas applicables pour tous les hommes âgés de 65 à 74 ans, mais uniquement pour les hommes jugés « en bonne forme » par leur médecin traitant ! Des 33 839 hommes invités à faire un dépistage, 6 692 n’ont pas été investigués : 5 650 ne se sont pas rendus au rendez-vous et 577 (8,6 %) n’ont pu être inclus dans l’étude pour des raisons médicales, pour cause de décès avant l’examen de dépistage ou parce qu’ils présentaient un anévrysme connu. Parmi les 27 147 hommes dépistés, 84 (0,3 %) n’ont pas été suivi. La comparaison de mortalité liée à un anévrysme, de l’incidence d’une rupture et de la mortalité totale entre les patients dépistés et ceux qui étaient invités au dépistage n’est pas opportune, même dans une analyse secondaire, au vu de la non prise en compte de ce groupe de patient.

Un gain convaincant ?

Cette étude montre une différence significative de mortalité liée à un anévrysme de l’aorte abdominale, mais la différence observée pour la mortalité totale n’est pas significative. Ceci est également très difficile à mettre en évidence ; la prévalence étant basse, une population très importante est nécessaire. Certains auteurs, comme Lederle, estiment que ce n’est pas une raison suffisante pour écarter un dépistage : « a trend in the right direction along with a statistically significant reduction in the disease-specific mortality may be sufficient » 1, 2. Grâce au dépistage, le risque descend de 3,3 à 1,9 pour 1 000 personnes sur une période de 4,1 an. Durant cette période, il faut donc dépister 710 hommes pour éviter 1 décès (NNS, Number Needed to Screen). Le coût d’une année de vie gagnée (en prévenant une rupture d’un anévrysme abdominal) est estimé à 40 000,00 € (entre 21 450,00 et 208 750,00 €) 3. Un suivi plus long diminuerait le coût (grâce à une survie plus longue des patients opérés) jusqu’à 11 450,00 € par année de vie gagnée. La réduction de la mortalité liée à l’ischémie coronarienne est expliquée par une possible « erreur de classification » de la cause de décès (anévrysme au lieu d’ischémie coronarienne). Une autre possibilité est une moindre mortalité chez les patients dépistés aussi bien pour l’ischémie coronarienne que pour l’ané-vrysme abdominal, par exemple en raison d’un arrêt du tabac chez ces patients dépistés. Cette observation d’un arrêt plus fréquent du tabac chez les sujets dépistés a été faite dans une autre étude 4. Le dépistage peut favoriser un style de vie plus sain. Cet aspect n’est pas exploré dans l’étude MASS.

Bénéfices et inconvénients

Le danger d’un anévrysme de l’aorte abdominale est sa rupture avec une mortalité consécutive très importante. Une chirurgie sélective de l’anévrysme peut éviter sa rupture (bénéfice) mais avec un risque opératoire de décès. Un certain nombre d’hommes décèderont des suites de l’opération. Ils auraient pu, sans cette intervention, mourir d’une autre cause avant une éventuelle rupture de leur anévrysme (inconvénient). La balance entre ce bénéfice et cet inconvénient situe le seuil d’intervention. Il ne faut pas oublier qu’une intervention sélective peut entraîner le décès d’une personne en (relative) bonne santé, ou une dégradation de sa vie par un AVC, un infarctus du myocarde, une colite ischémique ou une insuffisance rénale. Le risque de décès dans une opération « préventive » peut influencer fortement la décision du médecin 5. Ce seuil sera bien sûr plus rapidement atteint si la mortalité diminue lors d’une opération sélective. Une diminution de la qualité de vie par une opération sélective mettra le seuil plus haut. Dans cette étude, le retentissement sur l’état de santé est évalué uniquement dans le groupe des personnes opérées dans son ensemble. Une évaluation particulière dans le groupe des personnes avec morbidité nouvelle post-opératoire aurait été fort intéressante.

Critères de justification d’un dépistage

Un dépistage de l’anévrysme abdominal ne peut se justifier que s’il répond aux critères de Wilson et Jungner (6,7 – et encadré). Pour le dépistage de l’ané-vrysme abdominal, seuls quelques critères sont remplis. Il est pertinent du fait de la prévalence de 5 % chez les hommes de plus de 50 ans, et traitable par une opération sélective. L’évolution naturelle et le pronostic sont connus : décès brutal pour 1 à 1,5 % des hommes plus âgés. L’échographie est un test diagnostique approprié avec hautes sensibilité et spécificité 1, un bon pouvoir discriminatoire et une bonne acceptabilité en raison du peu de lourdeur de cet examen pour le patient. De plus, un anévrysme est identifiable par échographie à un stade latent. Les moyens disponibles pour le suivi de ce dépistage ne sont cependant pas (encore ?) disponibles. Le rapport coût bénéfice financier avec un chiffre de 40 600,00 € (11 450,00 € à long terme) par année de vie gagnée est certainement acceptable. Le rapport coût bénéfice médical n’est pas aussi facile à déterminer, le seuil entre mortalité et morbidité d’une opération préventive et mortalité liée à une rupture brutale n’étant pas clairement fixé. L’absence de diminution de la mortalité totale reste un argument en défaveur du dépistage. Au vu de la non rencontre de l’ensemble des critères nécessaires, le dépistage n’est actuellement pas encore recommandé et les avis précédemment formulés restent d’actualité 8, 9. Les hommes présentant un anévrysme de 4,0 à 5,5 cm de diamètre seront suivis par échographie et opérés en cas d’accroissement rapide du diamètre ou également si le diamètre est supérieur à 5,5 cm.

 

Les critères de Wilson & Jungner (OMS, 1968) 6
1 Pertinence : la maladie à mettre en évidence doit appartenir aux problèmes de santé importants
2 Traitabilité : la maladie doit être traitable au moyen d’une méthode thérapeutique généralement admise
3 Disponibilité des moyens : les moyens disponibles pour poser le diagnostic doivent être suffisants
4 Identification : un stade latent identifiable doit exister pour justifier la volonté de recherche
5 Évolution naturelle : l’évolution naturelle de la maladie à mettre en évidence doit être connue
6 Qui est malade ? Il doit exister un consensus sur les critères de maladie
7 Méthode de détection : une bonne méthode de détection doit exister
8 Acceptabilité : la méthode de détection doit être acceptable pour la population
9 Coût-bénéfice : les coûts doivent être proportionnels aux bénéfices
10 Continuité : le processus de détection doit être continus

 

Conclusion

Cette étude montre une diminution de la mortalité liée à l’anévrysme de l’aorte abdominale grâce à un dépistage des hommes de 65 à 74 ans jugés « en bonne santé » par leur médecin généraliste. Un dépistage systématique de tous les hommes de cette tranche d’âge n’est cependant pas à recommander. Cette conclusion n’est pas valable pour les femmes, pour les-quelles le risque de rupture est plus élevé.        

 

Références

  1. Lederle F. Ultrasonographic screening for abdominal aortic aneurysms. Ann Intern Med 2003;139:516-22.
  2. Black WC, Haggstrom DA, Welch HG. Response : All-cause mortality in randomized trials of cancer srceening. J Natl Cancer Inst 2002;94:865-6.
  3. Multicentre Aneurysm Screening Study Group. Multicentre aneurysm screening study (MASS) : cost effectiveness analysis of screening for abdominal aortic aneurysms based on four year results from randomised controlled trial. BMJ 2002;325:1135-42.
  4. The United Kingdom Small Aneurysm Trial Participants. Long-term outcomes of immediate repair compared with surveillance of small abdominal aortic aneurysms. N Engl J Med 2002;346:1445-2.
  5. Feinstein AR. The “Chagrin Factor” and qualitative decision analysis. Arch Intern Med 1985;145:1257-9.
  6. Wilson JMG, Jungner G. Principles and practice of screening for disease. Public Health Papers nr 34. Geneva : WHO, 1968.
  7. Derese A. Hemocult : Effectief maar verre van volmaakt in de screening op coloncarcinoom. Huisarts Nu (Minerva) 2001;30(8):376-9.
  8. Bruyninckx R. Anévrysme de l’aorte abdominale : opérer ou attendre ? MinervaF 2003;2(6):96-8.
  9. Anévrismes de l’aorte abdominale : surveillance, chirurgie conventionelle ou endoprothèse : avant tout selon la taille. Rev Prescrire 2003;23 522-6.
Dépistage de l'anévrisme abdominal

Auteurs

Bruyninckx R.
Academisch Centrum voor Huisartsgeneeskunde, KU Leuven
COI :

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