Revue d'Evidence-Based Medicine



La pentoxyfylline pour traiter un ulcère de jambe veineux



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 10 Page 167 - 169

Professions de santé


Analyse de
Jull A, Waters J, Arroll B. Pentoxifylline for treatment of venous leg ulcers: a systematic review. Lancet 2002;359:1550-4.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’un traitement d’un ulcère de jambe d’origine veineuse par pentoxyfylline ?


Conclusion
Les études actuellement disponibles évaluant l’efficacité de la pentoxyfylline dans les ulcères veineux de jambe sont trop hétérogènes pour permettre une conclusion définitive. Malgré un éventuel effet positif sur la cicatrisation grâce à un traitement de 24 semaines par pentoxyfylline à la dose de 1 200 mg/j, son utilisation systématique n’est pas à recommander. La pertinence du bénéfice réel pour le patient doit encore être évaluée par des études ultérieures. Le traitement compressif reste donc la base du traitement de l’ulcère de jambe d’origine veineuse.


 

Résumé

Contexte

Les ulcères veineux de jambe sont généralement traités uniquement par bandage compressif mais, pour certains patients, cette technique n’apporte pas de résultat satisfaisant et une thérapie adjuvante peut se révéler d’une aide précieuse.

Protocole d’étude

Les auteurs réalisent une revue systématique puis une méta-analyse des études contrôlées randomisées comparant l’efficacité de la pentoxyfylline par rapport à un placebo, avec ou sans traitement compressif associé. Seules les études mentionnant un critère de jugement objectif (pourcentage de changement de surface de l’ulcère ou guérison complète de celui-ci) ou opérationnel (guérison substantielle) sont incluses. Les auteurs ont consulté la Cochrane Library, Medline et Embase. Aucune restriction de langue n’a été réalisée. Ils ont également consulté les auteurs et/ou les firmes qui ont sponsorisés les études sélectionnées.

Mesure des résultats

Le critère de jugement primaire est l’efficacité de la pentoxyfylline dans la cicatrisation des ulcères veineux de jambe, associée ou non à un bandage compressif. L’analyse est réalisée en intention de traiter.

Résultats

Les auteurs identifient huit études (soit un total de 547 patients) : cinq comparent l’efficacité de la pentoxyfylline associée à un traitement compressif par rapport à un placebo également associé à un traitement compressif (n = 445) et 3 comparent l’efficacité de la pentoxyfylline seule à un placebo employé également seul (n = 102). Après sommation des résultats de toutes les études (avec ou sans compression), la pentoxyfylline semble plus efficace qu’un placebo pour guérir un ulcère (RR = 1,49 ; IC à 95 %: 1,11- 2,01). L’association à un bandage compressif montre également des résultats en faveur de la pentoxyfylline par rapport au placebo (RR = 1,30 ; IC à 95 %: 1,10- 1,54). Sans association à un bandage compressif, la pentoxyfylline paraît également supérieure au placebo (RR 2,42 ; IC à 95 %: 1,34-4,35).

Les effets secondaires mentionnés par les patients prenant de la pentoxyfylline ne sont pas plus fréquents qu’avec un placebo (RR = 1,25, IC à 95 %: 0.87-1.80). Ils sont surtout d’ordre gastro-intestinal (43 %): mauvaise digestion, nausées, diarrhées.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent, avec prudence, que la pentoxyfylline apporte un bénéfice additionnel à un traitement par bandage compressif dans le traitement des ulcères veineux de jambe, et qu’il est possible que cette molécule soit efficace pour les patients ne pouvant bénéficier d’un bandage compressif.

Financement

Non mentionné.

Conflits d’intérêt

Aucun déclaré par les auteurs.

 

Discussion

La pentoxyfylline, molécule aux supposées propriétés hémorhéologiques, appartient à la vaste classe des médicaments utilisés dans les troubles circulatoires cérébraux et la sclérose vasculaire, entités extrêmement floues et peu définies. Ils auraient une place limitée dans la prise en charge de la claudication intermittente 1. L’ulcère de jambe se caractérise par une perte de derme au niveau de la jambe ou du pied nécessitant plus de 6 semaines pour se résorber intégralement. La prévalence augmente avec l’âge pour atteindre le chiffre de 20/1000 chez les personnes âgées de plus de 80 ans 2. Les ulcères veineux représentent 80 % des ulcères de jambes. Ils sont causés par un reflux veineux ou une obstruction, lesquels entraînent une hypertension veineuse et une stase veineuse. Les ulcères de jambe sont nauséabonds et douloureux, dégradent la qualité de vie du patient et diminuent sa mobilité 3. Un traitement compressif est un traitement efficace de l’ulcère veineux de jambe 4, mais 30 % des ulcères ne sont toujours pas guéris après un an de traitement. Rechercher et évaluer un traitement adjuvant est donc une question pertinente qui concerne le médecin généraliste.

Les critères d’inclusions et d’exclusions des études sélectionnées sont correctement présentés. Lprotocole d’investigation et pour la méthode d’analyse. Des études sont dites hétérogènes quand elles divergent entre elles pour ces critères. Dans les méta-analyses, il est important que les études rassemblées soient aussi homogènes que possible. Nous pouvons évaluer la présence d’hétérogénéité statistique entre différentes études par une analyse critique des méthodologies de recherche employées dans les études, par une mise en graphique (plot) de comparaison des différentes études ou par des tests statistiques (Q-test ou test I² de Higgins).">hétérogénéité entre les études a été évaluée. Quand une hétérogénéité clinique ou méthodologique était présente, les auteurs en ont évalué les effets sur les variations enregistrées. Ces précautions étaient heureuses car la différence de qualité entre les différentes études est réelle : critères d’inclusion et d’exclusion incomplets, descriptions cliniques des ulcères non standardisées au début comme à la fin des études, et critère de jugement primaire souvent imprécis (« guérison » ou « amélioration substantielle »). Seules six études sur huit sont correctement randomisées en double aveugle, et seules deux sur huit présentent leurs résultats en intention de traiter. La comorbidité n’est pas présentée, les dosages ne sont pas identiques et l’indication initiale de traitement n’est pas suffisamment précisée. Les auteurs ont également tenté de minimiser, en utilisant un funnel plot, les biais de publication de chaque étude afin de renforcer leurs propres résultats.

Les auteurs de l’article ont eux-mêmes publié une synthèse dans la Cochrane Library en 1999 4 incluant les mêmes études que celles reprises dans cette méta-analyse à l’exception d’une étude concernant 23 patients. Cette synthèse Cochrane ne peut donc nous aider dans l’interprétation des résultats de cette méta-analyse. Les études qui y sont incluses sont malheureusement très hétérogènes et, malgré un effet légèrement positif présent dans leur méta-analyse, les auteurs ne peuvent se prononcer de façon définitive sur l’utilisation de la pentoxyfylline dans les ulcères de jambe d’origine veineuse. Dans leurs conclusions, ils ne préconisent pas le recours systématique à la pentoxyfylline mais le conseillent en cas d’ulcères dont on prévoit que la cicatrisation sera longue et difficile avec un traitement compressif seul (plus de 24 semaines) et dans les ulcères veineux qui durent déjà depuis plus de 6 mois ou dont le diamètre dépasse 5 cm 2 . De telles conclusions sont difficilement compréhensibles par rapport aux chiffres présentés. Dès lors, nous suivons ces mêmes auteurs dans leur recommandation de la synthèse Cochrane 4 lorsqu’ils proposent une méthodologie rigoureuse pour une étude future, notamment socio-économique, qui permettrait de confirmer l’efficacité et l’efficience de la pentoxyfylline dans les ulcères de jambe d’origine veineuse.

 

Recommandations pour la pratique

Les études actuellement disponibles évaluant l’efficacité de la pentoxyfylline dans les ulcères veineux de jambe sont trop hétérogènes pour permettre une conclusion définitive. Malgré un éventuel effet positif sur la cicatrisation grâce à un traitement de 24 semaines par pentoxyfylline à la dose de 1 200 mg/j, son utilisation systématique n’est pas à recommander. La pertinence du bénéfice réel pour le patient doit encore être évaluée par des études ultérieures. Le traitement compressif reste donc la base du traitement de l’ulcère de jambe d’origine veineuse.

La rédaction

 

Références

  1. La place (limitée) des médicaments vasoactifs dans la claudication intermittente. Rev Prescr 1991;11:32-35.
  2. Nelson EA, Cullum N, Jones J. Venous leg ulcers. Clin Evid 2002;7:1806-16.
  3. Cullum N, Nelson EA, Fletcher AW, Sheldon TA. Compression for venous leg ulcers (Cochrane Review). In : The Cochrane Library, Issue 4, 2002. Oxford : Update Software.
  4. Jull AB, Waters J, Aroll B. Pentoxifylline for treating venous leg ulcers (Cochrane Review). In: The Cochrane Library, Issue 2, 2003. Oxford : Update Software.

 

Noms de marque

Pentoxyfylline : Torental®

La pentoxyfylline pour traiter un ulcère de jambe veineux

Auteurs

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Roland M.
Centre Universitaire de Médecine Générale, Université Libre de Bruxelles
COI :

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