Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention des ulcères sous AINS: le célécoxib n'est pas plus efficace



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 9 Page 146 - 147

Professions de santé


Analyse de
Chan F, Hung L, Suen B et al. Celecoxib versus diclofenac and omeprazole in reducing the risk of recurrent ulcer bleeding in patients with arthritis. N Engl J Med 2002;347:2104-10.


Question clinique
Le célécoxib est-il aussi efficace que l’association de diclofénac à un inhibiteur de la pompe à protons (l’oméprazole) dans la prévention d’ulcères hémorragiques chez des patients à haut risque pour cette complication?


Conclusion
Le célécoxib et l’association de diclofénac avec de l’oméprazole réduisent de façon semblable le risque de récidive de complications d’ulcère gastro-duodénal (hémorragie) lors de la prise au long cours d’un AINS. Ce risque persiste cependant. La question essentielle reste de justifier l’indication formelle de cet AINS vu le risque d’effets indésirables gastriques, rénaux et cardiaques. Pour le traitement de la douleur provoquée par l’arthrose, le paracétamol et une mobilisation adéquate restent un premier choix.


 

Résumé

Contexte

La prise d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), particulièrement au long terme, expose à des lésions gastro-intestinales surtout supérieures. La fréquence de ces lésions est variable suivant le critère diagnostique employé, clinique ou endoscopique (de 10 à 15% d’ulcères gastriques endoscopiques en moyenne). Le taux de récidive de saignement d’ulcère sous AINS est également élevé (19 % de récidive clinique) 1 . Existe-t-il des moyens efficaces et sûrs de prévenir la récidive de ces complications ?

Population étudiée

Sont inclus 287 patients atteints d’arthrite rhumatoïde ou d’arthrose, recrutés en milieu hospitalier, en Chine. Ils sont âgés en moyenne de 66,5 à 68,8 ans (42,2 et 45,4 % d’hommes). Ils ont présenté un ulcère hémorragique mais sont guéris de celui-ci (contrôle endoscopique), avec un test négatif pour l ’Helicobacter pylori. Ils prennent un AINS de façon régulière en cours d’étude. L’indication de cet anti-inflammatoire au long cours est : une arthrose (85,4 ou 88,8 % des cas), une arthrite rhumatoïde (3,5 ou 1,4 %) ou autre (11,1 ou 9,8 %).

Protocole de l’étude

Cette étude d’équivalence est randomisée, contrôlée, en double aveugle, avec analyse des résultats en intention de traiter. Un groupe (n = 144) reçoit du célécoxib (200 mg 2x par jour) et l’autre (n = 143) du diclofénac sous forme retard (75 mg 2x par jour) associé à de l’oméprazole (20 mg par jour) pendant 6 mois. Les patients sont suivis de 2 en 2 mois.

Critères de jugement

Le critère de jugement primaire est la récidive de saignement d’ulcère. Les critères de jugement secondaires sont l’efficacité du traitement, les effets indésirables et la récidive d’ulcère hémorragique pour les patients ne prenant pas d’aspirine à faible dose.

Résultats

Il n’y a pas de différence pour le critère de jugement primaire, la récidive d’un ulcère hémorragique: 4,9 % (IC à 95% de 3,1 à 6,7 %) dans le groupe célécoxib (7/144) et 6,4 % (IC à 95% de 4,3 à 8,4 %) dans le groupe diclofénac + oméprazole (9/143) soit une différence non significative de -1,5 (IC à 95 % de -6,8 à 3,8%). L’efficacité des traitements est similaire pour ce qui est de la douleur et de l’évolution de la limitation des activités quotidiennes en fonction de la maladie. Les taux d’effets indésirables (gastro-intestinaux, rénaux, cardiovasculaires) sont également similaires. Les événements rénaux indésirables sont de fréquence particulièrement élevée (célécoxib 24,3 %; diclofénac + oméprazole 30,8 %) mais la différence entre les deux groupes n’est pas significative.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que les deux traitements sont aussi efficaces pour la prévention des récidives de saignements gastro-intestinaux et soulignent l’importance de la toxicité rénale de ces médicaments chez des patients à haut risque.

Financement

L’étude est financée par le “Chinese University of Hong Kong” et le “Health Services Research Committee of Hong Kong”.

Conflits d’Intérêts

Le premier et un autre des auteurs mentionnent avoir reçu un dédommagement comme consultant des firmes Pfizer et Novartis.

 

Discussion

Cette étude est méthodologiquement bien structurée. Elle concerne une population à risque : l’âge moyen est élevé, un peu plus de 50 % des sujets présentent des co-morbidités (insuffisance rénale, cardiaque, néphropathie diabétique, insuffisance cardiaque). L’incidence de pathologies gastro-duodénales est sans doute différente en Chine et dans notre pays. Cet argument est cependant de moindre importance, l’étude concernant la prévention secondaire (patients ayant présenté un saignement d’un ulcère gastrique), à moins que d’autres facteurs ne jouent évidemment un rôle (l’alimentation par exemple).

Les doses d’AINS utilisées sont doubles de celles généralement recommandées dans le traitement de la douleur liée à l’arthrose quand un AINS est à utiliser après échec d’un traitement par paracétamol ou exercices appropriés 2 . Les patients devaient être exempts d’Helicobacter pylori à l’inclusion, 53,5 % et 52,4 % d’entre eux ayant été traités efficacement pour cette infection. Environ 10 % des patients ont arrêté leur traitement à cause des effets indésirables, dans les deux groupes.

S’il n’y a pas de différence d’efficacité entre le célécoxib et l’association diclofénac + oméprazole en termes de récidive de saignement d’ulcère, cette absence de différence ne doit pas nous occulter le taux de récidive quel que soit le traitement. Ce taux de récidive d’ulcère (particulièrement gastrique) à l’endoscopie reste également élevé malgré un traitement “protecteur” par un inhibiteur de la pompe à proton, un antiHistaminique H2 ou du misoprostol 3. La question essentielle demeure : un traitement AINS au long cours est-il absolument indispensable ?

La toxicité gastro-intestinale des AINS est connue. Pour les AINS inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase 2 (coxibs), l’étude VIGOR sur le rofécoxib dans l’arthrite rhumatoïde 4 et l’étude CLASS sur le célécoxib dans l’arthrose et l’arthrite rhumatoïde 5 indiquaient une moindre toxicité gastro-intestinale. Ces deux études ne nous apportaient pas un apaisement suffisant quant à nos inquiétudes concernant les autres effets indésirables (cardiaques, rénaux) de ces molécules 6 . De nombreuses critiques ont ensuite été formulées sur la fiabilité des résultats (partiels) publiés 7-10. La toxicité cardiaque des coxibs reste l’objet de nombreux débats.

Cette étude attire particulièrement notre attention sur le risque de toxicité rénale des coxibs, similaire à celle des autres AINS : 24,3 à 30,8 % d’effets rénaux indésirables, qui montent à plus de 50 % chez les sujets présentant au départ une fonction rénale altérée (mais non une insuffisance rénale sévère, définie par une créatininémie > 2,2 mg/dl). Cette situation est particulièrement fréquente chez les personnes âgées.

L’analyse du sous-groupe des patients ne consommant pas d’aspirine à faible dose ne montre pas de différence significative de sécurité entre les deux traitements.

 

Recommandations pour la pratique

Le célécoxib et l’association de diclofénac avec de l’oméprazole réduisent de façon semblable le risque de récidive de complications d’ulcère gastro-duodénal (hémorragie) lors de la prise au long cours d’un AINS. Ce risque persiste cependant. La question essentielle reste de justifier l’indication formelle de cet AINS vu le risque d’effets indésirables gastriques, rénaux et cardiaques. Pour le traitement de la douleur provoquée par l’arthrose, le paracétamol et une mobilisation adéquate restent un premier choix 2, 6.

La rédaction

 

Références

  1. Chan F, Chun S, Suen B, et al. Preventing recurrent upper gastrointestinal bleeding in patients with Helicobacter pylori infection who are taking low-dose aspirin or naproxen. N Engl J Med 2001;344:967-73.
  2. Recommendations for the medical management of osteoarthritis of the hip and knee : 2000 update. American College of Rheumatology Subcommittee on Osteoarthritis Guidelines. Arthritis Rheum 2000;43:1905-15.
  3. Rostom A, Dube C, Wells G, et al. Prevention of NSAID-induced gastroduodenal ulcers (Cochrane Review). In : The Cochrane Library, Issue 1, 2003. Oxford : Update Software.
  4. Bombardier C, Laine L, Reicin A, et al. Comparison of upper gastrointestinal toxicity of rofecoxib and naproxen in patients with rheumatoid arthritis N Engl J Med 2000;343:1520-8.
  5. Silverstein F, Faich G, Goldenstein J, et al. Gastrointestinal toxicity with celecoxib vs nonsteroidal anti-inflammatory drugs for osteoarthritis and rheumatoid arthritis. The CLASS study : a randomised controlled trial. JAMA 2000;284:1247-55.
  6. van Driel M. Hoe veilig zijn de nieuwe COX-2 selectieve NSAID’S? Huiserts Nu Minerva 2001;30(6):263-8.
  7. Therapeutics Letter. COX-2 inhibitors update : do journal publications tell the full story ? Therapeutics Letter Nov/Dec/Jan 2001-02.
  8. Juni P, Rubjier A, Dieppe P. Are selective COX-2 inhibitors superior to traditional non steroidal anti-inflammatory drugs ? Adequate analysis of the CLASS trial indicates that this may not be the case. BMJ 2002;324:1287-8.
  9. Gebu. Cox-2 remmers, Class en Vigor onder de loep. Geneesmiddelenbulletin 2003;37:32-3.
  10. van Driel M. Une demi-vérité. Le récit des coxibs (éditorial). MinervaF 2003;2(9):142-3.
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