Revue d'Evidence-Based Medicine



Post AVC/AIT : antiagrégant plaquettaire en mono- ou bithérapie ?



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 6 Page 69 - 70

Professions de santé


Analyse de
Geeganage CM, Diener HC, Algra A, et al. Dual or mono antiplatelet therapy for patients with acute ischemic stroke or transient ischemic attack: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Stroke 2012;43:1058-66.


Question clinique
Quelle est la balance bénéfice-risque des antiagrégants plaquettaires en mono- et en bithérapie initiés dans les 3 jours qui suivent un AVC ischémique ou un AIT chez des patients adultes ?


Conclusion
Cette méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, conclut que l’utilisation de 2 antiagrégants plaquettaires plutôt que d’un seul réduit le risque de récidive d’ischémie cérébrale et le risque global d’événements vasculaires dans la phase aiguë (< 72 h) d’un AVC ischémique ou d’un AIT. Ce résultat s’appuie toutefois sur des sous-groupes assez restreints d’études qui, sur le plan clinique, sont très hétérogènes, avec surtout des critères de jugement composites. Cette étude ne permet également pas de déterminer clairement les bénéfices versus le risque de saignements (majeurs).


 

Texte sous la responsabilité de la rédaction néerlandophone


 

Contexte

Le risque de récidive d’AVC est le plus élevé pendant les premières heures et les premiers jours qui suivent un AIT ou un AVC ischémique (1). En prévention d’une récidive, la plupart des guides de pratique recommandent d’initier un traitement avec  des antiagrégants plaquettaires dès le diagnostic d’AIT ou d’AVC (2-4). L’efficacité de l’aspirine dans la prévention secondaire post-AVC ischémique a été bien montrée (5-7). Nous ignorons si l’instauration précoce (dans les 3 jours qui suivent l’apparition des symptômes d’AIT ou d’AVC) d’une association d’aspirine et d’un autre antiagrégant plaquettaire comme le dipyridamole ou le clopidogrel réduit davantage le risque de récidive sans augmenter pour autant le risque de saignement.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse

 

Sources consultées

  • Cochrane Library, MEDLINE, EMBASE, Science Citation Index; jusqu’avril 2011
  • listes d’articles et synthèses pertinents trouvés dans la littérature.

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées comparant l’utilisation d’un et de 2 antiagrégant(s) plaquettaire(s) ; < 72 heures après le début d’un AIT ou d’un AVC non embolique ; chez les femmes comme chez les hommes > 18 ans ; études publiées ou non
  • critères d’exclusion : études non contrôlées, études d’observation, études comparant une monothérapie ou une bithérapie versus absence de traitement, études sans données sur les événements aigus
  • 12 études sélectionnées : aspirine + clopidogrel versus aspirine (N = 4), aspirine + clopidogrel versus clopidogrel (N = 1), aspirine + dipyridamole versus aspirine (N = 5), aspirine + dipyridamole versus dipyridamole (N = 2), aspirine + dipyridamole versus clopidogrel (N = 1).

 

Population étudiée

  • 3 766 patients (25 à 1 360 par étude) ayant présenté un AVC ischémique ou AIT récemment (≤ 72 heures) ; âge moyen de 55 à 69 ans ; 53 à 78% d’hommes.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : AVC récidivant, ischémique, hémorragique ou indéterminé, fatal ou non
  • critères de jugement secondaires : composite avec AVC, AIT, syndrome coronaire aigu ou décès ; composite avec AVC non fatal, IM non fatal ou décès vasculaire ; AVC sévère (score 2 à 6) ; AIT ; hémorragie intracrânienne ; saignement majeur ; mortalité globale ; décès vasculaire
  • analyse en modèle d’effets aléatoires.

Résultats

  • critère de jugement primaire : nombre de récidives d’AVC : diminution significative avec une bithérapie (3,3%) versus monothérapie (5%) ; RR de 0,67 (avec IC à 95% de 0,49 à 0,93 ; I² = 0%)
  • critères de jugement secondaires :
    • composite AVC, AIT, syndrome coronaire aigu ou décès : diminution significative avec la bithérapie (1,7%) versus monothérapie (9,1%) ; RR de 0,71 (avec IC à 95% de 0,56 à 0,91 ; I² = 0%)
    • composite AVC non fatal, IM non fatal ou décès vasculaire : diminution significative avec la bithérapie (4,4%) versus monothérapie (6%) ; RR de 0,75 (avec IC à 95% de 0,56 à 0,99 ; I² = 0%)
    • pas de différence statistiquement significative pour les autres critères de jugement secondaires.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une association d’antiagrégants plaquettaires, versus monothérapie, apparait sûre et efficace pour réduire une récidive d’AVC et différents autres événements vasculaires chez les patients présentant un AVC ischémique ou un AIT aigu. Des études prospectives sont nécessaires pour confirmer ces résultats.

Financement 

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt 

Certains auteurs étaient impliqués dans les études incluses.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs décrivent clairement le protocole d’étude préalablement défini ainsi que les sources de la littérature qui ont été consultées et les mots-clés utilisés pour leur recherche dans la littérature. Après avoir mentionné les critères d’inclusion et d’exclusion, ils donnent aussi une liste complète des études incluses et des études non incluses. Les données manquantes ont été réclamées auprès du premier auteur des études incluses. Les auteurs de la synthèse auraient aussi vérifié l’absence de biais de publication au moyen d’un funnel plot, mais nous n’avons pas retrouvé les résultats de celui-ci dans la publication.

Deux auteurs ont effectué la sélection des études et le traitement des données indépendamment l’un de l’autre. La qualité des études a été évaluée suivant la méthode de la Cochrane Collaboration. Pour 2 études, la méthode de randomisation et le respect du secret d’attribution ne sont pas clairs. Six études ont été menées en double aveugle, et, pour 8 études, l’analyse a été effectuée en intention de traiter. Au lieu d’un modèle d’effets fixes, les auteurs ont opté pour un modèle d’effets aléatoires parce qu’ils voulaient anticiper la présence d’un degré d’hétérogénéité élevé. Après analyse des résultats, il s’est cependant avéré qu’il n’y avait pas d’hétérogénéité statistique entre les résultats de recherche primaires. La description des études nous permet par contre bien de parler d’une hétérogénéité clinique importante entre les différentes études. Une différence est présente non seulement pour le nombre de patients inclus, mais aussi pour la durée de traitement et pour la durée de suivi des patients. Ces différences sont susceptibles d’avoir fortement faussé le résultat final de la méta-analyse.

 

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude montrent que l’utilisation de 2 antiagrégants plaquettaires plutôt que d’un seul au cours de la phase aiguë (< 72 heures) après un AVC ischémique ou un AIT, réduit le risque de récidive d’AVC ainsi que le risque pour 2 critères de jugement composites incluant la morbidité/mortalité cardiovasculaire et la mortalité globale.

Malgré un avantage statistiquement significatif en termes de récidive d’AVC, nous sommes étonnés par le fait qu’aucune analyse de sous-groupe comparant les associations aspirine + clopidogrel et aspirine + dipyridamole versus monothérapie ne montre un avantage statistiquement significatif. Deux des 3 études comparant l’association aspirine + dipyridamole versus aspirine sont déjà analysées dans la revue Minerva (8,9), ainsi que la seule étude comparant l’association aspirine + dipyridamole avec le clopidogrel (10). Nous avons déjà aussi présenté une des 5 études comparant l’association aspirine + clopidogrel avec l’aspirine (11,12) et la seule étude comparant l’association aspirine + clopidogrel avec le clopidogrel (13). La récente méta-analyse utilise des sous-groupes restreints d’études incluses pour évaluer l’efficacité d’une association de 2 antiagrégants plaquettaires versus monothérapie dans le stade aigu (< 72 h) d’une AIT ou d’un AVC. En effet, il s’agit chaque fois d’un petit nombre de patients. En conséquence, des études prospectives plus nombreuses sont encore nécessaires pour confirmer une plus-value d’une bitherapie dans le stade aigu d’un AIT ou d’un AVC. Il est très difficile, à partir de ces critères de jugement secondaires composites, de tirer des conclusions pertinentes sur le plan clinique car certaines composantes, comme l’AVC fatal, l’AIT fatal, l’IM fatal, l’AVC hémorragique, le décès d’origine vasculaire et la mortalité globale, sont en nombre très réduit (14).

 

Conclusion de Minerva

Cette méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, conclut que l’utilisation de 2 antiagrégants plaquettaires plutôt que d’un seul réduit le risque de récidive d’ischémie cérébrale et le risque global d’événements vasculaires dans la phase aiguë (< 72 h) d’un AVC ischémique ou d’un AIT. Ce résultat s’appuie toutefois sur des sous-groupes assez restreints d’études qui, sur le plan clinique, sont très hétérogènes, avec surtout des critères de jugement composites. Cette étude ne permet également pas de déterminer clairement les bénéfices versus le risque de saignements (majeurs).

 

Pour la pratique

Le guide de pratique de la Nederlands Huisarts Genootschap (NHG) recommande, après un diagnostic d’AVC ou d’AIT sans anomalie cardiaque telle qu’un trouble du rythme ou une pathologie valvulaire, d’instaurer un traitement avec 160 mg d’aspirine, à poursuivre à raison de 80 mg par jour, à vie. En cas d’AVC, le traitement initial avec 160 mg d’aspirine sera prolongé pendant 2 semaines. En cas de contre-indication à l’aspirine, le clopidogrel est une bonne alternative (2,3). En se fondant sur l’étude ESPRIT (9) et sur l’étude CAPRIE (15), les résumés des connaissances cliniques CKS (4) préconisent de débuter le traitement en associant aspirine et dipyridamole en cas d’AIT et de débuter un traitement par clopidogrel en monothérapie en cas d’AVC. Comme aucune de ces 2 études prises comme référence n’apporte de preuve formelle, la revue Minerva s’aligne pour l’instant sur les recommandations de la NHG. Les résultats de la présente méta-analyse viennent renforcer ce choix.

 

Références

  1. Coull AJ, Lovett JK, Rothwell PM; Oxford Vascular Study. Population based study of early risk of stroke after transient ischaemic attack or minor stroke: implications for public education and organisation of services. BMJ 2004;328:326.
  2. Van Binsbergen JJ, Verhoeven S, Van Bentum ST, et al. NHG-Standaard TIA (Eerste herziening). Huisarts Wet 2004;47:458-67.
  3. Verhoeven S, Beusmans GH, Van Bentum ST, et al. NHG-Standaard CVA. Huisarts Wet 2004;47:509-20.
  4. Stroke and TIA. Antithrombotic treatment. CKS 2009.
  5. Boland B. Traitements antiagrégants et prévention cardiovasculaire. MinervaF 2003;2(7):100-4.
  6. CAST (Chinese Acute Stroke Trial) Collaborative Group. CAST: randomised placebo-controlled trial of early aspirin use in 20 000 patients with acute ischaemic stroke. Lancet 1997;349:1641-9.
  7. International Stroke Trial Collaborative Group. The International Stroke Trial (IST): a randomised trial of aspirin, subcutaneous heparin, both, or neither among 19 435 patients with acute ischaemic stroke. Lancet 1997;349:1569-81.
  8. Chevalier P. Associer du dipyridamole à l’aspirine post événement ischémique cérébral? MinervaF 2006;5(8):114-6.
  9. Chevalier P. AVC ou AIT : AAS + dipyridamole (suite) ? Minerva online 27/09/2010.
  10. Bogaert M, Kaufman L. Clopidogrel ou aspirine + dipyridamole post AVC ? MinervaF 2009;8(6):72-3.
  11. Chevalier P. Un clopidogrel toujours aussi peu CHARISMAtique. Minerva online 28/03/2011.
  12. Chevalier P. Pas d’intérêt de rajouter du clopidogrel à l’aspirine en prévention cardiovasculaire? MinervaF 2006;5(6):88-91.
  13. Bogaert M. En prévention secondaire, ajouter de l'aspirine au clopidogrel? MinervaF 2005;4(6):87-9.
  14. Chevalier P. Critères composites : interprétation clinique. MinervaF 2009;8(5):68.
  15. CAPRIE Steering Committee. A randomised, blinded, trial of clopidogrel versus aspirin in patients at risk of ischaemic events (CAPRIE). Lancet 1996;9038:1329-39.
Post AVC/AIT : antiagrégant plaquettaire en mono- ou bithérapie ?

Auteurs

Demeestere J.
Dienst Neurologie, UZ Leuven; Experimentele Neurologie, Departement Neurowetenschappen, KU Leuven; Laboratorium Neurobiologie, Centrum voor hersenonderzoek, Vlaams Instituut voor Biotechnologie
COI :

Thijs V.
Dienst Neurologie, UZ Leuven
COI :

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